PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE IX :
DE L'APPROPRIATION.
§ 4. — Phénomènes sociaux qui se révèlent dans l'histoire de Sparte.
Commençant nécessairement l'oeuvre de la culture sur les sols les plus pauvres, Sparte ne s'étendit jamais au-delà ; et ce fut par la raison que ses institutions étaient basées sur cette idée : empêcher toute association volontaire et ne donner aucun encouragement au commerce, sous quelque forme qu'il se produisît. Dans cette république, l'homme n'était envisagé que comme une machine ou un instrument, formant une partie constitutive d'un être imaginaire appelé l'État ; à l'orgueil de cet être, à ses rancunes, ainsi qu'à sa vengeance, les individus étaient contraints de faire le sacrifice de tous leurs sentiments et de toutes leurs affections. Si le Spartiate ne se mariait pas, il était passible de certaines peines ; et s'il se mariait, on entourait de difficultés ses relations avec sa femme, dans l'espoir de stimuler les appétits sexuels et de favoriser ainsi le développement de la population. Les enfants appartenant à l'État, les parents ne pouvaient exercer aucune espèce de contrôle sur leur éducation physique, morale ou intellectuelle. Le foyer domestique (le home) n'existait pas ; car non-seulement les parents étaient privés de la société de leurs enfants, mais ils n'avaient même pas la liberté de prendre leurs repas en particulier. Les citoyens ne pouvaient ni acheter, ni vendre ; et il leur était interdit de se servir, pour aucun usage, des métaux les plus utiles, l'or et l'argent. Ils ne pouvaient ni cultiver les sciences, ni se livrer à leur goût pour la musique ; en même temps on leur défendait absolument toute espèce de divertissement théâtral. Les tendances d'un pareil système se trouvant ainsi en opposition avec le développement des facultés individuelles, la richesse ne pouvait se développer, et les Spartiates eux-mêmes ne purent s'élever au-delà des arts les plus primitifs et les plus grossiers, ceux qui concernent l'appropriation de la propriété d'autrui ; et c'est pour cela, qu'engagés dans des guerres continuelles, ils se montrèrent toujours prêts à se vendre au plus offrant. L'histoire de la république spartiate, pauvre et avide, perfide et tyrannique, n'est qu'un long récit du développement de l'inégalité, et des obstacles constamment apportés au mouvement de la société, jusqu'à ce qu'enfin le territoire de Sparte passe sous l'empire de quelques propriétaires environnés d'une multitude d'esclaves ; c'est le prélude de l'anéantissement d'une nation qui ne lègue à la postérité que le souvenir de son avarice et de ses crimes.