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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:05


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre II : A la recherche d'une méthode

 




    Si l'on veut interpréter les mesures de redressement et de réforme qui constituent le New Deal, il faut essayer au préalable d'en démêler les intentions, les directions générales et les méthodes.

    Rien de plus malaisé que cet effort de systématisation. La matière, comme d'ailleurs le tempérament américain, y est réfractaire. Il est facile, au contraire, de railler les incohérences et les contradictions de la politique de M. Roosevelt, de montrer qu'il procède toujours par tâtonnements et presque jamais avec un propos lointain dans l'esprit. Ne s'est-il pas réclamé, dès avant son accession au pouvoir, de la méthode expérimentale? N'a-t-il point annoncé qu'il tenterait successivement des remèdes divers, abandonnerait ceux qui ne donneraient pas les effets espérés, retiendrait ceux dont les résultats apparaîtraient favorables?

    C'est à tort qu'on a représenté le New Deal comme une construction imaginée par une poignée d'intellectuels, constitués en un trust du cerveau par le président. Si quelques-uns de ces conseillers font en Amérique figure de doctrinaires, comparés aux théoriciens européens de l'économie et de la sociologie, aux tenants des écoles libérales ou sociales, ce ne sont encore que des empiristes.

    A peine si un ou deux des professeurs du Brain Trust ont tracé les plans d'un régime idéal. Pas d'unité de vues au surplus dans l'entourage du président ; les conservateurs sociaux voisinent avec les réformateurs et au sein de ce dernier groupe, il y a des monétistes, des autotarchistes, des libre-échangistes, des partisans de l'économie dirigée, et enfin des socialisants qui ne croient pas à la possibilité de survie d'un régime capitaliste même amendé.

    On serait tenté dans ces conditions, d'exposer sans ordre préconçu, au hasard de la chronologie, l'évolution du New Deal, laissant au lecteur le soin de rechercher les analogies, les correspondances et les harmonies d'un monde en gestation.

    Je crois, au contraire, que sous la pression des événements et des lois économiques, s'opère presque inconsciemment, une synthèse des buts et des moyens, et qu'à condition de la percevoir, on possède une méthode d'investigation et d'exposition de l'expérience Roosevelt.

    Dans ce labyrinthe du New Deal aux corridors jalonnés de mystérieuses initiales (A.A.A. — P.W.A. — C.W.A. — R.F.C.) des fils conducteurs doivent permettre de découvrir les avenues principales, et leurs points de rencontre ou d'aboutissement. Le premier et le principal de ces fils nous conduira à travers les méandres de la politique monétaire et financière ; un second nous fera connaître la politique agricole, un troisième, la politique industrielle.

    Réforme monétaire et financière, réforme agraire, réforme industrielle, tels sont les volets du triptyque dont l'ensemble donnera une image du New Deal. Au centre, on doit se représenter la réforme monétaire et financière, comme l'élément fondamental sur lequel les deux autres viennent s'étayer. Du moment que M. Roosevelt ne réalisait pas du jour au lendemain la révolution totale et n'abolissait pas le régime du profit, la question des prix, donc de la monnaie et de la finance, devait dominer sa politique. Sans la réforme monétaire, toutes les autres lui seraient restées interdites, faute de moyens financiers pour les réaliser. Il eût été dans l'incapacité de s'attaquer au problème bancaire et au problème de l'endettement, comme à celui du pouvoir d'achat des fermiers, et à celui de la répartition des profits de l'industrie.

    Ce n'est que parce qu'il s'est libéré de la tutelle des principes orthodoxes qu'il a pu entreprendre de modifier la structure économique et sociale de son pays.

    Aussi, est-ce à la réforme monétaire et financière et à ses corollaires que sera consacrée la première partie de cette interprétation.

 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:04


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre I : La situation au début 1934

 




    Et voici maintenant le tableau de la situation présente. Faute de statistiques plus récentes les chiffres cités ici sont, pour la plupart, ceux du mois de décembre 1933 et l'on devra tenir compte du fait qu'au cours du premier trimestre de 1934 une nouvelle et notable amélioration s'est produite.

    Sans s'attarder à des considérations reposant sur des apparences, il convient de marquer néanmoins le progrès qui saute tout de suite taux yeux de l'observateur.

    D'une manière générale la mendicité est devenue très rare dans les rues, de même que le vagabondage a presque disparu dans les Campagnes.

    Les breadlines (files de miséreux à la porte des soupes populaires) — spectacle encore courant il y a quelques mois — ne se rencontrent plus guère que dans les quartiers où la misère a de tout temps été grande. Il est juste de dire que dans une certaine mesure la chose doit être attribuée à une meilleure organisation de l'assistance et au fait que maintenant les secours sont souvent portés à domicile.

    Mais seules les données statistiques peuvent exprimer dans quelle mesure ces apparences correspondent aux réalités.

    I. Les prix et le coût de la vie — L’objectif immédiat de la politique de redressement était de provoquer une reprise des prix de gros et des prix agricoles sans hausse correspondante du coût de la vie.

    L'indice général des prix de gros s'établissait le 3 février 1934 à 72,8 (1926 = 100) contre 60,0 à pareille époque l'an dernier, soit une hausse de 21,5 %.

    En ce qui concerne les produits agricoles, l'indice est de 60,5 contre 40,2 l'an dernier, à pareille époque. L'amélioration est donc de plus de 50 %, le niveau actuel se rapproche sensiblement de celui atteint pendant un très court laps de temps en juillet dernier au moment de la poussée spéculative qui a suivi la première dévaluation du dollar (62,7).

    Pour les indices individuels, il nous faut, pour les raisons déjà dites, nous référer aux statistiques de décembre dernier.

    L'indice du blé était alors de 55,1 contre 29,9 en décembre 1932, celui du maïs 63,0 contre 30,5, celui de l'avoine 84,1 contre 38,6, celui de l'orge 89,7 contre 45,0, celui du seigle 62,2 contre 36,2, celui du coton 58,3 contre 39,4, celui du pétrole 51,6 contre 45, celui du cuivre 57,1 contre 46.

    Par contre, le coût de la vie ne s'est relevé que dans de très faibles proportions, contrairement  à ce qui a été affirmé en France.

    L’origine des erreurs commises à ce propos vaut d’être recherchée. Elle paraît devoir être trouvée dans les indications publiées à intervalles réguliers par l'American Federation of Labor, laquelle se borne, pour des raisons compréhensibles, à mettre en vedette l’augmentation du coût de la nourriture et du vêtement.

    Il va de soi que les prix des denrées alimentaires ont suivi dans une certaine mesure celui des produits agricoles. Il a passé de 94,6 à 105,2 de janvier 1933 à janvier 1934, soit environ 11 % d'augmentation. Quant au vêtement, les prix de vente en ont augmenté par suite de la situation particulière de l'industrie textile, où la N. R. A. a mis fin, comme on le verra, à une situation tout à fait anormale, et à une exploitation scandaleuse de la main-d'oeuvre. Les statistiques de décembre accusent une hausse voisine de 10 % en un an.

    Mais le prix de la nourriture et du vêtement ne sont que des éléments isolés du coût de la vie. Il ne faut pas perdre de vue notamment qu'en Amérique les dépenses pour l'alimentation représentent une proportion bien plus faible que chez nous du budget familial.

    Le département du Travail publie depuis fort longtemps un indice pondéré du coût de la vie qui tient compte non seulement de la nourriture et du vêtement, mais aussi du loyer, de l'éclairage, du chauffage, des articles de ménage, des services (transports, blanchissage, etc.).

    Cet indice accuse de décembre 1932 à décembre 1933, une hausse de 2,2 % seulement (135 contre 132,1). Sur le point le plus bas qui ait été atteint (juin 1933) la hausse n'est encore que de 5,2 %. Le niveau actuel est le même qu'en juin 1932.

    Il reste de 20 % inférieur à ce qu'il était en 1927-28.

    Les chiffres ci-dessus sont relatifs à la population urbaine, pour laquelle, comme on voit, la hausse du prix de la vie est presque insensible.

    En ce qui concerne les agriculteurs la situation est un peu moins favorable, l'élément loyer, qui joue un rôle si important dans les villes, et surtout en Amérique, n'entrant pas en ligne de compte. Par contre, les prix d'achat des outils et des machines agricoles interviennent dans leur cas. Or, ces prix, loin d'avoir augmenté, sont encore légèrement inférieurs à ceux de l'année précédente, leur indice étant de 83,5 contre 84,5 (chiffres de décembre). De même, l'indice des autos est de 96,7 contre 99.

