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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:15


La-Revolution-Roosevelt.jpg


La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre IV : Les procédés de reflation

 

3 : Les travaux civils

 

 

 

 

 

    En novembre 1933, huit mois après l'accession au pouvoir de M. Roosevelt, les grands travaux publics, conçus comme une pièce maîtresse de l'oeuvre de redressement économique, étaient à peine commencés. On prévoyait que la mise en train prendrait encore tout l'hiver et le printemps, et qu'ils ne marcheraient à plein qu'à partir de juillet 1934.

    Le retard — quelles qu'en aient été les causes — venait déjouer tous les plans de l'Administration. Si faibles étaient les dépenses déjà effectuées, si insuffisantes celles qui allaient l'être prochainement, qu'on n'en pouvait attendre aucun effet de reflation. Les chômeurs dont on avait escompté le réembauchage, grâce aux grands travaux publics, demeuraient sans emploi. Les froids approchaient et c'était un axiome indiscuté que le peuple américain ne supporterait pas un nouvel hiver pareil aux précédents. La menace, pour être imprécise, n'en était que plus inquiétante.

    Un des grands mérites politiques de M. Roosevelt est de savoir prendre au moment psychologique les décisions opportunes. Il n'y a pas de doute que celle de créer la Civil Works Administration n'ait presque miraculeusement sauvé la situation.

    Le 8 novembre, le président annonçait à la presse qu'un nouveau programme de travaux publics (dits travaux civils) allait incessamment être mis à exécution. Dès le lendemain la P. W. A. mettait 400 millions de dollars à la disposition d'une nouvelle institution, placée sous la direction d'un homme jeune et actif, M. Harry Hopkins, qui avait fait ses preuves dans l'organisation et la gestion de diverses oeuvres sociales.

    La Civil Works Administration se voyait assigner la tâche de dépenser ces 400 millions de dollars en moins de quatre mois et de donner presque immédiatement du travail et des salaires normaux à 4 millions de personnes. Le but déclaré était non seulement de porter remède au chômage, mais de déterminer une « vaste augmentation » du pouvoir d'achat dans le pays et de stimuler le programme de redressement tout entier.

    On imagine les difficultés d'une pareille improvisation impliquant l'élaboration immédiate de plans de travail, la création de comités administratifs dans 4.000 comtés et dans toutes les villes de quelque importance, l'embauchage quasi instantané de 4 millions de chômeurs, la distribution des salaires, etc., etc.

    On fit naturellement appel aux organisations d'assistance existantes, dont plusieurs avaient déjà organisé des ateliers ; on invita toutes les administrations fédérales à coopérer à l'entreprise. On convia les chômeurs eux-mêmes —et plus spécialement ceux des classes intellectuelles — à présenter des projets : ils devaient comporter un minimum de dépenses de matériel, être de type non rentable, mais d'intérêt public, pouvoir être poursuivis durant l'hiver et terminés à la fin de février.

    La hardiesse de la réalisation ne le cède en rien à celle de la conception : dès le 20 novembre, 1.108.692 ouvriers et employés reçoivent un premier salaire. La semaine suivante, on compte 460.000 engagements nouveaux, la troisième 600.000 et au 31 décembre le total atteint 3.600.000.

    Les ouvriers travaillent 30 heures par semaine, les employés de bureau et les travailleurs professionnels, 39 heures.

    Les salaires sont fixés, en principe, sur la base des taux courants, dans chacune des localités. Les tarifs minima varient de 12 dollars par semaine, pour les employés de bureau non spécialisés, dans le Sud, à 24 et 45 dollars par semaine pour les travailleurs professionnels, dans le Nord.

    La C. W. A., il faut le dire, renverse toutes les idées reçues. L'histoire nous offre bien le précédent des ateliers nationaux, mais cette fois, le principe général, sur lequel l'entreprise est fondée, heurte tous les vieux dogmes sociaux. L'objectif n'est plus de faire des économies, mais de dépenser le plus d'argent possible, le plus vite et le mieux possible. Qu'on se figure seulement ce qui se passerait en France si, du jour au lendemain, une pareille règle se trouvait établie, si tous les projets utiles, qu'écartent actuellement des considérations de prix, devenaient subitement réalisables.

    L'Amérique a connu ce coup de baguette magique. D'un instant à l'autre, des millions d'êtres, la veille encore rivés à une chaîne de misère, ont connu la joie du travail et du gagne-pain retrouvés. D'innombrables pauvres honteux qui préféraient se laisser mourir de faim et de froid plutôt que de voir leurs noms inscrits sur les listes de l'assistance publique, am osé demander et ont obtenu le moyen de vivre honorablement. L'effet moral fut prodigieux. Un témoin, que ce souvenir remplissait encore d'émotion, me parlait de cris de joie qu'il avait entendus dans les rues de sa ville, des gens qui s'abordaient pour se dire : j'ai du travail! (I have got a job!)

    Quand même les Civil Works n'inscriraient à leur actif que ce bienfait moral, ils mériteraient la reconnaissance du peuple américain et l'on pourrait passer condamnation sur les abus, sur la fraude et la corruption auxquelles ils ont pu donner lieu : on en a naturellement pu relever quelques exemples frappants et dont l'opposition républicaine a, vainement d'ailleurs, essayé de tirer parti auprès de l'opinion (1).

    Mais l'oeuvre matérielle n'est pas moins remarquable.

    Plus on entre dans le détail du programme de la C.W.A. plus on est pris d'étonnement à considérer le nombre et l'importance des travaux que suggère l'intérêt social, dès que l'obstacle de la dépense cesse de s'opposer à leur réalisation.

    Une idée de la diversité des projets exécutés est donnée par la seule énumération des dix catégories dans lesquelles ils sont classés dans les rapports officiels, à savoir :

    1° Routes et rues ;

    2° Écoles et Universités ;

    3° Parcs et champs de sports ;

    4° Bâtiments publics et équipement ;

    5° Amélioration des terrains publics ;

    6° Lutte contre les épizooties et les maladies des arbres et des plantes ;

    7° Travaux d'hygiène ;

    8° Travaux hydrauliques ;

    9° Amélioration des services publics ;

    10° Travaux administratifs, professionnels et de bureau.

    Pour ne prendre qu'un nombre limité d'exemples, voici dans le domaine de l'hygiène publique, quelques-unes des réalisations les plus intéressantes :

    Lutte contre le typhus : 17.000 personnes sont employées à la destruction des rats dans les endroits infestés, et principalement dans les ports.

    Lutte contre la malaria : 100.000 ouvriers assainissent les lieux de reproduction des moustiques et font des travaux de drainage.

    Suppression d'émanations toxiques : On a cimenté des mines de charbon abandonnées d'où s'échappaient des gaz qui polluaient les eaux.

    Recherches médicales
: 500 étudiants ont été engagés à l'Université de Columbia pour faire des recherches scientifiques ; un certain nombre d'entre eux poursuivent des travaux sur les toxines de la pneumonie.

    Installations sanitaires : La C. W. A. a étudié un modèle d'installation sanitaire et de fosse septique, dont elle est en train de doter 1.500.000 habitations rurales qui en étaient dépourvues.

    L'agriculture a pu employer des millions de travailleurs à la destruction d'insectes qui transmettent des fièvres au bétail (cattle fever tick), à la destruction des centres d'infection d'où se propagent des maladies spéciales aux citronniers, aux ormes, aux pommes de terre douces, etc. Les stations et les laboratoires d'agriculture et de sylviculture ont été améliorés, des chercheurs supplémentaires ont été engagés.

    Des études sur l'érosion et sur la météorologie, des travaux géodésiques et de triangulation ainsi que de cadastration ont été entrepris. Le réseau des ports aériens a été complété, des cartes aériennes établies.

    Des recherches statistiques de toute nature ont pu être poursuivies, pour lesquelles des spécialistes (professeurs et étudiants) ont été engagés : par exemple, sur le coton, sur le pouvoir d'achat des fermiers, sur le chômage, sur le commerce extérieur, etc. Un recensement des habitations agricoles a été pratiqué, ainsi qu'un inventaire des habitations urbaines. Quantité de chiffres et de renseignements ont été recueillis, dont la connaissance sera précieuse à un gouvernement engagé dans la voie de l'économie contrôlée ou dirigée.

    Les chômeurs intellectuels ont été l'objet d'une sollicitude particulière : outre les travaux déjà mentionnés, on leur a trouvé des emplois dans les bibliothèques publiques, pour le classement des livres et l'établissement de répertoires et de catalogues (2). Des recherches d’archéologie américaine ont été entreprises, de nouvelles cartes géographiques établies. Surtout, on a pu rouvrir quantité d'écoles que les autorités locales avaient été contraintes de fermer, et dont elles avaient licencié les maîtres pendant la crise. On a même pu créer de nouveaux collèges et de nouvelles écoles. 40.000 instituteurs et professeurs ont obtenu du travail. Des peintres, des graveurs et des sculpteurs ont été invités à décorer les monuments publics. Des acteurs et des musiciens ont été constitués en troupes et donnent des représentations et des concerts dans les écoles et les hôpitaux.

    Convaincu de la portée sociale de l'oeuvre de la C. W. A. j'ai tenu à visiter quelques-uns des ateliers qu'elle a créés.

    Dans chacun de ceux-ci, aussi bien que dans l'administration centrale, le personnel dirigeant et subalterne — fonctionnaires permanents, volontaires, chômeurs temporairement engagés — m'a frappé par son intelligence, son ardent- et son dévouement. Conscients du rôle bien faisant joué par la C. W. A., ils se donnent leur tâche avec un souci du bien public qui prouve que, même en Amérique, le désir de faire aboutir une entreprise collective et désintéressée peut être un puissant stimulant de l'activité individuelle. Les meilleurs éléments des oeuvres philanthropiques locales ont d'ailleurs apporté leur collaboration bénévole à la C. W. A. et ont trouvé leur place dans les cadres de l'organisation.

