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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:01
LE DROIT

DES GENS

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LIVRE IV

Du rétablissement de la Paix, & des Ambassades.


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CHAPITRE I

De la Paix, & de l’obligation de la cultiver.

 

 

§.1        Ce que c’est que la Paix

            La Paix est opposée à la Guerre, c’est cet état désirable, dans lequel chacun jouït tranquillement de ses droits, ou les discutte amiablement & par raison, s’ils sont controversés.   HOBBES a osé dire, que la Guerre est l’état naturel de l’homme.   Mais si, comme la raison le veut, on entend par l’état naturel de l’homme, celui auquel il est destiné & appellé par sa nature, il faut dire plûtôt, que la Paix est son état naturel.   Car il est d'un être raisonnable de terminer ses différends par les voies de la raison ; c’est le propre des bêtes, de les vuider par la force (a(a) CICERO.   De Offic.   Lib.I cap.II).   L’homme, ainsi que nous l’avons déja observé (Prélim.   §.10), seul, dénué de sécours, ne pourroit être que très-misérable ; il a besoin du commerce & de l’assistance de ses semblables, pour jouïr d'une vie douce, pour développer ses facultés & vivre d'une manière convenable à sa nature : Tout cela ne se trouve que dans la paix.   C’est dans la paix que les hommes se respectent, qu’ils s'entresécourent, qu’ils s'aiment.   Ils ne sortiroient point de cet heureux état, s'ils n'étoient emportés par les passions, & aveuglés par les illusions grossières de l’amour-propre.   Le peu que nous avons dit des effets de la Guerre, suffit pour faire sentir combien elle est funeste.   Il est triste pour l’humanité, que l’injustice des méchans la rende si souvent inévitable.


 

§.2        Obligation de la cultiver

            Les Nations pénétrées des sentimens de l’humanité, sérieusement occupées de leurs devoirs, éclairées sur leurs véritables & solides intérêts, ne chercheront jamais leur avantage, au préjudice d'autrui ; soigneuses de leur propre bonheur, elles sçauront l’allier avec celui des autres, & avec la Justice & l’équité.   Dans ces dispositions, elles ne pourront manquer de cultiver la Paix.   Comment s'acquitter de ces devoirs mutuels & sacrés, que la Nature leur impose, si elles ne vivent ensemble en paix ? Et cet état ne se trouve pas moins nécessaire à leur félicité, qu'à l’accomplissement de leurs devoirs.   Ainsi la Loi Naturelle les oblige de toute manière à rechercher & à cultiver la Paix.   Cette Loi Divine n'a pour fin que le bonheur du Genre-humain : C’est là que tendent toutes ses règles, tous ses préceptes : on peut les déduire tous de ce Principe, que les hommes doivent chercher leur propre félicité ; & la Morale n’est autre chose que l’Art de se rendre heureux.   Cela est vrai des particuliers ; il ne l’est pas moins des Nations, comme on s'en convaincra sans peine, si l’on veut réfléchir seulement sur ce que nous avons dit de leurs devoirs communs & réciproques, dans le prémier Chapitre du Livre II.


 

§.3        Obligation du Souverain à ce même égard

            Cette obligation de cultiver la paix, lie le Souverain par un double nœud.   Il doit ce soin à son peuple, sur qui la Guerre attire une foule de maux : Et Il le doit de la manière la plus étroite & la plus indispensable ; puisque l’Empire ne lui est confié que pour le salut & l’avantage de la Nation (Liv.I §.39).   Il doit ce même soin aux Nations étrangères, dont la Guerre trouble le bonheur.   Nous venons d'exposer le devoir de la Nation à cet égard ; & le Souverain, revêtu de l’Autorité publique, est en même-tems chargé de tous les devoirs de la Société, du Corps de la Nation (Liv.I §.41).


 

§.4        Etendue de ce devoir

            Cette Paix si salutaire au Genre-humain, non-seulement la Nation ou le Souverain ne doit point la troubler lui-même ; il est de plus obligé à la procurer, autant que cela dépend de lui, à détourner les autres de la rompre sans nécessité, à leur inspirer l’amour de la Justice, de l’équité, de la tranquillité publique, l’amour de la paix.   C’est l’un des plus salutaires Offices, qu'il puisse rendre aux Nations & à l’Univers entier.   Le glorieux & aimable personnage que celui de Pacificateur ! Si un grand Prince en connoissoit bien les avantages ; s'il se réprésentoit la Gloire si pure & si éclatante, dont ce précieux caractère peut le faire jouïr, la reconnoissance, l’amour, la vénération, la confiance des peuples ; s'il sçavoit ce que c'est que régner sur les cœurs ; il voudroit être ainsi le Bienfaiteur, & le Père du Genre-humain : il y trouveroit mille fois plus de charmes, que dans les Conquêtes les plus brillantes.   AUGUSTE fermant le Temple de Janus, donnant la paix à l’Univers, accommodant les différends des Rois & des Peuples ; Auguste en ce moment, paroît le plus grand des Mortels ; c’est presque un Dieu sur la Terre.


 

§.5        Des perturbateurs de la paix

            Mais ces perturbateurs de la Paix publique, ces fléaux de la Terre, qui, dévorés d'une Ambition effrénée, ou poussés par un caractère orgueilleux & féroce, prennent les armes sans Justice & sans raison, se jouent du repos des hommes & du sang de leurs sujets ; ces Héros monstrueux, presque déifiés par la sotte admiration du vulgaire, sont les cruels ennemis du Genre-humain ; & ils devroient être traités comme tels.   L’expérience nous montre assez combien la Guerre cause de maux, même aux peuples qui n'y sont point impliqués : Elle trouble le Commerce, elle détruit la subsistance des hommes, elle fait hausser le prix des choses les plus nécessaires, elle répand de justes alarmes & oblige toutes les Nations à se mettre sur leurs gardes, à se tenir armées.   Quiconque rompt la paix sans sujet, nuit donc nécessairement aux Nations mêmes, qui ne sont pas l’objet de ses armes ; & il attaque essentiellement le bonheur & la sûreté de tous les peuples de la terre, par l’exemple pernicieux qu'il donne.   Il les autorise à se réunir pour le réprimer, pour le châtier, & pour lui ôter une Puissance, dont il abuse.   Quels maux ne fait-il pas à sa propre Nation, dont il prodigue indignement le sang, pour assouvir ses passions déréglées, & qu'il expose sans nécessité au ressentiment d'une foule d'ennemis ! Un Ministre fameux du dernier siécle n'a mérité que l’indignation de sa Nation, qu'il entrainoit dans des Guerres continuelles, sans Justice, ou sans nécessité.   Si par ses talens, par son travail infatigable, il lui procura des succès brillans dans le Champ de Mars, il lui attira, au moins pour un tems, la haine de l’Europe entière.


 

§.6        Jusqu'où on peut continuer la guerre

            L’amour de la paix doit empêcher également & de Commencer la guerre sans nécessité, & de la continuer, lorsque cette nécessité vient à cesser.   Quand un Souverain a été réduit à prendre les armes, pour un sujet juste & important, il peut pousser les opérations de la Guerre, jusqu’à-ce qu’il en ait atteint le but légitime, qui est d'obtenir Justice & sûreté (Liv.III §.28).


             Si la Cause est douteuse, le juste but de la Guerre ne peut être que d'amener l’Ennemi à une Transaction équitable (Liv.III §.38) ; & par conséquent, elle ne peut être continuée que jusques-là.   Aussi-tôt que l’Ennemi offre, ou accepte cette Transaction, il faut poser les armes.


             Mais si l’on a affaire à un Ennemi Perfide ; il seroit imprudent de se fier à sa parole & à ses sermens.   On peut très-justement, & la prudence le demande, profiter d'une Guerre heureuse, & pousser ses avantages, jusqu'à-ce qu’on ait brisé une Puissance excessive & dangereuse, ou réduit cet Ennemi à donner des sûretés suffisantes pour l’avenir.


             Enfin, si l’Ennemi s'opiniâtre à rejetter des Conditions équitables, il nous contraint lui-même à pousser nos progrès jusqu'à la Victoire entière & définitive, qui le réduit & le soumet.   Nous avons vû ci-dessus (Liv.III Chap. VIII, IX & XIII) comment on doit user de la Victoire.


 

§.7        Paix, fin de la Guerre

            Lorsque l’un des Partis est réduit à demander la paix, ou que tous les deux sont las de la guerre, on pense enfin à s'accommoder, & l’on convient des Conditions.   La Paix vient mettre fin à la Guerre.


 

§.8        Effets généraux de la Paix

            Les effets généraux & nécessaires de la Paix sont, de réconcilier les ennemis & de faire cesser de part & d'autre toute hostilité.   Elle remet les deux Nations dans leur état naturel.


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre V : Pronostics

 

Changements de structure - Activités futures

 

 

 

 

 

 

    A de tels changements dans les objectifs et les règles de vie, ainsi que dans la psychologie de l'homo economicus, doivent naturellement correspondre des modifications profondes dans la structure sociale et dans l'aspect démographique du pays.

    On peut prévoir de vastes transferts de populations ; migrations géographiques et migrations professionnelles.

    Il y en aura de voulues et d'organisées : le gouvernement fédéral va créer de grandes colonies destinées à se suffire à elles-mêmes et à l'intérieur desquelles devra s'établir un équilibre des productions (agricoles, industrielles et artisanales) et des prestations de service.

    On y dirigera les habitants des campagnes et des villes où le redressement économique est impuissant à faire renaître les activités anciennes ; soit qu'elles étaient consacrées à des productions désormais réglementées et limitées par l'A.A.A. ou par certains codes industriels, soit qu'elles s'étaient développées de façon excessive pendant la période de fausse prospérité, soit enfin que les récents progrès techniques les condamnent à une disparition définitive.

    D'autres transferts s'opéreront automatiquement parce qu'en même temps que se fermeront certains débouchés, d'autres vont s'ouvrir.

    La limitation des profits de la classe capitaliste est destinée à imprimer aux investissements un rythme moins rapide qu'avant la crise, et par voie de conséquence la quantité des instruments de production augmentera moins vite. Mais, simultanément, l'accroissement du pouvoir d'achat des masses développera la consommation courante.

    L'industrie lourde, l'industrie dite de capital occuperont sans doute moins de main-d'œuvre qu'autrefois. Au contraire, l'industrie de consommation offrira des places et du travail à un plus grand nombre de techniciens, d'employés et d'ouvriers. En même temps, l'amélioration des conditions d'existence dans le peuple accroîtra, suivant un processus depuis longtemps observé, la demande pour les services (1) ; d'où encore création d'emplois.

    Mais de ce développement inégal on aurait tort de conclure que les industries de capital sont d'ores et déjà vouées à la décadence, ou même que l'état de stagnation où elles se trouvent actuellement, soit destiné à se perpétuer. L'industrie des machines, par exemple, sera stimulée par le rétablissement des hauts salaires qui poussent à la découverte et à l'application des procédés économisant le travail humain (labour saving devices).

    De nouvelles inventions ont été mises au point, ou vont l'être, qui peuvent ranimer des branches actuellement délaissées de la production industrielle. Dans les chemins de fer, où d'ailleurs tout l'outillage est à renouveler, la construction d'automotrices ultra-légères et à marche extrêmement rapide offre, pour un pays où les distances sont si grandes, un intérêt capital. Une industrie nouvelle est en train de se créer pour le « conditionnement » (purification, chauffage, refroidissement, humidification) de l'air.

    Mais il est un champ presque illimité à l'activité d'une des principales industries de capital, celle du bâtiment. A tel point qu'elle y peut trouver non seulement une compensation à toutes les déficiences, mais les bases d'une extraordinaire prospérité qui gagnerait immédiatement les industries voisines pour s'étendre bientôt à toute l'économie. On assisterait alors à un phénomène analogue au développement de l'industrie électrique, au début du XXe siècle, ou à celui de l'industrie automobile depuis la guerre.

    Aussi bien dans les villes que dans les campagnes, les Américains sont d'une façon générale extraordinairement mal logés. Dans les classes moyennes où à certains égards, on jouit d'un luxe inconnu dans les milieux correspondants en Europe, où par exemple les autos, les appareils frigorifiques sont choses courantes, l'habitation est le plus souvent misérable. Partout, même au milieu des cités modernes, ou trouve de vieilles maisons de bois. Les classes pauvres vivent dans d'affreux taudis. Les loyers sont d'ailleurs exorbitants et absorbent le quart ou même le tiers du revenu. D'où un déséquilibre dont on ne saurait exagérer la gravité et qui se reflète sur toute l'économie du pays.

    La solution du problème du logement ne transformerait pas seulement les conditions d'existence des Américains ; mais l'édification de maisons neuves par centaines de mille donnerait directement et indirectement du travail à des millions de chômeurs.

    Or cette solution, qui serait aussi celle de la crise, dépend en partie de progrès techniques qui abaisseraient le prix de la construction : ils ne sont certes pas hors de la portée du génie inventif de l'Amérique. Mais dans les centres urbains le problème est compliqué par la cherté inouïe des terrains. Il y a là une situation absolument anormale, dont la spéculation est la cause première, et à laquelle il est urgent de mettre fin, quitte à recourir à l'expropriation.

    Il n'y aurait rien d'étonnant que les prochains mois ou les prochaines années vissent s'accomplir en Amérique une révolution immobilière urbaine comparable à la révolution immobilière rurale en France, à la fin du XVIIIe siècle.




1 - Par exemple les blanchisseries, l'hôtellerie. De même pour les professions libérales (médecins, dentistes, infirmières, professeurs).

 

 

 

 

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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre VII : Pronostics

 

Démocratie ou dictature

 

 

 

 

 

 

    Toutes les transformations qui s'opèrent dans l'ordre spirituel, économique et social, s'accompagnent-elles ou seront-elles suivies d'une révolution politique?

