11 avril 2007
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Un magnifique poème sur la joie, la vie, la nature, l'homme, l'art et l'immortalité.
Ode au vent d'Ouest (Ode to the Westwind)
I
Sauvage Vent d'Ouest, haleine de l'Automne,
Toi, de la présence invisible duquel les feuilles mortes
S'enfuient comme des spectres chassés par un enchanteur,
Jaunes, noires, blêmes et d'un rouge de fièvre,
Multitude frappée de pestilence: 0 toi,
Qui emportes à leur sombre couche d'hiver
Les semences ailées qui gisent refroidies,
Chacune pareille à un cadavre dans sa tombe, jusqu'à ce que
Ta sœur d'azur, déesse du Printemps fasse retentir
Sa trompe sur la terre qui rêve, et emplisse
(Chassant aux prés de l'air les bourgeons, son troupeau,)
De teintes et de senteur vivantes la plaine et les monts:
Sauvage Esprit, dont l'élan emplit l'espace;
Destructeur et sauveur, oh, écoute moi!
II
Toi, dont le courant dans les hauteurs du ciel bouleversé
Entraîne les nuages dispersés comme les feuilles mourantes de la terre,
Détachés des rameaux emmêlés des Cieux et de l'Océan,
Apportant sur leurs ailes la pluie et les éclairs;
On voit s'épandre à la surface bleue de ta houle aérienne,
Telle, emportée par le vent, la chevelure dorée
De quelque Ménade déchaînée, du bord obscur
De l'horizon jusqu'à la hauteur du zénith,
Les boucles échevelées de l'orage approche.
Toi, chant funèbre
De l'an qui meurt, pour qui cette nuit qui tombe
Sera le dôme d'un immense sépulcre,
Au-dessus duquel la cohorte de toutes tes puissances assemblées
Étendra une voûte de nuées, dont l'épaisse atmosphère
Fera jaillir la noire pluie, le feu, la grêle: oh, écoute-moi!
III
Toi qui as éveillé de ses rêves d'été
La bleue Méditerranée en sa couche,
Bercée par les remous de ses ondes de cristal
Près d'une île de ponce, au golfe de Baïes,
Voyant dans son sommeil palais et tours antiques
Trembler au sein du jour plus lumineux des vagues,
Tout tapissés de mousses glauques et de fleurs
Si suaves, que nous défaillons y songeant;
Toi, devant qui les flots unis du puissant Atlantique
Se creusent en abîmes, alors qu'aux profondeurs
Les fleurs de mer et les rameaux limoneux qui portent
Le feuillage sans sève de l'océan, reconnaissent
Ta voix soudain, et blêmissent de frayeur,
Et tremblent et se dépouillent: oh, écoute-moi!
IV
Si j 'étais feuille morte que tu pusses emporter;
Si j'étais nuage rapide et fuyais avec toi;
Vague, pour palpiter sous ta puissance,
Et partager l'impulsion de ta vigueur,
Moins libre que toi seul, indomptable!
Si même Ainsi qu'en mon enfance, je pouvais être
Le compagnon de ton vagabondage au ciel,
Comme en ce temps où dépasser ton vol céleste
Semblait à peine une vision, je n'aurais point avec toi
Ainsi lutté, te suppliant dans ma détresse.
Oh, emporte-moi, comme une vague, une feuille,un nuage!
Sur les épines de la vie, je tombe et saigne!
Le lourd fardeau des heures a enchaîné et courbé
Un être trop pareil à toi: indompté, vif et fier.
v
Fais de moi ta lyre, comme l'est la forêt:
Qu'importe si mes feuilles tombent, comme les siennes!
Le tumulte de tes puissantes harmonies
Tirera de tous deux un son profond d'automne,
Doux, malgré sa tristesse. Sois, âme farouche,
Mon âme! Sois moi-même, vent impétueux!
Chasse mes pensées mortes par-dessus l'univers,
Feuillage desséché d'où renaisse la vie!
Et par l'incantation de ces vers,
Disperse, comme d'un foyer inextinguible
Cendres et étincelles, mes paroles parmi l'humanité!
Sois par mes lèvres, pour la terre assoupie encore,
La trompette d'une prophétie! 0, Vent,
Si vient l'hiver, le printemps peut-il être loin?
Shelley (1819)
