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12 décembre 2004 7 12 /12 /décembre /2004 00:08
CHAPITRE VII
Des effets du Domaine entre les Nations.



§.79         Effet général du Domaine.

Nous avons expliqué dans le Chapitre XVIII du Livre I, comment une Nation s'empare d'un pays & y occupe le Domaine & l'Empire.   Ce pays, avec tout ce qu'il renferme, devient le bien propre de la Nation en général.   Voyons quels sont les effets de cette Propriété envers les autres Nations.   Le Domaine plein est nécessairement un droit propre & exclusif.   Car de cela même que j'ai un plein droit de disposer d'une chose à ma volonté, il s'en suit que les autres n'y ont absolument aucun droit ; s'ils y en avoient quelqu'un, je ne pourrois plus disposer librement de cette chose-là.   Le Domaine particulier des Citoyens peut être limité & restreint en diverses manières par les Loix de l'Etat, & il l’est toûjours par le Domaine éminent du Souverain ; mais le Domaine général de la Nation est plein & absolu, puisqu'il n'existe aucune Autorité sur la terre, de laquelle il puisse recevoir des limitations : Il exclut donc tout droit de la part des Etrangers.   Et comme les Droits d'une Nation doivent être respectés de toutes les autres (§.64), aucune ne peut rien prétendre sur le pays qui appartient à cette Nation, ni ne doit en disposer sans son aveu, non plus que de tout ce que le pays contient.

§.80         De ce qui est compris dans le Domaine d'une Nation.

Le Domaine de la Nation s'étend à tout ce qu'elle possède à juste titre : Il comprend ses possessions anciennes & originaires, & toutes ses acquisitions, faites par des moyens justes en eux-mêmes, ou reçus comme tels entre les Nations ; concessions, achapts, conquêtes dans une Guerre en forme &c.   Et par ses possessions, il ne faut pas seulement entendre ses terres, mais tous les droits dont elle jouit.

§.81         Les biens des Citoyens sont biens de la Nation, à l'égard des Nations étrangères.

Les biens mêmes des particuliers, dans leur totalité, doivent être regardés comme les biens de la Nation, à l'égard des autres Etats.   Ils lui appartiennent réellement en quelque sorte, par les droits qu'elle a sur les biens de ses Citoyens, parce qu'ils font partie de ses richesses totales & augmentent sa puissance.   Ils l'intéressent par la protection qu'elle doit à ses membres.   Enfin la chose ne peut pas être autrement, puisque les Nations agissent & traitent ensemble en Corps, dans leur qualité de Sociétés Politiques, & sont regardées comme autant de personnes morales.   Tous ceux qui forment une Société, une Nation, étant considérés par les Nations étrangères comme ne faisant qu'un tout, comme une seule personne ; tous leurs biens ensemble ne peuvent être envisagés que comme les biens de cette même personne.   Et cela est si vrai, qu'il dépend de chaque Société Politique d'établir chez elle la communauté des biens, ainsi que l'a fait CAMPANELLA dans sa République du Soleil.   Les autres ne s'enquiérent point de ce qu'elle fait à cet égard ; ses règlemens domestiques ne changent rien au droit envers les Etrangers, ni à la manière dont ils doivent envisager la totalité de ses biens, de quelque façon qu'ils soient possédés.

§.82         Conséquence de ce principe.

Par une conséquence immédiate de ce principe, si une Nation a droit à quelque partie des biens d'une autre, elle a droit indifféremment aux biens des Citoyens de celle-ci, jusqu'à concurrence de la dette.   Cette maxime est d'un grand usage, comme on le verra dans la suite.

§.83         Connexion du Domaine de la Nation avec l'Empire.

