11 décembre 2006
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Jean Zay, Souvenirs et solitude (précédé de Jean Zay, ministre de l'intelligence française, préface de Pierre Mendès France)
Editeur: L'Aube
380 pages
Voici un très beau livre. Il passionnera ceux qui s'intéressent à l'éducation, au Front populaire et à l'époque trouble de 1939-1945. C'est un journal, tenu par Jean Zay, nommé (à 31 ans!) ministre de l'éducation nationale dans le gouvernement de Léon Blum. Condamné à la prison à vie par le régime de vichy, il meurt en 1944, assassiné par des miliciens. C'est en prison qu'il écrit ce livre remarquable où s'entrecroisent un passé conté avec humour et un présent souvent très émouvant.
C'est aussi un précieux témoignage sur la période qui précède la seconde guerre mondiale. Jean Zay évoque ses souvenirs et décrit admirablement de l'intérieur les batailles ménées au sein de son ministère mais aussi dans tout le gouvernement. Il revient, sans dogmatisme, sur les différentes réformes effectuées au sein de l'éducation nationale (nouveaux programmes et instructions de 1938, l'école unique, sa pédagogie...). Freinet dira de lui: "Je puis affirmer que si nous avions, dans l'histoire de l'évolution scolaire française, quelques lustres aussi riches en innovations hardies que ces deux dernières années, il y aurait bientôt quelque chose de changé dans l'éducation française".
Avec une profonde humanité, Jean Zay, tout au long du livre, nous fait part de ses réflexions sur l'homme, la liberté, l'espoir et l'engagement.
Quelques extraits de Souvenirs et solitude:
Sur la finance (pensez à la situation actuelle, tristement comparable):
"Quand on étudiera les causes de notre impréparation militaire et de la décripitude du gouvernement parlementaire, il faudra inscrire en bonne place l'orthodoxie financière. De 1932 à 1940 - je parle de ce que j'ai vu -, au milieu de tant de débats désordonnés, il y eut un sujet "tabou": le libéralisme monétaire et financier; une discussion interdite: celle du contrôle des changes.
Vous pouviez librement couvrir de boue le chef de l'Etat et ses ministres, nier effrontément nos engagements internationaux les plus évidents, désavouer le gouvernement de votre pays en pleine négociation diplomatique, donner tort à la France devant l'étranger. Bravo! C'était de bonne guerre... Mais il vous était défendu de critiquer la mystique de l'équilibre budgétaire, sous peine d'être considéré comme un traître et accusé de provoquer des catastrophes. Une puissante cohorte veillait jalousement sur le respect de la sainte orthodoxie: au premier rang, se distinguaient la presse et ses chroniqueurs spécialisés, les économistes, les banquiers, les partis conservateurs. Mais, derrière ces troupes de choc, se dessinait toujours la toute-puissante inspection des Finances. Le premier résultat de cet état de choses a été la paralysie gouvernementale."
Sur la captivité:
"Anatole France a écrit au sujet du lieutenant-colonel Picquart : «Cette liberté intérieure, la plus précieuse de toutes, ses persécuteurs ne purent la lui ôter. Dans la prison où ils l'enfermèrent, il était libre, plus libre qu'eux. Ses lectures abondantes, ses propos calmes et bienveillants, ses lettres pleines d'idées hautes et sereines, attestaient la liberté de son esprit. C'est eux, ses persécuteurs et ses calomniateurs, qui étaient prisonniers, prisonniers de leurs mensonges et de leurs crimes. Des témoins l'ont vu, paisible, souriant, indulgent, derrière les barrières et les grilles.» Heureux l'homme qui a inspiré ces lignes! Et que ne donnerait-on, en 1941, pour les mériter à son tour?"
"Lorsque le prisonnier constate qu'il ne songe plus à l'évasion, il apprend par là, non qu'il en a reconnu l'impossibilité, encore moins qu'il a abouti à l'acceptation ou à la résignation, mais bien qu'il a enfin réalisé la suprême conquête: celle de sa liberté intérieure. C'est que désormais les grilles n'existent plus pour lui. Il a trouvé dans le travail, dans la réflexion, dans l'indifférence aux plaisirs perdus, l'évasion véritable, celle qui, insensible aux entraves corporelles, ouvre à son esprit les plus vastes espaces et lui découvre des libertés qu'il eût ignorées sans son épreuve."
