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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:14

CHAPITRE XI
Sécond objet d'un bon Gouvernement, procurer la vraie félicité de la Nation.


§.110       Une Nation doit travailler à sa propre félicité.

            Continuons à exposer les principaux objets d'un bon Gouvernement. Ce que nous avons dit dans les cinq Chapitres précédens, se rapporte au soin de pourvoir aux besoins du peuple & de procurer l’abondance dans l’État : C'est un point de Nécessité ; mais il ne suffit pas au bonheur d'une Nation. L’expérience montre qu'un peuple peut être malheureux au milieu de tous les biens de la terre & dans le sein des richesses. Tout ce qui peut faire joüir l’homme d'une vraie & solide félicité forme un sécond objet, qui mérite la plus sérieuse attention du Gouvernement. Le bonheur est le centre où tendent tous les devoirs d'un homme, & d'un Peuple, envers soi même : C'est la grande fin de la Loi Naturelle. Le désir d'être heureux est le puissant ressort qui fait mouvoir les hommes ; la félicité est le but où ils tendent tous, & elle doit être le grand objet de la volonté publique (Prélim. §.5). C’est donc à ceux qui forment cette volonté publique, ou à ceux qui la réprésentent, aux Conducteurs de la Nation, de travailler à sa félicité, d'y veiller continuellement, & de l’avancer de tout leur pouvoir.


§.111       Instruction.

            Pour y réussir, il faut instruire la Nation à chercher la félicité là où elle se trouve, c'est-à-dire dans la perfection, & lui enseigner les moyens de se la procurer. Le Conducteur de l’État ne sçauroit donc apporter trop de soins à instruire son peuple, à l’éclairer, à le former aux bonnes connoissances & aux sages Disciplines. Laissons aux Despôtes de l’Orient leur haine pour les sciences : Ils craignent que l’on n'instruise leurs peuples, parce qu'ils veulent dominer sur des esclaves. Mais s'ils jouïssent des excès de la soumission, ils éprouvent souvent ceux de la désobéïssance & de la révolte. Un Prince juste & sage ne redoute point la lumiére ; il sçait qu’elle est toûjours avantageuse à un bon Gouvernement. Si les gens éclairés sçavent que la Liberté est le partage naturel de l’homme, ils connoissent mieux que personne, combien il est nécessaire, pour leur propre avantage, que cette Liberté soit soumise à une Autorité légitime : Incapables d'être Esclaves, ils sont sujets fidèles.


§.112       Éducation de la jeunesse.

            Les prémiéres impressions sont d'une extrême conséquence pour toute la vie. Dans les tendres années de l’enfance & de la jeunesse, l’esprit & le cœur de l’homme reçoivent avec facilité la semence du bien, ou celle du mal. L’éducation de la Jeunesse est une des matiéres les plus importantes, qui méritent l’attention du Gouvernement. Il ne doit point s'en reposer entiérement sur les Péres. Fonder de bons Etablissemens pour l’Éducation publique, les pourvoir de Maîtres habiles, les diriger avec sagesse, & faire ensorte, par des moyens doux & convenables, que les sujets ne négligent pas d'en profitter ; c'est une voye sûre pour se former d’excellens Citoyens. L’admirable éducation que celle des Romains, dans leurs beaux siécles, & qu'il étoit naturel qu'on lui vît former de grands hommes ! Les jeunes gens s'attachoient à un personnage illustre, ils se rendoient chés lui, ils l’accompagnoient par tout, & profittoient également de ses instructions & de ses exemples : leurs jeux, leurs amusemens étoient des exercices propres à former des soldats. On vit la même chose à Lacédémone, & ce fut une des plus Sages institutions de l’incomparable Lycurgue. Ce Législateur Philosophe entra dans le plus grand détail sur l’éducation de la Jeunesse (a) Voïez Xénophont, Lacedemon. Respublica), persuadé que de là dépendait la prospérité & la Gloire de sa République.


§.113       Des Sciences & des Arts.