    L'augmentation du pouvoir d'achat global de la population est donc très importante.

    II. La situation des fermiers et leurs dettes. — La hausse des prix des produits agricoles, qui ont en moyenne doublé, tandis que les prix de détail augmentaient à peine, indique assez que la situation des fermiers s'est considérablement améliorée.

    Sans doute leur a-t-on demandé de réduire leur production. Mais ils ont reçu des versements en espèces et d'autres avantages, dont nous verrons le détail, en compensation du manque à produire et à vendre.

    Aussi, bien que les effets du New Deal ne se soient fait sentir que dans la seconde partie de l'année 1933, et pour une partie seulement des récoltes de l'automne, estime-t-on que leur revenu global a passé de 5 milliards 143 millions de dollars en 1932 à 6 milliards 400 millions en 1933.

    En outre, l'aménagement des dettes hypothécaires et bancaires a apporté un soulagement très sensible aux agriculteurs. Par le rachat des anciennes hypothèques en échange d'obligations garanties par l'Etat fédéral, les intérêts à la charge des fermiers ont été réduits en moyenne d'un quart (6 % à 4,50%) ; des exploitations agricoles saisies ont été rachetées et rendues à leurs propriétaires ; de nouvelles facilités de crédit à bon marché ont été offertes ; des prêts sur récolte consentis.

    La détente qui en est résultée dans des régions, où en automne encore la situation était grave, n'est contestée par personne. Planteurs de coton et de tabac, producteurs de céréales, connaissent des jours infiniment meilleurs. L'amélioration, quoique plus récente, est certaine pour les producteurs de sucre et les éleveurs de porcs. Toutefois, les conditions restent sérieuses chez les éleveurs de bétail.

    III. Le commerce et l'industrie. — La reprise est très marquée dans le commerce de détail aussi bien que dans le commerce de gros. Les chiffres de ventes publiés par les magasins à succursales multiples sont de l'ordre de 20 % supérieurs à ceux de l'an dernier.

    L'indice de l'activité des affaires a passé de 61,7 en février 1933 à 78,5 en mars 1934.

    D'après les indications publiées dans le New York Times en février dernier, sur la base des moyennes de 1923-25, la production atteignait l'indice 95 dans l'industrie de la chaussure, la consommation du coton se chiffrait par 89, les livraisons de soie par 103, l'activité dans l'industrie des conserves de viande par 98, la production de l'essence par 184, la production des pneus par 93, celle des cigarettes par 118. En mars 1934 l'industrie de l'automobile a fabriqué autant de voitures qu'en septembre 1929, dernier mois de l'ère de prospérité.

    Par contre, l'indice de l'industrie du ciment n'était que 39, de même que celui des chantiers navals, celui du bois 30, celui de la fabrication des locomotives 0.

    D'une manière générale on peut dire que l'activité des industries de consommation n'est plus très loin de la normale, que l'industrie de l'automobile marche à plein, mais que les industries de capital, bien qu'en reprise, elles aussi, sont encore loin l'industrie du bâtiment en particulier — d'avoir retrouvé leur activité ancienne. Cependant, l'industrie métallurgique, qui, au début de 1933, ne travaillait qu'à 16 % de sa capacité, et qui, après avoir connu une très brève période de prospérité en juillet dernier, était retombée à 25 % en automne, s'est graduellement rétablie depuis décembre et atteint au début de mars le coefficient 49 %.

    La statistique des faillites est également instructive. On en avait enregistré 305 dans la semaine terminée le 1er février 1934 contre 660 dans la semaine terminée le 2 février 1933.

    En janvier 1934 les recettes nettes des chemins de fer marquent un accroissement de 190 % sur janvier 1933 et de 207 % sur janvier 1932.

    Un indice du mouvement des bénéfices industriels et commerciaux est donné par les changements dans les déclarations de dividende. En janvier 1934 on en a enregistré 188 modifiés dans un sens favorable contre 64 en janvier 1933 et 73 en janvier 1932. Il y en a eu 58 modifiés dans un sens défavorable en janvier 1934 contre 135 et 264 respectivement.

    D'après une étude de la National City Bank, qui porte sur 1.475 sociétés relevant de 55 industries, il a été réalisé par ces entreprises 97 millions de dollars de bénéfices en 1933, contre 97 millions de pertes en 1932. L'amélioration s'est accentuée au début de 1934 : toujours d'après la même source, un sondage opéré sur 210 sociétés industrielles, choisies parmi les plus importantes, indique que 75 % d'entre elles ont réalisé des bénéfices pendant le premier trimestre de l'année, contre 63 % pendant le dernier trimestre de 1933, et contre seulement 40 % pendant la période correspondante de l'an dernier. Le bénéfice net global de ces 210 sociétés a été de 930 millions de dollars de janvier à mars 1934, contre 720 millions pour le trimestre précédent, alors qu'une perte nette de 23 millions avait été enregistrée pour le premier trimestre de 1933.

    IV. Chômage et les feuilles de salaire. — Le Département du Travail publie des études détaillées relatives au chômage et aux bordereaux de salaires. Les statistiques répartissent les industries en deux catégories, à savoir, d'une part, les industries manufacturières (manufacturing industries) qui comprennent l'alimentation, le textile, le vêtement, le fer et l'acier, les machines, la métallurgie, l'auto et les instruments de transport, les bois, le cuir, le papier, l'industrie chimique, l'industrie du caoutchouc et celle du tabac.

    Un second groupe, dit des industries non manufacturières, comprend les mines, les carrières, l'extraction du pétrole, les services publics, le commerce de gros et de détail, les hôtels, l'industrie des conserves, la blanchisserie, la teinturerie, les banques, les assurances.

    En ce qui concerne les industries manufacturières, l'indice de l'emploi est en décembre 1933 de 70,1 contre 58,3 un an auparavant. L'amélioration est de 20 %. Comparée au chiffre de mars 1932 elle atteint 27,20 %.

    De son côté, le bordereau des salaires accuse une augmentation de 32,10 % sur décembre 1932 et de 49 % sur mars 1933. La reprise est la plus marquée dans la métallurgie, dans l'industrie chimique, dans celle des machines agricoles (où le relèvement est de 69,9 % pour l'indice de l'emploi et de 118,3 % pour l'indice du bordereau des salaires).

    Pour les industries dites non manufacturières, il y a hausse des indices dans 11 cas sur 15, hausse particulièrement marquée dans l'industrie des conserves (46,6 % pour l'emploi et 52,3 % pour le bordereau de salaires), l'extraction du pétrole (31,1 % et 27,6 % respectivement), le commerce de détail (10,7 % et 9,1 %), les mines métalliques (21,9 et 40,1 % ), les mines bitumineuses (7,7 et 34,7 %). Il n'y a de baisse sensible que dans deux cas : les mines d'anthracite (-12,6 % et - 21,2 %) et les télégraphes et téléphones (- 7,2 % et - 7,9 %).

    On doit noter ici que la situation était nettement meilleure au début qu'à la fin de l'automne et que du 15 octobre au 15 décembre on a enregistré une baisse des divers indices. Tandis que dans le second groupe la baisse ne dépassait pas celle que déterminent chaque année, à la même époque, les influences saisonnières, elle était légèrement supérieure dans la catégorie des industries manufacturières.

    Or, il semble que le redressement général de l'économie aurait dû au contraire annuler les facteurs saisonniers. Le déclin enregistré a donc inspiré une assez vive anxiété et même provoqué dans certains milieux un accès de pessimisme au mois de novembre dernier. Seule une analyse plus détaillée et une interprétation des faits nous permettront de nous former une opinion sur la cause de ces difficultés et sur le bien-fondé de ces inquiétudes.

    Toutefois, en s'en tenant aux chiffres seulement, on doit observer que certaines branches, notamment la métallurgie, les machines-outils, les machines agricoles, l'éclairage, l'industrie chimique, ont continué de progresser en novembre et décembre et que ces industries étant en général considérées comme des baromètres de l'activité future, les indications qu'elles donnaient annonçaient un avenir plus favorable.

    Effectivement, si le ralentissement a persisté et s'est même légèrement accentué jusque vers la mi-janvier, les statisticiens, se fondant sur de premières données en leur possession, prévoient que les chiffres postérieurs accuseront une très vive reprise (1).