    En un sens au moins, on est tenté de répondre par l'affirmative. On voit mal, en effet, comment la vieille constitution, de forme fédérative, pourra à la longue résister à la pression qu'elle subit. L'unité de commandement a été nécessaire dans la bataille contre la crise. Ne le sera-t-elle pas davantage encore pour prévenir la rechute et pour maintenir l'ordre nouveau, dès qu'avec le retour à la santé, se réveilleront les particularismes locaux et les appétits privés? Rien ne prouve cependant que, pour asseoir définitivement la suprématie du pouvoir central, doive intervenir une rupture brusque et violente avec le passé. En dépit du précédent historique de la guerre de Sécession, le marchandage, le compromis, l'adaptation graduelle sont plus conformes à la tradition.

    Mais le grand problème politique est beaucoup moins celui de la lutte entre le fédéralisme et la centralisation, que de savoir si la révolution économique et sociale est compatible avec le maintien du régime démocratique.

    On a dit qu'aux Etats-Unis, règne une dictature : et l'on cite souvent le nom de Roosevelt à côté de ceux de Mussolini et d'Hitler.

    Erreur grossière, confusion ridicule.

    L'art du président, son génie politique c'est précisément d'avoir su imprimer sa direction au gouvernement de l'Amérique, dans le respect absolu des formes démocratiques.

    Sans doute, des pouvoirs plus étendus et nouveaux lui ont été confiés. Mais ils demeurent limités, et comme l'écrit M. Lindley, les objectifs pour lesquels ils peuvent être utilisés, sont nettement définis. Le Parlement qui les a délégués, peut à tout moment les reprendre. Nulle atteinte n'a été portée aux droits du citoyen : la liberté de la presse et de l'opinion, le droit d'association et de réunion demeurent entiers.

    Ses pouvoirs, M. Roosevelt les exerce avec l'accord d'une nation presque unanime : le secret de cet assentiment, c'est que le but qu'il poursuit est de toute évidence le mieux-être du plus grand nombre, et que les seules disciplines qu'il demande visent à atteindre cet idéal. De tels appels au sentiment, à la raison, s'ils sont lancés par un homme probe et loyal, énergique et éloquent, pourquoi n'emporteraient-ils pas la sympathie et la conviction populaires?

    M. Roosevelt a donc confiance dans la démocratie. Il a su établir avec elle un contact intime et permanent. Il la tient constamment au courant de ses actes et de ses intentions, grâce à cet admirable instrument de liaison que peut être la presse, et il réserve le discours radiodiffusé pour les grandes occasions, pour les temps critiques, quand il lui faut user de tout son ascendant afin de rassurer et de convaincre.

    Deux fois par semaine, le président réunit dans son cabinet les journalistes accrédités à la Maison Blanche. Ces conférences se tiennent dans une atmosphère de camaraderie véritable ; c'est à peine si la cordialité est nuancée d'un peu plus d'autorité chez l'un, d'un peu plus de déférence chez les autres. Il règne entre les interlocuteurs une confiance absolue : le président sait qu'aucune de ses paroles ne sera déformée, ni tendancieusement interprétée et que rien de ce qu'il aura dit sous le sceau de la confidence ne sera rapporté. Les journalistes savent de leur côté qu'ils ne seront pas induits en erreur, ni engagés sur de fausses pistes. Après qu'il a fait connaître ses plus récentes décisions, leurs motifs et leurs buts, le président se soumet à un interrogatoire, d'où aucun sujet n'est à priori exclu. Il répond à toutes les questions, quitte à avouer, dans certains cas, son ignorance présente, à invoquer, dans d'autres, l'impossibilité actuelle d'aboutir à une conclusion.

    Le soir même ou le lendemain, paraissent dans tous les journaux non point un compte-rendu de la conférence de presse, donné comme tel, mais, sous chaque rubrique spéciale, les nouvelles de la Maison Blanche.

    Un pareil système ne pouvait être instauré que dans un pays où la presse, dans sa majorité, a la conscience de son devoir professionnel, qui est de donner des informations exactes et de réserver la critique pour les commentaires éditoriaux. Ces conditions existent en Amérique.

    M. Roosevelt a su en profiter. Jamais aux Etats-Unis, et jamais sans doute dans aucun autre pays, l'opinion n'a été mieux renseignée, presque jour par jour, sur ce que l'Exécutif fait et sur ce qu'il cherche à faire. Quant au président lui-même, il peut à son tour étudier les moindres réactions de l'opinion, diriger en conséquence son effort de propagande et parfois modifier sa propre attitude.

    C'est ainsi qu'a été restauré, à l'échelle d'un continent le régime de l'agora athénienne (1).

    Quant au Congrès, il conserve pour paralyser l'action du président tous les moyens dont il n'a cessé d'user dans l'histoire. S'il s'abstient à présent de le faire, c'est qu'il n'est, après tout, lui-même, que l'expression de l'opinion publique. Aussi longtemps qu'elle restera favorable à la politique de M. Roosevelt, le Congrès, sauf quelques révoltes passagères, soutiendra cette politique. Mais qu'un changement intervienne dans le sentiment populaire, aussitôt l'opposition du Parlement contrecarrera les initiatives présidentielles.

    Ce régime essentiellement démocratique a maintenant fonctionné depuis plus d'un an.

    Loin d'entraver la lutte contre la crise, loin d'empêcher la réforme sociale, il les a favorisées l'une et l'autre. Il n'est besoin que de comparer pour s'en convaincre.

    De l'autre côté de l'Atlantique, un peuple renaît à la vie sans qu'il ait fallu le nourrir d'une mystique de violence.




1 - Le mot est de M. Lindley. Op. cit.

 

 

 

 

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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Annexes

 

 

 

 

 

    Les idées monétaires sur lesquelles sont fondées, dans cet ouvrage, l'interprétation des faits récents et les pronostics d'avenir ont reçu dans le passé une vérification. Elles ont permis en effet de prévoir dès 1931 que les Etats-Unis seraient acculés au moratoire général et à l'abandon de l'étalon-or ; d'une manière générale elles ont fourni une explication satisfaisante des principaux événements d'ordre économique et financier dont l'Amérique a été le théâtre.

    La reproduction en annexe de quelques passages d'articles anciens ne servira pas seulement à justifier les vues de l'auteur ; elle aidera à faire comprendre l'évolution de l'Amérique, la situation à laquelle M. Roosevelt a dû faire face.

    L'article suivant a paru le 31 octobre 1931 dans La Lumière sous le titre :
le Maintien de l'étalon-or aux Etats-Unis dépend entièrement de l’évolution prochaine des prix. Il est consécutif au voyage de M. Laval à Washington et à la publication d'un communiqué où les gouvernements français et américains affirmaient leur commun attachement à l'étalon-or. Il se réfère à une note technique publiée par le Bulletin de la Société d'Études et d'Informations économiques.

    L'auteur de cette note commence par déclarer que le dollar n'a pas grand'chose à craindre ni des retraits de fonds appartenant à l'étranger, ni d'une fuite des capitaux. Il y a là matière à une discussion qui nous entraînerait assez loin. Je dirai seulement que, sans être aussi affirmatif que le Bulletin Quotidien, j'incline à me ranger à sa manière de voir sur ce point. Passons donc.

    Le danger extérieur étant écarté, reste le danger intérieur, celui qui peut provenir de la situation bancaire aux Etats-Unis.

    Supposons que le mouvement de retraits de fonds et de thésaurisation se poursuive. Les banques, on le sait, ne sont jamais en mesure de rembourser tous leurs déposants. Les banques américaines pas plus que les autres. Il y a aux Etats-Unis 52 milliards de dollars de dépôts. La circulation monétaire n'est que de 5 milliards, chiffre qui, en poussant à l'extrême la capacité d'émission des banques de réserve, pourrait atteindre 9 à 10 milliards En cas de run généralisé, le moratoire s'imposerait donc. Le Bulletin Quotidien ajoute qu'il prendrait vraisemblablement la forme d'un cours forcé du chèque.

    Nous ferons remarquer qu'entre le dollar-chèque à cours forcé et le dollar-billet convertible en or, s'établirait nécessairement une différence de valeur, au moins sur le marché des changes pour commencer. Sérieuse entorse, en tout cas, au système de l'étalon-or.

    Mais le Bulletin Quotidien poussant plus loin son analyse, se demande si les banques américaines sont, à l'heure actuelle, dans leur ensemble solvables. En d'autres termes, leur actif est-il supérieur à leur passif?

    Considérant pour exemple les derniers bilans de 7.800 banques faisant partie du système de réserve, le B. Q. mesure leur passif composé de 40 milliards de dépôts et d'engagements divers, contre un actif de 45 milliards, constitué par diverses sortes de placements et représentés pour les deux tiers environ par des immeubles, des hôtels et des stocks de marchandises.

    Qu'est devenu cet actif depuis le début de l'année 1931 ? Il s'est déprécié dans une proportion énorme. Pour en donner une idée, le B. Q. publie le petit tableau que voici et qui montre la baisse enregistrée en 9 mois environ.

                                      Début 1931    Sept. 1931    Pourcentage de dépréciation

    Valeurs à revenu variable   
1913=100                                  430               180         — 55,4%

    Blé (cents p. bushel)                129                59          — 54,3%

    Maïs (id.)                                 96                 51          — 40,9%

    Coton (cents par livre)            172                 58          — 60,3%

    Cuivre                                    176                 72        — 58,9%

    On observera ici l'étonnante concordance du coefficient de dépréciation entre des choses aussi diverses que des titres de Bourse, des céréales, une matière textile et un métal. Est-il preuve plus flagrante que, conformément à ce que nous avons toujours soutenu, c'est en réalité l'étalon de valeur, donc la monnaie, c'est-à-dire l'or, qui s'est « apprécié » vis-à-vis de toutes les marchandises?

    Pour en revenir au bilan des banques, les 40 milliards qui figurent au passif sont payables en monnaie ; ils restent par conséquent ce qu'ils étaient, c'est-à-dire 40 milliards de dollars.

    Si donc les deux tiers environ de l'actif se sont dépréciés de plus de 50 %, tandis que le passif ne variait pas, la solvabilité des banques américaines est devenue plus que douteuse.

    Elle ne pourrait être rétablie que si les avoirs figurant à l'actif reprenaient de la valeur, c'est-à-dire si les prix des titres, des immeubles et des matières premières remontaient.

    La solution du problème bancaire américain, conclut très justement le B. Q., est d'aboutir à une hausse des prix.

    Nous avons toujours soutenu ici que c'était la solution de la crise en général. Nous enregistrons avec satisfaction la confirmation apportée à notre thèse par l'analyse du B. Q. qui n'a pas accoutumé de développer des idées subversives.

    L'auteur de l'étude ne manque point d'observer que les autorités américaines, ayant reconnu le danger, s'emploient actuellement à faire monter les prix. Nous avons montré ici que c'était là toute la portée de la dernière proclamation de M. Hoover.

    En souscrivant ensuite à la déclaration relative au maintien de l'étalon-or, le Président des Etats-Unis n'a pas perdu de vue son objectif essentiel. Sans doute il ne demande pas mieux que de l'atteindre, tout en conservant l'étalon-or. En d'autres termes, il désire faire monter les prix exprimés en or, c'est-à-dire dévaluer l'or par rapport aux marchandises.

    Mais s'il n'y parvient pas ? Si la thésaurisation de la monnaie-or, la raréfaction de l'or se poursuivent? Si la France exige — pour continuer de se solidariser avec le dollar — une politique déflationniste de la part de la Federal Reserve Board, politique déflationniste aboutissant à une nouvelle baisse des prix?

    Dans ce cas, le Président Hoover n'aura qu'une seule ressource pour sauver le système bancaire et social de son pays : ce sera de dévaluer le dollar, en rompant son amarre avec l'or.

    Nous ne serons donc pas grands prophètes en prédisant l'avenir de la manière suivante :

    Ou bien les mesures à tendance inflationnistes récemment prises en Amérique, réussiront en respectant le système de l'étalon-or, à faire monter les prix des matières premières essentielles, ainsi que des valeurs immobilières et mobilières, ce qui revient à une dévaluation de l'or, et l'Amérique, sauvée du krach bancaire, voyant se résoudre la crise économique, demeurera fidèle à l'étalon-or.

    Ou bien ces efforts auront été vains. Et l'Amérique n'hésitera pas à dévaloriser son dollar en reniant à son tour l'étalon-or par un geste délibéré.


    ***



    L'article suivant, paru le 26 décembre 1931 précise encore davantage :

    Nous y montrions (dans l'article du 31 octobre précédent), chiffres à l'appui, que même au niveau actuel des prix, les banques américaines sont, dans leur ensemble, insolvables : car ce qu'elles doivent à leurs déposants est représenté par une quantité d'espèces égale à celle qui leur a été confiée ; tandis que ce qu'elles possèdent et qui est représenté, en fin de compte, par des immeubles, des titres et des stocks de marchandises, a subi une dépréciation colossale ; en d'autres termes, leur actif est inférieur à leur passif.

    A cette situation banqueroutière, qu'un run des déposants risque, à tout moment, de faire apparaître en pleine lumière, il n'existe, avons-nous expliqué, qu'un seul remède imaginable : la hausse générale, des prix qui restituerait à l'actif des banques sa valeur ancienne. Donc, ajoutions-nous, toute la politique américaine doit tendre à la hausse des prix. S'il est possible de la réaliser dans le cadre de l'étalon-or, les Etats-Unis y demeureront attachés. Si la tâche s'avère impossible, force leur sera d'abandonner le gold standard.

    Deux mois se sont écoulés depuis. Le gouvernement américain a tenté un grand effort : voyons-en les résultats avant d'examiner les moyens employés et ceux qu'on se propose d'appliquer encore.

    Les marchés de matières premières avaient paru un instant répondre aux mesures anti-déflationnistes. Une hausse s'était dessinée ; elle n'a pas duré. Et tout ce dont on puisse se flatter, c'est d'avoir enrayé la baisse.