    A Washington, on achevait au mois de février un magnifique terrain de jeux, dont le besoin se faisait grandement sentir, dans le quartier nègre de la ville. Les bâtiments et la grande piscine en plein air occupaient encore les maçons et les peintres. Les terrassiers poursuivaient le travail de nivellement ainsi que l'installation des courts de tennis. Dans un autre quartier de la ville, un second terrain, plus vaste encore, doté de deux piscines, était en cours d'aménagement. Tous les plans, m'a-t-on dit, avaient été établis en deux semaines au mois de novembre, et les travaux aussitôt commencés afin d'être terminés avant le printemps.

    A New-York, dans un quartier pauvre voisin de la 7e avenue, j'ai vu s'ouvrir, avec des moyens de fortune, dans un gymnase, une Nursery School. Les oeuvres gouvernementales d'assistance (Federal Emergency Relief Administration), puis la C. W. A. ont multiplié le nombre de ces sortes de garderies d'enfants, à la fois pour donner du travail à des institutrices, des surveillantes et des infirmières et pour prendre soin gratuitement des enfants des chômeurs (3). L'organisatrice, une jeune directrice d'école, m'a fait visiter les salles fraîchement repeintes, les toits où se pratiquent les jeux de plein air, m'a montré les jeux (cubes et parallélogrammes de bois) que le charpentier venait d'achever. C'était de bonne heure, le matin. Les enfants arrivaient amenés par leurs parents, la plupart pour la première fois ; les institutrices, monitrices et nurses commençaient par les acclimater individuellement, puis s'employaient à les faire jouer à deux ou en groupes.

    Parlant un peu plus tard de l'une des monitrices, la directrice m'expliqua qu'elle n'avait pu soupçonner de quel état de détresse elle venait d'être tirée, jusqu'au moment où, dans la conversation, la jeune fille lui avait dit incidemment : « C'est si drôle de vivre sans lumière et sans feu. ». Il a fait 25 degrés de froid cet hiver à New-York et le nombre des gens auxquels leur fierté interdit de solliciter un secours est grand. A ceux-là l'administration Roosevelt, en instituant le C. W. A., a littéralement sauvé la vie ; leur reconnaissance se traduit par l'ardeur qu'ils apportent à leur travail.

    Voici dans le bas de la ville le bâtiment du Hamilton Institute dont les vastes ateliers abritent 200 architectes et ingénieurs. Le chômage en col blanc. Il y a des jeunes gens, une majorité d'hommes mûrs, quelques-uns ayant dépassé la soixantaine. Beaucoup d'entre eux, avant la crise, occupaient une haute situation sociale. Durant des mois, ils ont lutté et espéré. Chacun d'eux a écrit, par centaines, des lettres pour solliciter un emploi : « Plus de 400 pour ma part, me confiait le directeur d'un des ateliers, un ingénieur de grande valeur ». Et il ajoutait : « Quarante sur cent environ m'ont valu des réponses, toutes négatives ».

    Ici, le génie inventif des hommes a fait des prodiges. De toutes pièces, a été créé un institut cartographique qui n'a sans doute d'égal qu'en Allemagne. On me montre les cartes en relief, à l'échelle du millionième, des principaux pays du monde. Des moules métalliques permettent de les reproduire indéfiniment et d'en doter les écoles et les universités. Des cartes historiques ont été dressées, avec le concours de géographes et d'historiens, chômeurs eux aussi, bien entendu. Une grande carte de la Gaule de près d'un mètre de haut fourmille de noms. Des plans archéologiques de Rome et d'Athènes ont été tracés sur la base des dernières découvertes et de la documentation la plus récente ; à cette occasion, beaucoup d'erreurs ont été relevées et corrigées. On me montre encore des vues à vol d'oiseau, des tableaux synoptiques et généalogiques ; d'autres où figurent les émissions monétaires de l'antiquité. Dans un des ateliers, on travaille à faire des plans en relief, des modèles de monuments anciens : voici une fidèle reproduction du pont du Gard, et une merveilleuse réduction du Temple de Karnak, avec ses colonnes décorées, destinée au Metropolitan Museum de New-York. Voici encore un plan en relief d'hôpital modèle dont des exemplaires seront envoyés aux autorités municipales pour qu'elles s'en inspirent.

    Des appareils ingénieux ont été mis au point. Telle une règle de concordance des calendriers antiques qui a permis de corriger des erreurs commises par les historiens. Telle encore une règle à calcul qui permet de passer du système anglo-saxon de mesure des longueurs, des superficies et des volumes au système métrique.

    Plusieurs de ces réalisations, et notamment certaines cartes, ont fait l'objet de propositions commerciales ; mais, jusqu'à présent, il n'y a pas été donné de suite.

    A Greenwich-village, un quartier de New-York, dans un musée de peinture moderne, on centralise les projets demandés aux peintres, aux graveurs, aux sculpteurs, pour la décoration des monuments et propriétés publics : administrations, mairies, gymnases, écoles, hôpitaux, jardins zoologiques. La détresse des 3.000 artistes de New-York est profonde. A en juger par l'abondance des projets et des oeuvres déposées, ils ont répondu en grand nombre à l'offre de la C. W. A., bien que le mode de rétribution – le salaire horaire – soit inusité pour eux. Mais on éliminera impitoyablement les oeuvres sans mérite et leurs auteurs devront chercher d'autres emplois. Cette première sélection faite, les administrations, mairies, écoles, etc., choisissent elles-mêmes les artistes et les projets. Il n'est pas sûr que leur goût soit très bon. Le comité d'organisation, composé d'amateurs dont les idées en art sont plutôt avancées, se console des erreurs commises, dans certains cas, par la hardiesse manifestée dans d'autres et par la découverte de talents ignorés. Pour l'avenir, ils espèrent qu'un intérêt aura été éveillé pour l'art dans des milieux où il n'existait pas, et que les diverses administrations continueront de vouloir orner les monuments publics de tableaux et de sculptures, de manière à offrir aux artistes des débouchés permanents (4).

    Non loin de New-York, dans le Comté de Nassau (Long Island) on peut voir le type d'une des plus remarquables oeuvres de crise, les Emergency Colleges. La création de l'établissement de Nassau remonte au 27 mars 1933 ; il a d'abord été financé au moyen d'un crédit alloué par l'Etat de New-York sur les sommes reçues du gouvernement fédéral pour l'assistance publique. Grâce à la C. W. A. l'institution a pu être améliorée et développée.

    Installé dans les bureaux d'une usine abandonnée, le Nassau Emergency College occupe 3 administrateurs, 27 professeurs, et 5 employés. Les élèves se recrutent dans le voisinage : ce sont des jeunes gens des deux sexes de 17 à 20 ans, que leurs parents n'ont plus les moyens d'envoyer à l'Université et qui ne trouvent naturellement pas d'emploi en ce moment. Ils étaient déjà 257 lors de l'ouverture du Collège ; au début de 1934, ils sont 450. Ils suivent les études des deux premières années d'Université. Le tableau des cours est très complet, allant des mathématiques à la sociologie, et comprend quatre langues vivantes.

    Les étudiants disposent d'une bibliothèque, d'une salle de récréation, d'un buffet, le tout aménagé de façon simple mais adéquate. Ils ont construit leur station émettrice de radio et éditent leur journal. L'impression générale n'est aucunement d'improvisation, mais d'ordre établi et de fonctionnement régulier. Seul, le ton de ferveur et de fierté, avec lequel les maîtres parlent de leur collège, témoigne encore des difficultés qu'il a fallu vaincre.

 

***



    Ces quelques exemples, ces quelques choses vues montrent la grandeur de l'oeuvre accomplie, l'immense réconfort matériel et moral qu'elle a apporté en un moment critique. Mais la C. W. A. a fait davantage encore. La distribution de centaines de millions de dollars sous forme de salaires, en quelques semaines, a, comme il était d'ailleurs prévu, développé le pouvoir d'achat et la consommation. La situation économique générale en a éprouvé les bienfaits d'une façon presque instantanée. Dès le mois de décembre, les ventes au détail marquaient une très vive progression. Les magasins ont embauché des employés et des vendeurs. L'industrie a reçu des commandes. On peut dire que la manoeuvre antidéflationniste confiée à la C. W. A. a pleinement réussi, et que son action de démarrage a été puissante.

    Cependant, on l'a vu, l'institution n'avait dans l'esprit de M. Roosevelt, qu'un caractère strictement provisoire ; il s'agissait de combler une lacune en attendant que les grands travaux publics marchassent à plein. La période creuse devait se terminer en février.

    Mais le calcul pêchait par excès d'optimisme.

    La date de l'abolition de la C. W. A. fut donc prorogée, et un nouveau crédit de 950 millions de dollars obtenu du Congrès pour l'ensemble les œuvres d'assistance. L'Administration s'engageait d'ailleurs à mettre fin sans délai à certains abus évidents. On procéda à des licenciements immédiats, notamment dans les régions agricoles où les fermiers se plaignaient que la concurrence de l'Etat les empêchait de trouver de la main-d'oeuvre. Le 31 mars 1934, l'organisation de la C. W. A. a pris fin en tant qu'institution fédérale, mais elle continue d'exister en fait sous forme d'ateliers locaux gérés par les Etats, les Comtés et les municipalités avec des fonds fournis par le pouvoir central.

    Mais déjà de cette étonnante expérience s'est dégagé pour le peuple américain un enseignement définitif : il a appris la notion du droit au travail, par opposition au droit à l'assistance. Le président Roosevelt, avec son intuition du sentiment populaire, l'a compris.