    Si maintenant, au lieu d'adopter la classification des statistiques du ministère du Travail, on répartit les industries en industries de consommation et en industries de capital, on aboutit à des conclusions d'un autre ordre et qui corroborent entièrement les indications données au paragraphe 3. On trouve en effet qu'en novembre dernier les industries de consommation employaient 3.730.000 personnes contre 4.468.000 en novembre 1929 (et 3.231.000 en novembre 1932). Une augmentation de 17 % était suffisante pour revenir à l'ancien niveau.

    Par contre, les industries de capital employaient 2.654.000 personnes en novembre 1933 contre 4.207.000 en novembre 1929 (et 2.082.000 en novembre 1932). Pour rétablir la situation, une augmentation de 37 % était encore nécessaire (2).

    Ce retard dans la reprise des industries de capital vaut d'être souligné dès maintenant. Il faut ajouter qu'à l'heure présente ces industries travaillent surtout pour l'Etat. Les mesures législatives votées sous la nouvelle administration ont, en effet, eu pour résultat de fermer à peu près complètement le marché des capitaux aux entreprises privées, qui sont donc dans l'impossibilité de financer de nouveaux investissements.

    Si l'on en vient maintenant aux chiffres globaux du chômage, on doit se souvenir que les estimations n'en peuvent être que très approximatives.

    Cependant il était généralement admis au mois de février qu'il y avait 6 à 7 millions de personnes sans travail aux Etats-Unis (contre 15 ou 16, en février 1933).

    Parmi les travailleurs embauchés depuis un an on comptait 340.000 jeunes gens enrôlés dans les camps de travail du Civil Conservation Corps, 267.000 employés et ouvriers engagés sur les chantiers des Travaux publics et 3.500.000 personnes auxquelles la Civil Works Administration donnait du travail à titre temporaire et payait des salaires normaux.

    Certaines statistiques rangent ces quatre millions de travailleurs au nombre des chômeurs, dont ils fixent alors le chiffre à 10 ou 11 millions. Cette manière de calculer est tout aussi abusive que celle qui consisterait à les considérer comme ayant retrouvé des situations définitives.

    On a seulement le droit de dire qu'approximativement le tiers des chômeurs a été résorbé de façon normale et qu'en outre trois à quatre millions de personnes ont été embauchées par l'Etat à des titres divers, grâce à des mesures de crise (3).

    V. Les banques. — Les changements intervenus dans la situation bancaire et financière sont au moins aussi importants que dans l'agriculture, le commerce et l'industrie.

    Depuis le moratoire, la plupart des établissements ont été rouverts. Ceux dont les dépôts restent gelés ne constituent plus qu'une très petite minorité. Graduellement d'ailleurs, ils sont renfloués par la grande banque d'Etat qui a nom Reconstruction Finance Corporation, laquelle les oblige à procéder à des augmentations de capital qu'elle souscrit en tout ou en partie.

    En outre, par le jeu d'une assurance à laquelle participent les Banques elles-mêmes, d'une part, et la Reconstruction Finance Corporation de l'autre, tous les dépôts inférieurs à 2.500 dollars sont actuellement garantis. On estime que le bénéfice de cette mesure s'étend à 95 % du montant total des dépôts.

    Ainsi, la structure bancaire du pays, qui inspirait tant d'inquiétudes au temps de l'administration Hoover, et qu'on avait vu s'écrouler à la fin de février 1933, se trouve rétablie et consolidée. La thésaurisation, devenue sans objet, est matée.

    Un grand nombre d'entreprises industrielles et commerciales, qui accusaient des pertes il y a un an, enregistrent actuellement des bénéfices. Les autres montrent pour la plupart des bilans améliorés. Le service des intérêts des obligations est repris dans un grand nombre de cas, ou paraît pouvoir l'être dans des délais plus ou moins rapprochés. Beaucoup de Sociétés ont pu recommencer à distribuer des dividendes ou en augmenter l'importance.

    La hausse des titres, qui en a été la conséquence, ainsi que la revalorisation des créances ont assaini la situation des caisses d'épargne, des caisses hypothécaires, des Compagnies d'assurance et des banques.

    D'une manière générale, la solvabilité et la liquidité des individus et des Sociétés ont été rétablies ou améliorées.

    VI. Coup d'oeil général. — A la fin de l'hiver 1933, la situation économique des États-Unis peut être caractérisée de la manière suivante :

    Hausse considérable des matières premières sans hausse correspondante du coût de la vie. Amélioration importante de la situation des fermiers et de l'endettement. Reprise commerciale et industrielle très vive pour tout ce qui a trait à la consommation, sensiblement retardée en ce qui concerne les industries de capital. Résorption du chômage jusqu'à concurrence d'un tiers et, si l'on tient compte des embauchages par l'Etat, jusqu'à concurrence de moitié. Rétablissement complet de la situation bancaire.

    Tels sont les premiers résultats obtenus par l'administration Roosevelt. Comparée à ce qu'elle était il y a un an, la situation apparaît transformée.

    La crise, à n'en juger que par les faits et les chiffres, semble sinon résolue, du moins en voie de solution rapide.

    Mais les adversaires du New Deal, tout en reconnaissant les progrès réalisés, en dénoncent le caractère artificiel. Les uns y voient l'effet d'un mécanisme d'inflation dont ils prévoient l'accélération jusqu'à ce qu'il échappe à tout contrôle. D'autres insistent sur le fait que le redressement actuel tient uniquement à l'action constante de l'Etat dans tous les domaines ; cette intervention, assurent-ils, ne saurait se poursuivre durant plusieurs mois encore sans provoquer un désastre financier suivi d'un désastre économique, et, si elle est interrompue, l'effondrement ne sera ni moins rapide, ni moins total.

    Ce n'est pas encore le moment de discuter ces opinions. J'ai exposé les faits sans les interpréter. Seul, un examen plus approfondi du New Deal permettra d'apprécier la valeur des critiques et de formuler un pronostic.

    Mais, en même temps que je présentais un tableau qui ne pouvait être que très favorable, il convenait de faire entendre l'avis des pessimistes, de ceux qui croient à la fragilité et même au danger d'une amélioration, dont aucun, cependant, ne nie la réalité présente.



1 - En effet dès le 16 février l’indice de l’emploi revenait au maximum enregistré en octobre pour l’année 1933, tandis que l’indice du bordereau des salaires le dépassait nettement.

2 - Chiffres donnés par M. Lubin, commissaire aux statistiques du Département du Travail (Enginering News Record, 8 février 1934).

3 - A la fin de mars 1934 le National Industrial Conference Board estimait que le nombre des chômeurs était tombé à 8.610.000, en y comprenant les ouvriers et employés auxquels l'Etat donne temporairement du travail. Le même organisme évaluait le nombre des chômeurs de mars 1932 à 13.200.000. D'après cette statistique la diminution du chômage aurait atteint 34,8 % en un an. Plus optimiste, M. Harriman, président du Congrès des Chambres de Commerce des Etats-Unis, déclarait quelques semaines plus tard que le nombre des chômeurs était tombé à 7 millions. Par contre, l'American Federation of Labor, au même moment, estimait qu'il y en avait encore plus de 10 millions.


 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:03


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre I : La situation au début 1933


 

    Sans entrer dans les détails, dont la plupart sont présents à la mémoire du lecteur et qui peuvent en tout cas être trouvés dans de nombreux articles et ouvrages, on peut résumer de la façon suivante la situation des Etats-Unis au début le 1933.

    I. Les prix et le pouvoir d'achat. — C'est par la chute profonde des prix des matières premières que se caractérise la crise.

    L'indice des prix des produits agricoles est tombé de 100 en 1926 à 44,1 en décembre 1932. Les principales denrées sont tombées au tiers ou même au quart de leur valeur. Le coton est au coefficient 34,9, le maïs à 30,5, le blé à 29,9, les porcs à 24,8. Parmi les autres produits naturels des Etats-Unis, le pétrole est au coefficient 45, le cuivre 34,6.

    Dans le même temps les prix de détail ont baissé, mais dans une bien moindre proportion. Le coût de la vie n'a diminué que de 24,8 %, soit à peine d'un quart.