    Par contre, la dégringolade des titres s'est poursuivie : valeurs immobilières, actions et obligations des chemins de fer et de l'industrie se sont encore dépréciés.

    Dans l'ensemble donc, aggravation des éléments essentiels de la situation économique et financière. Toutefois, on a pu bénéficier d'une sorte de répit grâce à l'amélioration de certains facteurs psychologiques : le public a témoigné d'une moindre méfiance envers le système bancaire. Amélioration purement temporaire et qui paraît être en train de prendre fin, à en juger par les derniers krachs, de sorte qu'un retour de panique peut à tout moment transformer un état de choses catastrophique en une catastrophe tout court.

    Il faut prendre de nouvelles mesures puisque les premières n'ont pas suffi. Un mot sur celle-ci.

    Il y a deux mois environ, le président Hoover était venu en aide aux banques par la création de la National Credit Corporation dont le capital d'un demi-milliard de dollars était destiné à secourir les établissements menacés par des retraits de dépôts. L'intervention de la National Credit Corporation a incontestablement servi à rassurer, pendant un temps, l'opinion ; On lui doit le répit de quelques semaines auquel nous faisons allusion plus haut. Il faut noter toutefois que ce sont les banques elles-mêmes qui ont souscrit le capital du nouvel institut, de sorte qu'il n'a pas encore été mis d'argent frais à la disposition du système bancaire pris dans son ensemble.

    Les nouveaux projets du président Hoover sont infiniment plus audacieux.

    Pour venir en aide à l'industrie, à l'agriculture, et au commerce d'exportation, il sera créé un nouvel organisme intitulé la Reconstruction Finance Corporation ; pour secourir les chemins de fer, un second intitulé le Railroad Credit Corporation. D'autre part, une série de douze nouveaux établissements, les Federal Home Loan Discount Banks, autorisés à escompter les prêts hypothécaires, auront pour tâche de protéger les petits propriétaires d'immeubles et de favoriser les constructions.

    L'innovation, dont il est à peine besoin de souligner la gravité, c'est que le capital-actions  de ces institutions nouvelles sera entièrement souscrit par l'Etat, et que c'est encore l'Etat, qui donnera sa garantie pour les émissions d'obligations. Or, il s'agit de sommes énormes : rien que pour la Railroad Credit Corporation 1/2 milliard de dollars, et pour la Reconstruction Finance Corporation, 1 /2 milliard d'actions et 1 milliard ½ d’obligations.

    Où le gouvernement des Etats-Unis trouvera-t-il cet argent? Les caisses publiques sont vides. Le déficit budgétaire, pour l'exercice clos, l'exercice en cours et l'exercice suivant atteindra 4 milliards 1/2 de dollars et sera tout juste réduit à 2 milliards 1/2 après le vote des nouveaux impôts projetés. De sorte que les besoins de la Trésorerie, tant pour les dépenses courantes que pour le financement des projets destinés à sauver l'économie américaine, sont de l'ordre de quatre ou cinq milliards de dollars — 100 à 125 milliards de francs qu'il va falloir obtenir par voie d'emprunts. Somme qui ne tient pas compte des besoins des municipalités, des comtés et des Etats.

    La question est de savoir si l'épargne publique et les banques voudront et pourront fournir les fonds, c'est-à-dire s'il sera possible de mobiliser des capitaux existants, actuellement thésaurisés et stériles, ou s'il faudra créer de toutes pièces de nouveaux capitaux par une inflation proprement dite.

    Depuis que la crise a éclaté, les épargnants n'ont pas été sollicités directement. On retrouve dans le portefeuille des Banques à peu près tous les titres émis par le gouvernement fédéral, sous forme de Bons à très court terme qui viennent à renouvellement tous les trois ou six mois, ajoutant chaque fois leur poids à celui des émissions nouvelles. Du 30 juin 1929 au 30 juin 1931, la valeur des titres du gouvernement fédéral détenus par les Banques a passé de 4.144 millions de dollars à 5.343 millions ; celle des obligations des comtés, municipalités et Etats s'est élevée de 1.144 millions à 1.535. Pour faire les fonds nécessaires à ces souscriptions, les Banques ont rejeté sur le marché au moins autant d'actions et d'obligations industrielles. Ce n'est pas là une des moindres causes de la persistance et de l'aggravation de la crise boursière et financière.

    Au point de dépression où l'économie américaine et le marché des valeurs, en particulier, sont arrivés, comment imaginer que le même processus puisse se poursuivre jusqu'à absorber quatre ou cinq milliards de titres nouveaux émis par le Gouvernement? Pareillement, comment croire que le public pourrait prélever une telle somme d'argent frais sur les épargnes liquides thésaurisées afin de souscrire à des emprunts à long terme?...

    Si les capitaux existants se refusent à alimenter le Trésor-Public, il ne restera qu'une ressource ; en créer de nouveaux. Les Banques du Federal Reserve System devront fabriquer la monnaie et le crédit qui serviront à combler le déficit budgétaire et à édifier les organismes chargés de sauver l'économie américaine. Elles le feront par les procédés connus : achats de titres sur le marché, réescompte. Pure inflation : il en faudra des milliards de dollars.

    Mais dès que les premiers signes de cette inflation apparaîtront, le retrait des capitaux étrangers se précipitera. En même temps qu'elles émettront de nouveaux billets et de nouveaux crédits, les Banques de Réserve Fédérales verront fuir l'or de leurs caisses. A ce moment, le dénouement sera proche ; il est facile de l'imaginer dès maintenant. Sous prétexte de protéger l'encaisse métallique et la couverture, on mettra l'embargo sur l'or ; en qui, en bon français, voudra dire suppression de la convertibilité et abandon de l'étalon-or.

    Tel est le scénario probable, sans qu'on doive exclure une étape intermédiaire toujours possible: le moratoire général, qui s'imposerait en cas de panique et de run sur les Banques. Mais le moratoire lui-même ne saurait, en tout état de cause, avoir d'autre issue que l'inflation.


    ***



    Un article daté du 30 juillet 1932 pose de nouveau le problème, à la suite des premières mesures de reflation prises par le président Hoover, et annonce la situation devant laquelle se trouvera dix mois plus tard la Conférence économique et monétaire de Londres :

    Les risques de dévaluation du dollar ne résultent pas seulement des mesures d'expansion de crédit, que le gouvernement fédéral est obligé de prendre pour permettre les émissions d'emprunts destinés soit à couvrir les dépenses publiques, soit à venir en aide à l'économie privée et à empêcher l'écroulement des banques ou des compagnies de chemins de fer ou des principales entreprises industrielles.

    Mais la menace essentielle réside bien plutôt dans l'impossibilité où se trouvent d'une façon générale les débiteurs privés de faire face à leurs engagements. Cette situation a pour cause l'avilissement des prix. Le salut ne peut donc venir que d'une hausse et cette hausse, si elle ne se réalise pas avec l'étalon monétaire actuel, il faudra l’obtenir par une altération de cet étalon. C'est là le grand problème en présence duquel se trouvera la future Conférence internationale (monétaire)...

    Comment croire que les Etats-Unis viendront à la Conférence dans des dispositions d'esprit favorables aux thèses déflationnistes chères aux bureaux du ministère des Finances et à la Banque de France?

 

 

***



    Dans la seconde quinzaine de février 1933 les prédictions commencent à se réaliser. L'Etat de Michigan proclame le moratoire. Dès le 25 février la suite des événements ne fait plus guère de doute :

    Malheureusement, comme nous en exprimions la crainte, la thésaurisation s'est développée aussi rapidement, ou même plus vite, que l'inflation ; il n'y a eu ni hausse des prix, ni reprise des affaires. Les débiteurs se sont endettés davantage et sont devenus moins solvables encore. Dans les campagnes, la situation n'a pas tardé à prendre un tour tragique : les fermiers s'opposent par des moyens insurrectionnels à la mise en vente de leurs propriétés ; ils ont réussi à imposer une sorte de moratoire hypothécaire de fait. Le Congrès est en train d'élaborer une législation sur les faillites qui ajourne les procédures d'exécution aussi bien pour les entreprises industrielles et commerciales que pour l'agriculture.

    Mais il va de soi que la situation des créanciers — en particulier celle des banques — s'aggrave en même temps que celle de leurs débiteurs et se ressent de toutes les concessions faites.

    Ces derniers jours, on redoutait quelque désastre dons les régions agricoles. Mais voici qu'un Etat industriel a pris les devants. C'est dans le Michigan, pays de l'industrie automobile, que vient de s'écrouler le premier pan de l'édifice financier américain. Du jour au lendemain, 550 banques ont clos leurs guichets. Un moratoire a été édicté ; il ne vient d'être levé que de façon très limitée.

    Le danger d'une pareille situation, c'est la contagion de l'exemple. Pourquoi le déposant de l'Illinois ou de la Pennsylvanie ne prendrait-il pas peur en constatant le sort fait à son frère du Michigan? Pourquoi ne courrait-il pas au guichet de sa banque pour retirer son argent?

    S'il le fait, si le run se déclare, à l'instar de celles du Michigan, toutes les banques américaines devront fermer leurs portes. La menace du moratoire général plane sur l'Amérique.

    Or, l'issue du moratoire, à moins d'adopter les méthodes rigoureusement déflationnistes à la manière allemande — méthodes qui répugnent profondément à l'Amérique — c'est l'inflation monétaire massive pour payer à guichets ouverts dès leur réouverture.

    Mais l'inflation monétaire massive, ou la seule crainte de cette inflation, c'est aussi le retrait et la thésaurisation privée de l'or, c'est l'exode des capitaux et l'exportation de l'or.

    L'Amérique risque donc, à bref délai, d'être amenée à prendre des mesures destinées à sauvegarder les réserves métalliques des banques fédérales : suspension de la circulation des pièces d'or et de la convertibilité intérieure de la monnaie, suspension de la convertibilité extérieure, c'est-à-dire abandon de l'étalon-or ou dévaluation délibérée du dollar à une nouvelle parité, ou encore taxe à l'exportation de l'or, qui n'est qu'une dévaluation camouflée.

    Mesures qui peuvent être imposées par la nervosité, mais qui répondraient également aux voeux de toute une partie de l'opinion, laquelle escompte, non sans raison, que la dévaluation provoquerait la hausse des prix de gros et une reprise économique.


***



    Le 4 mars 1933 le moratoire général et l'embargo sur l'or sont proclamés. Mais les économistes et les financiers d'Europe et d'Amérique, M. Roosevelt lui-même se refusent encore à admettre la nécessité de la dévaluation et de la reflation. Un article paru le 11 mars, soit plus d'un mois avant l'abandon officiel de l'étalon-or, prévoit le cours inéluctable des événements :

    Qu'ils l'avouent ou non, les Etats-Unis abandonnent l'étalon-or, à moins qu'ils ne se décident à dévaluer le dollar à une nouvelle parité. Le gouvernement de M. Roosevelt a beau jeter le manteau de Noé sur ce geste impudique, la Banque d'Angleterre et la Banque de France, également effrayées (quoique pour des raisons différentes) des conséquences d'une chute du dollar, ont beau tenter de masquer la réalité ou d'arrêter le cours inéluctable des choses. Rien n'y fera.

    Nous en sommes encore à la première étape prévue par nous : le moratoire général. Demain ou après-demain, ce sera l'inflation. Ceux qui croient que les Etats-Unis pourraient imiter l'Allemagne, faire de la déflation et maintenir longtemps un cours fictif du dollar, se trompent singulièrement.

    Les conditions psychologiques — l'impatience du peuple américain, ses habitudes d'indépendance, son absence de résignation — le rendent a priori réfractaire à une discipline, à laquelle le peuple allemand lui-même ne s'est soumis qu'en souvenir d'une expérience purement personnelle et par crainte de voir se reproduire la grande catastrophe de 1922.

    De même les conditions matérielles. Rien ne serait résolu en Amérique par les mesures restrictives et par la déflation : ni l'insolvabilité des banques, des entreprises industrielles ou commerciales, des agriculteurs et des débiteurs privés. Ni la mévente, ni le chômage, ni la question des prix de revient. Ni celle du budget, ni surtout celle de la Trésorerie. Bien au contraire, la situation ne cesserait de s'aggraver.

    M. Roosevelt ne pourra pas hésiter longtemps entre quelques vagues scrupules de doctrine ou de bienséance et les aspirations, voire les exigences de tout un peuple : déposants et ouvriers, agriculteurs et commerçants ou hommes d'affaire.

    Sans nous arrêter aux tergiversations du moment, voyons donc l'avenir.

    L'inflation, indispensable à l'Amérique — mais dont on peut craindre néanmoins qu'elle devienne excessive et échappe à un sage contrôle — va régler le problème des dettes privées, par le jeu de la hausse des matières premières et des prix de gros ainsi que de la revalorisation des actifs. Elle encouragera l'investissement et développera la consommation ; elle ranimera les échanges ; elle fera disparaître les stocks. Bref, elle rétablira l'économie.

    Les Etats-Unis en sont donc à la fin de leur crise...

 

 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:21


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre VII : Pronostics

 

La nouvelle idéologie américaine

 

 

 

 

 

    Il n'est pas exclu, certes, qu'un jour les Etats-Unis poursuivent leur évolution jusqu'à l'Étatisme intégral, puis jusqu'au socialisme proprement dit. A l'heure présente, ces systèmes ne comptent qu'une poignée de partisans.

    Au gouvernement, Mr. Rex Tugwell, secrétaire adjoint à l'Agriculture, est le seul à faire du capitalisme une critique destructive et à ne pas croire qu'une forme intermédiaire puisse être viable.

    Quelque ébranlement qu'aient subi depuis la crise ses idées traditionnelles, l'Amérique reste encore fermement attachée aux principes individualistes. Elle n'en admettra le sacrifice, même partiel, que dans la mesure où la nécessité lui en sera prouvée par les faits.