    Il y a peu de temps, il voyait encore dans l'institution de la dole, la grande réforme qui se substituerait aux mesures temporaires d'assistance. Le 28 février, on l'a entendu tenir un langage nouveau :

    « L'assistance directe, sous forme de distribution de secours en nature ou en espèces ne répond pas aux besoins efficaces des travailleurs. Ils ont, à juste titre, insisté pour qu'on leur donnât l'occasion d'offrir leurs services à la communauté, sous forme de travail, en échange du secours de l'allocation de chômage. Le gouvernement fédéral n'a ni l'intention, ni le désir d'imposer au pays ou aux chômeurs un système d'assistance qui répugne à l'idéal américain, en vertu duquel chacun doit assurer sa propre subsistance. »

    En conséquence, M. Roosevelt se propose de dresser un programme de travaux publics, d'un caractère permanent, mais « flexible », c'est-à-dire susceptible, suivant les circonstances, d'être développé ou contracté. Ce seront des travaux que les administrations fédérales ou locales n'entreprendraient pas normalement, mais qui ne sont pas non plus du domaine de l'industrie privée. Les chômeurs seront employés pendant des périodes ne dépassant pas six mois et seront payés à plein tarif. On retrouve les principes généraux de la C. W. A.

    C'est bien un pas décisif franchi dans le sens de la reconnaissance du droit au travail. L'Amérique de M. Roosevelt s'apprête à réaliser une grande réforme sociale qu'aucun pays capitaliste n'avait même osé concevoir jusqu'alors.

    D'autre part, le président, dans le même message, a envisagé le cas des agriculteurs et des ouvriers qui, par suite de l'évolution économique, ont perdu tout espoir de retrouver leurs anciennes occupations ; il a annoncé la création de colonies agricoles et artisanales, capables de se suffire à elles-mêmes, où ils pourraient s'installer avec leurs familles. L'Etat leur fournirait le logement et un capital de départ.

    C'est le même esprit de réforme qui inspire ce projet. Il apparaît bien que dans la nouvelle Amérique qui est en train de s'édifier, la communauté se reconnaîtra le devoir d'assurer à chaque citoyen le moyen de vivre « décemment » — pour reprendre un mot du président — du produit de son travail.

    Mais n'oublions pas deux choses : la première c'est que les expériences, d'où le nouvel esprit est né, ont été commandées par la réforme monétaire. La seconde c'est qu'aucune des réformes sociales qu'inspire le nouvel esprit ne serait applicable, ni même concevable sans la réforme monétaire.




1 - Un cas piquant est celui de ces chômeurs (mondains sans doute) pour lesquels on n'avait pas trouvé de travail adéquat et qui avaient imaginé de donner des leçons de bridge à la population.

2 - Par exemple, on a pu mettre en valeur — ce qu'on n'avait pu faire jusqu'alors faute d'argent — la bibliothèque de géologie provenant du legs Kunz, laquelle est unique au monde.

3 - Le type de ces Emergency schools, leur programme d'alimentation hygiénique, de récréation ou d'éducation, ainsi que leur équipement a été étudié avec soin par un Comite spécial qui publie un bulletin. Il est copié sur les nursery schools payantes dont il existe un grand nombre dans les écoles américaines et où elles constituent la classe immédiatement au-dessous des Kindergarten.

4 - Le moyen n'a pas été trouvé par la C.W. A. de venir en aide aux écrivains en chômage qui en ont manifesté publiquement leur mécontentement à New-York cet hiver.

 

 

 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:14


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre IV : Les procédés de reflation

 

2 : Les travaux publics

 

 

 

 

 

    De tout temps, l'exécution de grands travaux publics a été proposée pour combattre les crises. C'est un remède naturel au chômage, préconisé dans les manuels classiques d'économie politique ; l'école libérale elle-même reconnaît que l'Etat, en période de dépression, peut se substituer à l'initiative privée pour financer des investissements et donner du travail aux industries de capital.

    L'originalité du programme Roosevelt de travaux publics réside dans son envergure ; les sommes engagées sont du même ordre que les dépenses budgétaires d'une année entière. En outre, c'est sans doute la première fois qu'un tel programme est destiné, dans l'esprit de ses auteurs, à jouer un rôle monétaire et à opérer une reflation de crédit.

    Or, quelles qu'aient été depuis les vicissitudes de la politique monétaire américaine, c'est bien ainsi qu'il avait été conçu à l'origine, lorsque fut inséré dans la loi du Redressement Industriel National (N. I. R. A.) tout un chapitre relatif à l'exécution de 3.300 millions de dollars de travaux publics. La somme fut trouvée énorme à l'époque ; aujourd'hui, elle paraît trop faible, et on l'augmentera sans doute (1).

    L'administration des Travaux publics (P. W. A.) placée sous la haute direction du secrétaire d'Etat à l'Intérieur, M. Ickes, a rencontré les plus grandes difficultés dans l'accomplissement de sa tâche.

    Elle a dû lutter contre les éléments conservateurs de l'Administration, et notamment contre les fonctionnaires de la Trésorerie et du Budget qu'effrayait une politique d'emprunts. Surtout, elle a eu le plus grand mal à élaborer des projets de travaux. Si extraordinaire que la chose paraisse, il n'existait pas, aux Etats-Unis, de programme tout prêt, et pour l'exécution duquel il ne manquait que l'argent. Il a fallu, au contraire, solliciter de chaque Etat des propositions, et bien entendu l'élaboration en a été souvent retardée par les discussions et les rivalités locales. Chacun des projets a dû ensuite faire l'objet à Washington d'une critique serrée pour barrer la route au gaspillage, au favoritisme, à la fraude et à la corruption. M. Ickes, homme intègre et consciencieux, tenait à ce que son administration donnât l'exemple de la plus sévère probité. Elle éplucha les contrats et n'y laissa rien subsister qui prêtât au moindre soupçon. Mais ce fut aux dépens de la rapidité. On a dit qu'un excès de scrupules avait fait perdre de vue l'urgence de l'entreprise.

    Bref, ce n'est qu'à la fin du mois de décembre, plus de sept mois après le vote des crédits, que l'administration des Travaux publics a pu annoncer qu'elle avait engagé intégralement les 3.300 millions de dollars de dépenses prévues. Encore ce résultat n'avait-il été atteint qu'en affectant une partie des crédits à des usages qui n'avaient pas été envisagés tout d'abord. Par exemple, 238 millions ont été employés à la construction de navires de guerre, 100 millions ont été versés aux Caisses de crédit agricole, une centaine de millions a été mise à la disposition du ministère de la Guerre.

    An titre des Travaux publics proprement dits, 571 millions de dollars ont été attribués, sous forme de prêts, aux Etats et aux municipalités, 200 millions de dollars aux chemins de fer, 400 millions sont destinés à la construction de routes, 148 millions à la construction de logements à bon marché.

    Les Etats et les municipalités ont employé l'argent qui leur a été prêté à des travaux d'adduction d'eau, à la construction d'égouts, de ponts, d'hôpitaux, d'écoles, de bibliothèques, à la réfection des rues, etc...

    Le gouvernement fédéral lui-même a prélevé sur les fonds de la P. W. A. des sommes importantes pour la continuation et l'achèvement de travaux commencés antérieurement et pour l'amélioration de nombreux services publics. En outre, certains organismes de crise ont eu leurs frais couverts sur les crédits de la P. W. A.

    Parmi les postes principaux, on relève les travaux du Boulder Canyon et le réservoir du Grand Coulee, les travaux contre les inondations du Mississipi et de l'Ohio, l'aménagement des ports et des rivières, et surtout l'exécution de programme de la vallée du Tennessee (Tennessee Valley Authority), l'organisation et l’entretien du Corps de Conservation civile (C. C. C.).

    L'entreprise de la vallée du Tennessee est antérieure à la crise. Pendant la guerre déjà, sous Wilson, l'administration fédérale avait construit sur le Tennessee des barrages, des stations hydro-électriques, des fabriques de nitrate et d'explosifs (à Muscle Shoal). Quelques années plus tard, des journaux et des hommes politiques d'opinions avancées avaient demandé que le gouvernement prît les travaux déjà exécutés pour base et qu'il produisît et distribuât à bas prix la force et la lumière électriques, de manière à concurrencer l'industrie privée et à la contraindre à abaisser ses tarifs.

    Avant même de prendre le pouvoir, M. Roosevelt déclara faire sien ce projet. Les experts du Brain Trust en poursuivirent la mise au point ; ils le développèrent même jusqu'à en faire un grand programme d'aménagement et d'enrichissement d'une région couvrant 640.000 milles carrés. La mise en valeur des terres, la production d'engrais, la création de communautés tout à la fois agricoles, artisanales et industrielles, capables de se suffire à elles-mêmes : bref, l'exploitation planifiée des richesses naturelles de la vallée du Tennessee doit non seulement améliorer les conditions d'existence d'une population qui a toujours compté parmi les plus pauvres des Etats-Unis, mais permettre encore d'y adjoindre des éléments immigrés

    Ce programme est en cours d'exécution. Les installations hydro-électriques produiront bientôt du courant qui sera livré à la moitié, et, dans certains cas, au tiers des tarifs en vigueur à New-York. L'apparition de l'Etat comme concurrent direct d'une grande industrie privée est un événement dont les conséquences sociales peuvent être considérables et dont les grands intérêts directement menacés s'inquiètent d'ailleurs très vivement.

    Au contraire de l'aménagement de la vallée du Tennessee, la création du Civilian Conservation Corps est une mesure de crise, prise en vertu d'un vote du Congrès du 31 mars 1933. Le financement en a été assuré par les Travaux Publics. Elle avait pour but immédiat le relèvement matériel et la rééducation morale des jeunes chômeurs de 18 à 25 ans qui, traînant dans les rues ou vagabondant dans les campagnes, constituaient des éléments redoutables d’agitation et de désordre.