            Qui doutera qu'un Souverain, que la Nation entiére, ne doive favoriser les sciences & les Arts ? Sans parler de tant d'inventions utiles, qui frappent les yeux de tout le monde, les Lettres & les Beaux-Arts éclairent l’esprit, adoucissent les mœurs, & si l’étude n'inspire pas toûjours l’amour de la vertu, c'est que malheureusement elle rencontre quelquefois, & trop souvent, un cœur désespérément vicieux. La Nation & ses Conducteurs doivent donc protéger les Savans & les grands Artistes, exciter les Talens par les honneurs & les récompenses. Que les partisans de la Barbarie déclament contre les sciences & les Beaux-Arts ; sans daigner répondre à leurs vains raisonnemens, contentons-nous d'en appeller à l’expérience. Comparons l’Angleterre, la France, la Hollande, plusieurs Villes de Suisse & d'Allemagne, à tant de régions livrées à l’ignorance, & voyons où il se trouve le plus d'honnêtes gens & de bons Citoyens. Ce seroit errer grossiérement que de nous opposer l’exemple de Sparte, & celui de l’ancienne Rome. Il est vrai qu'on y négligeoit les spéculations curieuses, les connoissances & les arts de pur agrément : Mais les Sciences solides & pratiques, la Morale, la Jurisprudence, la Politique, la Guerre, y étoient cultivées, à Rome principalement, avec plus de soin que parmi nous.

            On reconnoit assés généralement aujourd'hui l’utilité des Lettres & des Beaux-Arts, & la nécessité de les encourager. L’immortel PIERRE I ne crut point pouvoir sans leur sécours civiliser entiérement la Russie, la rendre florissante. En Angleterre la science & les talens conduisent aux honneurs & aux richesses. Newton fut honoré, protégé, récompensé pendant sa vie, & placé aprés sa mort dans le Tombeau des Rois. La France mérite aussi à cet égard des louanges particuliéres : Elle doit à la magnificence de ses Rois plusieurs Etablissemens non moins utiles que glorieux. L’Académie Royale des Sciences répand de tous côtés la Lumiére & le désir de s'instruire. LOUIS XV lui a fourni les moyens d'envoyer chercher sous l’Équateur & sous le Cercle Polaire, la preuve d'une vérité importante : On sçait maintenant, ce que l’on croyoit auparavant sur la foi des calculs de Newton. Heureux ce Royaume, si le goût trop général du siécle ne lui fait point négliger les Connoissances solides, pour se livrer à celles de pur agrément, & si ceux qui craignent la Lumiére n'y réussissent pas à étouffer le germe de la science !

 

§.114       De la liberté de Philosopher.

