Cela vaut ce que ça vaut, mais j'ai pu ainsi aiguiser mon appétit de recherche et trouver certains ouvrages rares, dont ce livre d'Elliott Roosevelt sur son père, traduit par Mme Nathalie Gara, qui n'a pas été réédité depuis 1947 !!!
Il s'agit d'un document tout à fait passionnant, qui vous permettra de revivre au plus près ces grands évènements historiques dont est issu le monde d'aujourd'hui.
Voici à votre disposition sur ce blog "Mon père m'a dit...", chapitre par chapitre, en commençant par la préface d'Eleanor Roosevelt, sa femme, et l'introduction d'Elliott Roosevelt.
Mon mari s'intéressait toujours à l'histoire et il pensait que les hommes devaient tirer des événements du présent des enseignements pour l'avenir. Je sais qu'il aurait voulu que chacun consignât par écrit ses impressions et ses idées, dans l'espoir que cela pourrait aider à atteindre le but final: créer une meilleure compréhension entre les peuples et forger de meilleurs outils pour sauvegarder la paix.
Il possédait un sens très développé de la famille et, chaque fois que l'occasion s'en présentait, il tâchait de faire venir auprès de lui tel ou tel de ses enfants. Il respectait cependant leurs obligations, et quand ils avaient le sentiment que le désir de leur père était incompatible avec leur devoir, ils savaient qu'ils pouvaient le dire ouvertement. Mon mari considérait, en effet, que la conscience de ses enfants était le facteur déterminant qui décidait en dernier ressort.
C'est là une des raisons pour lesquelles il a si souvent recherché, ne fût-ce que pour une brève période, la présence de nos enfants, celle de nos fils, de notre gendre et de notre seule fille, dans la mesure où leur travail ou leurs obligations personnelles le permettaient. La compagnie des siens lui était si nécessaire qu'il fit même venir notre fils aîné, James, à Washington, pour se l'attacher en qualité de secrétaire, bien qu'on lui eût fait observer que ce n'était peut-être pas ce qu'il y avait de mieux pour James. On attira son attention sur le fait que cela lui vaudrait des attaques d'ordre politique, et que les services que James pourrait lui rendre se trouveraient diminués simplement parce qu'il était son fils. Ces prédictions se vérifièrent et James dut, en fin de compte, renoncer à cette fonction. J'ai néanmoins l'impression que, pendant le séjour de James à Washington, mon mari retirait beaucoup de satisfaction de sa compagnie et de sa collaboration. Tous ceux qui ignorent le sentiment de solitude qu'éprouve un Président ne peuvent comprendre pleinement combien la présence d'un membre de sa famille peut lui être précieuse.
Selon une habitude bien établie dans notre famille, lorsque l'un d'entre nous rentrait de voyage, il venait dîner à la maison le soir même. Ainsi nous pouvions entendre son récit et connaître les événements et les impressions ayant marqué pour lui la période de la séparation. Nous savions trop bien que chacun de nous menait une vie si active qu'à moins de nous réunir immédiatement, les impressions de voyage passeraient bien vite à l'arrière-plan et ne tarderaient pas à être effacées par des préoccupations et des faits nouveaux. Nous risquions donc de laisser échapper le passé irrémédiablement.
N'ayant pas assisté moi-même aux voyages historiques qui font l'objet de ce livre, je ne puis parler que de ce que j'ai entendu au cours de ces réunions traditionnelles à l'occasion de l'arrivée de notre voyageur. Mais Elliott, lui, a été de ces voyages. Je me souviens de son animation au retour de chacun d'eux et je pense qu'un récit plus détaillé de ces jours si importants présente aujourd'hui un double intérêt.
J'ignorais, évidemment, bien des détails parmi ceux que ce livre révèle, et je n'ai pas pris part aux événements qui y sont relatés. Mais je crois fermement à la valeur d'un récit fait par toute personne qui a eu l'occasion d'observer de près une phase quelconque de la conduite de la guerre ou de l'élaboration des plans qui devaient servir de base à la future organisation de la paix.
Il est naturel que tout être humain rapporte les faits auxquels il assiste suivant une optique qui lui est particulière. La personnalité du témoin laisse une empreinte sur le témoignage, et c'est ce qui explique que des comptes rendus des mêmes événements soient souvent si dissemblables. Je suis certaine que bien des personnes parmi celles qui ont assisté aux conversations relatées ici les ont interprétées différemment, suivant leurs propres idées et convictions. Le récit de chacun d'eux serait un document inestimable. Ce livre est le témoignage direct de l'un des observateurs des grandes conférences. Il fournira aux historiens de demain une contribution qui leur permettra de formuler une appréciation définitive de ces événements historiques.
Eleanor ROOSEVELT
INTRODUCTION
Ce n'est qu'incidemment que ce livre parlera de la guerre. Son but est surtout de faire quelque lumière sur la paix.