Sur l'éducation:
"Dans le domaine proprement pédagogique, l' organisation des «loisirs ou activités dirigées» constitua la principale nouveauté. Le samedi après-midi fut réservé à une classe dans laquelle il serait fait appel de cent manières à l'activité spontanée de l'élève. Il s'agissait d'éveiller ses aptitudes ou ses dons, de favoriser ses goûts les plus sains, de le préparer à la vie, bref de rendre l'enseignement plus vivant: «Faites constamment appel à l'activité de l'enfant, en accordant quelque confiance à sa liberté», précisaient les instructions de 1938. L'imagination des maîtres, jointe à celle des élèves, aboutit, dans une atmosphère joyeuse et souvent enthousiaste, à des résultats étonnants."
En 1936, Jean Zay devient le plus jeune ministre jamais nommé à l'Éducation nationale et à ce qu'on n'appelle pas encore la Culture, dans le gouvernement de Front populaire de Léon Blum. Partisan de la fermeté envers Hitler et de l'intervention en Espagne, il sera sans relâche attaqué par l'extrême droite française comme républicain, juif et franc-maçon, et constamment désigné comme un homme à abattre. En octobre 1940, il est condamné à la déportation par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand aux ordres de Vichy, et emprisonné à Riom jusqu'au jour où - le 20 juin 1944 - des miliciens viennent l'arracher à sa prison pour l'abattre dans un bois. Dans sa cellule, Jean Zay écrit au jour le jour, tout en s'attachant à composer un volume dont il espère qu'il sera un jour publié. Souvenirs et solitude nous fait entendre, comme à travers les murs d'une prison et à travers le temps, le récit, pudique mais précis, de la vie d'un détenu. On y lit aussi les réflexions qu'inspirent à cet homme politique de premier plan son action passée, la situation de la France sous la collaboration et l'avenir d'un pays dont il ne désespère jamais. " En tuant Jean Zay, écrit Patrick Pesnot - le monsieur X de France Inter -, en faisant disparaître son corps, ses assassins n'auront pas réussi à le condamner au silence. Son journal de prison nous reste un document irremplaçable qui témoigne de la profonde humanité du personnage et de son esprit novateur. " Et Pierre Mendès France, l'ami, disait : " Il est demeuré de Jean, pour les hommes et les femmes de ma génération, et surtout pour ceux qui l'ont approché, connu et admiré, une image exceptionnelle de lumière, d'intelligence et d'humanité... Ceux qui l'ont assassiné ont porté un coup non seulement à ceux qui l'ont aimé, mais au pays tout entier. "
Editeur: L'Aube
380 pages
Voici un très beau livre. Il passionnera ceux qui s'intéressent à l'éducation, au Front populaire et à l'époque trouble de 1939-1945. C'est un journal, tenu par Jean Zay, nommé (à 31 ans!) ministre de l'éducation nationale dans le gouvernement de Léon Blum. Condamné à la prison à vie par le régime de vichy, il meurt en 1944, assassiné par des miliciens. C'est en prison qu'il écrit ce livre remarquable où s'entrecroisent un passé conté avec humour et un présent souvent très émouvant.
C'est aussi un précieux témoignage sur la période qui précède la seconde guerre mondiale. Jean Zay évoque ses souvenirs et décrit admirablement de l'intérieur les batailles ménées au sein de son ministère mais aussi dans tout le gouvernement. Il revient, sans dogmatisme, sur les différentes réformes effectuées au sein de l'éducation nationale (nouveaux programmes et instructions de 1938, l'école unique, sa pédagogie...). Freinet dira de lui: "Je puis affirmer que si nous avions, dans l'histoire de l'évolution scolaire française, quelques lustres aussi riches en innovations hardies que ces deux dernières années, il y aurait bientôt quelque chose de changé dans l'éducation française".
Avec une profonde humanité, Jean Zay, tout au long du livre, nous fait part de ses réflexions sur l'homme, la liberté, l'espoir et l'engagement.
Quelques extraits de Souvenirs et solitude:
Sur la finance (pensez à la situation actuelle, tristement comparable):
"Quand on étudiera les causes de notre impréparation militaire et de la décripitude du gouvernement parlementaire, il faudra inscrire en bonne place l'orthodoxie financière. De 1932 à 1940 - je parle de ce que j'ai vu -, au milieu de tant de débats désordonnés, il y eut un sujet "tabou": le libéralisme monétaire et financier; une discussion interdite: celle du contrôle des changes.