            Je parle de la Liberté de philosopher. C’est l’âme de la République des Lettres. Que peut produire, un Génie rétréci par la crainte ? & le plus grand homme éclairera-t-il beaucoup ses Concitoyens, s'il se voit toûjours en but à des chicaneurs ignorants & bigots ; s'il est obligé de se tenir continuellement sur ses gardes, pour n'être pas accusé par les tireurs de conséquences de choquer indirectement les opinions reçûës ? Je sçai que cette Liberté a ses justes bornes ; qu'une sage Police doit veiller sur les Presses, & ne point souffrir que l’on publie des Ouvrages scandaleux, qui attaquent les mœurs, le Gouvernement, ou la Religion établie par ses Loix. Mais il faut bien se garder aussi d'éteindre une Lumiére, dont l’État peut recueillir les plus précieux avantages. Peu de gens sçavent tenir un juste milieu, & les fonctions de Censeur Littéraire ne devroient être confiées qu'à des hommes également sages & éclairés. Pourquoi chercher dans un Livre, ce qu'il ne paroit pas que l’Auteur y ait voulu mettre ; & lorsqu'un Écrivain ne s'occupe & ne parle que de Philosophie, devroit on écouter de malins Adversaires, qui veulent le mettre aux prises avec la Religion ? Bien-loin d'inquiéter un Philosophe sur opinions, le Magistrat devroit châtier ceux qui l’accusent publiquement d'impiété, lorsqu'il a respecté dans ses Écrits la Religion de l’État. Les Romains semblent faits pour donner des exemples à l’Univers : Ce Peuple sage maintenoit avec soin le Culte & les Cérémonies religieuses, établies par les Loix, & il laissoit le champ libre aux spéculations des Philosophes. CICERON, Sénateur, Consul, Augure, se moque de la Superstition, il l’attaque, il la met en poudre dans les Écrits Philosophiques : Il croit travailler par là à son propre bien & à celui de ses Concitoyens : Mais il observe, « que détruire la superstition, ce n’est point ruiner la Religion ; car, dit-il, il est d'un homme sage de respecter les Institutions, les Cérémonies religieuses des Ancêtres ; & il suffit de considérer la beauté du Monde & l’ordre admirable des Astres, pour reconnoître l’existence d'un Être éternel & tout-parfait, qui mérite la vénération du Genre humain. » & dans ses Entretiens sur la nature des Dieux, il introduit l’Académicien Cotta, qui étoit Pontife, lequel attaquant librement les Opinions des Stoïciens, déclare qu'il sera toûjours prêt à défendre la Religion établie, dont il voit que la République a reçû de grands avantages ; que ni savant, ni ignorant ne pourra la lui faire abandonner : Surquoi il dit à son Adversaire : « Voilà ce que je pense, & comme Pontife, & comme Cotta. Mais vous, en qualité de Philosophe, amenez-moi à votre sentiment par la force de vos raisons. Car un Philosophe doit me prouver la religion, qu'il veut que j'embrasse ; au lieu que j'en dois croire là-dessus nos Ancêtres, même sans preuves. »

            Joignons l’expérience à ces exemples & à ces autorités. Jamais Philosophe n'a troublé l’État, ou la Religion, par ses Opinions. Elles ne feroient aucun bruit parmi le peuple, & ne scandaliseroient pas les foibles si la malignité, ou un zèle imprudent ne s'efforçait à en découvrir le prétendu venin. Celui-là trouble l’État, & met la Religion en péril, qui travaille à mettre les opinions d'un grand-homme en opposition avec la Doctrine & le Culte établis par les Loix.


§.115       On doit inspirer l’amour de la vertu & l’horreur du vice.

            Ce n'est point assés d'instruire la Nation ; il est plus nécessaire encore, pour la conduire au bonheur, de lui inspirer l’amour de la Vertu & l’horreur du Vice. Ceux qui ont approfondi la Morale sont convaincus, que la Vertu est le véritable & le seul chemin qui conduit au bonheur ; en sorte que ses maximes ne sont autre chose que l’art de vivre heureux ; & il faudrait être bien ignorant dans la Politique, pour ne pas sentir combien une Nation vertueuse sera plus capable qu'une autre, de former un État heureux, tranquille, florissant, solide, respectable à tous ses voisins & formidable à ses ennemis. L’intérêt du Prince doit donc concourrir avec ses devoirs & les mouvemens de sa Conscience, pour l’engager à veiller attentivement sur une matiére si importante. Qu'il employe toute son Autorité à faire régner la Vertu & à réprimer le vice ; qu'il destine à cette fin les Etablissemens publics ; qu'il y dirige sa conduite, son exemple, la distribution des grâces, des Emplois & des Dignités. Qu'il porte son attention jusques sur la vie privée des Citoyens, & qu'il bannisse de l’État tout ce qui n’est propre qu'à corrompre les mœurs. C’est à la Politique de lui enseigner en détail tous les moyens de parvenir à ce but désirable, de lui montrer ceux qu'il doit préférer, & ceux qu'il doit éviter, à-cause des dangers qui les accompagnent dans l’exécution, & des abus qui pourroient s'y glisser. Observons seulement en général, que le vice peut être réprimé par les châtimens, mais que les moyens doux sont seuls capables d'élever les hommes jusqu'à la Vertu : Elle s'inspire, & ne se commande pas.


§.116       La Nation connoîtra en cela l’intention de ceux qui la gouvernent.

