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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:04

CHAPITRE II (a)

Des Traités de Paix.

 

§.9        Ce que c'est que le Traité de Paix

            Quand les Puissances qui étoient en guerre, sont convenuës de poser les armes ; l’Accord, ou le Contrat, dans lequel elles stipulent les Conditions de la paix, & règlent la manière dont elle doit être rétablie & entretenue, s'appelle le Traité de Paix.

 

§.10       Par qui il peut être conclu

            La même Puissance qui a le droit de faire la guerre, de la résoudre, de la déclarer, & d'en diriger les opérations, a naturellement aussi celui de faire la paix & d'en conclure le Traité.   Ces deux pouvoirs sont liés ensemble, & le sécond suit naturellement du prémier.   Si le Conducteur de l’État est autorisé à juger des causes & des raisons, pour lesquelles on doit entreprendre la Guerre ; du tems & des circonstances, où il convient de la commencer ; de la manière dont elle doit être soutenuë & poussée ; c’est donc à lui aussi d'en borner le cours, de marquer quand elle doit finir, de faire la paix.   Mais ce pouvoir ne comprend pas nécessairement celui d'accorder, ou d'accepter, en vuë de la paix, toute sorte de Conditions.   Quoique l’État ait confié en général à la prudence de son Conducteur, le soin de résoudre la Guerre & la Paix ; il peut avoir borné ses pouvoirs, sur bien des choses, par les Loix fondamentales.   C’est ainsi que FRANCOIS I Roi de France avoit la disposition absoluë de la Guerre & de la Paix ; & cependant l’Assemblée de Cognac déclara, qu'il ne pouvoit aliéner, par le Traité de Paix, aucune partie du Royaume.   (Voyez L.I §.265)

La Nation qui dispose librement de ses Affaires domestiques, de la forme de son Gouvernement, peut confier à une personne, ou à une Assemblée, le pouvoir de faire la paix, quoiqu'elle ne lui ait pas abandonné celui de déclarer la Guerre.   Nous en avons un exemple en Suéde depuis la mort de CHARLES XII.   Le Roi ne peut déclarer la Guerre, sans le consentement des États assemblés en Diette ; il peut faire la Paix, de concert avec le Sénat.   Il est moins dangereux à un Peuple d'abandonner à ses Conducteurs ce dernier pouvoir, que le prémier.   Il peut raisonnablement espérer qu’ils ne feront la paix, que quand elle sera convenable aux intérêts de l’État.   Mais leurs passions, leurs intérêts propres, leurs vies particulières influent trop souvent dans leurs résolutions, quand il s'agit d'entreprendre la Guerre.   D'ailleurs il faudroit qu'une Paix fût bien misérable, si elle ne valoit pas mieux que la Guerre ; au contraire, on hazarde toûjours beaucoup, lorsqu'on quitte le repos, pour les armes.

 

            Quand une Puissance limitée à le pouvoir de faire la Paix ; comme elle ne peut accorder d'elle-même toute sorte de Conditions, ceux qui voudront traiter sûrement avec elle, doivent exiger que le Traité de Paix soit approuvé par la Nation, ou par la Puissance qui peut en accomplir les Conditions.   Si quelqu'un, par exemple, traite de la paix avec la Suède, demande pour Condition, une Alliance défensive, une Garentie ; cette stipulation n'aura rien de solide, si elle n'est approuvée & acceptée par la Diette, qui seule a le pouvoir de lui donner effet.   Les Rois d'Angleterre ont le droit de conclure des Traités de Paix & d'Alliance ; mais ils ne peuvent aliéner, par ces Traités, aucune des Possessions de la Couronne, sans le consentement du Parlement.   Ils ne peuvent non-plus, sans le concours du même Corps, lever aucun argent dans le Royaume.   C’est pourquoi, quand ils concluent quelque Traité de Subsides, ils ont soin de le produire au Parlement pour s’assurer qu'il les mettra en état de le remplir.   L’Empereur CHARLES-QUINT, voulant exiger de François I son Prisonnier, des Conditions, que ce Roi ne pouvoit accorder sans l’aveu de la Nation, devoit le retenir jusques-à-ce que le Traité de Madrid eût été approuvé par les États-Généraux de France, & que la Bourgogne s'y fût soumise : il n'eût pas perdu le fruit de sa Victoire, par une négligence, fort surprenante dans un Prince si habile.

