ECRITS POLITIQUES
FRANKLIN DELANO ROOSEVELT
COMBATS POUR DEMAIN
(autres textes)
CHAPITRE DEUXIEME - Deuxième partie
Le nouvel ordre économique
CONTRE LES TRUSTS
Les individus — hommes et femmes — doivent-ils être soumis à un système gouvernemental ou économique quelconque, ou bien ce système doit-il être créé pour servir les individus ? Voici le problème.
Pendant des générations, cette question n'a cessé de dominer toutes les discussions au sujet du gouvernement. On n'a jamais pu s'entendre sur ce point et il est probable que pendant bien longtemps encore, d'honnêtes gens continueront à ne pas être d'accord. La démocratie — comme l'a appelée Meredith Nicholson — est une course vers un but toujours meilleur. Beaucoup de chemins s'offrent à nous ; si nous regardons bien leur tracé, nous voyons qu'ils prennent deux directions principales : l'un tend vers un gouvernement s'exerçant au profit de quelques-uns, l'autre vers un gouvernement agissant pour le bénéfice du peuple.
En Europe, les gouvernements des divers pays ont accru leurs pouvoirs au cours de luttes nationales et ont créé une force centralisée, suffisamment puissante pour imposer la paix aux féodaux. La victoire du pouvoir central aboutit, dans la plupart des cas, à l'instauration d'une autorité forte dans laquelle l'individu trouva une protection. Le peuple préféra obéir à un maître puissant mais éloigné de lui, que d'être exploité par des petits seigneurs toujours trop près de lui. Les créateurs du pouvoir central furent, comme le voulaient les circonstances, des hommes durs ; ils furent souvent cruels dans leurs méthodes, bien qu'ils luttassent de toute leur énergie pour satisfaire à une nécessité, à un désir ardent de la collectivité. Leur pouvoir centralisé était capable d'assurer la paix, d'écarter la guerre civile et de permettre à la population de vivre en sécurité.
Ces hommes avaient leur raison d'être dans l'évolution d'une grande nation, et ils étaient indispensables pour affirmer la puissance des gouvernements à la tête des nations en formation. La société s'est montrée reconnaissante pour les services rendus, mais une fois l'unité de la nation achevée, l'ambition et la brutalité dépassèrent les bornes.
Le sentiment que le pouvoir était exercé indûment au profit de quelques-uns et au détriment de tous, prit alors naissance et ne cessa de s'accroître. Le peuple rechercha une force équivalente qui pût imposer des limites à l'arbitraire. Ces limites ont suscité les Conseils des villes, les corporations, les parlements, les chartes donnant au peuple le droit de participer au pouvoir et d'exercer un contrôle.
Les colonies américaines naquirent au cours de cette lutte. La Révolution en fut l'évènement capital. Les témoins des troubles qui avaient précédé la guerre de l'Indépendance des Etats-Unis, se rallièrent de bonne foi à l'opinion que le gouvernement populaire est dans son essence dangereux et irréalisable. Le plus brillant, le plus honnête des défenseurs de cette opinion fut Hamilton. Il s'insurgeait contre des méthodes de gouvernements lentes, il avait la conviction que la sécurité de la République reposait sur la force autocratique de son gouvernement. Il était également convaincu qu'un groupe puissant d'institutions centralisées, ayant à sa tête un nombre restreint de citoyens capables, pouvait diriger mieux les affaires de l'Etat.
Jefferson, durant l'été de 1776, après avoir rédigé la Déclaration de l'Indépendance, s'appliqua au même problème et aboutit à des conclusions différentes. Le gouvernement, selon lui, était un moyen et non un but ; il pouvait, selon les circonstances, être une protection et une aide, ou au contraire une menace et un danger. « Nous n'avons pas de pauvres, disait-il, la grande masse de notre population est composée de travailleurs et ceux de nos riches qui peuvent vivre sans exercer une profession, sont peu nombreux. La classe laborieuse, dans sa majorité, possède des biens, cultive ses propres terres. Les autres tirent des possédants et de ceux qui les emploient des ressources, qui leur permettent de se nourrir et de se vêtir mieux que ne l'exige la décence, tout en travaillant modérément et en élevant leurs familles ».
Ce peuple, estimait-il, avait deux catégories de droits : les uns se rattachaient à leur personnalité, les autres étaient inhérents à l'acquisition et à la possession des biens. Jefferson entendait par les droits se rattachant à la personnalité, le droit d'exprimer sa pensée librement et de vivre selon ses goûts.
