CHAPITRE II (b)
Des Traités de Paix.
§.14 Si l’on peut faire la pais avec un Usurpateur
Lorsqu’un injuste Conquérant, ou tout autre Usurpateur a envahi le Royaume ; dès que les peuples se sont soumis à lui, & par un hommage volontaire, l’ont reconnu pour leur Souverain, il est en possession de l’empire. Les autres Nations, qui n’ont aucun droit de s'ingérer dans les affaires domestiques de celle-ci, de se mêler de son Gouvernement, doivent s'en tenir à son jugement & suivre la possession. Elles peuvent donc traiter de la Paix avec l’Usurpateur & la conclure avec lui. Par là elles ne blessent point le droit du Souverain légitime. Ce n’est point à elles d'examiner ce droit, & d'en juger ; elles le laissent pour ce qu’il est, & s'attachent uniquement à la possession, dans les affaires qu'elles ont avec ce Royaume, suivant leur propre droit & celui de l’État, dont la Souveraineté est disputée. Mais cette règle n'empêche pas qu'elles ne puissent épouser la querelle du Roi dépouillé, si elles la trouvent juste, & lui donner sécours : Alors elles se déclarent ennemies de la Nation qui a reconnu son Rival, comme elles ont la liberté, quand deux Peuples différens sont en guerre, d’assister celui qui leur paroît le mieux fondé.
§.15 Alliés compris dans le Traité de paix
La Partie principale, le Souverain au nom de qui la Guerre s’est faite, ne peut avec Justice, faire la paix, sans y comprendre ses Alliés, j’entens ceux qui lui ont donné du sécours, sans prendre part directement à la Guerre. C’est une précaution nécessaire pour les garentir du ressentiment de l’ennemi. Car bien que celui-ci ne doive pas s'offenser contre des Alliés de son ennemi, qui engagés seulement à la défensive, ne font autre chose que remplir fidèlement leurs Traités (Liv.III §.101) ; il est trop ordinaire que les passions déterminent plûtôt les démarches des hommes, que la Justice & la raison. Si ces Alliés ne le sont que depuis la Guerre, & à l’occasion de cette même Guerre ; quoiqu'ils ne s'y engagent pas de toutes leurs forces, ni directement comme Parties principales, ils donnent cependant à celui contre qui ils s'allient, un juste sujet de les traiter en ennemis. Celui qu’ils ont assisté, ne peut négliger de les comprendre dans la Paix.
Mais le Traité de la Partie principale n'oblige ses Alliés, qu'autant qu’ils veulent bien l’accepter, à moins qu’ils ne lui ayent donné tout pouvoir de traiter pour eux. En les comprenant dans son Traité, elle acquiert seulement contre son Ennemi réconcilié, le droit d'exiger qu'il n'attaque point ces Alliés, à raison des sécours qu’ils ont donnés contre lui ; qu'il ne les moleste point & qu'il vive en paix avec eux comme si rien n'étoit arrivé.
§.16 Les Associés doivent traiter chacun pour Soi
Les Souverains qui se sont associés pour la Guerre, tous ceux qui y ont pris part directement, doivent faire leur Traité de paix, chacun pour soi. C’est ainsi que cela s’est pratiqué à Nimègue, à Rifvvick, à Utrecht. Mais l’Alliance les oblige à traiter de concert. De sçavoir en quels cas un Associé peut se détacher de & faire sa paix particulière ; c’est une question, que nous avons examinée en traitant des Sociétés de Guerre (Liv.III Chap. VI), & des Alliances en général (Liv.II Chap. XII & XV).
§.17 De la Médiation
Souvent deux Nations, également lasses de la Guerre, ne laissent pas de la continuer, par la seule raison que chacune craint de faire des avances, qui pourroient être imputées à foiblesse ; ou elles s'y opiniâtrent par animosité, & contre leurs véritables intérêts. Alors des Amis communs interposent avec fruit leurs bons Offices en s'offrant pour Médiateurs. C’est un Office bien salutaire & bien digne d'un grand Prince, que celui de réconcilier deux Nations ennemies & d'arrêter l’effusion du sang humain ; c’est un devoir sacré, pour ceux qui ont les moyens d'y réussir. Nous nous bornons à cette seule réfléxion, sur une matiére, que nous avons déja traitée (Liv.II §.328).
