11 janvier 2008
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ELLIOTT ROOSEVELT
MON PERE M'A DIT...
MON PERE M'A DIT...
(As He Saw It)
Chapitre VII : LA CONFERENCE DE TEHERAN (autres chapitres ici)
(dernière partie)
C'est ainsi que j'assistai à mon premier banquet à la russe. Tout ce que vous avez pu entendre sur ces sortes de festins est parfaitement vrai.
Il y avait, bien entendu, de la vodka, mais, par bonheur, aussi du vin blanc, sec et léger, et du champagne russe que je trouve personnellement très bon. Je dis « par bonheur », car, sans boissons, il n'y aurait sans doute pas eu de conversation. On ne parla, en effet, à table, qu'à l'occasion de toasts. Cet usage pourrait paraître assez gênant, mais quand on peut tenir le coup on finit par le trouver tout à fait drôle. Ainsi, lorsqu'on a envie de dire quelque chose, même sur un sujet aussi banal que le temps qu'il fait, on s'écrie : « Je désire porter un toast au beau temps dont nous jouissons ici ! »
Tout le monde se lève alors et l'on boit au beau temps. C'est tout un rite. Le toast peut porter également sur un sujet politique.
— Je propose un toast, s'écria un Russe à vos prochains envois de matériel en prêt-bail qui, j'en suis sûr, arriveront à temps à l'avenir, et non pas en retard comme les livraisons précédentes.
Tout le monde se lève, les verres se vident, puis chacun se rassied.
En de telles circonstances, la vodka peut agir en traître. Je remarquai cependant que Staline en fit usage pendant tout le repas. Il avait près de lui sa propre bouteille pour remplir son verre dès qu'il était vide. Et ce n'était pas de l'eau, je puis le certifier, puisque, à un moment, il vint vers moi et m'en versa un verre.
Ce n'était peut-être pas de l'alcool à cent degrés, mais je ne tiens certes pas à goûter à une vodka plus forte. Je préférai faire honneur au champagne, sentant que le prestige de l'Amérique était en jeu.
Les services se succédaient, avec une grande abondance. J'ai également ma petite théorie pour expliquer le nombre impressionnant de plats qui caractérise le dîner à la russe : on est trop souvent debout pour les besoins de la conversation, pardon, des toasts, pour pouvoir goûter à chacun des plats.
Vers le milieu du repas, Harry Hopkins qui ne s'était pas senti bien dès le début, s'excusa et sortit. Première défection de la part des Américains. Les autres demeurèrent à leurs postes, devant leurs verres, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, et de plus en plus gais.
Comme le repas tirait à sa fin, Oncle Joe se leva pour son n-ième toast (j'avais essayé d'abord de les compter, mais j'y avais renoncé). Il s'agissait des criminels de guerre nazis. Je ne puis me rappeler exactement ses paroles, mais il dit à peu près ceci :
— Je lève mon verre à une justice aussi rapide que possible pour les criminels de guerre allemands. Une justice devant le peloton d'exécution! Je bois à notre unité dans cette oeuvre de châtiment. Je bois à notre unité dans leur liquidation, dès que nous les aurons capturés, tous autant qu'ils sont, et ils doivent être au moins 50.000.
Rapide comme l'éclair, Churchill se dressa sur ses pieds. Soit dit en passant, le Premier Ministre avait bu tous les toasts au brandy, sa boisson favorite. Son habitude de boire du cognac le soir constituait un bon entraînement en vue de ces conversations à la russe. Cependant, ce soir-là, j'avais de bonnes raisons pour croire que Churchill, qui, généralement, tenait si bien te coup, avait la langue un peu pâteuse. Son visage et son cou étaient pourpres.
— C'est absolument contraire à la conception britannique de la justice, cria-t-il. Le peuple anglais n'acceptera jamais de tels assassinats collectifs. Je saisis cette occasion pour exprimer avec force mon sentiment qu'il ne faut exécuter personne, qu'il s'agisse ou non de nazis, d'une façon aussi sommaire, devant un peloton d'exécution, sans une procédure légale, quelles que soient les preuves qu'on possède.
Je jetai un coup d'oeil à Staline. Il semblait amusé, bien que son visage gardât son air de gravité. Une lueur malicieuse brillait dans ses yeux tandis qu'il relevait le défi du premier ministre, exposant ses arguments avec douceur, bien que la bonne humeur de Churchill se fût évanouie ce soir-là pour de bon.
