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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:07

CHAPITRE IV (a)

De l’observation & de la rupture du Traité de Paix.

 

§.35       Le Traité de paix oblige la Nation & les Successeurs

            Le Traité de Paix, conclu par une Puissance légitime, est sans-doute un Traité public, qui oblige toute la Nation (Liv.II §.154).   Il est encore, par sa nature, un Traité réel ; car s'il n'étoit fait que pour la vie du Prince, ce seroit un Traité de Trève, & non pas de Paix.   D'ailleurs tout Traité, qui, comme celui-ci, est fait en vuë du bien public, est un Traité réel (Liv.II §.189).   Il oblige donc les Successeurs, aussi fortement que le Prince même qui l’a signé ; puisqu'il oblige l’État même, & que ses Successeurs ne peuvent jamais avoir, à cet égard, d'autres droits que ceux de l’État.

 

§.36       Il doit être fidèlement observé

            Après tout ce que nous avons dit de la Foi des Traités, de l’obligation indispensable qu’ils imposent, il seroit superflu de s'étendre à montrer en particulier, combien les Souverains & les peuples doivent être religieux observateurs des Traités de paix.   Ces Traités intéressent & obligent les Nations entières ; ils sont de la dernière importance ; leur rupture rallume infailliblement la Guerre : Toutes raisons, qui donnent une nouvelle force à l’obligation de garder la foi, de remplir fidèlement ses promesses.

 

§.37       L’exception prise de la crainte, ou de la force, ne peut en dégager

            On ne peut se dégager d'un Traité de Paix, en alléguant qu’il a été extorqué par la crainte, ou arraché de force.   Prémièrement, si cette exception étoit admise, elle sapperoit par les fondemens toute la sûreté des Traités de paix ; car il en est peu contre lesquels on ne pût s'en servir, pour couvrir la mauvaise foi.   Autoriser une pareille défaite, ce seroit attaquer la sûreté commune & le salut des Nations La maxime seroit exécrable, par les mêmes raisons, qui rendent la foi des Traités sacrée dans l’Univers (Liv.II §.220).   D'ailleurs, il seroit presque toûjours honteux & ridicule, d'alléguer une pareille exception.   Il n'arrive guères aujourd’hui que l’on attende les dernières extrémités, pour faire la paix : Une Nation, bien que vaincuë en plusieurs batailles, peut encore se défendre ; elle n'est pas sans ressource tant qu'il lui reste des hommes & des armes.   Si, par un Traité désavantageux, elle trouve à propos de se procurer une Paix nécessaire ; si elle se rachette d'un danger imminent, d'une ruïne entière, par de grands sacrifices ; ce qui lui reste est encore un bien, qu'elle doit à la Paix ; Elle s'est déterminée librement à préférer une perte certaine & présente, mais bornée, à un danger encore à venir, mais trop probable, & terrible.

 

            Si jamais l’exception de la contrainte peut être alléguée ; c’est contre un acte, qui ne mérite pas le nom de Traité de paix, contre une soumission forcée à des Conditions, qui blessent également la Justice & tous les devoirs de l’humanité.   Qu'un avide & injuste Conquérant subjugue une Nation, qu'il la force à accepter des Conditions dures, honteuses, insupportables ; la nécessité la contraint à se soumettre.   Mais ce repos apparent n'est pas une Paix : C’est une oppression que l’on souffre, tandis qu’on manque de moyens pour s'en délivrer, & contre laquelle des gens de cœur se soulèvent, à la prémiére occasion favorable.   Lorsque FERNAND CORTEZ attaquoit l’Empire du Méxique, sans aucune ombre de raison, sans le moindre prétexte apparent ; si l’infortuné MONTEZUMA eût pû racheter sa Liberté en se soumettant à des Conditions également dures & injustes, à recevoir Garnison dans ses Places & dans sa Capitale, à payer un Tribut immense & à obéir aux ordres du Roi d'Espagne : De bonne-foi, dira-t-on qu'il n’eût pû avec Justice saisir une occasion favorable, pour rentrer dans ses droits & délivrer son peuple ; pour chasser, pour exterminer des Usurpateurs avides, insolens & cruels ? Non, non ; on n'avancera pas sérieusement une si grande absurdité.   Si la Loi Naturelle veille au salut & au repos des Nations, en recommandant la fidélité dans les Promesses ; elle ne favorise pas les Oppresseurs.   Toutes ses Maximes vont au plus grand bien de l’humanité : C’est la grande fin des Loix & du Droit.   Celui qui rompt lui-même tous les liens de la Société humaine, pourra-t-il les réclamer ? S'il arrive qu'un Peuple abuse de cette maxime, pour se soulever injustement & recommencer la Guerre ; il vaut mieux s'exposer à cet inconvénient, que de donner aux Usurpateurs un moyen aisé, d'éterniser leurs injustices, & d'asseoir leur Usurpation sur un fondement solide.   Mais quand vous voudriez prêcher une Doctrine, qui s'oppose à tous les mouvemens de la Nature, à qui la persuaderez-vous ?      