§.18 Sur quel pied la paix peut se conclure
Le Traité de Paix ne peut être qu'une Transaction. Si l’on devoit y observer les règles d'une Justice exacte & rigoureuse, ensorte que chacun reçût précisément tout ce qui lui appartient, la Paix deviendroit impossible. Premièrement, à l’égard du sujet même qui a donné lieu à la Guerre, il faudroit que l’un des Partis reconnût son tort, & condamnât lui-même ses injustes prétentions ; ce qu'il fera difficilement, tant qu'il ne sera pas réduit aux dernières extrémités. Mais s'il avouë l’injustice de sa cause, il doit passer condamnation sur tout ce qu’il a fait pour la soutenir : il faut qu'il rende ce qu’il a pris injustement, qu'il rembourse les fraix de la Guerre, qu'il répare les dommages. Et comment faire une juste estimation de tous les dommages ? A quoi taxera-t-on le sang répandu, la perte d'un grand nombre de Citoyens, la désolation des familles ? Ce n’est pas tout encore. La Justice rigoureuse exigeroit de plus, que l’Auteur d'une Guerre injuste fût soumis à une peine proportionnée aux injures, dont il doit une satisfaction, & capable de pourvoir à la sûreté future de celui qu’il a attaqué. Comment déterminer la nature de cette peine, en marquer précisément le degré ? Enfin celui-là même, de qui les armes sont justes, peut avoir passé les bornes d'une juste défense, porté à l’excès des hostilités, dont le but étoit légitime ; autant de torts, dont la Justice rigoureuse demanderoit la réparation. Il peut avoir fait des Conquêtes & un butin, qui excédent la valeur de ce qu'il avoit à prétendre. Qui en fera le calcul exact, la juste estimation ? Puis donc qu'il seroit affreux de perpétuer la Guerre, de la pousser jusqu'à la ruïne entière de l’un des partis, & que dans la Cause la plus juste, on doit penser enfin à rétablir la paix, & tendre constamment à cette fin salutaire ; il ne reste d'autre moyen que de transiger sur toutes les prétentions, sur tous les griefs de part & d'autre, & d'anéantir tous les différends, par une Convention, la plus équitable qu'il soit possible. On n'y décide point la Cause même de la Guerre, ni les controverses, que les divers actes pourroient exciter ; ni l’une, ni l’autre des Parties n'y est condamnée comme injuste ; il n'en est guères qui voulût le souffrir : Mais on y convient de ce que chacun doit avoir, en extinction de toutes ses prétentions.
§.19 Effet général du Traité de paix
L’effet du Traité de Paix est de mettre fin à la Guerre, & d'en abolir le sujet. Il ne laisse aux Parties contractantes aucun droit de commettre des actes d'hostilité, soit pour le sujet même qui avoit allumé la Guerre, soit pour tout ce qui s’est passé dans son cours. Il n’est donc plus permis de reprendre les armes pour le même sujet. Aussi voyons-nous que dans ces Traités on s'engage réciproquement à une Paix perpétuelle. Ce qu'il ne faut pas entendre comme si les Contractans promettoient de ne se faire jamais la Guerre, pour quelque sujet que ce soit. La Paix se rapporte à la Guerre qu'elle termine ; & cette Paix est réellement perpétuelle, si elle ne permet pas de réveiller jamais la même Guerre, en reprenant les armes pour la Cause qui l’avoit allumée.