 

§.11       Des aliénations faites par le Traité de paix

            Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit plus haut de l’aliénation d'une partie de l’État (Liv.I §§.263 & suiv.), ou de l’État entier (ib.   §§.68 & suiv.) Remarquons seulement, que, dans le cas d'une nécessité pressante, telle que l’imposent les événemens d'une Guerre malheureuse, les aliénations que fait le Prince, pour sauver le reste de l’État, sont censées approuvées & ratifiées par le seul silence de la Nation, lorsqu'elle n'a point conservé, dans la forme du Gouvernement, quelque moyen aisé & ordinaire de donner son consentement exprès, & qu’elle a abandonné au Prince une Puissance absoluë.   Les États-Généraux sont abolis en France, par non-usage & par le consentement tacite de la Nation.   Lors donc que ce Royaume se retrouve pressé, c’est au Roi seul de juger des sacrifices qu'il peut faire pour acheter la paix ; & ses ennemis traitent solidement avec lui.   En vain les peuples diroient-ils, qu’ils n'ont souffert que par crainte l’abolition des États-Généraux.   Ils l’ont soufferte enfin ; & par-là, ils ont laissé passer entre les mains du Roi, tous les pouvoirs nécessaires pour contracter au nom de la Nation, avec les Nations étrangères.   Il faut nécessairement qu’il se trouve dans l’État une Puissance, avec laquelle ces Nations puissent traiter sûrement.   Un Historien (a(a) L’Abbé de Choisy, Histoire de Charles V p.49) dit, que les Loix fondamentales empêchent les Rois de France de renoncer à aucun de leurs droits, au préjudice de leurs Successeurs, par aucun Traité, ni libre, ni forcé.   Les Loix fondamentales peuvent bien refuser au Roi le pouvoir d'aliéner ce qui appartient à l’État, sans le consentement de la Nation : Mais elles ne peuvent rendre nulle une aliénation, ou une renonciation, faite avec ce consentement.   Et si la Nation a laissé venir les choses en tel état, qu'elle n'a plus le moyen de déclarer expressément son consentement ; son silence seul, dans les occasions, est un vrai consentement tacite.   S’il en étoit autrement, personne ne pourroit traiter sûrement avec un pareil État : Et infirmer ainsi d'avance tous les Traités futurs, ce seroit agir contre le Droit des Gens, qui prescrit aux Nations de conserver les moyens de traiter ensemble (Liv.I §.262), & de garder leurs Traités (Liv.II §§.163, 219, & suiv.).

 

            Il faut observer enfin, que quand nous examinons si le consentement de la Nation est requis, pour l’aliénation de quelque partie de l’État, nous entendons parler des parties qui sont encore sous la Puissance de la Nation, & non pas de celles qui sont tombées pendant la Guerre au pouvoir de l’ennemi.   Car celles-ci n'étant plus possédées par la Nation, c’est au Souverain seul, s’il a l’administration pleine & absoluë du Gouvernement, le Pouvoir de la Guerre & de la Paix ; c'est, dis-je, à lui seul de juger, s'il convient d'abandonner ces parties de l’État, ou de continuer la guerre, pour les recouvrer.   Et quand même on voudroit prétendre qu'il ne peut seul les aliéner validement ; il est, dans notre supposition, c’est-à-dire, s'il jouït de l’Empire plein & absolu ; il est, dis-je, en droit de promettre, que jamais la Nation ne reprendra les armes, pour recouvrer ces Terres, Villes, ou Provinces, qu'il abandonne : Et cela suffit pour en assurer la possession tranquille à l’Ennemi, qui les a conquises.