    Le décalage entre les prix des matières premières et les prix de détail a bouleversé l'économie : en tant que producteur, le citoyen américain ne reçoit que le tiers ou le quart de ce qu'il obtenait pour ses marchandises il y a six ans ; mais ce qu'il achète, en tant que consommateur, lui coûte encore plus des trois quarts du prix ancien. En d'autres termes, le pouvoir d'achat de la population active s'est contracté dans des proportions inouïes.

    II. Les dettes et la situation des fermiers. — Cependant le poids des dettes hypothécaires ou bancaires, dont la production est grevée, est devenu intolérable. Le montant de ces dettes était énorme ; il s'élevait à 14 milliards de dollars, et la charge des intérêts dépassait 900 millions de dollars.

    Ces dettes, écrit M. Lindley (1), avaient été contractées au moment ou le niveau général des prix était le double de celui du début de 1933, et quand le prix des denrées agricoles était quatre fois plus élevé. Exprimée en blé ou en coton, la dette du fermier représente quatre fois ce qu'il a reçu de son créancier. En fait, certains produits ne rapportent même plus sur le marché ce qu'ils ont coûté en semences, en engrais et en main-d'oeuvre pour les récolter.

    La détresse est telle dans les campagnes qu'un peu partout éclatent des révoltes, et que des de violence se produisent chaque jour à l'occasion de la mise en vente de propriétés hypothéquées.

    III. Le commerce et l'industrie. — Par suite de la réduction du pouvoir d'achat de la population active, le commerce intérieur a périclité, et l'industrie, privée de commandes, a du réduire ses fabrications et licencier une grande partie de sa main d'oeuvre.

    Travaillant à perte, elle a cessé de servir des dividendes à ses actionnaires et, dans un grand nombre de cas, ne peut même plus servir d'intérêt à ses obligataires. De même les chemins de fer, qui, pour la plupart, ont cessé de payer les coupons d'une dette obligataire dont le montant total s'élève à 11 milliards de dollars.

    IV. Le chômage. — Il n'existe point de statistique exacte du chômage en Amérique, et les évaluations faites par divers organismes sont fondées sur des sondages dont les conclusions sont naturellement discutables. Les estimations variaient, au moment de la prise du pouvoir par M. Roosevelt, de 14 à 17 millions. Si le chiffre le plus fort peut paraître exagéré (d'autant qu'au 1er mars, par suite du moratoire la courbe a fait une pointe) il faut néanmoins observer qu'aucune statistique ne tient compte du très grand nombre d'employés licenciés par les Etats, les comtés et les municipalités.

    Il résulte d'études faites ultérieurement que le nombre total des sans-travail devait, au début de l'année 1933, être supérieur à quinze millions. En temps normal, on compte de deux à quatre millions de chômeurs en moyenne, la plupart temporaires.

    V. Les banques. — La baisse générale des actions et des obligations, résultat du marasme économique, et la carence générale des débiteurs, outre qu'elles frappent directement les rentiers, propriétaires et possédants de toutes catégories, a mis en posture périlleuse les caisses hypothécaires, les caisses d'épargne, les compagnies d'assurance et les banques. Avant même le moratoire général, et depuis de longs mois, nombre de ces établissements se sont vus contraints de cesser leurs paiements et de fermer leurs guichets. D'ailleurs, si l'on établissait des bilans sincères, presque tous apparaîtraient en état de faillite.

    Situation que soupçonnent tout au moins les déposants. Aussi les runs succèdent-ils aux runs à travers le pays. Une véritable psychose s'est emparée du public qui, estimant que le seul refuge réside dans l'or ou la monnaie, accumule les pièces et  les billets, et thésaurise à un degré dont l'histoire n'offre pas de précédent.

    Pour faire face aux retraits des dépôts, les banques à leur tour réalisent leur portefeuille, refusent  le renouvellement des emprunts et exigent le remboursement de leurs créances, précipitant les faillites commerciales et industrielles, forçant à des liquidations désastreuses, enfonçant encore les prix et les cours.

    VI. Coups d'oeil général -  Quinze millions de chômeurs représentent, si l'on tient compte des familles dépendant d'eux, quarante-cinq millions d'individus dans le dénuement. Il faut y ajouter quelque quinze millions d'agriculteurs dont la détresse n'est pas moindre.

    Au total, soixante millions de personnes —un Américain sur - deux privés de leurs moyens d'existence. En outre, au sein même de la classe bourgeoise et capitaliste, les cas de ruine totale ne se comptent plus et tout un prolétariat nouveau est apparu, non moins misérable, non moins désespéré que l'autre. Les Etats, les comtés et les municipalités aux finances banqueroutières ne peuvent même plus payer leurs fonctionnaires et se trouvent dans l'incapacité de secourir les chômeurs, qui s'en vont mendier dans les rues, et souvent de ville en ville, ou vagabonder dans les campagnes.

    Tout le système économique et financier se disloque : l'endettement dépasse la fortune publique, et chaque Américain, en moyenne, doit plus qu'il ne possède.

    Aussi les contrats, devenus, d'une manière générale, inexécutables, ont-ils perdu leur valeur même juridique.

    Dans certaines régions, où toutes les banques ont fermé leurs portes, et où le numéraire a cessé de circuler, la population est réduite à user de la méthode primitive du troc.

    A la veille de l'avènement de M. Roosevelt, une série de runs et de moratoires dans les Etats de l'Union oblige le gouvernement fédéral à proclamer le moratoire général. La paralysie gagne l'économie américaine tout entière ; et la ruine imminente menace ceux qui dans le naufrage général avaient réussi à surnager jusqu'alors.




1 - The Roosevelt Revolution. A History of the New Deal



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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:02


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934



Chapitre I : Bilans comparés




    Le 6 février 1934, c'était aux nouvelles de France que les journaux américains donnaient la première place ; d'ordinaire ils les relèguent dans les pages intérieures. Ce jour-là, dans toutes les éditions successives elles faisaient les frais de manchettes à sensation. Signe que pour une fois
pour un instant l'intérêt et l'émotion du public se détournaient des affaires purement nationales, et que l'émeute, le sang versé dans les rues de Paris frappaient l'imagination d'un peuple indifférent, en général, à ce qui ne le touche pas directement.

    D'une conversation surprise par hasard à Washington, j'ai retenu ce mot : Voilà ce qui nous serait arrivé si nous n'avions pas eu le New Deal.

    Rien de plus significatif que ce commentaire d'un inconnu. Il traduit la conviction, non pas d'un individu seulement, mais de la nation tout entière, que la nouvelle politique, instaurée par le président Roosevelt, a sauvé les Etats-Unis du désespoir, des convulsions sanglantes et de l'anarchie.

    C'est là une opinion à laquelle, là-bas, nul ne contredit : ni l'ouvrier, bien que le chômage l'atteigne ou le menace encore ; ni le fermier, bien que l'ère des restrictions ne soit pas close pour lui ; ni le chef d'entreprise, bien que la stabilité de ses bénéfices ne lui paraisse nullement assurée ; ni même le magnat de Wall Street, encore qu'il se voie déchu de sa toute-puissance, et qu'il sache devoir renoncer définitivement à une bonne part de ses privilèges ; ni même le politicien républicain, si avide qu'il soit de revanche, quelque hâte qu'il ait d'attaquer et de supplanter son adversaire démocrate.

    Il va de soi que, prise séparément, chacune des mesures de l'Administration est l'objet de critiques plus ou moins sévères ; l'avenir paraît incertain à la plupart, sombre à quelques-uns. Mais sur l'amélioration actuelle de la situation, sur le retour, sinon de la confiance absolue, tout au moins du courage et de l'espoir, on n'entend pas de voix discordante. D'ailleurs au programme du gouvernement ne s'oppose aucun autre programme.

    La popularité inouïe dont jouit M. Roosevelt, popularité dont on peut à tout instant recueillir le témoignage dans les conversations particulières et dans les lieux publics, popularité qui, dit-on, n'a de comparable dans l'histoire américaine que celle de George Washington, ne s'explique que par les résultats d'ores et déjà obtenus ou par les espoirs entretenus. La docilité du Congrès
elle aussi sans précédent, en dépit de quelques accès d'indépendance passagers constitue d'ailleurs à elle seule un indice suffisamment probant. Sénateurs et députés ne font qu'obéir à la volonté du peuple, telle qu'elle s'exprime dans leur courrier quotidien, dans les milliers de lettres où les électeurs leur enjoignent « de suivre notre président ». Un humoriste n'a-t-il pas été jusqu'à prétendre que si M. Roosevelt demandait le vote d'une loi prescrivant la stérilisation des membres du Congrès, ceux-ci n'oseraient pas la repousser?