Le Domaine général de la Nation sur les terres qu'elle habite est naturellement lié avec l'Empire ; car en s’établissant dans un pays vacant, la Nation ne prétend pas sans-doute y dépendre d'aucune autre Puissance ; & comment une Nation indépendante ne commanderoit-elle pas chez elle ?   Aussi avons-nous déjà observé (L. I. §.205) qu'en occupant un pays, la Nation est présumée y occuper en même-tems l'Empire.   Nous allons plus loin ici, & nous faisons voir la connéxion naturelle de ces deux droits, pour une Nation indépendante.   Comment se gouverneroit-elle à son gré, dans le pays qu'elle habite, si elle ne pouvoit en disposer pleinement & absolument ?   Et comment auroit-elle le Domaine plein & absolu d'un lieu, dans lequel elle ne commanderoit pas ?   L'Empire d'autrui & les droits qu'il comprend, lui en ôteroient la libre disposition.   Joignez à cela le Domaine éminent, qui fait partie de la Souveraineté (L. I. §.244) & vous sentirez d'autant mieux l'intime liaison du Domaine de la Nation avec l'Empire.   Aussi ce qu'on appelle le haut Domaine, qui n’est autre chose que le Domaine du Corps de la Nation, ou du Souverain qui la réprésente, est-il considéré par-tout comme inséparable de la Souveraineté.   Le Domaine utile, ou le Domaine réduit aux droits qui peuvent appartenir à un particulier dans l'Etat, peut être séparé de l'Empire ; & rien n'empêche qu'il n'appartienne à une Nation, dans des lieux qui ne sont pas de son obéïssance.   Ainsi plusieurs Souverains ont des Fiefs & d'autres biens, dans les Terres d'un autre Prince : Ils les possèdent alors à la manière des particuliers.

§.84         Jurisdiction.

L'Empire uni au Domaine établit la Jurisdiction de la Nation dans le pays qui lui appartient, dans son Territoire.   C'est à elle, ou à son Souverain, de rendre la justice dans tous les lieux de son obéissance, de prendre connoissance des crimes qui se commettent & des différends qui s'élèvent dans le pays.

            Les autres Nations doivent respecter ce droit.   Et comme l'administration de la Justice exige nécessairement que toute sentence définitive, prononcée réguliérement, soit tenuë pour juste & exécutée comme telle ; dès qu'une Cause dans laquelle des Etrangers se trouvent intéressés a été jugée dans les formes, le Souverain de ces plaideurs ne peut écouter leurs plaintes.   Entreprendre d'examiner la justice d'une Sentence définitive, c’est attaquer la Juridiction de celui qui l'a rendue.   Le Prince ne doit donc intervenir dans les Causes de ses sujets en pays étranger, & leur accorder sa protection, que dans les cas d'un déni de justice, ou d'une injustice évidente & palpable, ou d'une violation manifeste des règles & des formes, ou enfin d'une distinction odieuse, faite au préjudice de ses sujets, ou des Etrangers en général.   La Cour d'Angleterre a établi cette maxime avec beaucoup d'évidence, à l'occasion des Vaisseaux Prussiens, saisis & déclarés de bonne prise, pendant la derniére Guerre (
a) Voyez le Rapport fait au Roi de la Grande-Bretagne, par le Chev. LEE, le Dr. PAUL, le Chev. RYDER & M. MURRAY. C’est un excellent morceau de Droit des Gens).   Ce qui soit dit sans toucher au mérite de la Cause particulière, entant qu'il dépend des faits.

§.85         Effets de la Jurisdiction pour les pays étrangers.