Enfin, Staline se tourna vers mon père, et lui demanda son opinion. Mon père, qui avait dissimulé un sourire, sentait cependant que le moment était délicat. L'atmosphère était chargée d'électricité et, dans un cas pareil, il aimait à intervenir sur un ton de plaisanterie.
— Comme d'habitude, dit-il, il semble que mon rôle soit maintenant d'arbitrer ce petit conflit. On doit pouvoir trouver un compromis entre votre thèse, monsieur Staline, et celle de mon bon ami, le Premier Ministre. Peut-être, au lieu de parler de l'exécution sommaire de 50.000 criminels de guerre, pourrions-nous tomber d'accord sur un chiffre plus bas ? Disons quarante-neuf mille cinq cents.
Les Américains et les Russes se mirent à rire. Quant aux Anglais, prenant l'exemple de leur Premier Ministre, dont la colère s'exaspérait, ils gardèrent un visage impassible et ne dirent mot. Staline, qui se sentait le maître de la situation, s'empara de l'idée d'un compromis et fit, tout autour de la table, une enquête sur le chiffre à établir. Les Anglais se montrèrent prudents : une telle question réclame une étude approfondie, dirent-ils. Les Américains répondirent sur un ton moins grave : « N'anticipons pas, nous sommes encore à bien des kilomètres et à bien des mois de l'Allemagne, et par conséquent des nazis ». J'espérais que Staline se contenterait des premières réponses et qu'il renoncerait à poursuivre sa consultation avant d'en arriver à moi. Je pus constater cependant que s'il y a une chose qu'on ne peut reprocher à Staline, c'est bien de manquer de persévérance. Ce fut à mon tour de parler. Un peu hésitant, je me levai.
— Eh bien, dis-je, en respirant profondément et en cherchant l'inspiration dans les émanations du champagne, toute cette discussion n'est-elle pas purement théorique ? Voyons : quand nos armées commenceront à déferler de l'Ouest et que vos armées continueront à déferler de l'Est, il me semble que le problème sera sur le point d'être résolu. Les soldats russes, américains et anglais régleront leur compte à la plupart de ces 50.000 criminels de guerre pendant la bataille. J'espère d'ailleurs qu'on réglera leur compte, non seulement à ces 50.000 criminels de guerre mais aussi à des centaines de milliers d'autres nazis.
J'allais me rasseoir, mais Staline, qui rayonnait de plaisir, vint vers moi et mit son bras autour de mon épaule :
— Voilà une excellente réponse, dit-il.
Et il porta un toast à ma santé ! Je rougis de confusion et j'étais sur le point de lever mon verre, car l'habitude russe veut que la personne qui fait l'objet du toast boive également à sa propre santé, quand un doigt menaçant s'agita devant mes yeux.
— Avez-vous intérêt à compromettre les relations des Alliés ? Savez-vous ce que vous dites ? Comment osez-vous avancer chose pareille ?
C'était Churchill. Il était fort en colère et ne plaisantait pas du tout. J'étais passablement ému de voir le Premier Ministre britannique et le Maréchal russe croiser le fer au-dessus de ma tête, et je me sentais un peu comme Alice au Pays des Merveilles au fameux « thé des fous », en compagnie du Lièvre de Mars et du Chapelier. Je retournai à ma place et m'assis en silence, fortement ennuyé.
Heureusement, le dîner ne tarda pas à prendre fin et je suivis mon père dans son appartement pour m'excuser de compromettre les relations des Alliés : ce n'était vraiment pas une chose à faire.
Mon père éclata d'un rire énorme.
— N'y pense plus, dit-il. Ce que tu as dit était parfaitement juste. C'était très bien. Winston tout simplement perdu la tête quand il a vu que personne ne voulait prendre la chose au sérieux. Oncle Joe l'avait poussé à bout. Tout ce qu'on aurait pu dire n'était bon qu'à le fâcher, et à plus forte raison si ce que l'on disait faisait plaisir à Oncle Joe. Tu n'a pas besoin de t'inquiéter, Elliott.
— C'est que, vois-tu... j'étais bien loin de...
— N'y pense plus, répéta mon père en continuant à rire. Winston, lui-même l'aura oublié d'ici demain matin.
Je ne crois pourtant pas qu'il ait jamais oublié cet incident. Pendant tout un mois que je passai, quelque temps après, en Angleterre je n'ai pas été invité une seule fois aux Chequers. Il faut croire que Churchill a bonne mémoire.