***


    Ainsi donc un homme, une politique, dans lesquels, il y a un an, l'espérance suprême — celle du salut — fut placée, ne l'a point déçue. Or, les aspirations qu'il fallait satisfaire n'étaient pas de cet ordre, ou négatif ou abstrait ou prestigieux, où les clientèles d'un Mussolini et d'un Hitler ont choisi les leurs. Ni l'écrasement de l'ennemi intérieur, ni l'exaltation d'une mystique politique, ni l'embrigadement des foules, ni les défilés en uniforme, ni les manifestations à grand spectacle n'eussent apaisé le peuple des Etats-Unis. N'oublions pas que la Déclaration de l'Indépendance, cette charte de la nation américaine, reconnaît, comme un droit imprescriptible de l'homme, au même titre que la vie et la liberté, la poursuite du bonheur. En 1933, dans la quatrième année d'une affreuse détresse, c'est l'exercice de ce droit que revendiquait le citoyen américain. Il voulait moins de souffrances, et plus de justice. De telles exigences, ce n'est pas qu'avec des harangues et des mots d'ordre qu'on arrive à les satisfaire.

    Le degré auquel les promesses sont remplies se mesure par des chiffres, et ces chiffres se lisent, noir sur blanc, dans le livre de comptes familial, comme sur les statistiques publiques.

    Ce que le New Deal a donné à ce jour, chacun est donc à même de le calculer, soit pour sa propre personne, Soit pour la communauté. En ce qui concerne celle-ci, une simple comparaison de la situation au début de 1933 et au début de 1934 va nous permettre d'apprécier.

     Dans cette confrontation liminaire, les faits actuels ne pourront être présentés qu'à l'état de statistiques et non dans leur devenir. Or l'Amérique est en pleine évolution, sinon en révolution ; c'est une matière mouvante ou plastique, dont l'aspect et la forme se modifient incessamment. L'impression qui se dégage du tableau varie donc infiniment selon le moment où on le peint. En juin 1933 ce ne sont que notes d'éblouissantes lumières, en septembre l'incertitude reparaît, en novembre une obscure anxiété domine, pour faire place quelques semaines plus tard à une sorte d'optimisme tempéré, et comme dépourvu de nervosité.

    C'est pourquoi ce premier examen ne comportera pas de conclusion ; de la constatation d'un progrès, même considérable, et d'un mieux-être général on ne devra point déduire de pronostic. Deux simples coupes pratiquées dans le temps n'y autorisent pas. Sans doute en observant et en retenant les points clairs ou sombres du champ d'investigation, on apercevra déjà les issues et les écueils, les alternatives possibles de l'expérience Roosevelt ; on verra peut-être même se dégager certaines des lignes de force qui mènent une Amérique, plus ou moins consciente, dans une direction déterminée davantage par la logique des événements que par la volonté des hommes

    Mais ce n'est qu'en reprenant ensuite l'analyse des faits et des institutions suivant une méthode qui impliquera une première interprétation, et en les interprétant chacun tour à tour que des jugements et des prévisions deviendront possibles.

    Signalons encore dès maintenant combien il est malaisé de distinguer exactement entre les satisfactions - acquises ou escomptées - à la double aspiration du peuple américain, aspiration que nous résumions à l'instant dans la formule bivalente moins de misère et plus de justice, et qu'un grand journaliste américain, M. Walter Lippmann, désignait un jour par les mots recovery (redressement) et reform (réforme sociale). Aspirations dont le même auteur a montré qu'elles sont parfois opposées ; car le redressement, à moins qu'il ne se pratique en dehors du régime capitaliste, implique, au bas d'une courbe de dépression, un certain appel à l'esprit de spéculation qui ne s'harmonise guère avec les règles d'éthique et de morale proposées par l'esprit de réforme. Si bien que lorsque le moment viendra de procéder à la critique de l'oeuvre réalisée ou en cours, on pourra hésiter sur le choix du critère à adopter. Toutefois, la nécessité primordiale à laquelle obéit l'Amérique étant celle d'échapper au désastre, on commettrait une erreur à vouloir se placer hors des contingences ; le souci des réalités commande, dans les jugements à formuler, de donner le pas au redressement sur la réforme.



***

 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:01


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 

 

Introduction

 

 

 

    Il y a maintenant plus d'un an que les Etats-Unis d’Amérique se sont transformés en un laboratoire social où se poursuit, sur un peuple de cent vingt-cinq millions d'êtres, une expérience ou plus exactement une série d'expériences, dont le double objectif est de trouver les remèdes à la crise économique et de découvrir les règles d'un ordre nouveau, mieux équilibré, plus harmonieux, plus juste.

    La méthode expérimentale appliquée à une telle matière, pour une telle recherche, quelle occasion unique pour l'économiste et le sociologue d'observer et de s'instruire! Et pour les gouvernants et les gouvernés de tirer profit des tentatives d'autrui, selon leurs résultats.

    Tout autre est malheureusement l'attitude de l'immense majorité des Français face à la révolution Roosevelt. Elle va de l'ignorance à l'hostilité, en passant par l'indifférence et le dédain. Les docteurs avaient par anticipation prononcé leur sentence et déclaré l'échec certain ; car il y a des remèdes qui n'ont pas le droit de guérir, mais seulement le devoir de tuer.

    L'opinion française, dont la docilité aux mots d'ordre et la crédulité sont un sujet permanent de surprise, et qui accepte indéfiniment les informations tendancieuses et fausses, s'est laissé annoncer, chaque jour pour le lendemain, la fin de l'Amérique Rooseveltienne. De même, des années durant, on lui avait quotidiennement prédit l'écroulement de la Russie Soviétique.

    Encore l'U.R.S.S. a-t-elle eu de tout temps des partisans qui se chargeaient de rectifier et de polémiquer.

    Les Etats-Unis continuent de vivre sous le régime de Roosevelt. Mieux encore, ils se relèvent rapidement. Qui le sait? Qui le dit?

    Précisément parce qu'il ne se réclame d'aucune discipline économique et sociale, parce que sa politique se meut en dehors des cadres d'un système ou d'une doctrine, parce qu'il fait, à proprement parler, de l'expérience, M. Roosevelt a soulevé contre lui les tenants d'une école comme de l'autre. A propos des juges qu'il trouve de ce côté de l'Atlantique, il pourrait reprendre le mot de Montaigne : « Je fus pelaudé à toutes mains ; au Gibelin j'étais Guelphe, au Guelphe, Gibelin. »

    Or, le Français, tout au moins, devrait observer l'expérience américaine avec un intérêt singulier et en l'absence de toute passion dogmatique. N'est-ce point la seule révolution qui se poursuive aujourd'hui dans le respect des formes démocratiques et des libertés publiques auxquelles il est lui-même attaché?

    C'est dans cet esprit — et sans que l'objectivité exclue la sympathie — qu'a été tenté le présent essai de mise au point et d'interprétation.

    Avril 1934.


 

 

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PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

 

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TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVII :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

    § 1. — Erreurs du système anglais, évidentes pour Adam Smith. Avertissements qu'il donne à ses compatriotes relativement aux dangers inséparables de leur dépendance exclusive à l'égard du trafic.


    La Richesse des nations fut publiée pour la première fois en 1776 ; et le but principal de l'auteur avait été de forcer ses compatriotes à prendre en considération cette grande vérité, que le trafic et les manufactures n'étaient utiles, uniquement, qu'autant qu'ils contribuaient au progrès de l'agriculture, au développement des trésors de la terre et à l'encouragement du commerce. La tendance du système colonial s'opposait positivement, suivant son opinion, à ce qu'aucun de ces effets se produisit, puisqu'en empêchant les colons d'appliquer leurs travaux à une « fabrication plus raffinée, » en les restreignant à la fabrication de produits « grossiers et de ménage, de ceux dont se sert habituellement une famille en son particulier et pour son propre usage, » ce système tendait assurément à augmenter la quantité de matières premières expédiées en Angleterre, et décourageait ainsi l'agriculture anglaise. Ce résultat était précisément celui que cherchaient à obtenir le trafiquant et le manufacturier ; plus les matières premières étaient à bon marché au dehors, plus le prix demandé par le premier, pour le fret, était élevé, et plus étaient considérables les bénéfices du second.