En conséquence de ces droits de la Jurisdiction, les dispositions faites par le Juge du Domicile, dans l'étenduë de son pouvoir, doivent être respectées & obtenir leur effet même chez l'étranger.   C’est, par exemple, au Juge du Domicile de nommer les Tuteurs & les Curateurs des mineurs & des imbécilles.   Le Droit des Gens qui veille au commun avantage & à la bonne-harmonie des Nations, veut donc que cette nomination d'un Tuteur, ou d'un Curateur, soit valable & reconnuë dans tous les pays, où le Pupille peut avoir des affaires.   On fit usage de cette maxime, en l'année 1672, même à l'égard d'un Souverain.   L'Abbé d'Orléans, Prince souverain de Neufchâtel en Suisse, étant incapable de gérer ses propres affaires, le Roi de France lui donna pour Curatrice la Duchesse Douairiére de Longueville, sa Mére.   La Duchesse de Nemours, sœur de ce Prince, prétendit à la Curatelle pour la Principauté de Neufchâtel ; mais la qualité de la Duchesse de Longueville fut reconnuë par les Trois Etats du pays.   Son Avocat se fondoit sur ce que la Princesse étoit établie Curatrice par le Juge du Domicile (b) Mémoires pour Mad. la Duchesse de Longueville, 1672).   C'étoit appliquer fort mal un principe très-solide ; le Domicile du Prince ne pouvant être que dans son Etat.   L'Autorité de la Duchesse de Longueville ne devint légitime & ferme à Neufchâtel, que par l'Arrêt des Trois Etats, à qui seuls il appartenoit de donner un Curateur à leur Souverain.

            De même, la validité d'un Testament, quant à la forme, ne peut être jugée que par le Juge du Domicile, dont la Sentence, renduë dans les formes, doit être reconnuë par-tout.   Mais sans toucher à la validité du Testament en lui-même, les dispositions qu'il renferme peuvent être contestées devant le juge du lieu, où les biens sont situés, parce qu'on ne peut disposer de ces biens que conformément aux Loix du pays.   C'est ainsi que le même Abbé d'Orléans, dont nous venons de parler, ayant institué le Prince de Conti pour son Légataire universel, les Trois Etats de Neufchâtel donnèrent l'Investiture de la Principauté à la Duchesse de Nemours, sans attendre que le Parlement de Paris eût prononcé sur la question des deux Testamens opposés de l'Abbé d'Orléans ; déclarant que la Souveraineté étoit inaliénable.   D'ailleurs, on pouvoit dire encore en cette occasion, que le Domicile du Prince ne peut être ailleurs que dans l'Etat.

§.86         Des lieux déserts & incultes.

Tout ce que le pays renferme appartenant à la Nation, & personne autre qu'elle-même, ou celui à qui elle a remis son droit, ne pouvant en disposer (§.79) ; si elle a laissé dans le pays des lieux incultes & déserts, qui que ce soit n’est en droit de s'en emparer, sans son aveu.   Quoiqu'elle n'en fasse pas actuellement usage, ces lieux lui appartiennent, elle a intérêt à les conserver, pour des usages à venir ; & elle ne doit compte à personne de la manière dont elle use de son bien.   Toutefois il faut rappeller ici ce que nous avons observé ci-dessus (L. I. §.81) : Aucune Nation ne peut légitimement s'approprier une étenduë de pays trop disproportionnée, & réduire ainsi les autres peuples à manquer de demeure & de subsistance.   Un Chef Germain, du tems de NERON, disoit aux Romains : Comme le Ciel appartient aux Dieux, ainsi la Terre est donnée au Genre-humain ; les pays déserts sont communs à tous (a) Sicut Coelum Diis, ita terras generi mortalium datas : quaeque vacua, eas publica esse. TACIT) ; voulant donner à entendre à ces fiers Conquérans, qu'ils n'avoient aucun droit de retenir & de s'approprier un pays, qu'ils laissoient désert.   Les Romains avoient dévasté une lisière le long du Rhin, pour couvrir leurs Provinces contre les incursions des Barbares.   La remontrance du Germain eût été fondée, si les Romains avoient prétendu retenir sans raison un vaste pays, inutile pour eux.   Mais ces terres, qu'ils ne vouloient pas laisser habiter, servant de rempart contre des peuples féroces, étoient très-utiles à l'Empire.

§.87         Devoir de la Nation à cet égard.