Les événements que je me propose de décrire, les conversations dont je me souviens, ainsi que les impressions et les faits qui ont formé mes convictions actuelles se situent grosso modo entre la déclaration de la guerre et les jours qui ont suivi la rencontre des Trois Grands à Yalta, en Crimée. A cette époque, je puis en assurer le lecteur, je n'avais pas l'intention d'écrire un livre sur ce sujet. Cette décision, je ne l'ai prise que plus tard, sous la pression des événements. Le discours de Winston Churchill à Fulton, dans le Missouri (Discours du "Rideau de fer", le 5 mars 1946), n'y a pas été étranger. Les réunions du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., au Hunter College, à New-York, et les idées qui s'y sont fait jour, y ont également contribué. Les stocks de bombes atomiques qui s'accumulent en Amérique furent un facteur important. Tous les signes de la désunion croissante entre les grandes puissances, toutes les promesses non tenues, toutes les tendances renaissantes de la politique de force d'un impérialisme avide et exaspéré furent enfin autant d'aiguillons qui m'incitèrent à entreprendre ce travail.
Le rythme de notre époque veut que nos opinions soient modelées moins par l'histoire que par les manchettes de journaux. Que nous ayons confiance en la Russie ou qu'au contraire nous nous méfiions d'elle, le fait que ce pays ait puissamment contribué à notre victoire dans cette guerre — fait pourtant capital — n'influe guère sur notre attitude. Celle-ci est bien plutôt le résultat des titres sensationnels étalés sur les premières pages des quotidiens des trois ou quatre derniers jours, qui n'ont pas toujours été très sérieux par le passé et dont il faudrait se défier, à plus forte raison, à une époque aussi trouble que celle-ci.
Le souvenir que nous ont laissé les V-1 sur Londres et le fait que l'Angleterre continue à connaître le régime des restrictions contribuent moins à façonner notre opinion sur le prêt à la Grande-Bretagne que l'atmosphère d'incertitude qui entoure aujourd'hui les intentions de l'Angleterre à l'égard de son Empire. L'unité qui fit gagner la guerre doit pourtant être sauvegardée si nous voulons aussi gagner la paix. C'est clair comme le jour. N'importe quel étudiant capable de réfléchir pourrait écrire sur ce sujet une dissertation persuasive et émouvante. Or, depuis la Victoire en Europe, et depuis l'emploi de la première bombe atomique, cette unité a peu à peu disparu.
Si je sens qu'il est important pour moi d'écrire ce livre, c'est parce que j'ai l'impression que nous ne nous sommes pas éloignés de cette unité par la force des choses. Je suis convaincu, au contraire, que nous en avons été écartés délibérément par des hommes qui devraient mieux comprendre la situation ou, pour employer l'expression de Walter Lippman, par de « petits garçons jouant avec des allumettes ».
Mais pourquoi est-ce à moi d'intervenir ? Qu'ai-je à dire de nouveau? Au lendemain d'un bouleversement mondial comme celui de la dernière guerre, les livres foisonnent. Généraux, ministres, correspondants de guerre, se jettent tous sur leur machine à écrire ou saisissent un crayon, quelquefois mal taillé. Néanmoins, mon livre peut revendiquer sa place, une place modeste, mais bien déterminée, et tout à fait personnelle.
Si j'ai qualité pour écrire ce livre, c'est, d'abord, en raison d'un fait purement biologique : je suis le fils du Président Roosevelt. Comme tout privilège, celui-ci n'est pas sans inconvénients. Mon père m'en parla un jour. C'était à Hyde Park, à l'époque où il était encore Gouverneur de New-York, un mois environ avant son élection à la Présidence. Il était frappé alors par la publicité dont on gratifie les faits et gestes des enfants d'un homme public, publicité d'autant plus intense que les ennemis de l'homme en question sont plus acharnés. Le fait est que mon père ne pouvait pas faire grand-chose pour contrôler notre activité, et, d'ailleurs, il ne le voulait pas. Il estimait, en effet, que notre vie à chacun de nous était notre affaire personnelle et que nous étions libres d'agir selon nos désirs et nos possibilités. J'imagine que, comme n'importe quel père, il espérait que nous n'aurions pas à faire de la prison, que nous serions des citoyens honorables et que nous réussirions dans la vie, chacun suivant ses moyens. Mais il nous laissait une grande liberté de mouvement.
Quoi qu'il en soit, si je veux considérer la question sous tous ses angles, je dois jeter dans la balance les désavantages qui découlent de ma condition de fils du Président Roosevelt, alors que, sur le plateau opposé, pèsera le second titre dont je puis me prévaloir pour écrire ce livre : il m'a été donné d'assister personnellement à quelques-unes parmi les réunions internationales les plus marquantes de la guerre, et sans doute aussi de notre époque.