           

 

§.38       En combien de manières un Traité de paix peut se rompre

            Les Accommodemens équitables, ou au moins supportables, méritent donc seuls le nom de Traités de Paix : Ce sont ceux-là, où la Foi publique est engagée, & que l’on doit garder fidèlement, bien qu’on les trouve durs & onéreux, à divers égards.   Puisque la Nation y a consenti, il faut qu'elle les ait regardés encore comme un bien, dans l’état où étoient les choses ; & elle doit respecter sa parole.   Si l’on pouvoit défaire dans un tems, ce que l’on a été bien-aise de faire dans un autre, il n'y auroit rien de stable parmi les hommes.

 

            Rompre le Traité de Paix, c’est en violer les engagemens, soit en faisant ce qu'il défend, soit en ne faisant pas ce qu'il prescrit.   Or on peut manquer aux engagemens du Traité en trois manières différentes : ou par une conduite contraire à la nature & à l’essence de tout Traité de Paix en général ; ou par des procédés incompatibles avec la nature particulière du Traité ; ou enfin en violant quelqu'un de ses Articles exprès.

 

§.39       1°, Par une conduite contraire à la nature de tout Traité de paix

            1°, On agit contre la nature & l’essence de tout Traité de Paix, contre la Paix elle-même, quand on la trouble sans sujet, soit en prenant les armes & recommençant la Guerre, quoiqu'on ne puisse alléguer même un prétexte tant-soit-peu plausible ; soit en offensant de gaieté de cœur celui avec qui on a fait la paix, & en le traitant, lui ou ses sujets, d'une manière incompatible avec l’état de paix, & qu'il ne peut souffrir, sans se manquer à soi-même.   C’est encore agir contre la nature de tout Traité de paix, que de reprendre Les armes pour le même sujet, qui avoit allumé la Guerre, ou par ressentiment de quelque chose, qui s’est passée dans le cours des hostilités.   Si l’on ne peut se couvrir au moins d'un prétexte spécieux, emprunté de quelque sujet nouveau ; on ressuscite manifestement la Guerre qui avoit pris fin, & on rompt le Traité de Paix.

 

§.40       Prendre les armes pour un sujet nouveau, ce n'est pas rompre le Traité de paix

            Mais prendre les armes pour un sujet nouveau, ce n’est pas rompre le Traité de paix.   Car bien que l’on ait promis de vivre en paix, on n'a pas promis, pour cela, de souffrir l’injure & toute sorte d'injustice, plûtôt que de s'en faire raison par la voie des armes.   La rupture vient de celui, qui, par son injustice obstinée, rend cette voie nécessaire.

 

            Mais il faut se souvenir ici de ce que nous avons observé plus d'une fois, sçavoir, que les Nations ne reconnoissent point de Juge commun sur la terre, qu'elles ne peuvent se condamner mutuellement sans appel, & qu'elles sont enfin obligées d'agir dans leurs querelles, comme si l’une & l’autre étoit également dans ses droits.   Sur ce pied-là, que le sujet nouveau, qui donne lieu à la Guerre, soit juste, ou qu'il ne le soit pas, ni celui qui en prend occasion de courrir aux armes, ni celui qui refuse satisfaction, n’est réputé rompre le Traité de paix, pourvû que le sujet de plainte, & le refus de satisfaction aient de part & d'autre au moins quelque couleur, ensorte que la question soit litigieuse.   Il ne reste aux Nations d'autre voie que les armes, quand elles ne peuvent convenir de rien, sur une question de cette nature.   C'est alors une Guerre nouvelle, qui ne touche point au Traité.

 

§.41       S'allier dans la fuite avec un ennemi, ce n'est pas non plus rompre le Traité

            Et comme en faisant la paix, on ne renonce point par cela même au droit de faire des Alliances & d'assister ses Amis ; ce n’est pas non plus rompre le Traité de paix que de s'allier dans la fuite & de se joindre aux ennemis de celui avec qui on l’a conclu, d'épouser leur querelle & d'unir ses armes aux leurs ; à moins que le Traité de paix ne le défende expressément : C’est tout au plus commencer une Guerre nouvelle, pour la Cause d'autrui.

 

            Mais je suppose que ces nouveaux Alliés ont quelque sujet plausible de prendre les armes, & qu’on a de bonnes & justes raisons de les soutenir ; car s'il en étoit autrement, s'allier avec eux, justement lorsqu’ils vont entrer en Guerre, ou lorsqu’ils l’ont commencée, ce seroit manifestement chercher un prétexte, pour éluder le Traité de paix ; ce seroit le rompre avec une artificieuse perfidie. [...]

 


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