Hors cette circonstance singulière, il convient également aux devoirs de l'humanité & à l'avantage particulier de l'Etat, de donner ces lieux déserts à des étrangers, qui veulent les défricher & les mettre en valeur.   La bénéficence de l’Etat tourne ainsi à son profit ; il acquiert de nouveaux sujets, il augmente ses richesses & sa Puissance.   C’est ainsi que l’on en use en Amérique ; par une méthode si sage, les Anglois ont porté leurs Etablissemens dans le Nouveau Monde à un dégré de puissance, qui augmente considérablement celle de la Nation.   Ainsi encore le Roi de Prusse travaille à repeupler ses Etats, dévastés par les calamités des anciennes Guerres.

§.88         Du droit d'occuper les choses qui n'appartiennent à personne.

Il est libre à la Nation qui possède un pays, d'y laisser dans la communion primitive, certaines choses, qui n'ont point encore de maître, ou de s'approprier le droit de s'emparer de ces choses-là aussi bien que tout autre usage, auquel ce pays est propre.   Et comme un pareil droit est utile ; on présume, dans le doute, que la Nation se l'est réservé.   Il lui appartient donc à l'exclusion des étrangers, à moins que ses Loix n'y dérogent expressément, comme celles des Romains, qui laissoient dans la communion primitive les bêtes sauvages, les poissons &c.   Nul étranger n'a donc naturellement le droit de chasser, ou de pêcher dans le territoire d'un Etat, de s'approprier un trésor qu'il y trouve &c.

§.89         Droits accordés à une autre Nation.

Rien n'empêche que la Nation, ou le Souverain, si les Loix le lui permettent, ne puisse accorder divers droits dans son territoire à une autre Nation, ou en général à des étrangers ; chacun pouvant disposer de son bien comme il le juge à propos.   C'est ainsi que divers Souverains des Indes ont accordé aux Nations commerçantes de l'Europe, le droit d'avoir des Comptoirs, des Ports, des Forteresses même & des Garnisons, dans certains lieux de leurs Etats.   On peut donner de même le droit de pêche dans une rivière, ou sur les côtes, celui de Chasse dans les forêts &c.   Et quand une fois ces droits ont été validement cédés, ils sont partie des biens de l'acquéreur, & doivent être respectés, de même que ses anciennes possessions.

§.90         Il n’est pas permis de chasser une Nation du pays qu'elle habite.

A quiconque conviendra que le vol est un crime, qu'il n’est pas permis de ravir le bien d'autrui, nous dirons sans autre preuve, qu'aucune Nation n'en en droit d'en Chasser une autre du pays qu'elle habite, pour s'y établir elle-même.   Malgré l'extrême inégalité du Climat & du terroir, chacune doit se contenter de ce qui lui est échû en partage.   Les Conducteurs des Nations mépriseront-ils une règle, qui fait toute leur sûreté dans la Société Civile ?   Faites-la tomber dans l'oubli cette règle sacrée ; le paysan quittera sa Chaumière, pour envahir le Palais du Grand, ou les possessions délicieuses du Riche.   Les anciens Helvétiens, mécontens de leur sol natal, brulèrent toutes leurs habitations, & se mirent en marche, pour aller s'établir l'épée à la main, dans les fertiles Contrées de la Gaule méridionale.   Mais ils reçurent une terrible leçon, d'un Conquérant plus habile qu'eux, & moins juste encore ; CESAR les battit, & les renvoya dans leur pays.   Leur postérité, plus sage, se borne à conserver les terres & l'indépendance, qu'elle tient de la Nature, & vit contente ; le travail de mains libres supplée à l'ingratitude du terroir.

§.91         Ni d'étendre par la violence les bornes de son Empire.

Il est des Conquérants, qui n'aspirant qu'à reculer les bornes de leur Empire ; sans chasser les habitans d'un pays, se contentent de les soumettre.   Violence moins barbare, mais non plus juste : En épargnant les biens des particuliers, elle ravit tous les droits de la Nation & du Souverain.

