7 janvier 2008
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Voici un petit extrait qui résume bien la merveilleuse pensée de Leibniz, père spirituel de ce blog.
Tiré du livre La justice et le droit.
(..) Or le droit est quelque puissance morale, et l'obligation quelque nécessité morale. Or j'appelle moral, ce qui chez un homme bon équivaut à naturel: car comme un jurisconsulte romain illustre l'a dit, les choses qui sont opposées aux bonnes mœurs (contra bonos mores), on ne peut croire que nous puissions les faire. Or l'homme bon est celui qui aime tous les autres autant que la raison le permet. La justice donc, qui est la vertu qui guide cette affection, que les Grecs appellent philanthropie, nous la définirons, si je ne me trompe, plus commodément comme la charité du sage, c'est-à-dire comme la charité suivant les décrets (dictata) de la sagesse.
Ainsi, le propos que l'on attribue à Carnéade, selon lequel la justice est la plus grande folie, parce qu'elle nous ordonne de prendre soin de l'utilité des autres en négligeant la nôtre propre, provient de l'ignorance de sa définition. La charité est la bienveillance universelle, et la bienveillance est l'habitude d'aimer ou d'estimer (amandi sive diligendi). Or aimer ou estimer est se réjouir du bonheur d'autrui, ou ce qui revient au même faire rentrer la félicité d'autrui dans la sienne. Grâce à cela, une difficile question (difficitis nodus) est résolue, d'une grande importance même en théologie, à savoir comment peut être donné un amour non mercenaire, qui soit séparé de l'espoir et de la crainte et de toute considération d'utilité: à savoir que le bonheur de ceux dont le bonheur nous réjouit, devient une partie de notre propre bonheur, car les choses qui nous plaisent sont recherchées par elles-mêmes. Et comme la contemplation même des choses belles est agréable, et qu’un tableau peint par Raphaël affecte celui qui le comprend, même s’il ne lui apporte aucun profit, au point que l'on est emporté dans les délices du regard, par quelque ressemblance avec l'amour; de même lorsque la chose belle est en même temps capable aussi de félicité, cette affection se transforme en véritable amour.
Mais l'amour de Dieu l'emporte sur tous les autres amours parce que Dieu peut être aimé avec le meilleur résultat, car rien ne peut être conçu à la fois de plus heureux, de plus beau et de plus digne de félicité que Dieu. Et puisqu'il est doué à la fois de la puissance et de la sagesse suprêmes, sa félicité non seulement pénètre la nôtre (si nous sommes sages, c'est-à-dire si nous l'aimons lui-même) mais aussi la constitue. Mais puisque la sagesse doit diriger la charité, la sagesse aussi aura besoin d'une définition. Or je juge satisfaire le mieux possible à la notion que les hommes en ont, si je dis que la sagesse n'est rien d'autre que la science de la félicité elle-même. Ainsi de nouveau nous retournons à la notion de la félicité, qu'il n'est pas ici le lieu d'expliquer.