    Des camps de travail ont donc été institués, au nombre de 1.451, répartis dans 47 Etats. 250.000 jeunes gens ont été enrôlés, depuis le printemps, revêtus d'un uniforme et soumis à une discipline quasi militaire, sous les ordres d'officiers et de sous-officiers de l'armée. Ils sont employés principalement au reboisement des forêts, mais aussi à l'installation de lignes téléphoniques et à la construction de routes. Ils travaillent 40 heures par semaine et reçoivent 30 dollars par mois, dont ils doivent reverser 25 à une personne de leur famille. Les loisirs sont occupés par des jeux et des sports organisés.

    Les résultats obtenus varient naturellement selon les sujets recrutés, et surtout selon les qualités des chefs de camp. On cite des réussites remarquables et aussi des échecs désastreux, sanctionnés par des désertions en masse.

    Le directeur de l'Emergeney Conservation Corps, dans son premier rapport semestriel, vante les effets de la vie disciplinée et du travail au grand air sur le physique des recrues (2).

    Il a été payé en six mois 77 millions de dollars de salaires, dont les familles des jeunes gens ont reçu 50 millions. Par l'achat de denrées alimentaires, de vêtements et de fournitures, l'Administration des C. C. C. a versé plus de 150 millions de dollars dans l'économie générale du pays.

    Les critiques adressées au C.C.C. sont surtout d'ordre politique. Il est certain que le gouvernement a vu dans cette organisation une mesure de protection contre le risque de mouvements sociaux. Mais c'est aussi bien contre l'agitation fasciste que contre la propagande communiste qu'il a cherché à se prémunir.

 

 

***



    Contrairement à ce que prévoyaient les plans primitifs, la P. W. A. finance relativement peu de travaux comportant des commandes à l'industrie de capital, à la métallurgie et au bâtiment. C'est évidemment une grave lacune de son programme, du point de vue du rétablissement général de l'économie.

    On ne manquera pas d'être frappé notamment, en parcourant la liste des dépenses engagées, qu'il y en ait si peu qui soient consacrées à l'édification d'habitations à bon marché. Ce n'est pas faute cependant que la nécessité ne s'en fasse sentir ; et il n'y a eu à cet égard ni oubli, ni mauvaise volonté de la part de l'Administration. Mais elle a rencontré des difficultés impossibles à surmonter dans les courts délais qui lui étaient impartis.





1 - Une partie en a été avancée par le gouvernement fédéral aux Etats ou aux autorités locales pour l'exécution de projets les intéressant ; ces créances sont représentées par des obligations qu'il est question maintenant d'émettre dans le public pour se procurer de nouveaux fonds en vue du financement de nouveaux travaux.

2 - Les examens médicaux accusent une augmentation de poids qui atteint 3 kilos en moyenne.

 

 

 

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Georges Boris – 1934

 


Chapitre IV : Les procédés de reflation

 

1 : Le renflouement des banques

 

 

 

 

 

    En dehors des prêts dont il avait été question plus haut, la R. F. C. a souscrit et mis en portefeuille des actions de banques. Ces prises de participation véritable ont été autorisées par l'Emergency Banking Act du 10 juin 1933, loi qui a pour objet le renflouement des établissements demeurés fermés depuis le moratoire, et, d'une façon générale, la consolidation de la situation bancaire du pays.

    La R. F. C. est ainsi intervenue dans les augmentations de capital d'environ 4.500 établissements (soit plus du quart des banques existant aux Etats-Unis) au nombre desquels figurent les plus importants (1).
Le plus souvent, la R. F. C. a souscrit des actions de préférence, parfois des capital notes gagées sur des actions. L'importance des participations varie beaucoup ; elle représente, dans d'assez nombreux cas, un intérêt de contrôle.

    Toutefois, le plus souvent, les statuts des Sociétés n'accordent de droit de vote aux actions de préférence qu'autant qu'il ne leur est pas payé de dividende. Il est donc difficile de dire dans quelle mesure et dans quels cas la R. F. C. possède un pouvoir de contrôle sur les banques américaines. Dans certaines circonstances elle a déjà exercé une influence déterminante sinon dans la gestion, du moins dans la désignation des directeurs de certaines banques.

    Pour le moment, c'est avec la plus grande discrétion que la R. F. C. intervient ; le gouvernement se défend même de vouloir exercer autre chose qu'une surveillance lointaine, et prétend ne jamais donner d'ordres, mais tout au plus des conseils.

    Mais le seul fait que la R. F. C., c'est-à-dire l’Etat, soit devenu actionnaire des banques, est en soi un événement gros de conséquences : ce peut être un jour, en effet, le point de départ d’une mainmise complète sur le système bancaire.




1 - D'après un article du professeur Moley dans le To Day du 3 février, la R.F.C. possède 12 % du capital des banques aux Etats-Unis.

   Dans un communiqué daté du mois de mars 1934, le président de la R.F.C., ajoutant les autorisations de souscriptions aux souscriptions effectives, indique un total de 1 milliard 19 millions pour 6.191 banques.

 

 

 

 

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Chapitre IV : Les procédés de reflation

 

 




    Toutes les lois votées depuis le mois de mars 1933 et qui comportent des engagements de dépenses extraordinaires, sans recettes budgétaires en regard, peuvent être considérées sous deux aspects, soit qu'on les regarde comme des mesures tendant à remédier à telle ou telle situation particulière, soit qu'on les envisage comme des moyens de reflation. Sans doute, dans quelques cas, ont-elles été surtout décidées en vertu de la première raison ; mais, dans leur ensemble, elles ont joué, et jouent encore, essentiellement un rôle monétaire.

    Dans l'interprétation qui sera donnée ici de l'expérience américaine et, à mon sens, dans toute explication rationnelle des événements, c'est le point de vue de la reflation qui domine: ce qui ne veut pas dire qu'aux yeux d'un grand nombre d'Américains, voire même au sein de l’Administration, la question monétaire ne soit pas rejetée au second plan. Mais la logique interne des situations et des faits est plus forte que les opinions et les résistances individuelles.

    Les textes relatifs aux crédits hypothécaires et agricoles, au Civilian Conservation Corps, à l'assistance aux chômeurs (1) et aux travaux de la vallée du Tennessee, promulgués au début de la législature, ne relevaient pas d'un programme de reflation ; d'ailleurs, à cette époque, l'administration Roosevelt se déclarait encore déflationniste. Des circonstances ou des motifs spéciaux en avaient déterminé l'adoption : revendications des agriculteurs, existence de jeunes chômeurs turbulents qu'il paraissait sage d'embrigader, nécessité de porter un secours immédiat à la détresse de la population ouvrière, volonté de poursuivre une expérience tendant à la réhabilitation d'une contrée déshéritée.

    Néanmoins, toutes ces mesures, du fait des énormes dépenses engagées, participent, quoi qu'en aient pensé leurs auteurs, à la lutte contre la déflation et à l'entreprise de reflation du système monétaire et financier américain.

    Il en va de même de l'activité de la Reconstruction Finance Corporation, vaste Banque d’état fondée en février 1932 par le président Hoover et qui, en deux ans, a avancé plus de 4 milliars 1/2 de dollars à l'économie américaine, dont 400 millions aux Compagnies de chemins de Fer, autant aux Caisses de Crédit hypothécaires, 87 millions aux Compagnies d'Assurance et près de 1500 millions aux Banques.

    Mais les prêts consentis par la R. F. C. aux Compagnies de Chemins de Fer ont, bien entendu, pour effet de les mettre sous la dépendance de l'Etat, et peut-être de préparer les voies à leur nationalisation dans l'avenir.




1 - Un crédit de 500 millions de dollars a été voté le 12 mai 1933 (Federal Emergencg Relief Act) pour venir en aide aux familles dans la détresse et suppléer aux autorités locales que leur situation financière mettait dans l'impossibilité de remplir leur devoir d'assistance.

 

 

 

 

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Chapitre III : La réforme monétaire et financière

 

6 : Les voies et les difficultés de la reflation

 

 

 

 

 

    Un gouvernement qui désire pratiquer la reflation de crédit sans recourir à une inflation de billets brutale et dangereuse n'a guère de choix sur la méthode à suivre : il est conduit à dépenser plus d'argent que le contribuable ne lui verse d'impôts, donc à déséquilibrer volontairement son budget, et à emprunter pour combler le déficit. Les obligations et les bons sont offerts en souscription aux banques ; soit aux Banques Fédérales de Réserve (lesquelles correspondent aux Banques Centrales des autres pays) et qui, par le mécanisme de l'Open market policy, peuvent mettre en portefeuille des titres d'Etat en couverture d'émissions de billets ou de crédit. Soit encore aux banques affiliées au Système de Réserve (lesquelles correspondent à nos établissements de crédit et à nos banques commerciales) et qui, lorsqu'elles possèdent des réserves suffisantes (1), peuvent à leur tour émettre des crédits.

    Les deux moyens ont été appliqués. Mais depuis quelque temps, comme les banques affiliées disposent de réserves considérables, on n'emploie  guère plus que le second. Le système est donc le suivant : les banques achètent les obligations ou bons de l'Etat fédéral, et les payent en ouvrant dans leurs livres des crédits en faveur du gouvernement ; ces crédits servent à payer les dépenses extrabudgétaires et entrent de cette manière dans la circulation.