§.92         Il faut délimiter soigneusement les Territoires.

Puisque la moindre usurpation sur le territoire d'autrui est une injustice ; pour éviter d'y tomber, & pour éloigner tout sujet de discorde, toute occasion de querelle, on doit marquer avec clarté & précision les limites des Territoires.   Si ceux qui dressérent le Traité d'Utrecht avoient donné à une matière si importante toute l'attention qu'elle mérite, nous ne verrions pas la France & l'Angleterre en armes, pour décider par une Guerre sanglante, quelles seront les bornes de leurs Possessions en Amérique.   Mais souvent on laisse à dessein quelque obscurité, quelque incertitude dans les Conventions, pour se ménager un sujet de rupture.   Indigne artifice, dans une opération, où la bonne foi doit régner !   On a vû aussi des Commissaires travailler à surprendre, ou à corrompre ceux d'un Etat voisin, pour faire injustement gagner à leur Maître quelques lieuës de terrein.   Comment des Princes, ou leurs Ministres, se permettent-ils des manoeuvres, qui déshonoreroient un particulier ?

§.93         De la violation du territoire.

Non-seulement on ne doit point usurper le territoire d'autrui, il faut encore le respecter & s'abstenir de tout acte contraire aux droits du Souverain ; car une Nation étrangère ne peut s'y attribuer aucun droit (§.79).   On ne peut donc, sans faire injure à l'Etat, entrer à main armée dans son territoire, pour y poursuivre un coupable & l'enlever.   C’est en même-tems donner atteinte à la sûreté de l'Etat, & blesser le droit d'Empire, ou de Commandement suprême, qui appartient au Souverain.   C'est ce qu'on appelle violer le territoire ; & rien n’est plus généralement reconnu entre les Nations, pour une injure qui doit être repoussée avec vigueur, par-tout Etat, qui ne voudra pas se laisser opprimer.   Nous ferons usage de ce principe en parlant de la Guerre, qui donne lieu à plusieurs questions sur les droits du territoire.

§.94         De la défense d'entrer dans le territoire.

Le Souverain peut défendre l'entrée de son territoire, soit en général à tout étranger, soit en certain cas, ou à certaines personnes, ou pour quelques affaires en particulier, selon qu'il le trouve convenable au bien de l'Etat.   Il n'y a rien là qui ne découle des droits de Domaine & d'Empire ; tout le monde est obligé de respecter la défense, & celui qui ose la violer, encourt la peine décernée pour la rendre efficace.   Mais la défense doit être connuë, de même que la peine attachée à la désobéissance ; ceux qui l'ignorent doivent être avertis, lorsqu'ils se présentent pour entrer dans le pays.   Autrefois les Chinois, craignant que le commerce des étrangers ne corrompit les mœurs de la Nation & n'altérât les maximes d'un Gouvernement sage mais singulier, interdisoient à tous les peuples l'entrée de l'Empire.   Et cette défense n'avoit rien que de juste, pourvû que l’on ne refusât point les sécours de l'humanité à ceux que la tempête, ou quelque Nécessité contraignoit de se présenter à la frontière.   Elle étoit salutaire à la Nation, sans blesser les droits de personne, ni même les devoirs de l'humanité, qui permettent, en cas de collision, de se préférer soi-même aux autres.

§.95         D'une terre occupée en même-tems par plusieurs Nations.

Si deux ou plusieurs Nations découvrent & occupent en même tems une Isle, ou toute autre terre déserte & sans maître, elles doivent convenir entr'elles & faire un partage équitable.   Mais si elles ne peuvent convenir, chacun aura de droit l'Empire & le Domaine des portions, dans lesquelles elle se sera établie la prémiére.

§.96         D'une terre occupée par un particulier.

