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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:04

LE DROIT

DES GENS

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LIVRE I

De la Nation considérée en elle-même.


CHAPITRE I
Des Nations, ou États souverains.


§.1           De l’État & de la Souveraineté.

            Une Nation, un État est, comme nous l’avons dit dès l’entrée de cet Ouvrage, un Corps Politique, ou une Société d'hommes unis ensemble pour procurer leur avantage & leur sûreté à forces réunies.

            Par cela même que cette multitude forme une Société, qui a ses intérêts communs & qui doit agir de concert, il est nécessaire qu'elle établisse une Autorité publique, pour ordonner & diriger ce que chacun doit faire rélativement au but de l’association. Cette Autorité Politique est la Souveraineté ; & celui, ou ceux qui la possédent sont le Souverain.


§.2           Droit du Corps sur les membres.

            On conçoit que par l’Acte d'Association Civile, ou Politique, chaque Citoïen se soumet à l’Autorité du Corps entier, dans tout ce qui peut intéresser le bien commun. Le Droit de tous sur chaque membre appartient donc essentiellement au Corps Politique, à l’État ; mais l’exercice de ce Droit peut être remis en diverses mains, suivant que la Société en aura ordonné.


§.3           Diverses espèces de Gouvernement.

            Si le Corps de la Nation retient à soi l’Empire, ou le Droit de commander, c'est un Gouvernement Populaire, une Démocratie ; s'il le remet à un certain nombre de Citoyens, à un Sénat, il établit une République Aristocratique ; enfin s'il confie l’Empire à un seul, l’État devient une Monarchie.

            Ces trois espèces de Gouvernement peuvent être diversément combinées & modifiées. Nous n'entrons point ici dans le détail ; c'est l’objet du Droit Public Universel. Il suffit au but de cet Ouvrage, d'établir les Principes généraux, nécessaires pour la décision des Questions, qui peuvent s'élever entre les Nations.


§.4           Quels sont les États souverains.

            Toute Nation qui se gouverne elle-même, sous quelque forme que ce soit, sans dépendance d'aucun étranger, est un État souverain. Ses Droits sont naturellement les mêmes que ceux de tout autre État. Telles sont les Personnes morales, qui vivent ensemble dans une Société naturelle, soumise aux Loix du Droit des Gens. Pour qu'une Nation aît droit de figurer immédiatement dans cette grande Société, il suffit qu'elle soit véritablement souveraine & indépendante, c’est-à-dire qu'elle se gouverne elle-même, par sa propre autorité & par ses Loix.


§.5           Des États liés par des Alliances inégales.

            On doit donc compter au nombre des Souverains, ces États qui se sont liés à un autre plus puissant, par une Alliance inégale, dans laquelle, comme l’a dit Aristote, on donne au plus puissant plus d'honneur, & au plus foible plus de secours.

            Les conditions de ces Alliances inégales peuvent varier à l’infini. Mais quelles qu'elles soient, Pourvù que l’Allié inférieur se réserve la Souveraineté, ou le Droit de se gouverner par lui-même, il doit être regarde comme un État indépendant qui commerce avec les autres sous l’Autorité du Droit des Gens.


§.6           Ou par des Traités de Protection.

            Par conséquent un État faible, qui pour sa sûreté, se met sous la Protection d'un plus puissant, & s'engage, en reconnoissance, à plusieurs devoirs équivalens à cette Protection, sans toutefois se dépouiller de son Gouvernement & de sa Souveraineté ; cet État, dis-je, ne cesse point pour cela de figurer parmi les Souverains qui ne reconnoissent d'autre Loi que le Droit des Gens.


§.7           Des États Tributaires.

            Il n'y a pas plus de difficulté à l’égard des États Tributaires. Car bien qu'un Tribut païé à une puissance étrangère diminue quelque chose de la Dignité de ces États, étant un aveu de leur foiblesse ; il laisse subsister entiérement leur Souveraineté. L’usage de païer Tribut étoit autrefois très-fréquent ; les plus foibles se rachetant par là des véxations du plus fort, ou se ménageant à ce prix sa protection, sans cesser d'être Souverains.


§.8           Des États Feudataires.

            Les Nations Germaniques introduisirent un autre usage, celui d'exiger l’hommage d'un État vaincu, ou trop foible pour résister. Quelquefois même une Puissance a donné des Souverainetés en Fief, & des Souverains se sont rendus volontairement Feudataires d'un autre.

            Lorsque l’hommage, laissant subsister l’indépendance & l’Autorité souveraine dans l’administration de l’État, emporte seulement certains Devoirs envers le Seigneur du Fief, ou même une simple reconnoissance honorifique, il n'empêche point que l’État, ou le Prince Feudataire ne soit véritablement souverain. Le Roi de Naples fait hommage de son Roïaume au Pape : Il n'en est pas moins compté parmi les principaux Souverains de l’Europe.


§.9           De deux États soumis au même Prince.

            Deux États souverains peuvent aussi être soumis au même Prince, sans aucune dépendance de l’un envers l’autre ; & chacun retient tous ses Droits de Nation libre & souveraine. Le Roi de Prusse est Prince souverain de Neufchâtel en Suisse, sans aucune réunion de cette Principauté à ses autres États ; ensorte que les Neufchâtelois, en vertu de leurs Franchises, pourroient servir une Puissance étrangère, qui seroit en Guerre avec le Roi de Prusse, Pourvû que la Guerre ne se fit pas pour la cause de leur Principauté.


§.10         Des États formant une République Fédérative.

            Enfin plusieurs États souverains & indépendans peuvent s'unir ensemble par une Confédération perpétuelle, sans cesser d'être chacun en particulier un État parfait. Ils formeront ensemble une République fédérative : les délibérations communes ne donneront aucune atteinte à la Souveraineté de chaque Membre, quoiqu'elles en puissent gêner l’éxercice à certains égards, en vertu d'engagemens volontaires. Une personne ne cesse point d'être libre & indépendante lorsqu'elle est obligée à remplir des engagemens qu'elle a bien voulu prendre.

            Telles étoient autrefois les Villes de la Grèce, & telles sont aujourd'hui les Provinces-Unies des Pays-bas, tels les Membres du Corps Helvétique.


§.11         D’un État qui a passé sous la domination d’un autre.

            Mais un Peuple, qui a passé sous la Domination d'un autre, ne fait plus un État, & ne peut plus se servir directement du Droit des Gens. Tels furent les Peuples & les Royaumes que les Romains soumirent à leur Empire : La plûpart même de ceux qu'ils honorérent du nom d'Amis & d'Alliés, ne formoient plus de vrais États. Ils se gouvernoient, dans l’intérieur, par leurs propres Loix & par leurs Magistrats ; mais au dehors, obligés de suivre en tout les ordres de Rome, ils n'osoient faire d'eux-mêmes ni Guerre ni Alliance ; ils ne pouvoient traiter avec les Nations.


§.12         Objet de ce Traité.

            Le Droit des Gens est la Loi des Souverains : les États libres & indépendans sont les Personnes morales, dont nous devons établir les Droits & les Obligations dans ce Traité.

 

 

 

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