            Il est incontestable que les vertus des Citoyens sont les dispositions les plus heureuses que puisse désirer un juste & sage Gouvernement. Voici donc un indice certain, auquel la Nation reconnoîtra les intentions de ceux qui la gouvernent : S'ils travaillent à rendre les Grands & le peuple vertueux ; leurs vûës sont droites & pures ; tenez-vous assûrés qu'ils visent uniquement à la grande Fin du Gouvernement, au bonheur & à la gloire de la Nation. Mais s'ils corrompent les mœurs, s'ils répandent l’amour du luxe, la mollesse, la fureur des plaisirs déréglés, s'ils excitent les Grands à un faste ruineux ; peuples gardez-vous de ces Corrupteurs ; ils cherchent à acheter des Esclaves, pour dominer arbitrairement sur eux.

            Pour peu qu'un Prince soit modéré, i1 n'aura point recours à ces moyens odieux. Satisfait du Rang suprême, & de la Puissance qu'il tient des Loix, il se propose de régner avec gloire & sûreté ; il aime son peuple, & il désire de le rendre heureux. Mais ses Ministres, d'ordinaire, ne peuvent souffrir la résistance, la moindre opposition ; s'il leur abandonne l’Autorité, ils sont plus fiers & plus intraitables que leur Maître ; ils n'ont point pour son peuple le même amour que lui : que la Nation soit corrompue, Pourvù qu'elle obéïsse ! Ils redoutent le courage & la fermeté, qu'inspire la Vertu, & ils sçavent que le Distributeur des grâces domine à son gré sur les hommes dont le cœur est ouvert à la convoitise. Ainsi une misérable, qui éxerce le plus infâme de tous les métiers, pervertit les inclinations d'une jeune victime de son odieux trafic ; elle la pousse au luxe, à la gourmandise, elle la remplit de mollesse & de vanité, pour la livrer plus sûrement à un riche séducteur. Cette indigne Créature est quelquefois châtiée par la Police ; & le Ministre, infiniment plus coupable, nage dans l’opulence est revêtu d'honneurs & d'autorité. La postérité fera justice ; elle détestera le Corrupteur d'une Nation respectable.


§.117       L’État, ou la personne publique, doit en particulier perfectionner son entendement & sa volonté.

            Si ceux qui gouvernent s'attachoient à remplir l’obligation, que la Loi Naturelle leur impose envers eux-mêmes dans leur qualité de Conducteurs de l’État, ils seroient incapables de donner jamais dans l’odieux abus, dont nous venons de parler. Jusques-ici nous avons considéré l’obligation où se trouve une Nation d'acquérir des lumiéres & des vertus, ou de perfectionner son entendement & sa volonté ; nous avons, dis-je, considéré cette obligation rélativément aux particuliers qui composent la Nation : Elle tombe aussi, & d'une maniére propre & singuliére, sur les Conducteurs de l’État. Une Nation, entant qu'elle agit en commun, ou en Corps, est une Personne morale (Prélim. §.2) qui a son entendement & sa volonté propre, & qui n'est pas moins obligée que tout homme en particulier d'obéir aux Loix Naturelles (Prélim. §.5) & de perfectionner ses facultés (Liv.I §.21) Cette personne morale réside dans ceux qui sont revêtus de l’Autorité publique & qui réprésentent la Nation entiére. Que ce soit le commun Conseil de la Nation, ou un Corps Aristocratique, ou un Monarque ; ce Conducteur & Réprésentant de la Nation, ce Souverain, quel qu'il puisse être, est donc indispensablement obligé de se procurer toutes les lumiéres, toutes les connoissances nécessaires pour bien gouverner, & de se former à la pratique de toutes les vertus convenables à un Souverain.

            Et comme c'est en vûë du bien public que cette obligation lui est imposée, il doit diriger toutes ses lumiéres & toutes ses vertus au salut de l’État, au but de la Société Civile.


§.118       Et diriger au bien de sa Société ses lumiéres & les vertus des Citoyens.