    La doctrine américaine de l'effort individuel et de la récompense qu'il doit recevoir sous la forme du profit matériel a sa source historique dans l'épopée de ces pionniers qui, au XIXe siècle, ont achevé la conquête d'un immense territoire. Un grand peuple colonisateur y a puisé, cent cinquante ans durant, des leçons d'énergie consacrées par de prodigieux succès. Sa conception de la vie en était imprégnée. Et les mots, dont un Théodore Roosevelt s'est servi pour l'exalter, gardent encore leur résonance ; les désillusions et les humiliations de la crise ne l'ont pas étouffée.

    D'aucuns vont jusqu'à penser que le tempérament américain ne saurait s'accommoder d'une autre doctrine ; ils en déduisent que le retour à l'individualisme intégral est inéluctable. On entend souvent dire aux Etats-Unis que, si la prospérité est rétablie, toute la construction étatiste sera balayée en un instant. On cite en exemple toutes ces organisations du temps de guerre qui, après la conclusion de la paix, furent anéanties de quelques traits de plume. On ajoute que l'esprit particulariste des Etats est si puissant qu'aussitôt le péril conjuré, il fera table rase des règles et des institutions fédérales nées de la crise.

    La force de ces facteurs traditionnels est certaine : elle est suffisante pour empêcher la révolution, si faire se peut, d'aller jusqu'au socialisme. Mais comment croire qu'elle puisse déterminer une réaction totale? On n'imagine pas d'ailleurs un retour si complet à la prospérité que la réglementation qui l'aurait fait renaître puisse être abolie impunément. Si, par hasard, dans l'élan d'un optimisme inconsidéré, l'Amérique rétablissait purement et simplement les conditions anciennes, on verrait vite réapparaître les mêmes déséquilibres qui causèrent la crise. Il faudrait recommencer à pied d'oeuvre, et c'est alors que les solutions les plus radicales s'imposeraient sous le coup de la déception et de la colère.

    Mais il existe dès maintenant, dans la mentalité américaine, des freins assez puissants pour rendre improbable une revanche, même momentanée, de l'individualisme intégral.

    Le meilleur baromètre de l'opinion aux Etats-Unis c'est sans doute le président Roosevelt. Son prestige et son succès tiennent pour une large part, à sa connaissance exacte des pensées de la nation, à la concordance intime et presque instantanée de ses paroles et de ses actes avec les aspirations et les désirs du peuple. Or, M. Roosevelt nous a montré comment ont pu se transposer, au cours des dernières années, les tendances et même les traditions de l'Amérique.

    Le parti démocrate, comme on sait, professe l'idéal jeffersonien, celui de la liberté des individus et des Etats, par opposition aux empiétements de l'autorité fédérale. N'est-ce pas une chose singulière que l'auteur du New Deal, qui a poussé dans toutes les directions, en étendue et en profondeur, les tentacules du pouvoir central, se réclame de la doctrine de Jefferson?

    Ouvrons le livre de M. Roosevelt, Regards en avant : dès le premier chapitre qui porte le titre significatif de « Réestimation des valeurs », nous le verrons résoudre la contradiction :

    « Jefferson, écrit-il, avait craint les empiétements du pouvoir sur les individus. Pour

    Wilson, la puissance financière constituait le nouveau danger. Il comprit que le système économique de grandes concentrations était le despote du XXe siècle, dont dépendait la sécurité des individus et dont l'irresponsabilité et l'avidité — si on n'exerçait sur elles aucun contrôle — pourraient réduire les masses à la misère et à la famine. En 1912, la concentration de la puissance financière n'était pas encore ce qu'elle est devenue de nos jours... »

    Ainsi l'ennemi, pour le disciple moderne de Jefferson, ce n'est plus l'Etat central, c'est l'oligarchie financière. Voilà une transposition doctrinale qui répond aux sentiments les plus profonds de la nation. Jadis, objets d'une vénération mêlée d'envie, les magnats de Wall Street n'ont pas seulement perdu tout prestige depuis 1929. Le krach les a fait apparaître comme des illusionnistes ignorants et dangereux ; la révélation des scandales Mitchell et Wiggin les a couverts d'opprobre ; elle a soulevé contre eux la haine et le mépris.

    Tout cela ne tombera pas dans l'oubli. La mémoire en sera perpétuée par les traces et le souvenir des souffrances endurées, par la survivance d'une littérature, par toutes sortes de manifestations dans l'ordre spirituel, par l'enseignement donné par des maîtres qui, depuis cinq ans, sont penchés sur l'étude des faits économiques et sociaux. L'idée de rendre pleine liberté aux gens de finance, ferait bondir d'indignation l'immense majorité des Américains.

    Il n'est pas jusqu'à la vieille ambition de faire fortune qui ne rencontre des limitations, qu'exprime le mot d'ordre populaire : « plus de millionnaires ». Nul sans doute ne l'entend pour lui-même, mais il suffit que chacun l'applique à son voisin.

    On raconte qu'au début de la N. R. A., comme M. Roosevelt discutait le code des mines avec les grands patrons, M. Schwab, de la Bethlehem Steel, argua de ses devoirs envers les actionnaires de la compagnie. Le président l'interrompit : « Est-ce à vos actionnaires que vous pensiez lorsque vous payiez des millions de dollars de gratification à votre président, mon ami Gene Grace ». Et à la fin de l'entretien, M. Roosevelt revenait à la charge « Mes meilleurs souvenirs à mon ami Gene Grace, mais dites-lui bien de ma part qu'il ne lui arrivera plus jamais de gagner un million par an. »

    Cette hostilité foncière au gain facile se retrouve dans les manifestations de « l'esprit punitif » du gouvernement. En poursuivant avec ostentation les fauteurs de malversations, les corrupteurs, en annulant brutalement des marchés onéreux, il entretient dans l'opinion l'idée qu'il y a une limite au profit honnête, limite au delà de laquelle le modeste citoyen, « l'homme oublié », est frustré de son dû.

    C'est ainsi qu'au nom même de l'individualisme, le New Deal inculque au peuple américain la notion du contrôle des grands intérêts privés par l'Etat.

    Autrefois, explique encore le président Roosevelt, dans ses Regards en Avant, l'individu pouvait échapper aux rigueurs d'un système trop dur pour les petits : « au moment le plus critique, on avait toujours la ressource de s'embarquer pour l'Ouest, où des prairies incultes accueillaient les hommes auxquels l'Est n'avait pu procurer un gagne-pain ». Mais aujourd'hui, on peut appliquer aux Etats-Unis, le mot de Paul Valéry. Ils sont devenus un monde fini. Il n'y a plus, pour les pionniers, de terres à défricher. Et voici que M. Roosevelt transpose aussi l'esprit du pionnier, et l'applique à l'exploration du monde social, à la recherche de règles meilleures et plus harmonieuses.

    Ici encore la tradition sert l'esprit nouveau et s'adapte à lui.

    Quant à la vieille opposition des Etats et du pouvoir central, elle demeurera un facteur important dans l'évolution de l'Amérique. Mais dans cette lutte déjà plus que séculaire, une loi historique veut que l'autorité fédérale étende graduellement son empire. Cette fois, d'ailleurs, un fait nouveau s'est produit, d'une portée incalculable : la crise a ruiné les finances des Etats. Il a fallu que le gouvernement de Washington vînt au secours de leurs chômeurs, payât leurs fonctionnaires, assurât le service de leurs emprunts. Les dettes des Etats envers l'Union sont énormes. La situation de débiteurs à créancier les met en condition d'infériorité. Ils ne peuvent pas récupérer tout ce qu'ils ont perdu de leur souveraineté.


***



    Un pas a été franchi sur lequel il n'y a plus de retour possible. Si l'on hésite encore à le croire, qu'on écoute seulement les adversaires politiques de M. Roosevelt.

    L'Université de Columbia est dirigée par un républicain, M. Nicholas Murray Butler. Il a présidé à la rédaction d'un rapport qui porte la signature des plus éminents économistes, et où on lit textuellement que la politique du laissez-faire est morte. Il a, avec ses collègues, approuvé, sous certaines réserves, le principe des codes et celui du contrôle des salaires et des profits ; il s'est prononcé en faveur de la surveillance des grandes corporations industrielles, pour une politique de travaux publics et pour une monnaie-or, mais dirigée.

    Quant au leader du parti républicain, l'ancien secrétaire d'Etat, Ogden Mills, s'il ne manque pas bien entendu, d'attaquer l'administration, il concède que le principe de la N. R. A. est bon ; tout en déclarant excessives les dépenses du gouvernement, il admet qu'elles sont peut-être nécessaires pour remettre l'économie en marche. Enfin, il se dit partisan de l'assurance contre le chômage.

    Ainsi parle le chef des conservateurs sociaux. On juge par là de l'évolution de l'esprit public.

    Où mène cette évolution? Quel idéal de vie proposent au citoyen américain ceux qui ont sa confiance? Reportons-nous aux textes. Nous n'y verrons tracé ni l'ancien idéal du capitalisme individualiste, ni l'idéal socialiste, mais bien celui d'une forme intermédiaire qui emprunte à gauche et à droite ses principes directeurs.

    « Chaque homme a le droit de vivre, dit M. Roosevelt, c'est-à-dire qu'il a le droit de se constituer une vie agréable. Il peut, par paresse, ou à l'encontre de tout devoir moral, renoncer à ce droit, mais ce droit ne peut lui être refusé. Notre gouvernement, sous une forme officielle ou non, par des mesures économiques ou politiques, doit ouvrir à chaque individu une voie qui le conduise, s'il travaille, vers la possession de ce qui est nécessaire à ses besoins. Chaque homme a en outre un droit sur ce qu'il possède individuellement, autrement dit un droit qui lui garantit dans la plus large mesure la sécurité de ses gains. Sans ce droit, il ne pourrait traverser les périodes difficiles de la vie, durant lesquelles, pour des raisons naturelles, il lui est impossible de travailler : l'enfance, la maladie, la vieillesse. Dans toute idée de propriété ce droit est considérable, il domine tous les autres. Si, par respect pour ce droit, nous devons imposer des restrictions aux opérations du spéculateur, du manieur d'argent et même du financier, j'estime que nous devons admettre ces restrictions comme indispensables pour protéger l'individualisme et non pour l'entraver ».

    Autrement dit, c'est pour assurer la sécurité de l'existence et de la propriété qu'il est devenu nécessaire d'abolir d'anciens privilèges, et par conséquent de faire une révolution :

    « Les vieux jours sont passés, s'écrie M. Ickes, un des membres les plus influents du cabinet, les vieux jours du gouvernement du riche et du puissant, pour le riche et le puissant, aux dépens de la grande masse du peuple.

    « Ils sont passés pour toujours, espérons-le. Je crois que nous sommes à l'aurore d'une ère où l'homme, la femme, l'enfant moyen auront la possibilité d'une vie plus riche, et plus heureuse. Il est juste et désirable qu'il en soit ainsi. Après tout, nous ne sommes pas dans ce monde pour travailler comme des galériens durant de longues heures à des tâches pénibles pour accumuler aux mains de deux pour cent de la population les quatre-vingts pour cent de la fortune nationale. »

    Un journaliste américain, dont les sympathies pour l'oeuvre de M. Roosevelt s'accompagnent de réserves, a tenté de figurer le régime social vers lequel tend le New Deal. Commentant la promesse, faite par le président, d'une « vie plus abondante », M. Arthur Krock peint le tableau que voici :

    « Le citoyen aura plus de sécurité dans son emploi. Il consacrera moins de temps au travail et gagnera un salaire suffisant pour vivre. Il sera à l'abri de l'exploitation des professionnels de la finance. Et si, sans qu'il y ait de sa faute, il perd sa situation, le gouvernement lui donnera du travail ; il n'aura donc pas à recourir à la charité privée. Il ne connaîtra pas les années de boom, mais non plus celles de crise. Il aura droit à une pension après un certain nombre d'années de services qu'il aura fidèlement donnés à ses patrons ou à l'Etat.

    « Le confort de la vie lui sera offert à des prix équitables, sous la surveillance du gouvernement, y compris les services modernes de lumière, de force et de transport.

    « Le citoyen du New Deal ne se verra sans doute pas garantir le luxe de chemises de soie ni la possession de deux automobiles par famille. Mais il aura toujours à manger, encore que la poule au pot ne doive pas nécessairement figurer au menu de chacun de ses repas. Il y aura beaucoup moins de pauvreté, mais, en contrepartie, le gouvernement ne pourra admettre qu'un petit nombre d'individus fassent d'énormes profits et se transmettent de vastes fortunes. En d'autres termes, la loi contrôlera la distribution de la richesse et de la propriété.

    « Si le citoyen à la vie plus abondante est un fermier, il sera placé sur un plan d'égalité économique avec ceux auxquels il achète et auxquels il vend. Si c'est un habitant de la ville, on s'efforcera de lui garantir la propriété de la maison qu'il aura acquise et la conservation de l'emploi auquel il se consacrera avec ardeur...

    « Mais comment se traduira la vie plus abondante pour l'employeur, l'homme d'affaires, l'homme riche? La seule restriction qui lui sera imposée sera la limitation de son revenu à un niveau compatible avec la sécurité du corps social tout entier. Il sera protégé contre les risques de boom, d'expansion excessive et par conséquent contre le danger de voir disparaître son entreprise et son capital en temps de crise profonde, car il n'y en aura plus. La nouvelle structure sociale le garantira contre la violence politique, lui et ses enfants. Il sera entouré de travailleurs heureux, bien payés, aux loisirs assurés. Dans ses affaires, grâce à des ententes raisonnables avec ses rivaux, il n'aura pas à redouter la concurrence aveugle, cause de gaspillage et de ruine.

    « Il aura sa part légitime dans l’activité économique ; part qu'il pourra développer en raison de ses capacités et de sa bonne fortune, dans toute la mesure où l'admettra le plan général. »

    Idéal de vie trop statique, trop sédatif sans doute pour représenter exactement les tendances d'un peuple ardent et brutal à qui répugne la monotonie. Le tableau de M. Krock est à dessein trop poussé ; il vise à provoquer la réaction des vieux instincts individualistes.