Par la suite, je pus apprécier de plus en plus l'adresse de mon père qui arrivait à maintenir entre Churchill et Staline l'atmosphère de coopération, nécessaire à tout travail constructeur. C'était là une tâche que je ne lui enviais certes pas.
Le lendemain, on devait fêter le soixante-neuvième anniversaire de Churchill. Une soirée était organisée en son honneur à l'ambassade britannique. Dans la matinée mon père profita du stand installé pour sa commodité à l'ambassade russe afin de chercher un objet qu'il pût offrir au Premier Ministre. Le Major Général Connolly, commandant des forces dans le golfe Persique, avait réuni là un joli choix d'objets persans. Parmi les couteaux, les poignards et les tapis, mon père choisit un vase assez ancien. Après quoi il retourna dans son appartement pour recevoir Mohammed Reza Pahlavi, le jeune shah de Perse venu en visite protocolaire. Il était accompagné de son Premier Ministre, de son Ministre des Affaires Etrangères, ainsi que de Hussein Ala, alors Ministre de la Cour Impériale.
Le jeune shah, m'avait-on dit, était d'un caractère joyeux, mais, en l'occurrence, il se montra grave, sérieux et attentif. Il apportait un présent destiné à ma mère, un petit tapis fort beau. Ayant satisfait aux formalités, mon père et le shah s'engagèrent dans une conversation dépourvue de tout caractère officiel.
A son habitude, mon père voulut se documenter sur le pays et rechercher les moyens propres à aplanir les difficultés qui s'y faisaient sentir. Il parla avec les hommes d'Etat iraniens du désert aride qui couvrait une grande partie du pays. Il apprit que cette contrée avait été jadis boisée et par suite de quels phénomènes elle était devenue aride. C'était là un sujet familier A mon père. S'animant peu à peu, il proposa un gigantesque plan de reboisement. On parla ensuite du triste sort de la plupart des sujets au shah. Un rapport de corrélation fut établi entre ces deux problèmes, et ses interlocuteurs amenèrent peu à peu mon père à examiner celui de la mainmise économique de la Grande-Bretagne sur les gisements de pétrole et de minerai de l'Iran. Mon père écouta ses interlocuteurs avec des signes compréhensifs et reconnut la nécessité de sauvegarder les richesses naturelles de l'Iran. Après le départ de ses visiteurs, il se tourna vers moi.
— Je vais te demander un service, Elliott. Va trouver Pat Hurley et dis-lui de rédiger un projet de mémorandum garantissant l'indépendance de l'Iran et son droit de disposer librement de ses intérêts économiques. Je ne sais pas exactement quand j'aurai l'occasion de le voir, mais tâche de l'amener ici. Je voudrais lui parler plus longuement sur ce sujet.
Je ne pus mettre la main sur le Général Hurley avant le déjeuner, et à cette heure-là mon père recevait à sa table Staline et Churchill avec leurs interprètes respectifs. Aussitôt le repas terminé et les convives partis, je ménageai une brève entrevue entre mon père et le Général Hurley. Mon père lui expliqua ce qu'il voulait, Hurley prit les instructions et s'en fut.
— Il nous faudrait plus d'hommes de cette trempe, me dit alors mon père. Je désire que tu te tiennes à sa disposition pour l'aider au besoin. Un accord signé par les Russes et les Anglais, garantissant la souveraineté de l'Iran et son indépendance politique, voilà ce qui montrerait un bel exemple de ce que nous pourrions accomplir plus tard. Je voudrais pouvoir compter sur beaucoup d'hommes comme Pat. Quant à tous ces hommes du Département d'Etat, aux diplomates de carrière... la moitié du temps je ne sais pas si je peux avoir confiance en eux.
La dernière réunion des chefs d'état-major américains, anglais et russes était fixée pour quatre heures. Mon père, Churchill, Oncle Joe y assistaient. Tandis que leurs discussions se poursuivaient, je sortis un moment sur le balcon d'où l'on pouvait voir la salle haute de plafond avec sa table ronde. Des officiers de la garde russe circulaient sans cesse autour de ce balcon, calmes et vigilants. Au-dessous de moi, se trouvait la preuve de nos efforts conjugués et de notre puissance unie : douze Américains, onze Anglais et cinq Russes, les mêmes qui avaient pris part à la dernière session plénière, discutaient énergiquement mais avec calme, confrontant leurs points de vue et réalisant l'accord final.
La séance fut levée à six heures un quart. Je rejoignis alors mon père qui était allé prendre un peu de repos avant le banquet d'anniversaire de Churchill.