    Quant à ce fait que le système tendait à créer un marché pour les subsistances, le fermier anglais trouvait un profit ; mais en ce qui concernait tous les autres produits bruts, il avait gravement à souffrir de ce que Smith appelait «la rapacité sordide, l'esprit de monopole des marchands et des manufacturiers », de cette classe d'individus qui pensait « que le trésor de l'Angleterre ne devait se fonder » uniquement que sur le commerce étranger. » Pour que ce trafic prospérât, ils voulaient avoir des matières premières à bas prix ; et, pour amener ce bas prix, ils cherchaient à favoriser la concurrence pour la vente, sur le sol anglais, de tous les produits bruts des autres pays, ainsi que des produits à moitié transformés, nécessaires pour toutes les opérations de l'industrie manufacturière. « En encourageant l'importation du fil de coton, dit Smith, et le faisant venir ainsi en concurrence avec celui qui est fabriqué par notre propre population, ils cherchent à acheter le travail des pauvres fileurs aussi bon marché que possible. » « Ils s'appliquent, continue-t-il, à tenir à bas prix les salaires de leurs propres tisserands, ainsi que le gain des pauvres fileuses ; et s'ils cherchent à faire hausser le prix de l'ouvrage fait, ou à faire baisser celui de la matière première, ce n'est nullement pour le profit de l'ouvrier. L'industrie qu'encourage principalement notre système mercantile, c'est celle sur laquelle porte le bénéfice des gens riches et puissants. Celle qui alimente les profits du faible et de l'indigent est trop souvent négligée et opprimée (1). »

    S'occupant donc presque exclusivement du trafic, le système tendait, ainsi que le voyait Smith, à accroître, contrairement aux lois naturelles, la proportion de la population britannique employée à l'oeuvre de l'échange et du transport, créant, de cette manière, une nation de simples boutiquiers, et « rompant l'équilibre naturel, qui, autrement, se fût établi entre les différentes branches de l'industrie britannique. » Au lieu de circuler à travers mille petits canaux, on lui avait appris à se diriger principalement vers un canal unique, « rendant ainsi l'industrie et le commerce moins solidement assurés, et la santé du corps politique moins ferme et moins robuste. » « Dans sa situation actuelle, l'Angleterre, à son avis, ressemblait à l'un de ces corps malsains, où quelques-unes des parties vitales ont pris une croissance monstrueuse, et qui, par cette raison, sont sujets à plusieurs maladies dangereuses, attaquant rarement les individus chez lesquels toutes les parties se trouvent mieux proportionnées. »

    Les dangers qui accompagnent ce dévouement exclusif aux prétendus intérêts du trafic, lui étant clairement démontrés, il avertissait ses compatriotes « qu'un léger engorgement dans cet énorme vaisseau sanguin, qui s'était grossi plus que ne le comportaient ses dimensions naturelles, et à travers lequel circulait, d'une manière forcée, une proportion excessive de l'industrie et du commerce national, menacerait tout le corps politique des plus funestes maladies. Le sang, dont la circulation se trouve arrêtée dans quelqu'un des petits vaisseaux, se dégorge facilement dans un plus grand sans occasionner de crise dangereuse ; mais s'il se trouve arrêté dans l'un des grands vaisseaux, les convulsions, l'apoplexie et la mort, sont les conséquences immédiates et inévitables d'un pareil accident. Qu'il survienne seulement quelque léger empêchement ou quelque interruption d'emploi dans un de ces genres de manufactures qui se sont étendus d'une manière démesurée, et qui, à force de primes et de monopoles sur les marchés coloniaux et nationaux, sont arrivés artificiellement à un degré d'accroissement contre nature, il n'en faut pas davantage pour occasionner de nombreux désordres, des séditions alarmantes pour le gouvernement, et capables même de troubler la liberté des délibérations de la législature. A quelle confusion, à quels désordres ne serions-nous pas exposés infailliblement, pensait-il, si une aussi grande portion de nos principaux manufacturiers venait tout à coup à manquer totalement d'emploi (2) ! »

    Quelque graves que fussent les dangers, même déjà si manifestes, en tant qu'ils résultaient d'un accroissement anormal dans la proportion de la population vouée au trafic et au transport, le peuple anglais, à cette époque, ne faisait qu'entrer dans cette voie d'efforts tendant à forcer le monde entier de subir le système établi depuis si longtemps aux colonies. L'interdiction de l'émigration des artisans ne datait alors que de dix années ; et la puissance britannique commençait à peine à s'asseoir dans la péninsule hindostanique. Cinq ans après la publication de l'ouvrage d'Adam Smith, on prohibait l'exportation des machines destinées à fabriquer les étoffes de soie et de laine ; et, avant la fin du siècle, l'application du système avait été complétée par l'extension de la prohibition à toutes les autres espèces de machines, aussi bien qu'aux artisans capables de les fabriquer et aux houilleurs.

 

 

 


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PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

 

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TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVII :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

    § 2. — Ses conseils sont négligés, et telle est l'origine de la théorie de l'excès de population.


    Depuis 1750, époque où le prix du blé avait été de 21 schell. 3 pence par quarter, jusqu'à 1790, la population avait augmenté d'environ 40 %, soit de 6 à 8 millions et demi ; mais la quantité de subsistances avait augmenté dans une proportion encore plus rapide, la production des dernières années de la période ayant été, d'au moins moitié plus considérable que celle des années antérieures, Le prix, cependant, ainsi qu'on l'a déjà vu, avait plus que doublé, et le fermier avait ainsi profité de ce qu'il était affranchi de la nécessité de s'adresser à un marché lointain. Le blé était plus cher à l'intérieur qu'au dehors ; il en était résulté comme conséquence un commerce d'importation ; pour l'empêcher et s'assurer ainsi contre le bas prix des matières premières nécessaires à la vie, les intérêts agricoles obtinrent, en 1791, la promulgation d'une loi qui limitait le prix auquel le blé pourrait être importé.

    Pendant toute cette période, il y avait eu une tendance à l'accroissement, dans la part proportionnelle de la population s'occupant de consommer les subsistances, soit comme artisans, soit comme soldats, trafiquants ou individus, chargés du transport. Le système dénoncé par le Dr. Smith était, ainsi que le lecteur l'a déjà vu, pratiqué plus complètement d'année en année. Pendant près de cinquante ans, l'Inde avait été dévastée par les luttes entre les armées françaises et anglaises, occupées d'étendre aux dépens du commerce la domination du trafic. Le trafic avait provoqué des dissensions entre la métropole et ses colonies d'Amérique, et avait ainsi donné naissance à la guerre de 1776. La classe qui vit de l'appropriation, du trafic et du transport, s'était accrue en nombre et en puissance ; mais il était réservé à la guerre de 1793, — guerre qu'il faut attribuer pour une large part à la soif « de l'accapara rement de la navigation, des colonies et du commerce », — de la voir atteindre son complet développement. La demande d'hommes et d'argent pour les besoins de la guerre restreignit alors le pouvoir d'appliquer le travail, ou le capital, à l'amélioration de la culture de la terre, et diminua considérablement la demande des services du travailleur. Le nombre des consommateurs augmentant, en même temps que celui des producteurs restait stationnaire, le prix des subsistances haussa, tandis que celui du travail baissa ; et l'on vit bientôt les conséquences de ce fait dans le rapide accroissement de la population des maisons de charité.