    Cependant quelques-uns des nouveaux principes semblent bien avoir conquis leur droit de cité définitif.

    Dominant tout le reste il y a la conception que le progrès technique ne doit pas se traduire par des restrictions ou des privations mais par une augmentation générale du bien-être.

    En découle immédiatement la notion d'une distribution équitable des revenus et d'un contrôle permanent de cette distribution. Elle est déjà incluse dans le nom donné à l'expérience Roosevelt : le New Deal, c'est la Nouvelle Donne, et par ces mots, il ne faut pas seulement entendre que l'Etat procédera à une nouvelle répartition, mais qu'il veillera à ce que les jetons ne puissent plus être accaparés dans les mêmes mains.

    La réforme monétaire qui est intervenue en faveur des débiteurs, la révision des hypothèques qui a secouru les petits propriétaires, la réadaptation de l'agriculture qui revient à un prélèvement au profit des fermiers, les codes qui augmentent la part de la classe ouvrière ont rendu cette notion familière et populaire à la fois. Elle entraîne d'une part, celle de la limitation des profits, d'autre part la réduction des heures de travail et le droit à un minimum de salaire qui permettent de vivre une existence « décente » ; et enfin, l'extension du droit syndical, moyen de contrôle et d'exécution. Toutes idées que la politique de la N. R. A. et sa propagande ont fait pénétrer profondément dans l'esprit de chacun.

    Du même principe, procède encore le droit au travail dont l'institution de la C. W. A. fut une première application et qui s'est à ce point imposé, que le président le place maintenant à la base de ses projets d'assurance contre le chômage. Si dans l'avenir, la crise une fois résolue, l'Etat continue d'embaucher les chômeurs et les emploie à des travaux d'intérêt collectif, tout en leur payant des salaires normaux, il devra pour couvrir cette dépense, effectuer un prélèvement sur les revenus de la communauté par la voie de l'impôt (1).




1 - Sur la base de l'expérience de la C.W.A. on peut calculer que pour deux millions de chômeurs — évaluation raisonnable pour une période normale — la dépense s'élèverait à environ 1.500 millions de dollars par an. Ce chiffre représente 3 % du revenu national pendant l'année 1932 qui fut une année de crise, donc sensiblement moins, si la situation économique est rétablie. Rappelons que le budget de la France représente à peu près 20 % du revenu national.

 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:20


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre VII : Pronostics

 

Les investissements : socialisme d'état ou capitalisme privé

 

 

 

 

 

 

    A supposer, comme il est d'ailleurs probable, que la reflation s'opère normalement, c'est-à-dire à une vitesse suffisante, et sans excès, le problème de la circulation des capitaux ne sera pas encore complètement résolu.

    Par l'obtention de crédits à court et à moyen terme, l'industrie et le commerce ne seront assurés que du fonds de roulement nécessaire à leur marche courante. Mais ce n'est qu'au moyen d'emprunts à long terme que les entreprises peuvent entretenir ou développer leurs immobilisations (édifices, machines, outillage).

    D'autre part, les individus ne consacrent qu'une partie de leurs revenus à l'achat des marchandises nécessaires à leur consommation. Le reste est épargné, et l'épargne, pour rentrer dans la circulation, doit se placer, s'investir, donc souscrire aux actions et obligations émises précisément par les entreprises en quête de capitaux à long terme pour des travaux de construction, pour la rénovation ou l'entretien de leur outillage.

    Bref, à une demande de capitaux de la part de l'industrie, correspond une offre de l'épargne. Entre cette demande et cette offre une communication doit s'établir, faute de quoi l'équipement industriel, au lieu de progresser, se dégrade et les fabrications de construction et d'outillage s'arrêtent, tandis que les capitaux demeurent stagnants et inactifs. La machine économique tend à s'enrayer. Le rôle du marché des capitaux est d'assurer cette communication. Sous le New Deal il ne le remplit que très imparfaitement.

    Les émissions sont presque exclusivement limitées aux emprunts de l'Etat, lequel offre des bons à courte échéance, et ne rapportant qu'un intérêt minime : 1/16 % pour 6 mois (1). L'attrait pour le public en est nul : autant vaut laisser les capitaux en dépôt, sans intérêt, dans les banques. Ce sont donc les banques qui souscrivent, en leur propre nom, avec les fonds de leur clientèle.

    Le produit des emprunts sert principalement à financer les entreprises de secours direct aux classes ouvrières et paysannes dont il développe le pouvoir d'achat et la consommation. Une faible part seulement en va, sous le titre des travaux publics, aux industries de construction et d'outillage. Il en résulte que les épargnes mobilisées par l'Etat arrivent bien à stimuler les industries de consommation, mais n'alimentent qu'insuffisamment les industries dites de capital,

    Le circuit se referme, mais sans qu'ait été effectué tout le parcours habituel : un domaine entier de l'économie est mal irrigué et reste anémié.

    Pour assurer et compléter le redressement économique de l'Amérique, il faut, et sans doute même suffit-il aujourd'hui que la fonction circulatoire des capitaux soit rétablie.

    Pourquoi, malgré la reprise des affaires, n'y a-t-il pas d'émissions privées. Pourquoi le marché des capitaux reste-t-il paralysé? C'est la faute de la nouvelle loi sur la protection de l'épargne, le Federal Securities Act, répondent les financiers et la plupart des économistes. Qu'on en revise le texte, ou qu'on en donne pour le moins une interprétation libérale, et tous les obstacles seront levés. L'Association des banquiers a imaginé une solution ingénieuse : elle se chargerait de faire elle-même la police, et veillerait à l'application d'un code, où seraient incorporées toutes les règles du Federal Securities Act, mais qui admettrait l'excuse de la bonne foi et dont les sanctions seraient moins draconiennes.

    C'est un choix décisif que l'Administration Roosevelt aura bientôt à faire : ou bien rouvrir le marché des capitaux aux initiatives privées, ou bien en conserver le contrôle et se charger elle-même du financement à long comme à court terme de l'industrie américaine. Dans le premier cas, ce serait le retour au capitalisme privé. Dans le second, le gouvernement fédéral, exerçant le monopole des émissions, placerait ses bons sur le marché pour en affecter le produit à la souscription de valeurs industrielles. Ce serait le triomphe du capitalisme ou socialisme d'Etat, puisque l'Etat deviendrait graduellement le principal, puis l'unique actionnaire de toutes les entreprises.

    A première vue, c'est vers ce régime que le New Deal est orienté. Déjà le contrôle du pouvoir central s'étend sur les banques ; ce sont des organismes d'Etat qui assurent la distribution du crédit à court terme ; la production agricole est dirigée par Washington, et l'administration trouverait sans peine dans la N.R.A. l'instrument de ses interventions futures dans la gestion des industries.

    Mais entre le retour pur et simple à l'ancien capitalisme privé et l'institution du socialisme d'Etat, il existe une solution intermédiaire et c'est la plus probable.

    Quand ce sont moins des doctrines qui s'affrontent que des expériences qui se poursuivent, toutes les chances sont en faveur du compromis. On imagine sans peine la coexistence en Amérique du capitalisme d'Etat et du capitalisme privé, chacun régnant dans un secteur plus ou moins nettement délimité. Le premier comprendrait, avec les chemins de fer qui sont déjà placés sous la haute direction d'un « coordinateur » et dont la nationalisation est envisagée dans les rapports officiels, un certain nombre de services publics. Peu à peu pourraient s'y adjoindre les mines et les industries exploitant des ressources naturelles. Les autres branches seraient laissées ou rendues aux initiatives privées, auxquelles une interprétation libérale des textes législatifs permettrait de s'adresser au marché des capitaux, sous le contrôle immédiat des organisations corporatives et sous la surveillance plus discrète du pouvoir central.




1 - Ce taux minime prouve d'ailleurs que la politique monétaire de M. Roosevelt n'a pas affaibli le crédit de l’Etat.

 

 

 

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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre VII : Pronostics

 

Le redressement économique par la reflation

 

 

 

 

 

    A l'actif de l'expérience Roosevelt, au nombre des résultats acquis, il faut inscrire la victoire remportée sur la thésaurisation. Cette victoire était la condition primordiale du redressement. En France même, ne nous répète-t-on pas chaque jour que le rétablissement de notre économie dépend du retour des capitaux thésaurisés à la circulation? En Amérique, le mal était beaucoup plus grave encore. Il a été guéri par la dévaluation qui a provoqué la hausse des prix et qui a, par conséquent, pénalisé et découragé les thésauriseurs (1). Mais la crainte des défaillances bancaires pouvait encore justifier l'accaparement de la monnaie fiduciaire. La garantie donnée aux dépôts l'a rendue sans objet.

    La victoire est-elle temporaire ou définitive? En d'autres termes, la thésaurisation est-elle destinée ou non à renaître dans un avenir plus ou moins lointain? Impossible de répondre à cette question avant de savoir si l'Amérique saura plus tard diriger son dollar, de manière à maintenir le niveau des prix qu'elle aura choisi, à empêcher les baisses générales qui donnent à la monnaie l'attrait d'un refuge. Ce n'est que si elle y parvient qu'elle aura vraiment réussi à accomplir la réforme monétaire. Réforme qui assurerait au progrès économique une marche régulière, sans l'accélération des booms et le recul des crises. Réforme qui ne va pas sans une modification fondamentale des idées de chacun sur la monnaie, désormais réduite au rôle de simple instrument d'échange, à pouvoir d'achat constant, et non plus richesse désirable en soi.

    Quelles que soient les incertitudes d'un plus lointain avenir, un point est acquis : les Etats-Unis se sont mis en mesure de diriger leur dollar, puisque c'est le gouvernement qui a pris en mains le levier de commande monétaire. Ailleurs,  il est tenu par la Banque centrale qui n'en le plus souvent que l'expression des grandes puissances d'argent. En Amérique, maintenant, l'Etat est maître de sa monnaie. Événement capital, véritable révolution.

    Pour le moment, l'orientation donnée est celle de la reflation, indispensable au redressement, et qui fut trop longtemps retardée. Pour l'avoir négligée pendant les six premiers mois, l'Administration Roosevelt a connu les graves déboires de septembre et d'octobre, l'arrêt de la reprise et presque la rechute. Pour avoir, depuis novembre, amorcé l'expansion monétaire par le moyen des grandes dépenses, extrabudgétaires, elle a pu ranimer l'activité du pays et repartir de l'avant. Toute hésitation nouvelle, tout ralentissement trop marqué des dépenses gouvernementales d'ici que la reflation ait été obtenue rouvrirait l'ère des difficultés.

    Il est possible, voire probable que l'administration de Washington, soit par timidité, soit au contraire par excès de confiance, suspende prématurément son effort ; mais on connaît assez les méthodes de M. Roosevelt pour savoir qu'il reviendrait vite sur une décision dont les effets apparaîtraient nocifs. Il n'y a donc guère de doute à cet égard : en fin de compte la reflation sera poursuivie jusqu'à rétablissement du niveau des prix de 1926. Toutefois entre temps peuvent se produire des arrêts ou des ralentissements dont l'économie se ressentirait aussitôt (2).

    Mais, disent les uns, c'est une illusion de croire que la reflation puisse s'opérer sur commande. Et quand même ce serait chose praticable, ajoutent les autres, il est alors impossible de s'arrêter en chemin et la reflation dégénère vite en inflation pure et simple.

    La première objection a contre elle le précédent de la guerre. L'expansion de crédit fut, en Amérique, à la fois la condition et la conséquence du financement par l'emprunt d'énormes dépenses de l'Etat. Que l'Etat engage donc de grandes dépenses et qu'il emprunte pour les couvrir, l'expansion de crédit s'en suivra forcément. Mais cette fois, au lieu de servir à payer des engins de destruction, elle permettra l'exécution de travaux d'utilité publique.

    Les Américains n'ont point de peine à se représenter la crise comme un fléau semblable à la guerre. Ils ont gagné la seconde à coup de milliards, c'est à coup de milliards qu'ils vaincront la première. Sur un dessin publié par un journal de San Francisco, on pouvait voir un géant en armes, porteur d'un pesant sac d'or avec l'inscription : 35 milliards, ou ce qu'a coûté aux Etats-Unis la guerre de destruction. A côté, un personnage en veston, symbolisant le réformateur de 1933, tient un sac beaucoup plus petit : ce sont les 10 milliards consacrés aux besoins humains dans la guerre de reconstruction.

    C'est en effet à près de 10 milliards que, dans son message de janvier 1934, M. Roosevelt évalue l'excédent des dépenses sur les recettes pendant les deux premières années de sa présidence, soit 7 milliards 300 millions pour l'exercice 1933-34 et 2 milliards pour celui de 1934-35. A ce moment, la dette fédérale atteindra environ 32 milliards. Rappelons qu'elle n'était que de 1.225 millions en 1916, qu'elle avait dépassé 25 milliards en 1920 pour retomber à près de 16 milliards en 1930, et remonter à 22 milliards et demi au début de 1933.

    Le 1er janvier 1934, l'Administration Roosevelt n'avait encore déboursé que 1300 millions sur les crédits extraordinaires autorisés. D'après ses propres prévisions, il lui restait 7 milliards 700 millions à dépenser hors budget, jusqu'au 30 juin 1935, pour combattre la crise par la reflation. La réserve de munitions n'est pas prête de s'épuiser. Quant à la dette publique, on aurait tort de s'en inquiéter. A 32 milliards, elle n'atteindra pas, par tête, la moitié de ce qu'elle représente aujourd'hui en France.

    De tout ce qui précède, il résulte que les grandes dépenses gouvernementales doivent réussir à provoquer la reflation, et que les moyens dont dispose M. Roosevelt à cet égard sont suffisamment puissants. On a vu toutefois au chapitre III qu'actuellement l'expansion s'opère beaucoup plus lentement qu'il ne faudrait, parce que le système bancaire américain ne s'emploie pas à maintenir dans la circulation les crédits nouvellement créés et à en faire bénéficier les entreprises privées.