— Enfin, tout est réglé, dit mon père, joyeusement.
Et il ajouta d'un air pensif :
— Pour la quatrième fois. Le second front à l'ouest est décidé. Même la date.
— Au printemps ? demandai-je.
— Le premier mai. Cette date est de bon augure pour les Russes. C'est leur grande fête, tu sais.
Mon père éprouvait un vif soulagement à la pensée que la décision, qu'il espérait définitive, était enfin prise et que l'effort total des Alliés, son envergure et son rythme, était organisé jusqu'au moindre détail. Seule la question du commandement restait en suspens, mais mon père et Churchill avaient promis à Staline que même ce point serait réglé sans retard, c'est-à-dire dans la quinzaine à venir, si possible avant leur départ pour le Caire.
— Nous avons décidé aussi, ajouta mon père, de lancer une attaque en Méditerranée.
— Tout de même par les Balkans? demandai-je, incrédule.
— Non, par le sud de la France. Tout se fera simultanément. Une attaque à l'ouest, une autre au sud et celle des Russes à l'est. Je maintiens toujours que la fin de 1944 verra la fin de la guerre en Europe. Il serait inconcevable que les Allemands, sous cette poussée concentrique, puissent tenir pendant beaucoup plus de neuf mois après que nous aurons frappé le premier coup.
Un peu après huit heures, mon père, en tenue de soirée et le vase persan, cadeau d'anniversaire, à la main, se rendit à l'Ambassade britannique, gardée par des soldats indiens enturbannés. Par cette fraîche soirée, avec son bassin à nénuphars, l'Ambassade était un lieu fort agréable.
Cette soirée devait être l'événement mondain le plus marquant de nôtre séjour à Téhéran. Le ton devait en être donné par la salle de réception de l'Ambassade. Au milieu de la brillante assistance je remarquai le capitaine Randolph Churchill qui faisait partie de l'entourage de son père.
Nous présentâmes nos meilleurs voeux au Premier Ministre. Celui-ci semblait tout à fait dans son élément. Il était jovial, radieux, tout enveloppé de sourires et de fumée de cigares. Mon père lui remit le vase en disant : « Puissions-nous rester unis pendant de longues années ! » Des verres de cocktail s'entrechoquaient, et un brouhaha de voix cordiales emplissait la salle.
Peu après, Staline entra, accompagné de Molotov et de Vorochilov, et suivi de son interprète Berezhkov. Il eut juste le temps de déguster deux cocktails, car nous ne tardâmes pas à passer à table. Il y avait trente personnes en tout, des maréchaux, des généraux, des amiraux, des ambassadeurs, des ministres, des diplomates, quelques personnalités moins importantes autour du Premier Ministre britannique, du Président et du Maréchal. La seule dame de l'assistance était Sarah Churchill Oliver.
En parlant du dîner de la veille, mon père avait remarqué en plaisantant qu'on y avait porté trois cent soixante-cinq toasts, un pour chaque jour de l'année. Au banquet d'anniversaire de Churchill, l'habitude russe de boire à la santé de tout un chacun fut également observée, et une fois de plus on se perdit dans le compte. Je me souviens en tout cas que les convives passèrent une grande partie du dîner debout. Je me souviens également de la charmante habitude qu'avait Staline de choquer le verre de tous ceux à la santé de qui on buvait. Je me souviens même de certains de ces toasts.
Staline : « A la santé de mon frère d'armes Churchill ! », et, plus tard : « A la santé de mon frère d'armes Roosevelt !
Churchill : « A la santé du puissant Staline ! » et « A la santé du Président Roosevelt, mon ami ! »
Et mon père : « A notre unité, dans la guerre et dans la paix ! »
La succession des toasts nous obligea à nous lever plus d'une fois, et souvent nous demeurions debout même entre deux toasts, continuant ainsi nos conversations. C'est dans cette position que j'entendis Randolph Churchill parler d'une question qui le préoccupait, concernant des importations massives, mais je ne me rappelle plus au juste ce qu'il en dit. A un moment, alors qu'une atmosphère d'amitié et de bonne humeur emplissait la salle, le Général Sir Alan Brooke se dressa sur ses pieds et dit que les Anglais avaient bien plus souffert dans la guerre que tout autre peuple, qu'ils avaient subi plus de pertes, qu'ils avaient combattu davantage et contribué dans une mesure plus grande que les autres à la victoire finale. Une ombre d'irritation assombrit le visage de Staline. Ce fut cette sortie qui l'incita à se lever à son tour pour déclarer
— Je tiens à vous dire ce que les Soviets pensent du rôle que le Président des Etats-Unis a joué dans cette guerre. Le facteur le plus important dans cette guerre sont les machines. Les Etats-Unis ont montré qu'ils sont capables de produire de huit à dix mille avions par mois. L'Angleterre en produit trois mille, et ce sont principalement des bombardiers lourds. Les Etats-Unis sont donc le pays des machines. Sans elles, sans les livraisons du prêt-bail, nous aurions perdu la guerre.