 

§.12       Comment le Souverain peut disposer dans le Traité de ce qui intéresse les particuliers

            La nécessité de faire la paix autorise le Souverain à disposer, dans le Traité, des choses mêmes qui appartiennent aux particuliers ; & le Domaine éminent lui en donne le droit (Liv.I §.244).   Il peut même, jusqu’à un certain point, disposer de leur personne, en vertu de la Puissance qu’il a sur tous ses sujets.   Mais l’État doit dédommager les Citoyens, qui souffrent de ces dispositions, faites pour l’avantage commun (ibid).

 

§.13       Si un Roi prisonnier de guerre peut faire la paix

            Tout empêchement, qui met le Prince hors d'état d'administrer les affaires du Gouvernement, lui ôte sans-doute le pouvoir de faire la paix.   Ainsi un Roi en bas âge, ou en démence, ne peut traiter de la paix : Cela n'a pas besoin de preuve.   Mais on demande si un Roi prisonnier de Guerre peut faire la paix, en conclure validement le Traité ? Quelques Auteurs célèbres (a(a) Vide Wolf.   Jus Gent.   §.982) distinguent ici entre le Roi dont le Royaume est Patrimonial, & celui qui n’en a que l’usufruit.   Nous croyons avoir détruit cette idée fausse & dangereuse, de Royaume Patrimonial (Liv. I §.68 & suiv.), & fait voir évidemment, qu'elle doit se réduire au seul pouvoir confié au Souverain, de désigner son Successeur, de donner un autre Prince à l’État, & d'en démembrer quelques parties, s'il le juge convenable ; le tout constamment pour le bien de la Nation, en vuë de son plus grand avantage.   Tout Gouvernement légitime, quel qu'il puisse être, est uniquement établi pour le bien & le salut de l’État.   Ce principe incontestable une fois posé ; la Paix n’est plus l’affaire propre du Roi ; c’est celle de la Nation.   Or il est certain qu'un Prince captif ne peut administrer l’Empire, vacquer aux affaires du Gouvernement.   Celui qui n’est pas libre, commandera-t-il à une Nation ? Comment la gouverneroit-il au plus grand avantage du peuple, & pour le salut public ? Il ne perd pas ses droits, il est vrai ; mais sa captivité lui ôte la faculté de les exercer, parce qu'il n’est pas en état d'en diriger l’usage à sa fin légitime : C’est le cas d'un Roi mineur, ou de celui dont la raison est altérée.   Il faut alors que celui, ou ceux, qui sont appellés à la Régence, par les Loix de l’État, prennent les rênes du Gouvernement.   C’est à eux de traiter de la paix, d'en arrêter les Conditions, & de la conclure, suivant les Loix.

 

            Le Souverain captif peut la négocier lui-même & promettre ce qui dépend de lui personnellement ; mais le Traité ne devient obligatoire pour la Nation, que quand il est ratifié par elle-même, ou par ceux qui sont dépositaires de l’Autorité Publique, pendant la captivité du Prince, ou enfin par lui-même, après sa délivrance.

 

            Au reste, si l’État doit, autant qu'il se peut, délivrer le moindre des Citoyens, qui a perdu sa Liberté pour la Cause publique, à plus forte raison est-il tenu de cette obligation envers son Souverain, envers ce Conducteur, dont les soins, les veilles & les travaux sont consacrés au bonheur & au salut communs.   Le Prince, fait prisonnier à la Guerre, n’est tombé dans un état, qui est le comble de la misère pour un homme d'une Condition si relevée, qu'en combattant pour son peuple ; ce même peuple hésitera-t-il à le délivrer au prix des plus grands sacrifices ? Rien, si ce n’est le salut même de l’État, ne doit être ménagé, dans une si triste occasion.   Mais le salut du peuple est, en toute rencontre, la Loi suprême ; & dans cette dure extrémité, un Prince généreux imitera l’exemple de REGULUS.   Ce Héros Citoyen, renvoyé à Rome sur sa parole, dissuada les Romains de le délivrer par un Traité honteux, quoiqu'il n'ignorât pas les supplices, que lui réservoit la cruauté des Carthaginois (a(a) Voyez Tite Live Epitom.   Lib XVIII & les autres Historiens). [...]

 


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