    C'est une question qui préoccupe vivement l'Administration Roosevelt. Depuis des mois, le président de la Reconstruction Finance Corporation, M. Jessie Jones, insiste auprès des établissements financiers pour qu'ils fassent preuve d'une grande libéralité dans l'octroi des crédits à leur clientèle. Les banques répondent que les entreprises solides ont des disponibilités et n'en cherchent pas d'autres, et que celles qui sollicitent des ouvertures de crédit n'offrent pas des garanties suffisantes.

    L'objection est valable. Cependant, au stade présent de la reprise, il y a nombre d'affaires dont la situation s'est déjà beaucoup améliorée et que de nouvelles ouvertures de crédit auraient toutes chances de rendre bénéficiaires. On comprend que les banques n'osent pas, dans ces conditions, engager l'argent de leur clientèle. C'est un cercle vicieux qu'il est urgent de rompre.

    Le gouvernement peut le faire en prenant lui-même tout ou partie des risques, risques faibles puisque toute sa politique, qui mène à la hausse des prix, doit rendre solvable et profitable la grande majorité des entreprises. On avait projeté, à cet effet, la création d'un ou de plusieurs instituts d'Etat d'assurance crédit qui eussent garanti les banques contre une très forte proportion des pertes éventuelles.

    Mais l'Administration songe plutôt à créer, sous le contrôle de la R. F. C., de véritables banques industrielles de crédit, dont elle souscrirait le capital et qui auraient le droit d'émettre des obligations. Ces établissements, au nombre de douze, pourraient, dans leurs districts respectifs, accorder des prêts, ou acheter des obligations à court et moyen terme (5 ans au maximum) d'entreprises industrielles et commerciales. Par ailleurs, elles seraient aussi autorisées à garantir les crédits ouverts par les banques de crédit particulières, mais seulement jusqu'à 20 % de leur montant-pourcentage qui paraît faible (3).

    Quoi qu'il en soit, le problème est nettement posé, les données en sont relativement simples ; on en est maintenant à la recherche des solutions pratiques et il n'y a aucune raison théorique pour qu'on ne les trouve pas.


***



    La seconde objection à la politique de reflation prétend que l'expansion des crédits finirait fatalement par échapper à tout contrôle et par se transformer en une inflation désordonnée.

    Danger lointain, en tous cas ; et à l'antipode des difficultés présentes. Mais non pas crainte chimérique, car il peut en effet arriver un jour que, réglant à des pressions démagogiques, le gouvernement américain abuse de ses pouvoirs

    Mais, à l'heure actuelle, ce n'est pas le cas, bien au contraire. M. Roosevelt pousse au plus haut degré le souci de contrôler la reflation et de prévenir la répétition des erreurs de la période de prospérité. Pour empêcher que les crédits nouveaux ne trouvent le chemin des marchés spéculatifs, comme en 1928 et 1929 (4), une nouvelle réglementation du Stock Exchange va entrer en vigueur, qui relève les marges requises pour les achats de valeur à terme. Wall Street proteste bien entendu avec véhémence, mais le président a pour lui l'opinion publique ; elle n'a pas oublié le krach, ni les révélations qui l'ont suivi sur les agissements des financiers ; elle nourrit contre eux un ressentiment tenace et n'admet plus qu'ils imposent leur loi. La Bourse est déchue de sa puissance ; elle n'est même plus un baromètre exact de l'économie.

    Ainsi, des précautions sont prises pour que la reflation de crédit ne se développe pas dans une direction indésirable. De même des dispositions efficaces sont d'ores et déjà arrêtées pour le cas où le volume de l'expansion menacerait de dépasser les limites de sécurité (5).

    Les freins qu'on peut appliquer au mécanisme de la reflation sont puissants. C'est affaire de sagesse et de volonté, de la part du gouvernement, de savoir en user au moment voulu – ni trop tôt, ni trop tard.




1 - Il s'agit ici des thésauriseurs de dollars, c'est-à-dire de monnaie fiduciaire ou scripturale. La thésaurisation de l'or avait déjà été vaincue par le retrait de l'or de la circulation intérieure, retrait accompagné de sanctions pénales.

2 - La nouvelle selon laquelle les défenses extrabudgétaires de l'exercice 1934 seraient inférieures aux prévisions autorise quelques inquiétudes.

3 - En attendant la création de ces nouveaux organismes, la Reconstruction Finance Corporation et les Banques de Réserve vont être autorisées à faire directement des prêts à l'industrie.

4 - Jusqu'à présent on n'en voit aucun signe ; les avances aux brokers n'atteignent même pas un milliard ; elles dépassaient huit milliards en 1929.

5 - Voici l'énumération que les techniciens en donnent:
    1° Vente des fonds d'Etat détenus par les Banques de Réserve Fédérales, dont le montant atteignait au début de février 2.432 millions de dollars.
    En offrant ces titres sur le marché, le système fédéral absorberait les réserves des banques affiliées, les obligerait à restreindre leurs crédits et à diminuer, par conséquent, la quantité de monnaie bancaire en circulation.
    2° Relèvement du taux de l'escompte, mesure dont l'effet est surtout psychologique.
    3° Réduction de la quantité de billets, notamment par le retrait de billets en circulation et par l'abolition du privilège en vertu duquel certains titres d'Etat peuvent servir de base à des émissions.
    4° Relèvement du minimum légal des réserves obligatoires des banques affiliées. En vertu de la loi Thomas, le pourcentage de ces réserves peut être modifié par une décision du Federal Reserve Board. Ce moyen est considéré comme le plus efficace.
    5° Retrait par le Trésor d'une portion des certificats-or détenus par les Banques de Réserve et qui constituent leur encaisse depuis le dernier Gold Act.

 

 

 

 

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Chapitre VII : Pronostics

 

 

 

 

 

    Toute classification comporte une systématisation arbitraire. De l'ordre dans lequel cette analyse a présenté les réformes du New Deal, on aurait tort de conclure à la préexistence, ni même à l'existence actuelle d'un plan d'ensemble selon lequel la Révolution américaine serait conduite.

    C'est forcé par les circonstances, souvent même à regret, et non sans des retours en arrière, on l'a vu, que l'administration Roosevelt pratique une politique de dévaluation et de reflation monétaire. C'est pour satisfaire à des besoins et des désirs divers et contradictoires qu'elle entreprend une oeuvre encore imprécise de réorganisation industrielle. Il n'est pas jusqu'à la réadaptation agricole qui, bien que les grandes lignes en aient été tracées à l'avance, ne demeure indéterminée dans son avenir. Parmi toutes les mesures prises depuis le mois de mars 1933, il y en a bien peu dont on ne pourrait, montrer qu'elles répondaient à une nécessité du moment, soit matérielle, soit psychologique.

    Quoi d'étonnant dans ces conditions que des témoins de ces expériences considèrent les remèdes appliqués à l'économie américaine comme une série de piqûres, qui ont pu rendre provisoirement ,vigueur au malade et lui donner l'illusion de la guérison? A leurs yeux, les effets de ces coups de fouets successifs ne peuvent avoir qu'un temps. D'ici quelques mois, il faudra se rendre à l'évidence, et la rechute sera d'autant plus terrible que le traitement aura éveillé de plus grandes espérances.

    D'autres — et leur attitude reflète sans doute celle d'une grande partie du peuple américain — ne cherchent ni à comprendre ni à prévoir. Ils constatent simplement l'indéniable amélioration présente. A l'évocation de périls futurs, ils répondent par l'éternel postulat humain qui préfère à la mort la prolongation de la vie, fût-elle dangereuse. Qu'un mieux-être ait pu se produire, qu'on jugeait impossible, n'est-ce pas d'ailleurs une raison suffisante pour douter des prophéties pessimistes? De cette résistance au défaitisme, il n'y a qu'un pas jusqu'à l'espoir et même aux démarches habituelles de la confiance. Il s'en faut cependant qu'un pareil comportement ait la valeur d'un jugement sur l'avenir.

    Critiques et suiveurs ignorants ont cela de commun qu'ils se refusent à reconnaître aux actes du gouvernement Roosevelt la logique interne, le plus souvent inconsciente, qui les commande, les coordonne et les oriente dans une direction déterminée. Ce ne serait pas la première fois cependant que l'instinct de conservation prendrait les mêmes voies que la raison. Voies où l'Amérique peut d'autant mieux s'engager que les hommes qui la gouvernent ont fait litière de beaucoup de préjugés et surmonté bien des inhibitions, qu'une bonne volonté ardente les anime, et qu'ils sont prêts à entreprendre plutôt qu'à temporiser et à freiner.

    Peut-être les faits qui ont été dégagés ici et l'interprétation qui en a été donnée permettront-ils maintenant de distinguer où ces voies conduisent. Est-ce à un redressement durable de l'économie, et les remèdes guériront-ils? Sera-ce en même temps ou plus tard à un ordre nouveau et de quelle nature?

    On aimerait répondre d'abord à la première question par un oui ou par un non, avant d'aborder la seconde. Mais en fait on ne saurait les examiner séparément, car le redressement peut être favorisé ou entravé par les réformes, et le choix des réformes est à son tour limité par l'impérieuse nécessité de poursuivre le redressement.

 

 

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Georges Boris – 1934

 


Chapitre VI : Réforme industrielle (N. R. A.)

 

 

 

 

 

     Dans le langage courant, les initiales N.R.A. servent parfois à désigner l'ensemble de la politique Roosevelt. C'est une erreur de terminologie qui revient à prendre la partie pour le tout. La N.R.A. n'est qu'un élément du New Deal, élément important, il est vrai, puisqu'il vise à réformer la structure industrielle du pays. Élément d'une extrême complexité, au surplus, et dont le jeu, difficile à analyser, a des répercussions lointaines et imprévues.

    Par N.R.A., il faut entendre l'Administration de Redressement National (National Recovery Administration), qui est rattachée au Département du. Commerce. Elle a été créée pour appliquer le N.I.R.A. (National Industrial Recovery Act) et placée sous la haute direction du général Johnson. Le N.I.R.A. a été promulgué le 16 juin 1933. Il porte en sous-titre :

    « Loi tendant à encourager le redressement national, à favoriser la concurrence loyale, à assurer l'exécution de certains travaux publics et à d'autres buts. »

    L'application de la loi N.I.R.A. a donné lieu à l'élaboration des codes dits de concurrence loyale, sortes de chartes industrielles rédigées après discussion entre les employeurs, les ouvriers et l'administration, et que les patrons de chaque corporation ont été invités à signer.

    En attendant que les codes particuliers puissent être mis en vigueur, le président avait approuvé, le 20 juillet, un code passe-partout (Blanket Code), nommé parfois accord présidentiel de réemploi, et l'avait proposé à l'agrément individuel de tous les employeurs.

    Il est extrêmement malaisé de définir exactement les intentions auxquelles répondaient, dans l'esprit de l'Administration et des parties contractantes, le N.I.R.A. et les codes. Mais on peut voir, dans ces textes, le lieu de convergence d'un certain nombre de projets de redressement et de réforme, d'origines diverses et de principes différents.

    La N.R.A. est une sorte de creuset où sont venues s'allier des conceptions économiques et des aspirations sociales contradictoires, réactionnaires et conservatrices, réformatrices et révolutionnaires. Les remèdes qu'elle propose à l'économie américaine sont fondés sur des diagnostics et des principes thérapeutiques souvent opposés. D'ailleurs, dans la N.R.A., les efforts pour la recovery et pour la reform sont étroitement mêlés.

    Aux yeux de M. Roosevelt, les deux objectifs sont visés. Mais le redressement vient avant la réforme sociale. Il l'a clairement marqué dans un communiqué à la presse et dans un message explicatif adressé au Congrès :

    « Le but de la loi est d'assurer à l'industrie un profit raisonnable et aux travailleurs des salaires suffisants pour vivre, par l'élimination des méthodes tyranniques et des pratiques qui n'ont pas seulement harassé les affaires honnêtes, mais qui ont aussi contribué aux maux du travail... »

    « La loi que je viens de signer a été faite pour remettre les gens au travail, pour leur permettre d'acheter en plus grande quantité les produits des fermes et des manufactures, pour faire repartir nos affaires sur la base de salaires suffisants pour vivre.

     « Cette tâche s'accomplit en deux étapes.

    « La première étape consiste à replacer plusieurs centaines de milliers de chômeurs sur les feuilles de paye avant la chute des neiges, la seconde est d'organiser un meilleur avenir d’une façon durable. Nous ne négligerons pas la seconde. Mais la première est de toute urgence. Elle a la priorité. »

    Ainsi, le but principal de l'Administration était, par le moyen de la réduction des heures de travail et de la fixation de salaires minima, de développer le pouvoir d'achat des masses de manière à augmenter la consommation et à ranimer les échanges.

    Dans le monde des affaires et, d'ailleurs, dans l'opinion publique en général, s'affirmait un besoin de réorganisation profonde, dans le sens d'une coordination qui mettrait fin à l'anarchie industrielle. Le haut patronat lui-même s'exprimait avec une singulière hardiesse à cet égard :

    Le 1er mai1933, raconte M. Lindley (1), l'assemblée annuelle de la Chambre de Commerce des Etats-Unis réunissait 1.400 hommes d'affaires. De tous côtés, s'élevèrent des appels au gouvernement pour l'inviter à réglementer la concurrence.

    Sur 49 orateurs, plus de la moitié réclamèrent un contrôle de l'industrie par l'Etat. Il n'y eut que 9 opposants formels.

    Le président de la Rubber Tire Cy, M. Field, s'écria : « Nous n'avons pas pris spontanément les mesures nécessaires, il s'ensuit qu'un élément de force, la contrainte gouvernementale, devient nécessaire. L'augmentation constante du chômage nous mène soit au socialisme d'Etat, soit à l'anarchie complète. »

    Après lui, M. Swope, président de la General Electric, fit entendre un avertissement solennel à l'industrie ; il lui annonça que, si elle ne saisissait pas l'occasion de se donner à elle-même des règles avec la coopération du gouvernement, ces règles lui seraient imposées du dehors.