            Il doit même diriger, autant qu'il lui est possible, à cette grande fin toutes les facultés, les lumiéres & les vertus des Citoyens ; ensorte qu'elles ne soient pas utiles seulement aux particuliers qui les possèdent, mais encore à l’État. C’est ici l’un des plus grands sécrets de l’Art de régner. L’État sera puissant & heureux, si les bonnes qualités des sujets passant la sphére étroite des vertus de particuliers, deviennent des vertus de Citoyens. Cette heureuse disposition éleva la République Romaine au plus haut point de puissance & de gloire.


§.119       Amour de la Patrie.

            Le grand sécret pour donner aux Vertus des particuliers une tournure si avantageuse à l’État, est d'inspirer aux Citoyens un vif amour pour la Patrie. Il arrive alors tout naturellement, que chacun s'éforce à servir l’État, à tourner à l’avantage & à la gloire de la Nation, ce qu'il possède de forces & de talens. Cet amour de la Patrie est naturel à tous les hommes. Le bon & sage Auteur de la Nature a pris soin de les attacher, par une espèce d’instinct, aux lieux qui les ont vûs naître, & ils aiment leur Nation, comme une chose à laquelle ils tiennent intimément. Mais souvent des causes malheureuses affoiblissent, ou détruisent cette impression naturelle. L’injustice, la dureté du Gouvernement l’effacent trop aisément du cœur des sujets : l’amour de soi-même attachera-t-il un particulier aux affaires d'un pays, où tout se fait en vûë d'un seul homme ? L’on voit, au contraire, toutes les Nations libres passionnées pour la gloire & le bonheur de la Patrie. Rappelons-nous les Citoyens de Rome, dans les beaux jours de la République, considérons aujourd'hui les Anglois & les Suisses.


§.120       Dans les Particuliers.

            L'Amour & l’affection d'un homme pour l’État dont il est membre, est une suite nécessaire de l’amour éclairé & raisonnable qu'il se doit à soi-même ; puisque son propre bonheur est lié à celui de sa Patrie. Ce sentiment doit résulter aussi des engagemens qu'il a pris envers la Société. Il a promis d'en procurer le salut & l’avantage, autant qu’il sera en son pouvoir : Comment la servira-t-il avec zèle, avec fidélité, avec courage, s'il ne l’aime pas véritablement ?


§.121       Dans la Nation ou l’État lui-même, & dans le Souverain.

            La Nation en Corps, entant que Nation, doit sans doute s'aimer elle-même & désirer son propre bien. Elle ne peut manquer à cette obligation ; le sentiment est trop naturel. Mais ce devoir regarde très-particuliérement le Conducteur, le Souverain, qui réprésente la Nation, qui agit en son nom. Il doit l’aimer, comme ce qu'il a de plus cher, la préférer à tout ; car elle est le seul objet légitime de ses soins & de ses actions, dans tout ce qu'il fait en vertu de l’Autorité publique. Le Monstre qui n'aimeroit pas son peuple, ne seroit plus qu'un Usurpateur odieux ; il mériteroit sans-doute d'être précipité du Trône. Il n’est point de Royaume qui ne dût avoir devant le Palais du Souverain, la statüe de CODRUS. Ce magnanime Roi d'Athènes donna sa vie pour son peuple. Son pays étant attaqué par les Héraclides il consulta l’Oracle d'Apollon, & ayant eû pour réponse, que le peuple, dont le Chef seroit tué, demeureroit victorieux, CODRUS se déguisa & se fit tuer par un soldat ennemi. HENRI IV Roi de France exposoit sa vie avec joie, pour le salut de son peuple. Ce grand Prince, & Louis XII sont d'illustres modèles du tendre amour qu'un Souverain doit à ses sujets.


§.122       Définition du mot Patrie.

            Le terme de Patrie est, ce semble, assés connu de tout le monde. Cependant, comme on le prend en différens sens, il ne sera pas inutile de le définir ici exactement. Il signifie communément l’État dont on est membre : C'est en ce sens que nous l’avons employé dans les paragraphes précédens, & qu'il doit être pris dans le Droit des Gens.