Un particulier indépendant, soit qu'il ait été chassé de sa Patrie, soit qu'il l'ait quittée de lui-même légitimement, peut s'établir dans un Pays, qu'il trouve sans maître, & y occuper un domaine indépendant.   Quiconque voudra ensuite s'emparer de ce pays entier, ne pourra le faire avec Justice, sans respecter les droits & l'indépendance de ce particulier.   Que si lui-même trouve un nombre d'hommes suffisant, qui veuillent vivre sous ses Loix ; il pourra fonder un nouvel Etat dans sa découverte, y occuper le Domaine & l'Empire.   Mais si ce particulier prétendait seul s'arroger un droit exclusif sur un pays, pour y être Monarque sans sujets ; on se moquerait avec justice de ses vaines prétentions : une occupation téméraire & ridicule ne produit aucun effet en droit.

            Il est encore d'autres moyens, par lesquels un particulier peut fonder un nouvel Etat.   Ainsi, dans l'onzième siécle, des Gentilshommes Normands fondèrent un nouvel Empire dans la Sicile, après en avoir fait la conquête sur les Ennemis communs des Chrêtiens.   L'usage de la Nation permettoit aux Citoyens de quitter la Patrie, pour chercher fortune ailleurs.

§.97         Familles indépendantes dans un pays.

Lorsque plusieurs Familles indépendantes sont établies dans une Contrée, elles en occupent le Domaine libre, mais sans Empire, puis qu'elles ne forment point une Société Politique.   Personne ne peut s'emparer de l'Empire dans ce pays-là ; ce seroit assujettir ces familles malgré elles, & nul homme n’est en droit de commander à des gens nés libres, s'ils ne se soumettent volontairement à lui.

            Si ces Familles ont des établissemens fixes ; le lieu que chacune occupe lui appartient en propre ; le reste du pays, dont elles ne font point usage, laissé dans la communion primitive, est au prémier occupant.   Quiconque voudra s'y établir, peut s'en emparer légitimement.

            Des Familles errantes dans un pays, comme les peuples pasteurs, & qui le parcourrent suivant leurs besoins, le possèdent en commun.   Il leur appartient exclusivément aux autres peuples ; & on ne peut sans injustice les priver des Contrées qui sont à leur usage.   Mais rappellons encore ici ce que nous avons dit plus d'une fois (L. I. §§.81, 209 & L. II §.86) : les Sauvages de l'Amérique septentrionale n'avoient point droit de s'approprier tout ce vaste Continent ; & pourvû qu'on ne les réduisit pas à manquer de terres, on pouvoit sans injustice, s'établir dans quelques parties d'une région, qu'ils n'étoient pas en état d'habiter toute entiére.   Si les Arabes pasteurs vouloient cultiver soigneusement la terre, un moindre espace pourrait leur suffire.   Cependant aucune autre Nation n’est en droit de les resserrer, à moins qu'elle ne manquât absolument de terres.   Car enfin, ils possèdent leur pays, ils s'en servent à leur maniére, ils en tirent un usage convenable à leur genre de vie, sur lequel ils ne reçoivent la Loi de personne.   Dans un cas de nécessité pressante, je pense que l’on pourroit sans injustice, s'établir dans une partie de ce pays, en enseignant aux Arabes les moyens de le rendre, par la culture des terres, suffisant à leurs besoins & à ceux des nouveaux venus.

§.98         Occupation de certains lieux seulement, ou de certains droits, dans un pays vacant.

Il peut arriver qu'une Nation se contente d'occuper seulement certains lieux, ou de s'approprier certains droits dans un pays qui n'a point de Maître, peu curieuse de s'emparer du pays tout entier.   Une autre pourra se saisir de ce qu'elle a négligé ; mais elle ne pourra le faire, qu'en laissant subsister dans leur entier & dans leur absoluë indépendance, tous les droits, qui sont déjà acquis à la prémiére.   Dans ces cas-là, il convient de se mettre en règle, par une Convention ; & on n'y manque guères entre Nations policées.


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