    Dans la pratique, ce mécanisme n'a pas fonctionné exactement comme on l'avait prévu. D'abord, durant de longs mois, les grandes dépenses extrabudgétaires, bien que décidées en principe, n'ont pas été effectuées en réalité ; puis, vers le mois de novembre, quand le gouvernement s'est enfin mis à emprunter et à mettre de l'argent en circulation, on a vu se produire un phénomène inattendu : à mesure que les nouveaux crédits étaient ouverts et utilisés par l'Etat, d'anciens crédits étaient remboursés aux Banques par leur clientèle, soit que celle-ci profitât de l'aisance monétaire pour payer spontanément ses vieilles dettes, soit plutôt que les banques, soucieuses d'assurer leur liquidité, exigeassent ces règlements. Finalement, la reflation de crédit demeure imperceptible, ou tout au moins, ne se réalise qu'avec une extrême lenteur.

    On verra, au chapitre Pronostics, ce qu'il faut penser d'un état de choses qui n'est pas sans inquiéter les experts monétaires et financiers, et contre lequel le gouvernement tente de réagir en pressant les banques de proroger les crédits anciens de leur clientèle et de lui en ouvrir de nouveaux à court et à moyen terme.

    Outre cette première difficulté, il en existe une seconde, et qui tient au régime actuel du marché des crédits à long terme ou marché des capitaux. Pour que crédits ou capitaux entrent et demeurent dans la circulation, il faut, bien entendu, que ceux qui sont prêts à s'investir à long terme, aient l'occasion et la possibilité de le faire ; en d'autres termes l'épargne doit trouver des placements.

    Or le jeu d'une des réformes les plus importantes du New Deal — le Federal Securities Act, loi de protection de l'épargne — entrave actuellement cette fonction essentielle du régime capitaliste.

    Le Federal Securities Act impose aux sociétés émettrices d'actions ou d'obligations, des engagements sévères qui s'inspirent pour la plupart de ceux que prévoit la loi anglaise.

    Toutefois, les responsabilités que cette dernière fait encourir aux Sociétés émettrices, le Federal Securities Act les étend, en les aggravant, à tous les intermédiaires qui placent les titres dans le public, c'est-à-dire aux banquiers et aux courtiers. L'énumération des renseignements à fournir dans les déclarations à remettre à l'administration et dans les prospectus d'émission comporte une multitude de précisions qui ne visent pas seulement les commissions prévues à l'occasion du placement, mais encore le nombre de titres détenus par les administrateurs et directeurs, les noms de tous actionnaires détenant au moins 10 % du capital, les traitements de tous directeurs ou administrateurs touchant plus de 25.000 dollars par an, toutes les sommes versées depuis deux ans à des promoters (lanceurs d'affaires), la date et le résumé de tout contrat passé depuis deux ans dont l'objet ne se rattache pas aux affaire courantes de la Société émettrice, tout prêt fait par la Société à l'un des directeurs ou associés, etc., etc., et d'une manière générale «  tous les faits nécessaires pour rendre la déclaration complète et non équivoque ».

    En cas d'inexactitude ou d'omission sur un point quelconque dans la déclaration ou le prospectus, les administrateurs de la Société émettrice, les comptables, ingénieurs ou experts auteurs des rapports ayant servi de base, les banquiers et les intermédiaires s'exposent, pendant dix ans, de la part de tout porteur de titre, è une action civile en remboursement des sommes versées par lui, augmentées des intérêts courus depuis la date d'émission.

    En dehors des sanctions civiles, tout contrevenant peut être condamné à une peine pouvant s'élever à 5.000 dollars.

    La rigueur de ce texte effraie aussi bien les Sociétés qui seraient désireuses de faire appel à l'épargne que les banquiers eux-mêmes. Ceux-ci sont en outre empêchés, par une clause de la loi Steagall, laquelle interdit certaines activités aux banques de dépôts, de souscrire à des émissions aux fins de placer ultérieurement les titres dans leur clientèle.

    II faut ajouter que la haute finance américaine profite peut-être de l'occasion, en exagérant ses craintes et ses difficultés, en faisant une sorte de grève des bras croisés, pour manifester son mécontentement et sa puissance.

    Dans ces conditions, le marché des capitaux est pratiquement fermé à l'initiative privée. Les épargnes individuelles, au lieu de s'investir et de rentrer dans la circulation par le financement des entreprises, tendent donc à retourner vers les banques, dont elles servent à rembourser les anciens prêts.

    Les obstacles que rencontre actuellement la tentative américaine de reflation de crédit sont donc sérieux. Ils ralentissent et risquent même d'arrêter dans un avenir prochain le redressement économique du pays. On verra cependant qu'ils ne sont pas impossibles à surmonter.




1 - Ces réserves consistent en des dépôts dans les banques fédérales : la loi autorise les banques affiliées à ouvrir des crédits dans des proportions telles que les réserves représentent de 3 à 13 % des crédits, suivant les cas ; la moyenne est de 10 % environ.

 

 

 

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Chapitre III : La réforme monétaire et financière

 

5 : Reflation et étalon international

 

 

 

 

 

    Si la question de la reflation intérieure est passée au premier plan, il s'ensuit que l'aspect international du problème monétaire a perdu de son intérêt pour l'Amérique.

    Occupée avant tout de reconstituer le marché national, elle s'inquiète beaucoup moins de ce qu'il advient des monnaies des autres pays.

    Elle possède une réserve métallique que la réévaluation vient de porter au-dessus de 7 milliards de dollars. Sur cette base, elle peut édifier un édifice de crédits bancaires largement supérieur à 200 milliards : en d'autres termes, le chiffre actuel peut être multiplié pour le moins par le coefficient 7. Et c'est beaucoup plus qu'il n'est nécessaire.

    Telle est la liberté d'action du gouvernement américain aujourd'hui qu'il peut, tout en demeurant attaché à l'étalon-or, procéder à une inflation colossale. Ce qui revient à dire qu'il peut, sans enfreindre les règles de l'étalon-or, faire monter les prix en dollars, donc aussi en or, dans d'énormes proportions.

    Il y a un précédent historique à cette situation : après la guerre, et jusqu'en 1925, comme l'a montré M. Rist dans l'article déjà cité, les Etats-Unis ont pu, en accumulant de puissantes réserves de métal, pratiquer une vaste inflation, sans abandonner l'étalon-or, et provoquer une hausse des prix-or.

    Cette éventualité et ses conséquences possibles peuvent paraître une menace pour un lointain avenir, si les Etats-Unis répètent aussi les fautes de 1928-29. Mais dans le présent immédiat, ce qui importe aux Américains, c'est qu'ils possèdent les moyens monétaires propres à rétablir chez eux les prix et l'activité économiques ; et ces moyens, bien entendu, ils les utiliseront.

    Néanmoins, ils redoutent, dans l'intérêt de leur commerce extérieur, que l'Angleterre ne fasse fléchir la livre. La constitution, en vertu du Gold Act, d'un vaste fonds d'égalisation des changes, répondait à cette crainte. Au cas où le sterling eût trop baissé au gré des Etats-Unis, ils eussent employé cette masse de manoeuvre sur le marché des changes pour en arrêter la chute (1).

    Les grands arrivages d'or venus de l'étranger ne sont pas non plus considérés sans quelque appréhension. Ils dénotent un afflux de capitaux, en quête de placements, dont l'apparition sur les marchés risque de provoquer un boom spéculatif, suivi, comme toujours, d'un choc en retour. On voudrait que la reflation de crédit justifiât la hausse, et non qu'un mouvement de pure spéculation, dû à des causes extérieures, la déterminât.

    Quant au rétablissement d'un étalon monétaire international, il semble encore lointain, voire problématique. Il présuppose une répartition des stocks d'or entre les divers pays du globe. Ces stocks sont limités, et il n'est même pas sûr que, si chacun se contentait de ce qui est strictement nécessaire à ses besoins, il y en aurait assez pour tout le monde. Mais les Etats-Unis — comme la France — tiennent à posséder des réserves dépassant largement leur part proportionnelle. D'autre part, le Gold Exchange Standard — qui était un expédient commode pour remédier à l'insuffisance d'or ou à sa mauvaise répartition — est définitivement discrédité.

    Le vieil étalon-or est mort, le nouveau n'est pas encore conçu, disait récemment l'un des meilleurs experts monétaires d'Amérique.

    Le bimétallisme, il est vrai, pose sa candidature ; il compte en Amérique des défenseurs énergiques et influents. M. Roosevelt leur a déjà donné des satisfactions. Il est fort possible qu'il aille bientôt plus loin dans cette voie, et même qu'il adopte, comme base monétaire, un lingot comportant à la fois de l'or et de l'argent dans une proportion fixe (symmetallism or bimetallism on a fused basis).

    Mais ce serait une erreur de croire que ce projet ait pour but primordial de rétablir un étalon international ; avant tout, il s'inspire de l'intérêt particulier des Etats producteurs d'argent. Encore moins compte-t-il, comme facteur de redressement de l'économie intérieure générale des Etats-Unis. L'adoption du bi- ou du symmétallisme ne modifierait en rien les données du problème de la reflation, tel qu'il se pose actuellement. On a vu en effet, qu'avec l'étalon-or l'expansion de crédit pourrait dépasser 200 milliards, alors que l'objectif actuel n'est même pas 50 milliards. Dans ces conditions, que servirait-il de relever de quelques dizaines ou même d'une centaine de milliards une limite théorique qu'il n'est pas question d'atteindre ?




1 -Il semble que la menace ait suffi. Le fonds d'égalisation, inutilisé jusqu'à présent, va sans doute être affecté partiellement tout au moins, à la distribution de crédits à l'industrie américaine, donc pratiquement, lui aussi, à la reflation.


 

 

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Chapitre III : La réforme monétaire et financière

 

4 : Vers la reflation de crédit

 

 




    On parle souvent de l'inflation dont l'Amérique est menacée, et jamais de la déflation dont elle souffre encore actuellement. Autant parler d'inondation dans une maison qui brûle.

    Il suffit de quelques chiffres pour le montrer.