    Le paupérisme prit une extension inconnue jusqu'à ce jour ; et c'est alors que Malthus donna au monde les « Principes de population, » au moyen desquels, disait-il à ses lecteurs, ils pourraient comprendre les causes de cette pauvreté « et de cette misère que l'on observe parmi les classes inférieures de la population, » et des échecs répétés des classes supérieures dans leurs efforts pour les soulager. Le Dr Smith s'était aperçu que le système basé sur le travail à bon marché et sur le bas prix des matières premières, était lui-même l'oeuvre de ces « classes supérieures, » et c'était auprès d'elles qu'il avait insisté pour l'abandon d'un système qui, à ses yeux, avait pour but l'asservissement de la population et l'affaiblissement de la société. Malthus, au contraire, trouvait la cause de l'esclavage dans une grande loi divine, grâce à laquelle il affranchissait ces « classes » de toute responsabilité « à l'égard de la pauvreté et de la misère, » qu'elles s'étaient efforcées « de soulager » avec si peu de succès ; il leur permettait ainsi de fermer leurs bourses et même leurs coeurs aux inspirations les plus vulgaires de la charité, en leur suggérant cette réflexion, que s'ils pouvaient, en aucune manière, « se placer entre l'erreur et ses conséquences, » « s'opposer au châtiment » attaché à la procréation d'individus de leur espèce, par d'autres individus qui n'avaient pas préparé à l'avance les ressources nécessaires pour nourrir et élever leurs enfants (châtiment qui consiste dans la pauvreté, la misère et la mort), « elles perpétueraient le péché (3) » et se rendraient elles-mêmes complices du crime. Dans ces deux phrases, on peut trouver les différences réelles qui existent, entre l'économie politique d'Adam Smith et l'économie politique moderne admise, depuis, si généralement. La première cherche à étendre le commerce, à développer l'intelligence, à accroître les facultés et la liberté de l'homme ; la seconde, à étendre l'empire du trafic, à confiner la masse de l'espèce humaine aux travaux qui ont pour but la culture et le transport des denrées, et, en définitive, à rendre l'homme esclave de la nature et de son semblable.

 

 

 


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PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

 

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TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVII :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

    § 3. — Développement du paupérisme, sous l'influence du système anglais, il coïncide avec l'accroissement de l'empire de l'homme sur les forces naturelles.


    Le but du système mercantile, objet d'une si vive réprobation de la part de Smith, était de se procurer à bas prix toutes les matières premières servant à l'industrie, telles que la laine, le coton, les subsistances et le travail. Jusqu'à ce jour, ainsi qu'il s'en était aperçu, ce système avait produit les résultats les plus funestes ; il avait augmenté la dépendance des individus à l'égard des instruments de trafic et de transport ; il avait engendré cette croyance, que plus les hommes étaient profondément séparés les uns des autres, et plus était considérable la distance à parcourir, plus grand était aussi le profit à tirer du commerce ; il avait entretenu les tendances belliqueuses des peuples ; il avait amené une division malentendue de la population, et avait contribué à favoriser la création d'immenses fortunes, aux dépens des individus qui n'avaient à vendre que leur travail. Telles étaient, ainsi qu'Adam Smith en avertissait ses compatriotes, les conséquences nécessaires du système ; mais il fallait une nouvelle expérience de vingt années pour prouver qu'il en était certainement ainsi, et pour donner lieu à cette découverte extraordinaire que, bien que la demande du travail fût devenue plus constante à mesure que la population avait augmenté, et à mesure que les individus avaient acquis, depuis l'époque des Plantagenets jusqu'à celle de Georges III, plus de richesse, et avec cette richesse, plus de facilité à associer leurs efforts, aujourd'hui que dans les cinquante dernières années, ils avaient conquis un accroissement extraordinaire de puissance, commencé à utiliser les immenses gisements de houille et de minerais de cuivre et de fer, appris à disposer en maîtres de la force merveilleuse de la vapeur, appris à l'appliquer à la transformation de la laine en drap, obtenu une augmentation considérable de richesse, facilité, dans une proportion considérable, le développement des facultés latentes de l'individu et la puissance latente de la terre, et produit ainsi un immense accroissement dans le mouvement de la Société ; aujourd'hui, cependant, la demande du travail devait devenir plus instable et le paupérisme s'accroître, en vertu d'une grande loi naturelle, en vertu de laquelle plus était puissant l'instrument de culture, moins devait être considérable la récompense du travail appliqué à développer les ressources de la terre.

    C'était là certainement une remarquable découverte ; mais, heureusement, c'était la découverte d'un fait qui n'avait jamais existé et n'existera jamais. L'étendue des trésors de la nature est illimitée ; et ces trésors n'attendent qu'un individu qui les réclame. Par malheur, cependant, la théorie était exactement celle dont on avait besoin pour empêcher l'adoption d'aucune des mesures proposées comme remèdes par Smith. Cette théorie prouvant (ainsi qu'elle le proclamait) : que le paupérisme existait, conformément aux lois divines ; que le taux naturel du salaire « était juste, suffisant et non au-delà, pour permettre aux travailleurs, l'un dans l'autre, de subsister et de perpétuer leur espèce, sans accroissement ou diminution ; » que l'inégalité des conditions existait en conformité des lois divines ; que les individus riches et puissants n'avaient que des droits à exercer et point de devoirs à remplir ; elle prouvait aussi qu'ils pouvaient impunément, et en toute sûreté de conscience, « boire, manger et mener joyeuse vie » en se consolant avec cette réflexion que les pauvres avaient leur sort entre leurs propres mains, et que s'ils manquaient à exercer « la contrainte morale » qui devait amener le renoncement à l'association régulière des sexes, cause de la reproduction de l'espèce, la faute en était à eux-mêmes, et que c'était avec justice que devait retomber sur eux le châtiment imposé à la transgression.

 

 

 


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PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

 

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TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVII :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

    § 4. — Caractère belliqueux et monopoliseur du système.


    Le système qui avait pour but exclusif le commerce étranger, fut donc non-seulement maintenu complètement, mais encore continué, chaque année, sur une plus grande échelle. Depuis l'époque où vivait Malthus jusqu'à nos jours, rarement le temple de Janus a été fermé, s'il l'a même jamais été, en témoignage de l'existence de la paix dans l'étendue de l'empire britannique. La guerre dans laquelle l'Angleterre était alors engagée fut suivie d'une autre avec notre pays (les États-Unis), et depuis la fin de celle-ci, d'autres ont succédé pour l'annexion du Scind et de l'Afghanistan, pour la conquête du royaume d'Ava et du Punjab, pour le maintien du trafic de l'opium, l'extension de la puissance britannique dans l'Afrique méridionale, le développement de nouveaux débouchés à ouvrir au trafic dans l'empire turc et d'autres États ; toutes guerres tendant à un but unique et principal, celui d'obtenir à bas prix les produits bruts de la terre, et conséquemment les travaux des individus dont les bras défrichaient le sol.

    Ce fut pour atteindre ce but, ainsi que l'a déjà vu le lecteur, que fut accomplie l'union avec l'Irlande et que ses fabriques furent anéanties. Dans le même but encore, on exigea du peuple indien qu'il reçût les étoffes de coton de l'Angleterre affranchies de tout droit, tandis qu'on lui enlevait la faculté d'acheter au dehors des machines d'un emploi plus avantageux et qu'on taxait, dans une proportion inouïe, l'emploi de celles qu'il possédait déjà ; c'est dans ce but que Gibraltar a été conservé comme un entrepôt de contrebande pour l'Espagne, en même temps qu'Héligoland, les îles Ioniennes et d'autres colonies nombreuses ont servi à introduire des marchandises en contrebande, en Allemagne, aux États-Unis et dans plusieurs autres pays, le contrebandier étant regardé aujourd'hui « comme le grand réformateur du siècle. » C'est pour atteindre ce but qu'il est devenu nécessaire que les maîtres se concertassent entre eux pour maintenir le travail à bas prix, pour limiter le nombre d'heures pendant lesquelles les machines devaient être mises en jeu, avec le dessein arrêté d'empêcher la hausse des matières premières et de décourager le développement des manufactures dans les autres pays. On se convaincra que tous ces actes sont des actes de guerre, et qu'on doit avec raison les regarder comme tels, en lisant l'extrait suivant que nous empruntons à un document officiel publié récemment par ordre de la Chambre des communes (4) :

    « En général, les classes laborieuses, dans les districts manufacturiers de ce pays, et principalement dans les districts où se trouvent les mines de fer et de houille, ne savent guère jusqu'à quel point elles sont souvent redevables d'être occupées, à tout événement, aux pertes immenses, dont ceux qui les occupent courent volontairement la chance dans les époques défavorables, pour anéantir la concurrence étrangère, pour conquérir et garder la possession des marchés étrangers. On connaît parfaitement des exemples authentiques de chefs d'industrie ayant, à de pareilles époques, continué la fabrication de leur produits, avec une perte, s'élevant, dans l'ensemble, à trois ou quatre cent mille livres sterl. dans l'espace de trois ou quatre ans. Si les efforts de ceux qui encouragent les associations formées en vue de limiter la somme de travail disponible, et de produire des grèves, devaient réussir, pendant quelque temps, il ne serait plus possible de former de ces accumulations de capital, qui peuvent permettre quelques-uns des plus riches capitalistes de terrasser toute concurrence étrangère aux époques de grande détresse, de déblayer ainsi le terrain, pour l'industrie tout entière, lorsque les prix remontent, et de continuer d'immenses affaires, avant que le capital étranger puisse se former de nouveau, dans des proportions assez considérables, pour établir une concurrence sur les prix avec quelque chance de succès. Les immenses capitaux de ce pays sont les grands instruments de guerre (si l'on peut se permettre cette expression) avec lesquels on lutte contre la concurrence des pays étrangers, et les instruments les plus essentiels qui nous restent aujourd'hui pour maintenir notre suprématie industrielle. Les autres éléments, le travail à bas prix, l'abondance des matières premières, les moyens de communication et le travail habile sont en voie d'être bientôt réduits au niveau d'égalité. »

