CHAPITRE X.
De la Monnoie & du Change.
§.105 Établissement de la Monnoie.
Dans les premiers tems, depuis l’introduction de la propriété, les hommes échangeoient leurs denrées & effets superflus, contre ceux dont ils avoient besoin. L’or & l’argent devinrent ensuite la commune mesure du prix de toutes choses ; & afin que le peuple n'y fût pas trompé, on imagina d'imprimer au nom de l’État sur des piéces d'or & d'argent, ou l’Image du Prince, ou quelqu'autre empreinte, qui fût comme le sçeau & le garent de sa valeur. Cette institution est d'un grand usage & d'une commodité infinie. Il est aisé de voir combien elle facilite le Commerce. Les Nations ou leurs Conducteurs ne sçauroient donner trop d'attention à une matiére si importante.
§.106 Devoirs de la Nation, ou du Prince, à l’égard de la Monnoie.
L'empreinte qui se voit sur la Monnoie, devant être le sçeau de son titre & de son poids ; on sent d'abord qu'il ne peut être permis indifféremment à tout le monde d'en fabriquer. Les fraudes y deviendroient trop communes ; elle perdroit bien-tôt la confiance publique : Ce seroit anéantir une institution utile. La Monnoie se fabrique par l’Autorité & au nom de l’État, ou du Prince, qui en est garent. Il doit donc avoir soin d'en faire fabriquer en quantité suffisante pour les besoins du pays, & veiller à ce qu'on la fasse bonne, c’est-à-dire que sa valeur intrinséque soit proportionnée à sa valeur extrinsèque, ou numéraire.
Il est vrai que dans une Nécessité pressante, l’État seroit en droit d'ordonner aux Citoyens de recevoir la monnoie à un prix supérieur à sa valeur réelle. Mais comme les Étrangers ne la recevront point à ce prix-là, la Nation ne gagne rien à cette manœuvre : C'est farder pour un moment la plaie, sans la guérir. Cet excédent de valeur, ajoûté arbitrairement à la monnoie, est une vraie dette, que le Souverain contracte envers les particuliers : & pour observer une exacte justice, la crise passée, on doit racheter toute cette Monnoie aux dépens de l’État, en la payant en d'autres espèces, au cours naturel ; autrement cette espèce de charge, impôsée dans la nécessité, retombe sur ceux-là seulement qui ont reçu en payement une Monnoie arbitraire ; ce qui est injuste. D'ailleurs, l’expérience a montré qu'une pareille ressource est ruineuse pour le commerce, en ce qu'elle détruit la confiance de l’étranger & du citoyen, fait hausser à-proportion le prix de toutes choses, & engageant tout le monde à resserrer, ou à envoyer au-déhors les bonnes espèces anciennes, suspend la circulation de l’argent. En sorte qu'il est du devoir de toute Nation & de tout Souverain, de s'abstenir, autant qu'il est possible, d'une opération si dangereuse, & de recourrir plûtôt à des impôts & à des contributions extraordinaires, pour subvenir aux besoins pressans de l’État.
§.107 De ses Droits à cet égard.
Puisque l’État est garent de la bonté de la Monnoie & de son cours, c'est à l’Autorité publique seule qu'il appartient de la faire fabriquer. Ceux qui la contrefont violent les droits du Souverain, soit qu'ils la fassent au même titre, soit qu'ils l’altèrent. On les appelle Faux-Monnayeurs, & leur crime passe avec raison pour l’un des plus graves. Car s'ils fabriquent une Monnoye de mauvais alloi, ils volent le public & le Prince ; & s'ils la sont bonne, ils usurpent le droit du Souverain. Ils ne se porteront pas à la faire bonne, à moins qu'il n'y ait un profit sur la fabrique ; & alors, ils dérobent à l’État un gain qui lui appartient. Dans tous les cas, ils sont une injure au Souverain ; car la foi publique étant garente de la Monnoie, le Souverain seul peut la faire fabriquer. Aussi met-on le droit de battre Monnoie au nombre des Droits de Majesté, & BODIN (a) De la République, Liv.I Chap.X) rapporte, que Sigismond-Auguste Roi de Pologne ayant donné ce Privilège au Duc de Prusse en 1543, les États du pays firent un Décret où il fut inséré, que le Roi n’avoit pû donner ce droit, comme étant inséparable de la Couronne. Le même Auteur observe, que bien qu'autrefois plusieurs Seigneurs & Évêques de France eussent le Privilège de faire battre Monnoie, elle étoit toûjours censée se fabriquer par l’autorité du Roi, qui a enfin retiré tous ces Privilèges, à cause des abus.
§.108 Injure qu'une Nation peut faire à l’autre, au sujet de la Monnoie.
Des principes que nous venons d'établir, il est aisé de conclure, que si une Nation contrefait la Monnoie d'une autre, ou si elle souffre & protège les faux Monnoyeurs qui osent l’entreprendre, elle lui fait injure. Mais ordinairement les Criminels de cet ordre ne trouvent asyle nulle part ; tous les Princes étant également intéressés à les exterminer.
§.109 Du Change, & des Loix du Commerce.
Il est un autre usage plus moderne, & non moins utile au Commerce que l’établissement de la Monnoie ; c’est le Change, ou le négoce des Banquiers, par le moyen duquel un Marchand remet d'un bout du Monde à l’autre des sommes immenses, presque sans fraix & s'il le veut, sans péril. Par la même raison que les Souverains doivent protéger le Commerce, ils sont obligés de soutenir cet usage par de bonnes Loix, dans lesquelles tout Marchand, étranger ou citoyen, puisse trouver sa sûreté. En général, il est également de l’intérêt & du devoir de toute Nation, d'établir chés elle de sages & justes Loix de Commerce.
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