    Dans un pays, comme l'Amérique, où les paiements se font en général par virements ou par chèques, l'importance de la déflation se mesure en effet à la diminution du volume de monnaie bancaire ou scripturale en circulation (1).

    Or, le montant total de la monnaie scripturale était le 3 octobre 1928 de 47.977 millions de dollars. Le 4 octobre 1929, il s'élevait à 48.279 millions.

    Mais à partir de cette date, il commençait à diminuer et bientôt se produisait une chute verticale dont voici les étapes :

    24 septembre 1930         47.743 millions

    29 septembre 1931         42.859    —

    30 septembre 1932         35.436    —

    30 juin 1933                   30.045    —

    Ainsi d'octobre 1929 à juin 1933, la destruction de monnaie scripturale atteignait 18.234 millions de dollars, soit 37,8% du montant primitif (2).

    Depuis le 30 juin 1933, il n'a pas été publié de nouvelle statistique d'ensemble. Mais on connaît les chiffres arrêtés au 9 novembre dernier pour les banques affiliées au système de réserve fédérale dans les 90 villes principales des Etats-Unis. Ils ne dénotent aucun changement. On est en droit d'en conclure qu'au milieu de l'automne, la déflation était encore à son point maximum.

    Sans doute doit-on faire état, en regard de cette contraction de la monnaie bancaire, d'une augmentation des billets en circulation. Mais elle est, en comparaison, presque négligeable, puisque, de 1930 à 1933, elle n'a pas même atteint 1 milliard de dollars.

    Les économistes de toutes les écoles, même s'ils nient la valeur rigoureuse de la théorie quantitative de la monnaie, sont d'accord pour penser qu'il ne saurait y avoir de relèvement important du niveau des prix, ni de reprise durable de l'activité économique, sans une reflation de crédit substantielle.

    Ils ne diffèrent que sur le point de savoir si cette reflation peut être délibérément provoquée, ou si c'est seulement de façon spontanée qu'elle peut s'opérer.

    C'est ici qu'il faut introduire une première interprétation des faits américains, ainsi que des mesures dont l'ensemble constitue le New Deal. Cette interprétation peut être formulée de la manière suivante :

    Conscients ou inconscients, la plupart des efforts de l'administration Roosevelt pour le redressement économique tendent à déterminer la reflation de crédit, et c'est de l'échec ou de la réussite de cette tentative que dépend en fin de compte le succès ou la faillite de ce qu'on appelle l'expérience américaine.

    Cet axiome étant admis, on possédera la clef des préoccupations et des attitudes du gouvernement de Washington, on apercevra la ligne générale de sa politique.

    Reflation de crédit signifie constitution de nouveaux dépôts, c'est-à-dire de capitaux liquides qui, s'ils pénètrent et circulent dans l'économie, vont être répartis entre les membres de la collectivité sous forme de revenus nouveaux, donc de nouveau pouvoir d'achat. Or, c'est au développement du pouvoir d'achat national qu'aspire le gouvernement américain. La reflation de crédit est donc forcément son objectif.

    A vrai dire, ce fut aussi, un moment, celui de M. Hoover, en dépit de son conservatisme. A la fin de l'année 1931 et au début de 1932, il avait créé, précisément, à cette fin, plusieurs institutions d'Etat et notamment la Reconstruction Finance Corporation (R. F. C.). Leur but était de faire des prêts aux Chemins de Fer et aux Banques, aux Sociétés et aux individus ; pour se procurer les fonds, elles étaient autorisées à émettre des obligations munies de la garantie fédérale ; les Banques de Réserve pouvaient faire l'acquisition de ces titres, et créer en contre-partie de nouveaux crédits, par le jeu de l'open market policy.

    Ce mécanisme a fonctionné à partir de janvier 1932. Et, pendant l'été qui a suivi, on a même pu croire que la reflation de crédit allait être effectivement réalisée et porterait ses fruits. Une reprise se dessina.

    Mais bien vite les espoirs furent déçus. Dans le même temps, en effet, une défiance croissante s'emparait du public à l'égard des banques ; et celles-ci, pour assurer leur liquidité, révoquaient les crédits anciens plus vite qu'il n'en était créé de nouveaux. Dans la course engagée entre la thésaurisation privée et la reflation due à l'initiative de l'Etat, la première l'emportait. Elle devait, à la fin de février 1933, gagner une victoire complète. Le président Hoover avait totalement échoué dans sa timide tentative de reflation.

    Après un faux départ, après de nombreuses tergiversations, M. Roosevelt s'est remis à la tâche. Il la poursuit aujourd'hui avec des moyens infiniment plus puissants que son prédécesseur.

    Non seulement la R. F. C. multiplie les prêts ; mais elle renfloue les banques qui ont suspendu leurs paiements. Mais aussi, par le jeu des dépenses extraordinaires, par l'aggravation voulue du déficit budgétaire, par le financement des grands travaux publics, le gouvernement s'emploie directement à augmenter le volume du crédit.

    Le résultat obtenu n'est encore, au début de l'année 1934, que l'arrêt du processus de déflation et non pas une reflation effective. Résultat important, mais incomplet : il ne suffit pas que la création de nouveaux crédits compense l'annulation des anciens, il faut qu'elle la dépasse en importance.

    On verra plus loin les causes de ces difficultés. Au préalable, quelques éclaircissements sont nécessaires au sujet des répercussions de cette politique d'expansion de crédit sur le problème de l'étalon monétaire international.






1 - Tel qu'il ressort du total des postes « Loans and investments » (prêts et investissements) des banques américaines à l'exclusion des caisses d'épargne.

2 - Pendant la période de déflation 1928-1933 il a été détruit beaucoup plus de crédit qu'il n'en avait été créé pendant la période d'inflation 1926-1929. La différence est du simple au double pour les Banques affiliées au système de Réserve Fédérale.

 

 

 

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Chapitre III : La réforme monétaire et financière

 

3 : Le nouveau Gold Act

 

 




    A la fin de 1933 l'expérience poursuivie sur les conseils du professeur Warren était toujours l'objet de furieuses attaques. Les partisans de la stabilisation du dollar menaient une campagne violente, cependant que les inflationnistes préparaient, pour la réunion du Congrès, une offensive non moins vigoureuse en faveur d'une émission pure et simple de billets. Un tiers parti s'agitait pour l'expansion de crédit.

    Entre ces divers courants, M. Roosevelt sut naviguer avec une suprême habileté. Le projet de loi monétaire, qu'il fit voter le 27 janvier, fut politiquement un coup de maître, car il réalisait un compromis susceptible de satisfaire les trois tendances.

    Le nouveau Gold act fixe à la valeur-or du dollar une limite supérieure, soit 59,06 % de l'ancienne. A ce taux, il est immédiatement procédé à une réévaluation du stock d'or. Mais le président conserve le droit de poursuivre la dévaluation jusqu'au niveau de 50 %, limite inférieure prévue par l'amendement Thomas.

    Ainsi, les stabilisateurs et les défenseurs de la « saine monnaie » reçoivent de sérieux apaisements, puisque les possibilités de fluctuation du dollar sont désormais réduites. D'autre part, la marge de « manipulation » du prix de l'or entre 59,06 % et 50 % (1) est une concession faite à la théorie Fisher-Warren. Quant aux partisans de l'inflation fiduciaire et à ceux de l'expansion de crédit, ils savent que, grâce à la réévaluation des réserves, ils pourront avoir satisfaction, sans que leurs adversaires puissent rien trouver à redire.

    Enfin, le Gold Act transfère la propriété des stocks d'or au Trésor fédéral, et les banques de réserves n'ont plus en mains que des certificats représentatifs. Cette clause est significative. Elle veut dire que c'est désormais le gouvernement fédéral qui, ayant pouvoir de fixer la valeur-or du dollar entre certaines limites, est le maître de la politique monétaire du pays et possède le droit et les moyens de diriger la monnaie.

    Nous verrons dans un instant que tout indique qu'il entend le faire par le moyen de l’expansion ou la reflation de crédit.

    Notons pour le moment que les effets psychologiques du vote du Gold Act ont été particulièrement heureux. Les controverses monétaires ont cessé, et, avec elles, la méfiance qu'elles entretenaient. Les cours des obligations ont vivement remonté, et cette hausse facilite les émissions de fonds d'Etat en même temps qu'elle entraîne une nouvelle détente du loyer de l'argent.

    Les capitaux émigrés depuis le mois de février ont reflué rapidement vers l'Amérique. Il en résulte une aisance monétaire dont l'économie ne peut que bénéficier.

    M. Roosevelt est maintenant en mesure d'aborder le problème monétaire et financier fondamental, problème dont il n'a que trop longtemps retardé la solution ; à savoir celui de la reflation de crédit.




1 - Calculée par rapport à la parité de 59,06 la marge de baisse est de 16 %.


 

 

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Chapitre III : La réforme monétaire et financière

 

2 : Le Commodity-Dollar

 

 

 



    MM. Fisher et Warren partent de la notion qu'à un moment déterminé l'or possède un certain pouvoir d'achat. Si donc, par le moyen de la dévaluation on augmente le poids de l'or contenu dans le dollar, on diminuera le pouvoir d'achat de la monnaie et l'on fera monter les prix. Plus tard, lorsque aura été atteint le niveau désiré, on pourra le fixer rien qu'en accroissant ou en réduisant la quantité d'or représentée par le dollar, suivant que les cours des matières premières auront tendance à baisser ou à monter. A ce moment, le dollar aura une valeur-marchandise stable et une valeur-or variable. Ce sera un commodity-dollar, un dollar-marchandises et non plus un dollar-or.

    M. Roosevelt décida donc à la fin du mois d'octobre de faire l'essai de cette théorie. Usant du droit, que lui confère l'amendement Thomas à la loi du 12 mai, de réduire la valeur-or du dollar jusqu'à concurrence de 50 %, il résolut de pratiquer une dévaluation volontaire et graduelle en effectuant des achats d'or à des prix de plus en plus élevés.