A son tour mon père rendit hommage à l'immense Armée Rouge qui utilisait ces engins et refoulait sans répit la machine de guerre allemande vers son propre territoire.
Je devais quitter Téhéran le lendemain pour rejoindre mon poste à Tunis. Avant mon départ, je passai quelques minutes avec mon père et Pat Hurley à examiner le projet de la déclaration des Trois Grands, préparé par Pat, pour la conférence de Téhéran. A vrai dire d'ailleurs, j'ai joué, moi aussi, un petit rôle dans ce travail.
L'accord devait être signé dans le courant de la journée, après approbation de l'Union Soviétique et de la Grande-Bretagne. Mon père étudia le projet, marqua sa satisfaction d'un signe de tête, puis leva sur Pat un regard où brillait une lueur malicieuse.
— Au fait, Pat, dit-il, où est votre seconde étoile ?
— Monsieur le Président ? fit Hurley, surpris.
— Votre seconde étoile, répéta mon père. Vous avez eu de l'avancement. Le Congrès l'a approuvé. Ne vous a-t-on pas avisé que vous aviez le grade de major général.
C'est ainsi que Pat Hurley apprit sa promotion.
Je fis mes adieux à mon père avant le déjeuner. Il avait projeté d'abord de rester à Téhéran jusqu'au vendredi, mais les météorologues avaient averti Otis Bryan qu'un courant froid s'était manifesté dans la région du Caire, qui risquait de gagner les cols des montagnes. Mon père demanda donc aux Russes et aux. Anglais de modifier le programme de façon à lui permettre de partir la nuit même. Il désirait visiter au moins deux de nos installations militaires en Iran avant de retourner au Caire. Il me dit qu'il allait affronter dix bonnes heures de discussions politiques avec Staline et Churchill. Les conversations devaient commencer à midi. Cet emploi du temps était d'autant plus épuisant pour lui qu'il commençait déjà à donner des signes de fatigue. Il avait derrière lui vingt et un jours de voyages et conférences.
— Je ne sais pas exactement quand je pourrai te voir au Caire, papa, lui dis-je. Je ne sais même pas si je pourrai t'y voir.
— Tâche de venir, ne serait-ce que pour un jour.
— Si cela ne s'arrangeait pas, je te verrai à ton passage à Tunis, n'est-ce pas ? En somme je ne te quitte que pour quelques jours. A bientôt.
Léon Gray et le Sergent Crain m'attendaient à l'aérodrome. Le soir du même jour, nous étions au Caire, et le lendemain soir nous regagnions Tunis.
D'après le compte rendu officiel du voyage présidentiel :
Le Président quitta Téhéran le mercredi à dix heures trente du soir, après dix heures de conversations soutenues. Il passa la nuit dans notre camp d'Amirahad, au pied des monts Elbrouz. Le lendemain, il improvisa un petit discours pour les malades de l'hôpital militaire et pour le personnel du camp :
« Je viens d'avoir avec le Maréchal Staline et M. Churchill une conférence qui a duré quatre jours. Les résultats en sont très satisfaisants. Nous avons élaboré des plans militaires qui permettront de conjuguer l'effort de guerre des trois puissances afin de remporter la victoire aussi vite que possible. Je crois que nous avons fait des progrès...
« L'autre but de cette conférence a été de discuter la situation mondiale au lendemain de le guerre. Nous avons essayé de préparer pour nous et pour nos enfants un monde où la guerre cessera d'être une nécessité. Dans ce sens aussi, nous avons réalisé des progrès.
« Me voici maintenant sur le chemin du retour. Je voudrais tant vous emmener tous avec moi !...
Son avion prit l'air et survola Bagdad. Le jeudi à 3 heures, il se retrouvait dans la villa de l'ambassadeur Kirk, au Caire. Le matin du même jour, la presse publiait le compte rendu officiel de la Première Conférence du Caire.