Pour assurer à tous la possession et l'exercice de cette première catégorie de droits, le gouvernement doit prendre toutes dispositions, qui l'empêcheront de s'immiscer dans ce qui est du domaine de l'individu. Jefferson comprit que l'exercice des droits de propriété était tellement lié à celui des droits individuels que le Gouvernement, sans l'intervention duquel ceux-ci seraient inexistants, était dans l'obligation d'intervenir, non pour détruire l'individualisme, mais pour le protéger.
Nous connaissons parfaitement le grand duel politique qui suivit, et nous savons que Hamilton et ses amis, dans leur lutte en faveur d'un pouvoir central tout-puissant, furent finalement battus par le parti de Jefferson aux élection de 1800. De ce duel sont sortis le parti républicain et le parti démocrate, tels que nous les connaissons aujourd'hui.
Dès lors, commença pour la vie publique américaine une ère nouvelle, ère de l'individu qui s'opposait à un système abstrait. « Individualisme», tel fut le mot d'ordre de cette époque. Les conditions économiques les plus heureuses lui permirent de durer et lui donnèrent sa splendeur. Il est vrai qu'elle connut des crises suivies de temps prospères, mais ces vicissitudes ne pouvaient rien changer au fait que l'ensemble du peuple pouvait vivre, soit en vendant son travail, soit en tirant du sol ses moyens de subsistance, de sorte que la famine et la ruine étaient pratiquement impossibles. Au moment le plus critique, on avait toujours la ressource de s'embarquer pour l'Ouest, où des prairies incultes accueillaient les hommes, auxquels l'Est n'avait pu procurer un gagne-pain.
Si grandes étaient nos ressources naturelles, que nous pouvions offrir le même secours aux détresses du monde entier ; nous appelions chez nous les émigrants de l'Europe et les recevions à bras ouverts. A chaque crise, une nouvelle portion du territoire s'ouvrait à la culture, si bien que nos malheurs passagers contribuaient à notre heureuse destinée.
Mais, au milieu du XIXe siècle, surgit un nouveau et puissant facteur économique, un rêve nouveau naquit et provoqua ce que nous appelons la révolution industrielle. Les progrès accomplis dans l'emploi de la vapeur, comme ceux que nous valait l'invention de machines nouvelles, les précurseurs de l'industrie moderne les exploitèrent. Quant au rêve, il fut celui d'une machine à rendement économique capable d'élever le standard de vie, de mettre le luxe à la portée des plus pauvres, de supprimer les distances et — plus tard avec l'électricité — de délivrer les hommes du labeur fatigant imposé par le maniement des outils les plus lourds.
Ce facteur et ce rêve devaient également influencer les méthodes politiques. Jusqu'alors, le gouvernement n'avait pour rôle que de déterminer les conditions dans lesquelles le peuple pouvait vivre heureux, travailler en paix et se reposer sans crainte. Il fut, cette fois, appelé à contribuer à la réalisation du rêve nouveau ; ce n'était pas chose facile.
Les États-Unis acceptèrent avec enthousiasme les bons et les mauvais côtés du règne de la machine. Aucun prix ne fut jugé trop élevé pour acquérir un outillage industriel parfait.
L'histoire de ces dernières cinquante années se confond presque avec celle de ces titans de la finance, dont les méthodes ne furent pas examinées d'assez près, et qui furent récompensés, non d'après la pureté des moyens employés, mais d'après les résultats. Ainsi, les financiers qui ont construit les chemins de fer du Pacifique, se montrèrent toujours sans pitié, quelquefois prodigues et généreux, mais sans moralité ; ils menèrent pourtant à bien la construction de ces chemins de fer. On a estimé que les Américains avaient payé trois fois le prix de revient de leur système ferroviaire, mais il n'en est pas moins vrai que les États-Unis en tirent tous les avantages.
Pendant la période d'expansion, les occasions économiques furent innombrables. Le gouvernement n'eut pas à se mêler des affaires de l'industrie, mais à contribuer à son développement. Ses interventions furent provoquées par les hommes d'affaires eux-mêmes. On imposa des tarifs douaniers pour « encourager notre industrie naissante », expression dont les plus âgés de ceux qui me lisent se souviendront, puisqu'elle était alors le mot d'ordre des campagnes électorales.
L'expansion des chemins de fer fut favorisée par des subventions et plus souvent par des cessions gratuites de terrains. Certains, parmi les plus riches en pétrole, aidèrent au financement des chemins de fer du Sud-Ouest ; les armateurs furent encouragés, soit par des avances d'argent, soit par la concession de monopoles de transport, si bien que notre marine marchande vogue aujourd'hui sur toutes les mers.