    Au vote, la Chambre de Commerce se prononça en faveur d'une planification industrielle préparée et appliquée par des associations corporatives sous la surveillance du gouvernement.

    Une délégation fut envoyée au président Roosevelt pour lui soumettre cette résolution et invoquer son aide.

    Quelles idées recouvraient ces thèmes favoris de l'anarchie industrielle à combattre, des règles et de l'ordre nouveau à instituer?

    Appelés à préciser la nature de leurs doléances, les industriels américains, grands et petits, dénonçaient les « méthodes déloyales » (unfair practices), la « concurrence à couper la gorge » (cut-throat competition) ; ils y voyaient la cause immédiate de leurs difficultés et de leurs angoisses personnelles, et croyaient même pouvoir y reconnaître non pas la manifestation, mais l'origine de la crise générale.

    Or la concurrence a toujours été féroce aux Etats-Unis, mais on en avait toujours vanté les bienfaits, car elle apparaissait comme la source unique du progrès. La liberté économique, l'idéologie individualiste étaient élevés à la hauteur d'une doctrine nationale.

    Comment expliquer un revirement aussi complet? C'est que, depuis la crise, la concurrence n'était plus un facteur de progrès, mais de décadence. En temps normal, vu la rareté et la cherté de la main-d'oeuvre, l'avantage appartenait à l'outillage perfectionné et à la production en masse. Mais, depuis 1930, la main-d'oeuvre était devenue surabondante, elle s'offrait à bas prix, la consommation s'était raréfiée : toutes conditions qui favorisaient les usines à faible production, et où l'on employait l'homme à faire le travail de la machine.

    Les manufactures du Sud, qui payaient des salaires de famine, chassaient du marché leurs rivales du Nord, auxquelles leur équipement technique et leurs méthodes de fabrication avaient jusqu'alors assuré la supériorité.

    Le sweating system triomphait graduellement, il gagnait les régions de civilisation économique avancée. Donc, cette fois, par un étrange retour, la concurrence venait frapper et menacer de mort l'élite de l'industrie américaine. Les faillites, les liquidations abaissaient encore les prix de vente par une sorte de surenchère à rebours. Toutes les normes précédemment admises devenaient sans valeur ; à les suivre, l'industriel ne pouvait qu'aller à la perte.

    Rien de surprenant qu'il réagît contre ce qui lui apparaissait, à juste titre, un désordre meurtrier.

    Dès le moment où l'attention était attirée sur l'anarchie industrielle, on en découvrait sans peine d'autres manifestations encore, qui n'étaient pas nouvelles. Telle la coexistence de voies ferrées parallèles, sur lesquelles des compagnies concurrentes se disputaient la clientèle à coups de sacrifices ruineux pour les unes comme pour les autres. Et bien d'autres cas encore.

    Dans l'industrie du pétrole, par suite de la sous-consommation et de la mévente, les producteurs du Texas pouvaient désorganiser le marché, en vendant au-dessous des prix de revient des autres régions. Là aussi, on criait à l'anarchie : « Donnez-nous un tsar », vinrent implorer à Washington les victimes.

    Enfin, les industriels et les hommes d'affaires, d'accord sur ce point avec beaucoup d'économistes, s'accusaient eux-mêmes d'avoir pratiqué le surinvestissement, d'avoir englouti des sommes fabuleuses dans des entreprises mal conçues, dans la construction d'usines superflues, condamnées d’avance au désastre. Pour éviter la répétition de ces erreurs, ils jugeaient avoir besoin de conseils et de directives venus de haut.

    Nulle part, peut-être, comme dans la patrie de l'individualisme rugueux (rugged individualism) ne s'est produite pareille réaction contre les anciens mots d'ordre.

    Le général Johnson pouvait un jour se faire acclamer en disant la nausée qu'il avait des fameux lieux communs : liberté du commerce... laissez faire la nature... les accords de restriction sont illégaux... la concurrence est la loi du commerce...

    Tout, cependant, n'était pas absolument nouveau dans ces tendances du patronat : sur un point au moins, elles coïncidaient avec une revendication ancienne des grands industriels, qui visait l'abrogation de la législation contre les trusts. L'administration Roosevelt a d'ailleurs su se servir de la suspension du Sherman Act comme d'un appât pour induire les hésitants et les récalcitrants à souscrire aux codes.

    De leur côté, les représentants de la classe ouvrière arrivaient avec leur cahier de charges traditionnel, en tête duquel se trouvaient la réduction des heures de travail et l'augmentation des salaires. Ils faisaient valoir que seule la reconnaissance des droits syndicaux permettrait d'arrêter la baisse des salaires et de garantir l'exécution des engagements pris par les employeurs.

    La grande majorité du pays était favorable à ces revendications ; et c'est à une forte majorité (55 voix contre 30) que, dès le 6 avril 1933, le Sénat adoptait une proposition de M. Black tendant à instituer la semaine de 30 heures.

    Par une rencontre singulière, mais qu'explique la situation spéciale de l'industrie américaine depuis la crise, la majorité des employeurs, menacée par la concurrence des sweat-shops (2), appuyait les ouvriers, du moins en ce qui concerne le salaire minimum et la limitation des heures de travail.

    Enfin, les docteurs de l'économie, les réformateurs sociaux de toutes nuances offraient leurs remèdes et leurs projets, qui tous impliquaient un contrôle de l'industrie.

    Les conservateurs, ceux qui voient dans la surproduction générale la cause de la crise, proposaient, pour résoudre le problème du chômage, des mesures destinées à répartir le travail entre un plus grand nombre d'ouvriers.

    Les partisans du régime corporatif et ceux de l'économie dirigée et planifiée présentaient des systèmes variés visant la réglementation de la production.

    Les progressistes de la vieille école demandaient l'amélioration de la législation du travail et son extension aux Etats rétrogrades de l'Union.

    Enfin, les jeunes économistes socialisants insistaient sur la nécessité de corriger la répartition défectueuse du revenu national, cause de la sous-consommation et du surinvestissement. De 1922 à 1929, pouvaient-ils arguer, tandis que la valeur de la production augmentait de 3,5 % les salaires réels ne progressaient que de 2,1 % ; mais les profits s'accroissaient de 6,8 % (3).

    La crise, loin de remédier à cette situation, n'a fait que l'aggraver.

    M. Walter Lippman l'a montré à l'aide de quelques chiffres :

    En 1929, les salaires industriels représentaient 21,2 % du revenu patronal.

    En 1932, ils en représentaient 14 %.

    Du cinquième d'un total considérable, ils étaient tombés au septième d'un total beaucoup plus faible.

    Les traitements, bien que moins importants, avaient conservé leur position relative (7,1 % en 1929, 6,9 % en 1932).

    Le revenu total des dividendes et intérêts augmentait dans l'intervalle. Il avait été de 15,1 % en 1929. Il atteignait 17,3 % en 1932.

    A l'intérieur de ce groupe, une grosse augmentation de la proportion payée sous forme d'intérêts avait plus que compensé la réduction dans la proportion payée sous forme de dividende.]. Ainsi, une minorité privilégiée avait été la principale bénéficiaire du progrès économique ; son pouvoir de consommation étant limité, elle n'avait pu faire autre chose de ses profits accrus que les investir dans de nouvelles entreprises, dont développer l'outillage et la production ; cependant, les masses, seules capables d'offrir des débouchés à celle production supplémentaire, en étaient empêchées, faute d'une augmentation correspondante de leur pouvoir d'achat.

    Pour prévenir le retour d'un pareil état de choses, on préconisait l'augmentation des salaires et la limitation des profits.


***



    De tous ces besoins et tendances diverses, l'administration Roosevelt a tenté la synthèse dans la loi N.I.R.A., dans l'accord présidentiel de réemploi et dans les codes.

    D'une manière générale, ces textes réglementent la durée du travail qui est fixée, suivant les professions, à 32, 36 et 40 heures ; ils stipulent un salaire minimum. Ils interdisent le travail des enfants ; ils enregistrent la reconnaissance de droits syndicaux plus étendus qu'auparavant (4).

    D'autre part, pour empêcher que les avantages matériels accordés aux salariés ne soient immédiatement compensés par une augmentation du coût de la vie, ils prévoient souvent des limitations de prix à la hausse.

    En sens contraire, afin de prévenir la concurrence « déloyale », ils interdisent d'ordinaire la vente au-dessous du prix de revient. Le contrôle de ces prix de revient, par les soins de l'association corporative, est stipulé dans certains cas.

    Quant aux sanctions, en cas de violation des engagements, on est frappé par leur faiblesse. Les amendes sont infimes. Il est vrai que la loi et les codes prévoient l'octroi et le retrait éventuel de licences, pour l'exercice d'une profession déterminée. Mais cette clause soulève un problème constitutionnel épineux. Le Gouvernement central n'a le droit d'intervenir que dans le commerce entre Etats (Interstate Commerce) : pour qu'il pût interdire à quiconque de fabriquer ou de commercer sur le territoire des États, il faudrait qu'ils abdiquassent une souveraineté dont ils sont extrêmement jaloux. En fait, la clause relative aux licences paraît devoir être abandonnée avant d'avoir jamais été appliquée.

    Les sanctions prévues par la N.R.A. sont, en réalité, illusoires. L'Administration le sait bien, et c'est pourquoi elle a fait appel au public pour contrôler l'application des codes, en l'engageant à boycotter les réfractaires.


***



    La politique N.R.A., telle qu'elle était définie dans la loi du 16 juin 1933, ne se bornait pas à réglementer des conditions de travail et de prix. Un point essentiel, et sur lequel on n'a pas suffisamment attiré l'attention, c'est que la loi N.I.R.A. se divise en deux titres. Le premier est relatif au « redressement industriel », c'est-à-dire aux codes. Le second a trait aux « projets de travaux publics et de construction ». C'est, en effet, dans le N.I.R.A. que sont prévus le programme et le financement des 3 milliards 300 millions de travaux à entreprendre sous la direction de l'Administration fédérale exceptionnelle des Travaux publics (P. W. A.).

    L'inclusion dans le même texte législatif de deux séries de mesures, en apparence si distinctes, répond en réalité à une vue d'ensemble, à un plan général.

    En effet, la loi était bien destinée, dans l'esprit de ses auteurs, à préparer une nouvelle répartition du revenu national, à en attribuer une plus large part à la classe ouvrière et à exiger de la classe capitaliste un sacrifice sur ses profits. Mais, au moment où le N.I.R.A. entrait en vigueur, les industries étaient encore déficitaires dans leur majorité. C'eût été un non-sens que de vouloir pratiquer un prélèvement sur des profits qui n'existaient pas.

    C'est précisément pour résoudre cette difficulté que le programme des grands travaux publics venait compléter la nouvelle réglementation des salaires. Les marchés que l'Administration allait passer avec les industriels constituait des objets d'échange et des moyens de pression. Ils allaient leur assurer des bénéfices: on pouvait donc leur demander, au moment de passer contrat, qu'ils en abandonnâssent une partie à leurs ouvriers.

    D'une manière générale, les grands travaux publics devaient ranimer l'économie, rendre profitables les entreprises privées ; il était légitime que le pouvoir central, source des profits, en contrôlât la répartition, de manière à assurer une prospérité durable.

    Telle était la conception d'origine. Mais telle ne fut pas la méthode d'exécution. En fait, la simultanéité ne fut point observée ; les travaux publics, confiés à une autre administration que la N.R.A., ne furent entrepris qu'avec un retard de plusieurs mois (5).

    Les plus graves mécomptes qu'ait éprouvés l'expérience Roosevelt, sont dus au décalage qui s'est produit entre la date d'application du titre I du N.R.A. et celle du titre II.

    Au départ déjà, l'Administration eut d'autant plus de difficultés à faire accepter les codes par les employeurs qu'elle manquait de monnaie d'échange. Les négociations avec l'in-dustrie lourde eussent pris une tout autre tournure si le Gouvernement avait disposé de l'appât de commandes immédiates. Il lui restait heureusement celui de la suspension des lois contre les trusts, et les grands patrons, désireux de pouvoir se réunir et conclure des ententes, sans risquer l'amende et l’emprisonnement, n’y furent pas insensibles. Mais sur la question des droits syndicaux, l'Administration fut loin d'obtenir tous les résultats qu'elle aurait pu. Dans bien des cas, elle dut faire des concessions, accepter des formules équivoques, source de conflits futurs.

    Plus grave encore est la modification qu'a dû subir le plan de redressement économique N.R.A., privé de son corollaire, le programme des travaux publics.

    Ce plan a été popularisé grâce à une campagne menée par le général Johnson, avec toutes les ressources de la publicité américaine, campagne qui a mérité le qualificatif péjoratif de ballyhoo.

    Le public était invité à coopérer à la N.R.A. à un double titre ; d'abord pour faire respecter les codes en n'achetant que les produits munis de l'emblème de l'aigle bleu ; en second lieu, pour déterminer, par des achats massifs et immédiats, un démarrage rapide de toute l'éco-nomie.

    On expliquait que le retour à la prospérité dépendait entièrement du succès de la N.R.A. L'augmentation des feuilles de salaires allait développer le pouvoir d'achat global. Chacun  devait « acheter maintenant », avant la hausse.

    L'augmentation de la consommation permettrait bientôt aux entrepreneurs d'augmenter la production et de compenser par la fabrication en masse, qui tend à faire baisser les prix de revient, la hausse résultant de l'augmentation des feuilles de salaires. En attendant, il leur était demandé de faire l'avance nécessaire à cette augmentation.

    Construction fragile, puisque privée de son plus solide soutien, à savoir les dépenses de l'Etat, auxquelles on substituait les ressources hypothétiques d'entrepreneurs appauvris ou même ruinés par la crise ; puisque aussi l'équilibre dépendait de l'ordre et de la vitesse d'intervention de facteurs incontrôlables.