            Dans un sens plus resserré plus dépendant de l’étymologie, ce terme désigne l’État, ou même plus particuliérement la Ville, le lieu, où nos Parens avoient leur Domicile, au moment de notre naissance. En ce sens, on dit avec raison, que la Patrie ne se peut changer, & demeure toûjours la même, en quelque lieu que l’on se transporte dans la suite. Un homme doit conserver de la reconnoissance & de l’affection pour l’État auquel il doit son éducation, dont ses Parens étoient membres lorsqu'ils lui donnèrent la vie. Mais comme diverses raisons légitimes peuvent l’obliger à se choisir une autre Patrie, c’est-à-dire, à devenir membre d'une autre Société ; quand nous parlons en général des devoirs envers la Patrie, on doit entendre ce terme de l’État dont un homme est membre actuel ; puisque c'est celui auquel il se doit tout entier & par préférence.


§.123       Combien il est honteux & criminel de nuire à sa Patrie.

            Si tout homme est obligé d'aimer sincèrement sa Patrie, & d'en procurer le bonheur autant qu'il dépend de lui ; c'est un crime honteux & détestable de nuire à cette même Patrie. Celui qui s'en rend coupable, viole ses engagemens les plus sacrés & tombe dans une lâche ingratitude : il se déshonore par la plus noire perfidie, puisqu'il abuse de la confiance de ses Concitoyens & traite en ennemis ceux qui étoient fondés à n'attendre de lui que des sécours & des services. On ne voit des traitres à la Patrie que parmi ces hommes uniquement sensibles à un grossier intérêt, qui ne cherchent qu'eux-mêmes immédiatement, & dont le cœur est incapable de tout sentiment d'affection pour les autres. Aussi sont-ils justement détestés de tout le monde, comme les plus infâmes de tous les scélérats.


§.124 Gloire des bons Citoyens ; Exemples.

                        Au contraire, on comble d'honneur & de loüanges ces Citoyens généreux, qui, non contens de ne point manquer à la Patrie, se portent en sa faveur à de nobles efforts, & sont capables de lui faire les plus grands sacrifices. Les noms de BRUTUS, de CURTIUS, des deux DECIUS vivront autant que celui de Rome. Les Suisses n'oublieront jamais ARNOLD DE WINKELRIED, ce Héros, dont l’action eût mérité d'être transmise à la postérité par un TITE -LIVE. Il se dévoüa véritablement pour la Patrie ; mais il se dévoüa en Capitaine, en soldat intrépide, & non pas en superstitieux. Ce Gentilhomme, du pays d’Undervald, voyant à la Bataille de Sempach, que ses Compatriotes ne pouvoient enfoncer les Autrichiens, parceque ceux-ci, armés de toutes piéces, ayant mis pied à terre, & formant un bataillon serré, présentoient un front couvert de fer, hérissé de lances & de piques ; il forma le généreux dessein de se sacrifier pour sa Patrie. « Mes Amis, dit-il aux Suisses, qui commençoient à se rebuter, je vais aujourd'hui donner ma vie, pour vous procurer la victoire ; je vous recommande seulement ma famille : Suivez-moi, & agissez en conséquence de ce que vous me verrez faire. » A ces mots, il les range en cette forme, que les Romains appelloient cuneus : Il occupe la pointe du triangle, il marche au centre des ennemis, & embrassant le plus de piques qu'il put saisir, il se jette à terre, ouvrant ainsi à ceux qui le suivoient un chemin pour pénétrer dans cet épais bataillon. Les Autrichiens une fois entamés, furent vaincus, la pesanteur de leurs armes leur devenant funeste, & les Suisses remportérent une victoire complette. (a) l’an 1386. L’Armée Autrichienne était de 4000 hommes choisis, parmi lesquels se trouvoient grand nombre de Princes, de Comtes, & une Noblesse distinguée, tous armés de pied-en-cap. Les Suisses n'étoient pas plus de 1300 hommes, mal armés. Le Duc d'Autriche périt à cette Bataille, avec 2000 des siens, & dans ce nombre 676 Gentilshommes des prémiéres Maisons d'Allemagne. Histoire de la Confédération Helvétique par M. DE WATTEVILLE, Tom. I p.183 & suiv).

 

 

 

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