A notre sens, le gouvernement ne doit pas s'occuper des affaires. Mais comme il l'a fait, nous devons essayer de comprendre les raisons de ses interventions. Elles ne se fondent pas sur la théorie, qui a toujours été opposée à ce genre d'interventions, mais elles se justifient par les appels réitérés et pressants des entreprises privées. Celles-ci n'ont cessé de demander au gouvernement de mettre à leur disposition tous les moyens d'assistance qu'il possède.
Le même homme qui déclare aujourd'hui ne pas vouloir de l'intervention du gouvernement, a été et sera le premier à lui demander d'imposer des droits prohibitifs sur les produits similaires à ceux qu'il fabrique. Quand les choses vont mal — comme en 1930 — il ira avec la même célérité solliciter un prêt du gouvernement. C'est ainsi que naquit la « Reconstruction Finance Corporation ».
Chaque groupe a, pour la protection de ses intérêts personnels, demandé l'appui du gouvernement, sans tenir compte que le rôle de celui-ci ne doit pas être de favoriser un groupe, mais de défendre les droits individuels et les droits de propriété de tous ses concitoyens.
En examinant le passé, nous voyons que ces transformations ont coïncidé avec le début du siècle. Nous atteignions alors notre dernière frontière, il n'y avait plus de terres libres et nos organismes industriels s'étaient transformés en grandes unités, sans contrôle ni responsabilité.
Des hommes clairvoyants pressentirent le danger, comprirent que les chances de succès ne demeureraient plus égales pour tous, et que les grandes sociétés pourraient devenir une menace pour la liberté économique des individus et les mettre dans l'impossibilité de gagner leur vie. Ce fut alors qu'intervinrent nos lois contre les trusts.
Théodore Roosevelt entreprit une campagne qui eut pour devise : « A bas les trusts » ; il usa de son franc-parler contre les malfaiteurs, dont la fortune était considérable. La politique du gouvernement était de faire machine arrière, de supprimer les grandes sociétés et de retourner au temps où chaque homme possédait seul une petite entreprise. C'était malheureusement chose impossible. Théodore Roosevelt le comprit, abandonna son idée de dissoudre les trusts et n'usa de son autorité que pour établir une distinction entre les « bons et les mauvais ». La Cour Suprême conçut et imposa l'application de la fameuse « loi de bon sens ». Cette loi admettait, en principe, qu'une concentration de forces industrielles pouvait être autorisée si les moyens par lesquels elle se formait, et si l'usage qu'elle faisait de sa puissance, étaient conformes à l'équité.
Woodrow Wilson, élu en 1912, jugea plus clairement encore la situation. Jefferson avait craint les empiètements du pouvoir sur les individus ; pour Wilson, la puissance financière constituait le grand danger. Il comprit que le système économique de grandes concentrations était le despote du xxe siècle, dont dépendait la sécurité des individus et dont l'irresponsabilité et l'avidité — si on n'exerçait sur elles aucun contrôle —pourraient réduire les masses à la misère et à la famine.
En 1912, la concentration de la puissance financière n'était pas encore ce qu'elle est devenue de nos jours ; elle était néanmoins suffisamment importante pour que Wilson entrevit toutes les complications qu'elle allait entraîner. Le programme actuel que l'on qualifie de révolutionnaire (je suis bien placé pour savoir ce que je dis) est bénin en comparaison de la campagne du Président Wilson. « Personne ne peut nier, déclara-t-il, que les limites de notre activité sont devenues de plus en plus étroites. Nul parmi ceux qui sont au courant du développement de l'industrie de ce pays, ne peuvent manquer de constater qu'il est pratiquement impossible d'obtenir du crédit, sans être contraint de s'unir à ceux qui contrôlent l'industrie des États-Unis ; nul encore ne peut manquer de remarquer que tout homme qui tente de concurrencer par lui-même un procédé de fabrication déjà employé et contrôlé par les grandes coalitions financières, sera écrasé, s'il ne consent, soit à vendre son entreprise, soit à se laisser absorber. »
Si la guerre mondiale, qui obligea Wilson à consacrer huit années aux affaires extérieures, n'avait pas eu lieu, nous serions peut-être aujourd'hui dans une situation différente. Le canon qui, en Europe, tonnait de plus en plus fort, contraignit Wilson à abandonner l'étude de ses projets. Le problème qu'il entrevit si clairement, il nous l'a légué et aucun de nous, à quelque parti qu'il appartienne, ne peut contester qu'il est une des grandes préoccupations du présent gouvernement.