    Le système retracé ci-dessus est caractérisé très-justement comme un état de guerre, et nous pouvons demander avec raison dans quel but et contre qui elle est soutenue. C'est une guerre, ainsi que le lecteur le voit, entreprise pour obtenir à bas prix le travail et les matières premières ; et ce sont là précisément les objets que recherche le système mercantile, dont l'erreur a été si parfaitement exposée dans la Richesse des nations. C'est une guerre qui a pour but de forcer les peuples des autres pays de se borner à l'agriculture, — d'empêcher, dans les autres pays, la diversité des travaux, — de retarder le développement de l'intelligence, — de paralyser tout mouvement qui tend ailleurs à utiliser les trésors métalliques de la terre, — d'augmenter la difficulté de se procurer le fer, — de diminuer la demande du travail, — d'engendrer le paupérisme, — de produire tous ces résultats à l'intérieur et au dehors, et d'amener ainsi cet état de choses dont l'approche avait été pronostiquée par Adam Smith.

    C'est aux mesures que nous venons de retracer ici qu'il faut attribuer la clôture de toutes les fabriques de l'lnde, suivie de l'exportation du coton en Angleterre, pour y faire concurrence avec les produits de la Caroline et de l'Alabama. Plus le système peut être complètement mis en pratique, plus l'industrie peut être bornée à l'Angleterre, plus les matières premières seront à bon marché ; mais plus sera considérable l'exportation du travail à bon marché au Texas et à l'île Maurice, pour y produire une plus grande quantité de coton, de canne à sucre et autres matières premières et dès lors pour se faire concurrence l'un à l'autre, afin de réduire les prix et d'asservir plus complètement les travailleurs de tous les pays.

 

 

 

 

Table des matières - Suite

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1 novembre 2004 1 01 /11 /novembre /2004 10:58

PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

 

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TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

CHAPITRE XVII :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

    § 5. — Il est également préjudiciable au peuple anglais et aux peuples des autres pays.


    On prétend que l'état de guerre retracé ci-dessus est avantageux pour le peuple anglais. S'il en était ainsi, il en résulterait l'établissement de ce déplorable fait, que la guerre pourrait être profitable ; que les nations et les individus pourraient constamment s'enrichir en commettant des actes d'injustice, et que, telle étant la loi divine, les sociétés seraient autorisées à exercer leur puissance de manière à empêcher le développement de la civilisation dans les pays où elle n'existerait pas encore, et à l'anéantir dans ceux où elle existerait. Il n'y a, heureusement, aucune loi pareille. Les nations ne peuvent prospérer d'une façon permanente qu'en obéissant à la loi excellente du christianisme ; et lorsqu'elles manquent de l'observer, Némésis ne manque jamais de réclamer ses droits. Le lecteur se convaincra peut-être que celle-ci l'a fait en cette circonstance, et que le paupérisme de l'Angleterre doit être attribué à la faute commise à cet égard, lorsqu'il aura quelque peu examiné le résultat du système sur ses propres ouvriers voués au travail manufacturier et au travail agricole.

    Les manufactures de l'Irlande tombèrent peu à peu en décadence à partir de l'Union, en 1801. Lorsqu'elles cessèrent de réclamer les services des hommes, des femmes et des enfants, ceux-ci furent contraints de chercher du travail dans les champs ; et c'est ainsi que la production des subsistances augmenta, tandis que la consommation à l'intérieur diminuait. Les exportations, conséquemment, s'élevèrent, de 300 000 quarters, dans les premières années du siècle, à 2 500 000, trente ans plus tard ; ce qui fit tomber le prix en Angleterre, du chiffre moyen de 4 liv. par quarter, dans les années comprises entre 1816 et 1820, à celui de 2 liv. 12 schell. dans celles comprises entre 1821 et 1835. Au premier coup d'oeil, cette réduction du prix des subsistances peut paraître un avantage ; mais, malheureusement et nécessairement, elle fut accompagnée d'un abaissement encore plus considérable dans le prix du travail ; un des traits caractéristiques du système qui vise à faire baisser le prix des matières premières, étant de diminuer la demande des services de l'individu. Au moment où le blé était à si bon marché, des millions d'Irlandais étaient complètement sans ouvrage et cherchaient avec ardeur, mais vainement, du travail, à raison de six pence par jour, sans être vêtus ni même nourris. Comme conséquence d'un pareil fait, l'Angleterre, ainsi que le disait un journal anglais (5), « fut inondée de multitudes de Celtes, demi-vêtus, demi-civilisés, abaissant l'étalon de l'existence » parmi les ouvriers anglais, et fournissant « cette quantité abondante de travail à bon marché, » à laquelle, dit le Times, l'Angleterre est redevable de toutes « ses grandes usines. » « L'individu, pour citer encore les paroles de ce journal, dut passer ainsi à l'état de poison, et la population devenir une calamité ; » et les choses durent arriver ainsi par suite de l'anéantissement du commerce au sein de la population irlandaise. Le travail, autre matière première de l'industrie, ayant donc baissé plus rapidement que les subsistances, le paupérisme de l'Angleterre s'était accru si rapidement, qu'il n'y avait pas moins d'un neuvième de la population aidé par la bourse publique, et que la taxe des pauvres s'était élevée, en trente ans, de 5, à près de 9 millions de liv. sterl., tandis que le prix du blé avait baissé d'environ 40 %. Les subsistances étaient à bas prix, mais le salaire était si bas, que l'ouvrier ne pouvait les acheter. Le travail était à bas prix, mais les subsistances étaient à si bon marché que le fermier ne pouvait payer le fermage et le salaire. C'est ainsi que le propriétaire de la terre et l'ouvrier anglais souffraient à la fois de l'absence de la circulation des individus et des denrées en Irlande, circulation qui serait résultée de l'établissement, en ce dernier pays, d'un système sous l'empire duquel tout homme aurait pu vendre son travail et acheter celui de ses voisins, de leurs femmes et de leurs enfants ; d'un système grâce auquel le commerce irlandais se serait développé.

    On pourrait supposer, cependant, que la population manufacturière avait profité du meilleur marché des subsistances. Au contraire, elle en souffrit, parce que l'abaissement du salaire attribué à d'autres travaux, fut accompagné d'une diminution dans le pouvoir d'acheter des vêtements ; et avec l'abaissement dans le prix des subsistances, le fermier fut mis hors d'état d'acheter les instruments de culture. Tous souffrirent pareillement. L'anéantissement du marché intérieur pour les subsistances et le travail en Irlande, résultant de l'anéantissement de son commerce, avait produit le même effet en Angleterre. Le grand manufacturier en aura peut-être profité. Au contraire, son marché en Angleterre avait été amoindri, en même temps que celui de l'Irlande avait presque complément cessé d'exister ; et c'est ainsi qu'une nation avait été presque entièrement réduite â néant, sans aucun profit pour ceux qui avaient accompli cette oeuvre, mais en amenant pour tous la perte la plus grave, résultant de ce fait, que le niveau moyen de la vie et de la moralité avait été réduit dans une proportion considérable ; que le mal de l'excès de population avait fait des progrès bien plus étendus, et que l'abîme qui sépare les classes supérieures des classes inférieures de la société anglaise s'était agrandi considérablement. Nulle part au monde on ne trouvera une preuve plus forte de l'avantage à recueillir, pour le maniement des affaires publiques, de la mise en pratique et de l'observance la plus rigoureuse de la grande loi fondamentale du christianisme, que celle qui s'offre à nous dans l'histoire de l'Union entre l'Angleterre et l'Irlande au siècle actuel.

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