    A cette nouvelle des protestations indignées s'élevèrent, non pas seulement en Europe, mais en Amérique : plusieurs collaborateurs du président, dont M. Warburg, ainsi que le principal conseiller technique du Federal Reserve Board, M. Sprague, donnèrent leur démission et commencèrent une campagne d'articles et de conférences contre la théorie de Warren et de Fisher.

    Etant donnée la confusion que ces discussions ont jetée dans les esprits, il n'est pas inutile de procéder brièvement à un examen critique de la théorie Warren-Fisher, afin de démêler les difficultés réelles qu'elle a rencontrées dans les faits, d'avec les fausses objections qui y ont été opposées dans les controverses.

    On a présenté les idées de Warren et Fisher comme d'affreuses hérésies. Or, il suffit de les rapprocher de celles que M. Rist a exposées dans un article de la revue Foreign Affairs, en janvier 1934, pour reconnaître leur étroite parenté avec les thèses classiques.

    En effet, M. Rist admet l'origine monétaire de la crise et l'attribue précisément à une anomalie dans les variations du pouvoir d'achat de l'or. Selon l'éminent économiste français, la comparaison du niveau des prix des matières premières de 1913 et en 1926 montre que ces prix avaient monté en treize ans — donc que le pouvoir de l'or avait baissé — dans des proportions que ne justifiait aucun facteur naturel, tel que la découverte de nouvelles mines d'or. M. Rist en conclut que le pouvoir d'achat de l'or était destiné à remonter (et par conséquent les prix des matières premières à baisser) ; la crise ne serait donc que l'expression économique d'un phénomène de réadaptation monétaire, par lequel les charges et les prix de revient sont maintenant ramenés au niveau des prix des matières premières.

    Il ne rentre pas dans mes intentions de discuter l'explication donnée par M. Rist (1). Mais M. Walter Lippmann a très justement fait ressortir l'analogie frappante qu'elle offre avec celle de M. Warren, lequel pense, lui aussi, que tout le mal vient de la baisse excessive du pouvoir d'achat de l'or pendant et immédiatement après la guerre, baisse anormale que devait nécessairement suivre une hausse subite.

    Une fois admis ce principe, on aperçoit deux manières de rétablir l'équilibre rompu entre les prix des matières premières qui ont baissé et les charges fixes (dettes, salaires, etc...) qui n'ont guère bougé. L'une — c'est celle de M. Rist — consiste à réduire ces charges par la déflation, c'est-à-dire par les faillites et le chômage. L'autre — celle de M. Warren —consiste au contraire à dissocier le dollar de l'or, de façon à faire remonter les prix en dollars des matières premières, jusqu'à les mettre en harmonie avec le montant des charges fixes.

    Partis du même principe, se fondant sur le même diagnostic, MM. Rist et Warren concluent à des thérapeutiques opposées. Mais à l'appui de sa proposition, M. Warren peut faire valoir que trois années durant, de 1930 à 1933, l'Amérique s'était soumise à la déflation, sans autre résultat que de plonger tout un peuple dans la misère et le désespoir ; à bout de force, ce peuple n'accepterait jamais de renouveler la cruelle expérience.

    M. Roosevelt mit en application le remède de M. Warren à partir du 21 octobre 1933, et fit effectuer par le Trésor des achats d'or à un cours qu'il relevait de temps à autre. Le premier effet de la manoeuvre fut de raffermir les prix. Mais la hausse attendue ne se produisait pas : contrairement aux prévisions de M. Warren, on n'observait pas de concordance exacte entre le relèvement du prix de l'or et celui des cours des matières premières.

    Les partisans de la théorie d'Irving Fisher firent observer que la méthode d'application était défectueuse. En effet, le Trésor n'achetait que le métal nouvellement extrait des mines américaines ; faute des autorisations législatives nécessaires (2), il n'intervenait pas ou presque sur les marchés étrangers ; en conséquence, le dollar continuait de valoir davantage à l'extérieur que sa parité-or officielle, ainsi qu'en témoignaient les cours des changes. Mais cette explication ne suffit pas à expliquer l'échec relatif de la tentative.

    En réalité, la théorie de Fisher ne saurait se vérifier avec une rigueur mathématique que dans le cas d'un petit pays, dont l'économie n'influe guère sur les prix mondiaux, donc sur le pouvoir d'achat de l'or. Ainsi, la Suède a pu par des moyens similaires, diriger avec une grande précision le niveau de ses prix intérieurs. Mais, s'agissant des Etats-Unis, vu la masse des échanges qui s'y produisent, les prix en dollars ont une inertie propre et n'obéissent qu'incomplètement ou qu'avec retard au mécanisme de Fisher, cependant que les prix-or mondiaux se trouvent eux-mêmes ébranlés par cette action.

    Tout se passe comme si on voulait soulever un fardeau considérable (les prix intérieurs libellés en dollars) au moyen d'un levier, dont le point d'appui (les prix mondiaux libellés en or) ne résiste pas suffisamment à la pression et tend à s'enfoncer dans le sol.

    Effectivement, durant la période où le Trésor américain a procédé à des achats de métal, les prix mondiaux, exprimés en or, ont faibli. La politique monétaire des Etats-Unis parvenait à maintenir les prix-dollars, mais faisait baisser les prix-or. Les achats d'or contre dollars provoquaient — et c'est d'ailleurs naturel une revalorisation de l'or, donc une aggravation de la crise dans les autres pays. Résultat dont nul n'avait à se féliciter.




1 - On pourrait montrer notamment qu'elle est incomplète en ce sens qu'elle ne tient compte que de l'offre d'or. Il n'y est pas fait mention de l'accroissement subit de la demande à la suite de la Conférence de Gênes et de la décision prise simultanément par un grand nombre de pays d'adopter l'étalon-or et de constituer des réserves de métal dans leurs banques centrales.

2 - Le vote d'une loi spéciale ne pouvait avoir lieu avant la réunion du Congrès en janvier.


 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:06


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre III : La réforme monétaire et financière

 

1 : L'abandon de l'étalon-or

 




    L'importance du fait monétaire échappa longtemps à M. Roosevelt. D'autres sujets apparemment le préoccupaient bien davantage. Dans ses discours de candidature à la présidence, on ne trouve que des références imprécises à la question, et fort différentes, en esprit, de ce que sera ultérieurement sa politique. Jusqu'au mois de juin, ses paroles et ses écrits s'inspirent des thèses, généralement admises, sur la nécessité d'équilibrer le budget et de conserver une « monnaie saine » ; tout au plus, de temps à autre, fait-il quelques concessions verbales aux partisans d'une politique monétaire de hausse des prix.

    On a fait observer que, de par ses origines sociales, ce grand bourgeois, ce rentier, ne pouvait qu'incliner vers les conceptions hostiles à la dévaluation du dollar et aux « manipulations monétaires ». Si en dépit de ses propres répugnances, aussi bien que des résistances de la majorité de ses conseillers, le président a fini par adopter une attitude toute contraire, c'est sans doute que les événements l'y ont contraint.

    Dès son accession au pouvoir, survenue au lendemain d'un run général sur les banques, d'un exode fantastique de capitaux et d'or, quelques heures après la déclaration d'un moratoire général, de graves et immédiates décisions s'imposaient à lui.

    Le premier choix de la nouvelle administration fut nettement orienté dans le sens de la déflation. Sans doute l'embargo sur les exportations d'or équivalait-il à un abandon de l'étalon-or, mais la mesure était qualifiée de provisoire, et nul doute que le président et ses amis ne la considérassent comme telle. Tout au plus envisageaient-ils de renoncer à la convertibilité intérieure de la monnaie ; mais, dans leur esprit, la convertibilité extérieure devait être rétablie à très bref délai.

    Même encore quelques mois plus tard, lorsque les membres de la délégation américaine à Londres s'expliquaient au sujet de l'embargo, ils ne manquaient pas de s'en excuser, insistant sur le fait — d'ailleurs rigoureusement exact — que la mesure avait été rendue nécessaire par l'importance colossale des sorties d'or pendant les derniers jours de février.

    Durant tout le mois de mars et une partie du mois d'avril, le Président crut pouvoir persister dans son attitude déflationniste. L'émission de nouveaux billets, bien qu'autorisée par une loi qu'il avait lui-même proposée, lui faisait visiblement horreur. Pour n'avoir pas à y recourir, il préférait laisser clos les guichets d'environ 5.000 banques, et congelés quelques 5 milliards de dollars de dépôts. En même temps il sacrifiait à la mystique de l'équilibre budgétaire l'intégrité du traitement des fonctionnaires, et n'hésitait pas à réduire les pensions, il est vrai en partie abusives, des vétérans.

    Le résultat ne se fit pas attendre.

    En dépit d'une première impression de confiance donnée par le sang-froid et l'énergie du Président, la crise, loin de s'atténuer, s'accentuait.

    En même temps que les banques, nombre d'usines avaient dû fermer leurs portes. De nouveaux bataillons de chômeurs étaient venus rejoindre les anciens. Les titulaires des dépôts gelés avaient grossi la foule des miséreux. Les fermiers menaçaient de se soulever. Au Congrès, les représentants des Etats agricoles manifestaient une opposition qui, sourde d'abord, devenait bientôt ouverte et se traduisait soit par des manoeuvres d'obstruction aux lois proposées par la Maison Blanche, soit par le vote d'amendements inflationnistes.

    Dans la seconde semaine d’avril, la tension était devenue extrême. On parlait d'une révolte imminente du Sénat. Les milieux financiers, naturellement informés de la situation politique, jouaient la baisse du change, et la fuite des capitaux, un moment ralentie, reprenait de plus belle. Le dollar s'inscrivait en baisse.