Un simple coup d'oeil sur la situation actuelle suffit à nous convaincre que nos chances de prospérité ne sont plus égales à celles que nous avons connues. Nos moyens de production industrielle sont parfaits ; tout, autour de nous, le prouve. Pour le comprendre mieux, examinons les faits récents et les facteurs économiques dont vous et moi, ainsi que la majorité des hommes et des femmes, s'entretiennent journellement.
Dans les années qui ont précédé 1929, ce pays a parcouru et accompli un vaste cycle de croissance et d'inflation. En dix ans, nous avions pris une extension que l'on voulait expliquer par la nécessité de remplacer ce qui avait été gaspillé par la guerre. En réalité, nous nous sommes développés bien au-delà de ce qu'imposait cette nécessité et bien au-delà encore de ce que réclamait notre évolution naturelle et normale. Les chiffres relatifs à cette époque prouvent que les prix payés par le consommateur n'ont subi qu'une diminution minime, et même nulle, et que le prix de revient de la production était tombé considérablement ; la somme des bénéfices réalisés fut énorme. Peu de ces profits fut consacré à la réduction des prix ; le consommateur fut ignoré, les salaires demeurèrent stationnaires ; le travailleur fut oublié, la part réservée aux dividendes ne fut pas proportionnée au bénéfice et les actionnaires, eux aussi, furent laissés de côté. Je rappelle incidemment que le fisc ne préleva qu'une part infime, le budget étant en excédent.
Quel fut le résultat de cet état de choses ? D'énormes ressources furent accumulées — les plus prodigieuses que connut l'histoire — elles prirent deux directions principales : tout d'abord, elles furent converties en matériel qui, à l'heure actuelle, est ou inutile ou inactif ; d'autre part, elles alimentèrent en Call Money le marché de Wall-street.
La crise survint alors. Les excédents investis dans le matériel de production furent immobilisés. Des foules de gens perdirent leur situation, la capacité d'achat s'épuisa, les banques prirent peur et se mirent à emprunter ; ceux qui avaient de l'argent craignirent de s'en séparer, les crédits se resserrèrent, l'industrie s'arrêta, le commerce déclina et le chômage s'accrut.
Il résulte d'une étude serrée, faite récemment sur la concentration des entreprises aux Etats-Unis, que notre vie économique est dominée par quelque six cents grandes unités contrôlant les deux tiers de l'industrie américaine. Dix millions de petites entreprises se partagent le reste.
Il est en outre prouvé que si la concentration continue à s'organiser à la même cadence, l'industrie américaine sera, à la fin de ce siècle, contrôlée par une douzaine de sociétés et dirigée par une centaine d'hommes à peine. En somme, nous allons droit à une oligarchie économique, si nous n'y sommes déjà arrivés.
Tout ce qui vient d'être exposé montre que, de toute évidence, une réestimation des valeurs est indispensable. Les temps sont révolus où tout était accordé au grand pionnier, au titan financier, à la condition qu'ils créent et développent la richesse. Nos efforts ne doivent plus tendre à découvrir ou à exploiter nos ressources naturelles ou à produire sans cesse davantage. Notre tâche est plus modeste : contentons-nous de tirer profit — avec moins d'âpreté — de ce qui existe, cherchons à rétablir les marchés étrangers indispensables à l'écoulement de nos marchandises, résolvons le grave problème de la sous-consommation ou bien réglementons la production, répartissons avec équité les richesses et les produits, adaptons enfin le système économique adéquat aux besoins du peuple.
A ses débuts, le pouvoir central a été un moyen de protection ; il est devenu par la suite une menace. De même aujourd'hui, dans un système économique plus restreint, la grande coalition financière ne constitue plus un progrès pour la nation, mais est devenue pour elle un danger.
Je voudrais pousser plus avant la comparaison avec le passé. Nous ne pensons pas que nous abandonnerions le principe d'un gouvernement national parce que ce système a été une menace au XVIIIe siècle. Egalement, de nos jours, nous n'abandonnerons pas le principe d'un système économique fondé sur de fortes unités appelées sociétés, pour la seule raison que leur puissance est susceptible d'engendrer finalement des abus. En d'autres temps, nous avons résolu le problème du pouvoir central injustement ambitieux en le transformant au fur et à mesure en un gouvernement constitutionnel et démocratique. Et ainsi, nous sommes en train de modifier et de contrôler nos unités économiques.