Au reste, la Transaction spéciale sur une Cause, n'éteint que le moyen seul, auquel elle se rapporte ; elle n'empêcheroit point qu’on ne pût dans la suite, sur d'autres fondemens, former de nouvelles prétentions à la chose même. C’est pourquoi on a communément soin d'exiger une Transaction générale, qui se rapporte à la chose même controversée, & non pas seulement à la Controverse présente ; on stipule une renonciation générale à toute prétention quelconque sur la chose dont il s'agit. Et alors, quand même, par de nouvelles raisons, celui qui a renoncé se verroit un jour en état de démontrer, que cette chose-là lui appartenoit, il ne seroit plus reçû à la réclamer.
§.20 De l’Amnistie
L’Amnistie est un oubli parfait du passé ; & comme la Paix est destinée à mettre à néant tous les sujets de discorde, ce doit être là le prémier Article du Traité. C’est aussi à quoi on ne manque pas aujourd'hui. Mais quand le Traité n'en diroit pas un mot, l’Amnistie y est nécessairement comprise par la nature même de la Paix.
§.21 Des choses dont le Traité ne dit rien
Chacune des Puissances qui se font la guerre prétendant être fondée en Justice, & personne ne pouvant juger de cette prétention (Liv.III §.188) ; l’état où les choses se trouvent, au moment du Traité, doit passer pour légitime, & si l’on veut y apporter du changement, il faut que le Traité en fasse une mention expresse. Par conséquent, toutes les choses, dont le Traité ne dit rien, doivent demeurer dans l’état, où elles se trouvent lors de sa conclusion. C’est aussi une conséquence de l’Amnistie promise. Tous les dommages causés pendant la guerre, sont pareillement mis en oubli ; & l’on n'a aucune action pour ceux, dont la réparation n'est pas stipulée dans le Traité : Ils sont regardés comme non-avenus.
§.22 Des choses qui ne sont pas comprises dans la Transaction ou dans l’Amnistie
Mais on ne peut étendre l’effet de la Transaction ou de l’Amnistie, à des choses, qui n'ont aucun rapport à la Guerre terminée par le Traité. Ainsi des répétitions fondées sur une Dette, ou sur une injure antérieure à la Guerre, mais qui n'a eû aucune part aux raisons qui l’ont fait entreprendre, demeurent en leur entier, & ne sont point abolies par le Traité, à moins qu’on ne l’ait expressément étendu à l’anéantissement de toute prétention quelconque. Il en est de même des Dettes, contractées pendant la Guerre, mais pour des sujets qui n'y ont aucun rapport, ou des injures, faites aussi pendant sa durée, mais sans rélation à l’état de Guerre.
Les Dettes contractées envers des particuliers, ou les torts qu’ils peuvent avoir reçûs d’ailleurs, sans rélation à la Guerre, ne sont point abolies non plus par la Transaction & l’Amnistie, qui se rapportent uniquement à leur objet, sçavoir, à la Guerre, à ses causes & à ses effets. Ainsi deux sujets de Puissances ennemies contractant ensemble en pays neutre, ou l’un y recevant quelque tort de l’autre, l’accomplissement du Contract, ou la réparation de l’injure & du dommage pourra être poursuivie après la conclusion du Traité de Paix.
Enfin, si le Traité porte que toutes chose seront rétablies dans l’état ce elles étoient avant la Guerre ; cette Clause ne s'entend que des Immeubles, & elle ne peut s'étendre aux choses mobiliaires, au butin, dont la propriété passe d'abord à ceux qui s’en emparent, & qui est censé abandonné par l’ancien maître, à cause de la difficulté de le reconnoître, & du peu d’espérance de le recouvrer.
§.23 Les Traités anciens, rappellés & confirmés dans le nouveau, en font partie.
Les Traités anciens, rappellés & confirmés dans le dernier, font partie de celui-ci, comme s'ils y étoient renfermés & transcrits de mot à mot : Et dans les nouveaux Articles qui se rapportent aux anciennes Conventions, l’interprétation doit se faire suivant les Régles données ci-dessus Livre II Chapitre XVII, & en particulier au paragraphe 286.Table des matières
<Précédent - Suivant>