La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934
Introduction
Il y a maintenant plus d'un an que les Etats-Unis d’Amérique se sont transformés en un laboratoire social où se poursuit, sur un peuple de cent vingt-cinq millions d'êtres, une expérience ou plus exactement une série d'expériences, dont le double objectif est de trouver les remèdes à la crise économique et de découvrir les règles d'un ordre nouveau, mieux équilibré, plus harmonieux, plus juste.
La méthode expérimentale appliquée à une telle matière, pour une telle recherche, quelle occasion unique pour l'économiste et le sociologue d'observer et de s'instruire! Et pour les gouvernants et les gouvernés de tirer profit des tentatives d'autrui, selon leurs résultats.
Tout autre est malheureusement l'attitude de l'immense majorité des Français face à la révolution Roosevelt. Elle va de l'ignorance à l'hostilité, en passant par l'indifférence et le dédain. Les docteurs avaient par anticipation prononcé leur sentence et déclaré l'échec certain ; car il y a des remèdes qui n'ont pas le droit de guérir, mais seulement le devoir de tuer.
L'opinion française, dont la docilité aux mots d'ordre et la crédulité sont un sujet permanent de surprise, et qui accepte indéfiniment les informations tendancieuses et fausses, s'est laissé annoncer, chaque jour pour le lendemain, la fin de l'Amérique Rooseveltienne. De même, des années durant, on lui avait quotidiennement prédit l'écroulement de la Russie Soviétique.
Encore l'U.R.S.S. a-t-elle eu de tout temps des partisans qui se chargeaient de rectifier et de polémiquer.
Les Etats-Unis continuent de vivre sous le régime de Roosevelt. Mieux encore, ils se relèvent rapidement. Qui le sait? Qui le dit?
Précisément parce qu'il ne se réclame d'aucune discipline économique et sociale, parce que sa politique se meut en dehors des cadres d'un système ou d'une doctrine, parce qu'il fait, à proprement parler, de l'expérience, M. Roosevelt a soulevé contre lui les tenants d'une école comme de l'autre. A propos des juges qu'il trouve de ce côté de l'Atlantique, il pourrait reprendre le mot de Montaigne : « Je fus pelaudé à toutes mains ; au Gibelin j'étais Guelphe, au Guelphe, Gibelin. »
Or, le Français, tout au moins, devrait observer l'expérience américaine avec un intérêt singulier et en l'absence de toute passion dogmatique. N'est-ce point la seule révolution qui se poursuive aujourd'hui dans le respect des formes démocratiques et des libertés publiques auxquelles il est lui-même attaché?
C'est dans cet esprit — et sans que l'objectivité exclue la sympathie — qu'a été tenté le présent essai de mise au point et d'interprétation.
Avril 1934.