Lorsque mon père se rendait à une conférence, pendant la guerre, il aimait avoir auprès de lui un compagnon qu'il connût intimement et en qui il eût confiance, de préférence un membre de sa famille. Je ne veux pas dire par là que les rapports qui existaient entre lui et ses conseillers officiels ne tussent pas assez étroits ou qu'il n'eût pas confiance en eux, mais la présence de l'un de ses fils lui permettait de se détendre complètement. Il pouvait parler alors comme s'il se parlait à lui-même, à haute voix, et il ne manquait pas de le faire. Or, parmi ses fils, c'est moi que les circonstances mettaient surtout à sa disposition. Ainsi, lorsque mon père rencontra Churchill au large de Terre-Neuve, je me trouvais à Gander Lake, près de là, comme faisant partie d'une escadrille de reconnaissance. Quand il vint à Casablanca, mon unité opérait d'une base algérienne, et c'est encore en Tunisie que se trouvait l'une des bases de notre quartier général quand mon père se rendit dans le Proche-Orient pour prendre part à la Conférence du Caire et de Téhéran. C'est seulement à Yalta qu'il me fut impossible de me trouver à ses côtés.
Outre nos rencontres à l'occasion de ces réunions internationales, j'ai pu, évidemment, au cours de la guerre, retourner à plusieurs reprises dans le pays; une fois en permission de maladie, deux fois en mission et une fois en permission régulière. A l'occasion de chacun de ces séjours, j'ai passé quelques soirées à la Maison Blanche, et ce furent, chaque fois, de longues heures de conversation avec mon père.
J'ai été témoin de la plupart des conférences, entretiens et négociations — militaires, politiques, diplomatiques — en tant qu'assistant de mon père. Je remplissais en effet auprès de lui les fonctions à la fois de commissionnaire, de garçon de courses et de secrétaire. Dans ce rôle semi-officiel, j'ai été en mesure de suivre de près les échanges de vues, aussi bien officiels qu'officieux, des délégués alliés de la guerre : Churchill, Staline, le généralissime Tchang-Kaï-Tchek et sa femme, les chefs de l'état-major interallié, les généraux et les amiraux qui commandaient sur les divers théâtres d'opérations et dans toutes les armes :. Smuts, de Gaulle, Giraud, Hopkins, Robert Murphy, Molotov; les rois d'Egypte, de Grèce, de Yougoslavie et d'Angleterre, émirs, shahs, sultans et princes, chefs de gouvernement, ambassadeurs, ministres, califes, grands vizirs. Je les accueillais à leur arrivée, je les introduisais, j'assistais à leurs conversations avec mon père et, après leur départ je recueillais les impressions de celui-ci à leur sujet.
A la fin de telles journées de conférences bien chargées, il ne se passait guère de soir où, avant d'éteindre les lumières, nous ne nous entretenions, mon père et moi, pendant quelques heures.
Nous discutions des événements du jour, nous confrontions nos idées et échangions nos impressions. Parfois, mon père m'interrogeait sur mon travail de reconnaissances photographiques. Mais le plus souvent, c'était moi qui le faisais parler de tout ce qui me préoccupait : depuis les projets du second front jusqu'à l'opinion qu'il avait de Mme Tchang-Kaï-Tchek, etc. Sa confiance en moi était assez grande pour qu'il me révélât les résultats de ses négociations avec Staline avant même de les avoir communiqués à ses chefs d'état-major ou à ses secrétaires d'Etat. Nos rapports étaient des rapports de bonne camaraderie, et je pense qu'il me considérait non seulement comme son fils, mais aussi comme un ami digne de son estime et de son affection.
Ainsi, j'ai pu assister aux grandes conférences sur deux plans différents : à la fois comme assistant officiel du Président des Etats-Unis et comme l'un des amis les plus intimes de l'homme qui eut l'initiative de l'unité des Nations Unies. C'est sur ce second plan que j'ai connu les pensées les plus secrètes de mon père, et ses plus chères aspirations, toute sa conception de ce monde d'après-guerre qui allait naître après notre victoire militaire. Je sais sur quelles bases il voulait construire la paix universelle. Je connais les conversations au cours desquelles ces idées ont pris forme. J'étais au courant des négociations menées à ce sujet et des promesses faites.
Or j'ai vu que ces promesses avaient été violées, qu'on avait passé outre, avec une désinvolture cynique, aux conditions fixées et que les plans établis en vue de l'organisation de la paix avaient été désavoués.
Voilà les raisons qui m'ont poussé à écrire ce livre. Pour m'aider dans cette tâche, j'avais à ma disposition le procès-verbal officiel des diverses conférences, ainsi que mes propres notes prises au cours de ces réunions, et, enfin, mes souvenirs personnels. Toutefois, je me suis plus fié à mes notes qu'à ma mémoire.
J'écris, ceci pour vous qui pensez avec moi que Franklin Roosevelt fut, pendant la guerre, le bâtisseur de l'unité des Nation Unies, que ses idéaux et sa politique auraient été capables de l'assurer, en faisant d'elle une entité vitale dans le monde d'après guerre; pour vous qui pensez avec moi que la voie ouverte par lui a été délibérément abandonnée, et que c'est chose grave.
J'écris avec l'espoir que cela pourrait nous aider à nous remettre sur cette voie. Je crois que c'est possible. La pensée qu'il pourrait en être autrement me remplit d'effroi.
A suivre : Chapitre I - DU TEXAS A ARGENTIA