Le rôle du gouvernement dans ses rapports avec les affaires est, selon moi, de collaborer à l'élaboration d'une déclaration des droits économiques de créer un ordre économique constitutionnel. Telle est la tâche qui incombe, tant aux hommes d'Etat qu'aux hommes d'affaires. C'est là le moindre désir d'une collectivité qui a besoin d'une réelle sécurité. Fort heureusement, les circonstances actuelles prouvent que l'effort pour satisfaire à un tel besoin, constitue non seulement une bonne politique de gouvernement, mais encore la seule chance de salut pour notre structure économique.
Nous savons, à présent, que les grandes coalitions économiques ne peuvent exister que si la prospérité est « uniforme », c'est-à-dire que si la capacité d'achat est bien répartie entre chaque groupe de la nation. C'est la raison pour laquelle la plus égoïste des grandes sociétés souhaiterait, dans son propre intérêt, d'une part, l'augmentation des salaires et un remède au chômage, d'autre part, le retour des fermiers à leur niveau de prospérité habituelle et de voir garantir à l'un et l'autre groupe — industriel et agricole — une sécurité permanente. C'est pourquoi déjà, quelques entreprises clairvoyantes s'efforcent dans l'intérêt commun, de limiter dans l'organisation intérieure de leurs affaires, la liberté d'action de chaque homme et de chaque branche de leur exportation. C'est pourquoi, enfin, de toutes parts, des hommes d'affaires ne cessent de réclamer un système économique qui remette les choses en équilibre, dût la liberté d'action des grandes sociétés en sortir diminuée.
Je présume que chacun de ceux qui sont entrés dans la lutte actuelle (c'est-à-dire tous ceux qui ne sont pas nés avec une fortune assurée) sait d'après sa propre expérience, que ce que nous avons le mieux à faire, est d'adapter les conceptions premières du gouvernement aux circonstances du moment. Gouverner est une affaire où les parties en présence tirent chacune leurs avantages, dans la mesure où elles respectent leurs obligations réciproques. Telle fut l'idée qui, jadis, se forma. Il s'agit donc d'un contrat. En vertu de ce contrat, les dirigeants ont reçu le pouvoir ; le peuple le lui a accordé à la condition que certains droits lui seraient concédés. L'art de gouverner implique une certaine habileté à définir ces droits, chaque fois qu'il est nécessaire, en tenant compte des changements apportés à l'ordre social par des faits nouveaux. Ceux-ci imposent des obligations nouvelles au gouvernement et à ceux qui sont à sa tête.
Les clauses fondamentales du contrat sont donc aussi anciennes que la République elle-même. Elles sont cependant applicables au nouvel ordre économique. Chaque homme a le droit de vivre, c'est-à-dire qu'il a le droit de se faire une vie agréable. Il peut, par paresse, ou à l'encontre de tout devoir moral, renoncer à exercer ce droit, mais ce droit ne peut lui être refusé. Notre gouvernement, sous une forme officielle ou non, par des mesures économiques ou politiques, doit ouvrir a chaque individu une voie qui le conduit, s'il travaille, vers la possession de ce qui est nécessaire à ses besoins. Chaque homme a, en outre, un droit sur ce qu'il possède individuellement, autrement dit un droit qui lui garantit, dans la plus large mesure, la sécurité de ses gains. Sans ce droit, il ne pourrait traverser les périodes difficiles de sa vie, durant lesquelles, pour des raisons naturelles, il lui est impossible de travailler ; l'enfance, la maladie, la vieillesse. Dans toute idée de propriété, ces considérations doivent dominer toutes les autres. Si, par respect pour ce droit, nous devons imposer des restrictions aux opérations du spéculateur, à celles du manieur d'argent et même du financier, j'estime que nous devons admettre ces restrictions comme indispensables pour protéger l'individualisme et non pour l'entraver.
La clause finale du fameux contrat traitait de la liberté et de la recherche du bonheur. Nous n'ignorons pas que le droit de lire, penser, parler, choisir un mode de vie et de vivre, doit être, en tout cas, respecté. Nous savons que la liberté d'attenter en quoi que ce soit à ces droits, n'est inscrite dans aucun pacte. Gouverner, c'est maintenir les balances de la justice égale pour tous.
Nous remplirons nos obligations gouvernementales actuelles, tout comme nous avons rempli celles qu'en 1776, Jefferson a imaginées dans son « Utopia » et auxquelles Théodore Roosevelt et Wilson, eux-mêmes, se sont efforcés de donner une réalité. Faute de quoi, nous irons à un échec commun et un flot grandissant de misère nous entraînera tous au fond du gouffre.
Franklin Delano Roosevelt