Vous pouviez librement couvrir de boue le chef de l'Etat et ses ministres, nier effrontément nos engagements internationaux les plus évidents, désavouer le gouvernement de votre pays en pleine négociation diplomatique, donner tort à la France devant l'étranger. Bravo! C'était de bonne guerre... Mais il vous était défendu de critiquer la mystique de l'équilibre budgétaire, sous peine d'être considéré comme un traître et accusé de provoquer des catastrophes. Une puissante cohorte veillait jalousement sur le respect de la sainte orthodoxie: au premier rang, se distinguaient la presse et ses chroniqueurs spécialisés, les économistes, les banquiers, les partis conservateurs. Mais, derrière ces troupes de choc, se dessinait toujours la toute-puissante inspection des Finances. Le premier résultat de cet état de choses a été la paralysie gouvernementale."
Sur la captivité:
"Anatole France a écrit au sujet du lieutenant-colonel Picquart : «Cette liberté intérieure, la plus précieuse de toutes, ses persécuteurs ne purent la lui ôter. Dans la prison où ils l'enfermèrent, il était libre, plus libre qu'eux. Ses lectures abondantes, ses propos calmes et bienveillants, ses lettres pleines d'idées hautes et sereines, attestaient la liberté de son esprit. C'est eux, ses persécuteurs et ses calomniateurs, qui étaient prisonniers, prisonniers de leurs mensonges et de leurs crimes. Des témoins l'ont vu, paisible, souriant, indulgent, derrière les barrières et les grilles.» Heureux l'homme qui a inspiré ces lignes! Et que ne donnerait-on, en 1941, pour les mériter à son tour?"
"Lorsque le prisonnier constate qu'il ne songe plus à l'évasion, il apprend par là, non qu'il en a reconnu l'impossibilité, encore moins qu'il a abouti à l'acceptation ou à la résignation, mais bien qu'il a enfin réalisé la suprême conquête: celle de sa liberté intérieure. C'est que désormais les grilles n'existent plus pour lui. Il a trouvé dans le travail, dans la réflexion, dans l'indifférence aux plaisirs perdus, l'évasion véritable, celle qui, insensible aux entraves corporelles, ouvre à son esprit les plus vastes espaces et lui découvre des libertés qu'il eût ignorées sans son épreuve."
Sur l'éducation:
"Dans le domaine proprement pédagogique, l' organisation des «loisirs ou activités dirigées» constitua la principale nouveauté. Le samedi après-midi fut réservé à une classe dans laquelle il serait fait appel de cent manières à l'activité spontanée de l'élève. Il s'agissait d'éveiller ses aptitudes ou ses dons, de favoriser ses goûts les plus sains, de le préparer à la vie, bref de rendre l'enseignement plus vivant: «Faites constamment appel à l'activité de l'enfant, en accordant quelque confiance à sa liberté», précisaient les instructions de 1938. L'imagination des maîtres, jointe à celle des élèves, aboutit, dans une atmosphère joyeuse et souvent enthousiaste, à des résultats étonnants."
Jean Zay
Dos de couverture:En 1936, Jean Zay devient le plus jeune ministre jamais nommé à l'Éducation nationale et à ce qu'on n'appelle pas encore la Culture, dans le gouvernement de Front populaire de Léon Blum. Partisan de la fermeté envers Hitler et de l'intervention en Espagne, il sera sans relâche attaqué par l'extrême droite française comme républicain, juif et franc-maçon, et constamment désigné comme un homme à abattre. En octobre 1940, il est condamné à la déportation par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand aux ordres de Vichy, et emprisonné à Riom jusqu'au jour où - le 20 juin 1944 - des miliciens viennent l'arracher à sa prison pour l'abattre dans un bois. Dans sa cellule, Jean Zay écrit au jour le jour, tout en s'attachant à composer un volume dont il espère qu'il sera un jour publié. Souvenirs et solitude nous fait entendre, comme à travers les murs d'une prison et à travers le temps, le récit, pudique mais précis, de la vie d'un détenu. On y lit aussi les réflexions qu'inspirent à cet homme politique de premier plan son action passée, la situation de la France sous la collaboration et l'avenir d'un pays dont il ne désespère jamais. " En tuant Jean Zay, écrit Patrick Pesnot - le monsieur X de France Inter -, en faisant disparaître son corps, ses assassins n'auront pas réussi à le condamner au silence. Son journal de prison nous reste un document irremplaçable qui témoigne de la profonde humanité du personnage et de son esprit novateur. " Et Pierre Mendès France, l'ami, disait : " Il est demeuré de Jean, pour les hommes et les femmes de ma génération, et surtout pour ceux qui l'ont approché, connu et admiré, une image exceptionnelle de lumière, d'intelligence et d'humanité... Ceux qui l'ont assassiné ont porté un coup non seulement à ceux qui l'ont aimé, mais au pays tout entier. "