    C'est alors que les grandes banques de New-York, sollicitèrent et obtinrent de la Trésorerie l'autorisation d'exporter de l'or afin d'arrêter la chute du dollar. Mais dans l'espace de quelques jours, les demandes de métal, se mirent à croître suivant une progression géométrique, évoquant le danger imminent d'un exode comparable à celui de fin février. Avertissement dont M. Roosevelt ne put manquer de comprendre la signification. Il convoqua quelques sénateurs influents, et, à l'issue de l'entretien qu'il eut avec eux, annonça sa résolution d'abandonner officiellement l'étalon-or, par l'abrogation de la clause-or de la loi monétaire.

    Ainsi fut prise la décision historique du 19 avril 1933.

    Bien que commandé par les événements, l'abandon du gold standard ne fut pas moins sévèrement critiqué en Amérique qu'en Europe. Économistes et financiers l'accueillirent par une tempête de protestations. Dans l'entourage même du Président, on le déplora ouvertement : « C'est la fin du monde occidental », alla jusqu'à dire M. Douglas, directeur du budget.

    M. Roosevelt lui-même ne s'était résigné à la dévaluation qu'à contre-coeur. Il demeurait  foncièrement hostile à l'inflation monétaire et même à l'inflation de crédit.

    Si, quelques semaines plus tard, il accepte que dans la loi de réadaptation agricole soit inséré l'amendement Thomas qui prévoit l'émission de 3 milliards de dollars de billets, c'est uniquement pour apaiser les inflationnistes du Congrès et avec la ferme intention de ne pas user de cette autorisation.

    Si les divers textes législatifs qu'il propose engagent plusieurs milliards de dépenses à couvrir par l'emprunt, il n'entend pas que, pour y souscrire, les banques fassent de nouveaux crédits, mais seulement qu'elles mobilisent les capitaux existants.

    Il ne croit pas à l'efficacité de l'arme monétaire et l'idée de diriger la monnaie, soit par des interventions sur le marché des changes, soit au moyen d'une politique de crédit, n'est même pas envisagée. On abandonne le dollar à la spéculation dans l'espoir qu'il trouve de lui-même un niveau d'équilibre auquel on pourra le stabiliser.

    Les événements cependant vont se charger d'instruire M. Roosevelt et prépareront l'évolution de son esprit.

    En effet l'abandon officiel de l'étalon-or a déclenché la hausse générale des prix des matières premières, cette hausse si ardemment souhaitée par les fermiers, par les producteurs, par les débiteurs de toute catégorie et par l'administration elle-même. L'économie américaine est brusquement soulagée du poids qui l'écrase.

    Renversement d'origine essentiellement psychologique et qu'il est facile d'expliquer.

    Aussi longtemps que l'emportait la doctrine de la « saine monnaie » et de son lien indissoluble avec l'or, la monnaie métallique, fiduciaire ou scripturale apparaissait aux Américains comme le meilleur et même l'unique refuge contre la crise. Par suite de la baisse persistante des prix, tout investissement, tout placement, tout achat aboutissaient à des pertes ruineuses. Seul le thésauriseur avait raison, qui, retirant la monnaie de la circulation, accélérait encore la baisse, et trouvait dans les effets mêmes de son action une justification et une récompense. Fuir les biens réels, être « liquide », ne rien acquérir, ne rien stocker, ne rien entreprendre, tel était le fin mot de la sagesse.

    Mais dès l'abandon de l'étalon-or la confiance se détourna de la monnaie pour se reporter sur les biens réels ; on y découvrit à nouveau des garanties de sécurité et des possibilités de profit. C'est donc vers eux qu'on se mit à fuir. La hausse commencée, le thésauriseur se trouva pénalisé. Se débarrasser de l'argent liquide, acheter, stocker, entreprendre redevint conforme à la ligne de conduite raisonnable.

    Mouvement spéculatif à la hausse évidemment, mais qui succédait à une attitude tout aussi spéculative à la baisse, suivant un rythme bien connu du système capitaliste.

    Le gouvernement Roosevelt y assista tout d'abord avec un mélange de satisfaction et de crainte, sans en saisir exactement les causes et la signification. S'il les avait comprises, il eût profité du démarrage psychologique pour procéder le plus vite possible à une expansion monétaire, rendue indispensable par la longue et terrible période de déflation que l'Amérique venait de traverser. Il l'eût fait en accélérant les dépenses extrabudgétaires, en procédant à des émissions massives d'emprunts, en obligeant les banques de créer de nouveaux crédits pour y souscrire, bref en répandant l'argent à flots dans le pays. En tout cas, il n'eût pas risqué d'arrêter net la reprise, vers la mi-juin, en engageant prématurément à la Conférence de Londres des pourparlers en vue de la stabilisation du dollar.

    On n'a pas oublié les fausses manoeuvres auxquelles se livra, dès son arrivée en Angleterre, la délégation américaine, laquelle n'était d'ailleurs composée — à l'exception du sénateur Pittman — que de partisans du retour immédiat à l'étalon-or. Le 16 juin, on annonça qu'un accord de stabilisation était en vue ; aussitôt les cours des matières premières s'écroulèrent sur les marchés de Chicago, de la Nouvelle-Orléans et de New-York.

    On aurait pu le prévoir. Toute déclaration officielle en faveur d'un rattachement du dollar à l'or restituait en effet, son prestige et son attrait au refuge monétaire. La reprise était encore trop récente, trop fragile, les facteurs purement psychologiques trop importants, pour que la thésaurisation ne prît pas aussitôt sa revanche.

    C'est alors que M. Roosevelt commença de voir clair. Il refusa de souscrire à l'accord élaboré à Londres par les experts américains, anglais et français. Quelques jours plus tard, néanmoins, la délégation américaine, tenace dans son incompréhension, reprenait les négociations sur une base à peine différente. Cette fois le président se fâcha. Il lança le 30 juin le fameux message où il posait les principes d'une réforme monétaire et proclamait sa volonté de diriger le dollar.

    Répudiant les « vieux fétiches » il précisait en effet que les « Etats-Unis recherchent un dollars tel que, passée une génération, il ait le même pouvoir d'achat et la même valeur que celui que nous voulons assurer dans un avenir prochain ». Ainsi définissait-il sa future politique monétaire comme devant tendre d’abord à relever les prix jusqu'au niveau de 1926, puis à l'y maintenir.

    Par quelles « manipulations monétaires » M. Roosevelt comptait-il atteindre ce résultat ? Ni son message à la Conférence de Londres, ni ses autres déclarations de la même époque ne permettaient de le dire.

    On assure que quelques jours avant sa retentissante proclamation, étant seul sur son yacht, il avait lu un récent livre de sir Basil Blackett, administrateur de la Banque d'Angleterre, grand partisan de la monnaie dirigée, et que cette lecture avait produit sur lui une impression profonde. Sir Basil Blackett estime avec M. Keynes que c'est par l'inflation ou la déflation de crédit que la monnaie doit être dirigée.

    D'autres indices semblent prouver au contraire que c'est à la théorie du dollar-marchandise (commodity dollar) des professeurs Irving Fisher et Warren que sont d'abord allées les faveurs du Président des Etats-Unis : ces économistes, comme on sait, préconisent de faire varier le prix d'achat de l'or, c'est-à-dire le contenu-or du dollar pour agir sur le niveau général des prix.

    Quoi qu'il en soit, après avoir lancé sa profession de foi monétaire, le président Roosevelt, pendant près de quatre mois, ne fera rien pour la mettre en pratique. Il ne tentera de diriger la monnaie ni par l'inflation de crédit, ni par des achats d'or, ni même par des interventions sur le marché des changes. Il se bornera à renouveler son refus de stabilisation, et à maintenir sur le dollar une menace permanente de dévaluation destinée à effrayer et à décourager les thésauriseurs.

    Mais ce geste purement négatif ne saurait tenir lieu d'une politique monétaire active ; il n'empêchera pas l'élan spéculatif, déterminé par l'abandon de l'étalon-or, de se briser vers la mi-juillet, les cours de baisser et l'activité économique de marquer un recul.

    Il est vrai que le gouvernement de Washington ne se souciera guère de cet accident. Hanté par le souvenir des booms précédents et de leurs suites, il se réjouira au contraire de l'échec subi par la spéculation. Il continuera de négliger le levier monétaire, ou de le considérer comme accessoire.

    C'est qu'à ce moment son attention et ses espoirs sont exclusivement concentrés sur la réforme industrielle (N.R.A.). L'application des codes, la réduction des heures de travail et le relèvement des salaires doivent assurer le redressement économique et permettre d'occuper d'ici l'automne cinq ou six millions de chômeurs. Le général Johnson et son état-major l'affirment. Le peuple américain en est convaincu, et le président aussi.

    On verra plus loin les raisons pour lesquelles les résultats de la N.R.A. ont déçu cette attente.

    Retenons ici qu'au début d'octobre la situation apparaissait sérieuse, voire menaçante. Non seulement le nombre des chômeurs demeurait considérable, mais, à la campagne, les fermiers, rendus furieux par la faiblesse persistante des cours de leurs produits, reprenaient leurs manifestations violentes et s'opposaient par la force au ravitaillement des villes. De nouveau, le problème des prix des denrées agricoles revenait au premier plan des préoccupations de l'administration.

    M. Roosevelt se souvint alors qu'en avril et mai, il avait pu mesurer la puissance de l'arme monétaire. Une dévaluation avait alors déterminé une hausse générale des cours. Une nouvelle dévaluation — voulue et méthodiquement conduite, celle-là — obtiendrait sans doute le même résultat. Le professeur Warren, disciple lui-même du professeur Irving Fisher qui soutenait cette thèse, devint le conseiller écouté de la Maison Blanche.

 

 

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