    Le général Johnson et son état-major n'en prophétisaient pas moins le retour au travail de 6 millions de chômeurs avant l'automne, par la seule vertu de la N.R.A.

    La campagne de propagande souleva dans le pays un élan d'enthousiasme. Le terrain était d'ailleurs préparé par les heureux effets de l'abandon de l'étalon-or. Sous la pression de l'opinion publique, la contagion de la confiance aidant, au début et dans l'ensemble, chacun coopéra de son mieux à l'expérience. La plupart des intéressés recevaient d'ailleurs quelque satisfaction spéciale.

    Du point de vue du redressement économique, les résultats sont difficiles à apprécier. En tous cas, comparés aux prévisions officielles, ils sont décevants, puisque le nombre des chômeurs n'a diminué jusqu'à l'automne que du tiers du chiffre annoncé par le général Johnson. Encore, est-il malaisé d'apprécier ce qui est dû à la N.R.A. et ce qui est l'effet de la dévaluation.

    Néanmoins, on ne saurait contester que la réduction des heures de travail a obligé beaucoup de patrons à engager de nouveaux ouvriers et employés ; que le relèvement des salaires minima a amélioré les conditions  d'existence de la partie la plus malheureuse de la classe ouvrière.

    Il est moins sûr que les employeurs ne se soient pas rattrapés de l'augmentation des salaires les plus bas en en diminuant d'autres ; certaines statistiques tendent à l'indiquer, qui montrent que le salaire moyen de l'ouvrier américain n'a que peu varié. Les chiffres sont, il faut le dire, incertains, et, à l'encontre de ce qui précède, le rapport de l'U.S. Steel déclare que la moyenne des salaires a augmenté de 24% depuis l'entrée en vigueur du Code de l'acier. Mais la grosse métallurgie, en l'absence de commandes pour les travaux publics, n'a dû à la N.R.A. proprement dite aucun regain d'activité. Elle s'en plaint très vivement.

    Certaines industries, par contre, ont retiré de la N.R.A. de grands avantages : celles du pétrole, par exemple, où la réglementation de la production et des prix a mis fin à un état de choses intolérable.

    Dans le textile, la transformation a été radicale. Le sweating system y sévissait dans toute son horreur. On cite le cas des usines de Knoxville, dans le Tennessee, où les ouvriers étaient payés 4,91 dollars pour 55 heures de travail ; le code a porté le salaire minimum à 12 dollars pour 40 heures. La concurrence des sweatshops du Sud-Est avait ruiné les usines de la Nouvelle-Angleterre. La N.R.A. a rétabli leur situation. Le nombre des ouvriers employés dans le textile a considérablement augmenté, ainsi que le montant global des salaires. Naturellement, les prix de revient et les prix de vente s'en sont ressentis, et c'est le consommateur qui a finalement payé les frais. Mais il est plus exact de dire qu'il a cessé de bénéficier de l'exploitation éhontée de la main-d'oeuvre.

    La N.R.A. a fait faire un pas décisif à la législation sociale aux Etats-Unis. Toute l'Amérique libérale a salué avec joie la suppression du travail des enfants, pour laquelle elle avait vainement lutté durant de longues années : à plusieurs reprises dans l'histoire, le Congrès et le Président avaient essayé d'imposer cette mesure aux Etats qui ne l'avaient pas encore inscrite dans leur propre législation : chaque fois, cette intervention fédérale avait été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême. La N.R.A. et les codes ont triomphé de la difficulté ; de même, ils ont imposé la réduction de la période d'apprentissage ainsi que l'interdiction du travail à domicile dans un grand nombre d'industries.

    Progrès également, en ce qui concerne les droits syndicaux qui n'étaient pas reconnus partout, et auxquels des procédures juridiques, comme celle de l'injunction faisaient obstacle. Désormais, les salariés ont le droit de s'organiser et de négocier collectivement. La loi et les codes laissent subsister toutes les anciennes possibilités de conflit sur les principes du closed shop (obligation pour les patrons de n'employer que des ouvriers syndiqués) et des Company Unions (droit pour le patron de traiter avec des syndicats d'entreprises). De même la « clause de mérite », qui existe dans certains codes et qui permet aux patrons de favoriser des ouvriers à leur gré, reste une source de difficultés.

     Mais l'administration de la N.R.A. et le National Labor Board, créé le 5 août 1933 et composé d'un nombre égal de représentants des ouvriers et des patrons et d'un président désigné par M. Roosevelt, veillent du moins à ce que les ouvriers puissent constituer les associations de leur choix.

    D'ailleurs, l'augmentation des effectifs syndicaux, qui a suivi l'institution de la N.R.A. témoigne de ses effets. D'août à octobre, l'American Federation of Labor a gagné, près de 2 millions d'adhérents. L'United Mine Workers en compte 600.000, alors que le recensement de 1930 indiquait un maximum de 627.000 membres possibles. Chez les ouvriers de la confection, l'affiliation au syndicat a passé de 35.000 à 150.000. Une nouvelle association ouvrière dans l'industrie du cuir a groupé d'emblée 75.000 membres.

    Cependant même au sein de la classe ouvrière, certaines catégories de travailleurs ont été lésées par la N.R.A.

    Les employeurs, dans l'obligation de relever les salaires minima, ont renvoyé le personnel dont le rendement était plus faible et qui, pour ce motif, était moins payé, pour le remplacer par des ouvriers et des employés plus habiles et plus actifs. A un homme âgé, qu'on payait 8 ou 10 dollars par semaine, et dont le salaire devait être porté à 12 ou 15 dollars on a préféré substituer un homme plus jeune, engagé au nouveau tarif (6).

    De même pour la main-d'oeuvre noire. On cite l'exemple de l'industrie du bois dans le Sud-Est, où le salaire horaire n'était que 5 à 6 cents. Il a été porté par le code à 20 cents. Les patrons ont aussitôt renvoyé les nègres et engagé des blancs.

    Ici, la N.R.A. ne fait peut-être que découvrir une plaie ancienne. Le problème noir était et demeure la plus grave menace qui plane sur l'avenir des Etats-Unis. La coexistence sur le même territoire de deux races, aux besoins à ce poilu inégaux, pose à tout moment des questions angoissantes.

    N.R.A. a suscité d'autres plaintes encore.

    On a entendu celles de l'industrie lourde. Mais il suffira d'une accentuation de la reprise générale des affaires pour que leur objet disparaisse.

    Les doléances des fermiers sont plus sérieuses. Généralement parlant, ils ont vu dans la N.R.A. un facteur de hausse des prix industriels, donc des objets qu'ils achètent, sans hausse correspondante des denrées qu'ils vendent. Forme nouvelle de l'éternelle dispute entre ruraux et urbains. On pouvait répondre — et on n'a pas manqué de le faire — qu'à l'A.A.A., ensemble des mesures prises en faveur des agriculteurs, il était juste d'adjoindre la N.R.A. pour relever parallèlement la condition des citadins.

    Mais revenant à la charge, les fermiers ont montré que la hausse des salaires, dans les petites villes, avait une répercussion sur la main-d'oeuvre agricole ; or, dans les conditions présentes, il est impossible de payer davantage les ouvriers des champs.

    Satisfaction a été donnée aux fermiers en exemptant des règles N.R.A. les petites agglomérations.

    Plaintes encore, et non moins vives, de la part des très petites entreprises, de celles qui n'ayant qu'un capital insignifiant, un faible chiffre d'affaires et point de liquidités, ne peuvent augmenter la feuille de paye à la fin de la semaine.

    Là aussi des concessions ont été faites. Les règles de la N.R.A. sont par définition élastiques. Les cas particuliers sont réputés toujours susceptibles de révision et de réadaptation.

    Mais l'Administration, tout en se déclarant prête à admettre les exceptions justifiées, n'en maintient pas moins le principe qu'une entreprise, incapable de payer à ses employés des salaires « décents », est condamnée et doit disparaître.

    « Il est évident à mes yeux, répétait encore le général Johnson, le 18 janvier dernier, qu'aucune entreprise, dont l'existence n'est possible qu'à condition de payer des salaires inférieurs à ceux qui sont nécessaires pour vivre (less than living wages) n'a de droit à continuer d'exister dans ce pays. »

    Principe dont la justesse est partout reconnue, mais qui, au milieu d'une tourmente économique, ne peut évidemment être appliqué qu’avec des tempéraments.

    Mais les administrateurs de la N.R.A. prétendent que les difficultés du « little man», du petit entrepreneur ont été exagérées, et qu'en tous cas les soulagements qu'on lui a accordés sont suffisants. Ils produisent, à l'appui de cette affirmation, la statistique comparée des faillites de 1928 à 1933 ; elles indiquent que c'est dans la catégorie des petites entreprises que l'amélioration a été la plus accusée depuis le New Deal.

    Cependant quoi qu'on puisse faire dire aux chiffres, c'est l'évidence même que les codes sont plus faciles à observer par les entreprises financièrement les plus fortes, les mieux outillées et employant relativement moins de main-d'oeuvre. La N.R.A. les favorise ; son action s'exerce donc dans le sens de la concentration industrielle.

    Mais le problème le plus délicat, peut-être, est celui des fraudes et des infractions. Tout le système repose, en réalité, sur la bonne foi des contractants, bien plutôt que sur la crainte des pénalités. De toutes les sanctions, la meilleure, celle de l'opinion, perd graduellement de son efficacité, parce que l'intérêt et la vigilance du public s'émoussent.

    Reste le contrôle des associations ouvrières. L'administration Roosevelt fait tout ce qui est en son pouvoir pour fortifier le syndicalisme américain.

    Mais que faire si des patrons brisent la résistance ouvrière et refusent de se soumettre à l'autorité fédérale?

    Le retrait des licences, bien que prévu par le N.I.R.A., soulèverait des difficultés légales telles qu'on n'ose même pas les aborder. Sans doute, il semble exister à la Cour suprême une majorité d'une voix pour reconnaître le caractère constitutionnel des mesures incluses dans le New Deal. Mais l'épreuve n'a été tentée qu'à propos de litiges d'ordre mineur. Qu'adviendrait-il si la question de la souveraineté des Etats était posée devant la Cour suprême le jour où le pouvoir central aurait interdit à un citoyen l'exercice de sa profession?

    Au sein de la N.R.A. on hésite à prendre un pareil risque. D'aucuns suggèrent de tourner la difficulté et d'amener chacun des Etats individuels à promulguer une législation copiée sur le N. I. R. A. Mais quelle probabilité y a-t-il que les quarante-huit Etats y consentent? Et même que les quarante-huit lois qu'ils feraient voter constituent un ensemble qui ne soit pas discordant?

    Et si cette solution est reconnue impraticable, est-il vraisemblable que les règles de la N.R.A. puissent continuer longtemps d'être appliquées, ou de nouvelles règles être établies simplement en comptant sur la bonne volonté, le désir d'entente, l'esprit de conciliation des parties, et même sur la puissance des syndicats? Une autorité supérieure, munie de pouvoirs réels ne devra-t-elle pas intervenir? Pourra-t-on la créer sans une véritable révolution politique, sans le bouleversement, voire la destruction du système fédératif, éternel obstacle aux grandes réformes?

    Ce sont là des questions que ne manquent pas de se poser les auteurs et les dirigeants de la N.R.A. L'avenir les préoccupe d'autant plus qu'ils croient fermement — et une grande partie du peuple américain le croit avec eux — qu'ils ne font pas oeuvre purement temporaire, et qu'une direction, une coordination de l'économie industrielle demeureront des nécessités permanentes.

    Ils voient les fissures d'une construction hâtive. Les cas de violation des codes sont innombrables. Non seulement la lecture des journaux, mais la vie quotidienne les révèle à l'observateur : il suffit, par exemple, d'interroger un garçon de café à New-York pour apprendre que la règle du salaire minimum n'est pas observée dans sa corporation.

    Pourtant ce serait une erreur de croire que la N. R. A. soit en voie de disparition, ni même en décadence. La souplesse de l'institution, encore qu'elle réduise sa force et ses pouvoirs lui confère une vitalité toute spéciale. Elle est toujours prête à s'adapter à des conditions mouvantes. En ce moment, la révision générale des codes, peut-être accompagnée même d'une nouvelle réduction des heures de travail, est à l'ordre du jour.

    La vérité, c'est que la N.R.A. est vivante parce qu'elle répond à des besoins réels. Elle les a en partie satisfaits, ou elle tend à le faire.

    En même temps, elle imprime à l'économie américaine des directions que personne n'avait peut-être prévues à l'origine. Essayons d'esquisser à grands traits les résultats acquis et les répercussions plus lointaines.

    Il y a l'action psychologique du début, l'impression de confiance donnée à une collectivité en plein désarroi économique, et qui s'est tout à coup senti reprise en mains et dirigée. Il y a le progrès énorme réalisé soudain dans le domaine de la législation du travail et de l'organisation des syndicats. La classe ouvrière a reçu des armes grâce auxquelles elle pourra revendiquer une part de plus en plus importante du revenu national.

    Il y a le soutien immédiat donné à quantité d'entreprises chancelantes, et que la concurrence à couteaux tirés menaçait de mort prochaine. La N.R.A. a déclaré une sorte de trêve sur un champ de bataille que la crise avait jonché de cadavres.

    Mais, à longue échéance les industries les plus fortement organisées, les mieux outillées, celles où le machinisme est le plus développé sont naturellement favorisées par la réduction des heures de travail et l'institution du salaire minimum. Ainsi la N.R.A. tend à restituer au marché de la main-d'oeuvre sa rigidité ancienne, donc à encourager la recherche des labor saving devices (méthodes économisant le travail humain) et à réorienter l'économie américaine dans sa direction traditionnelle, définie par les trois termes : cherté de la main-d'oeuvre, perfectionnement de l'outillage, production massive.

    Dans le même ordre d'idées, et malgré les tempéraments apportés dans l'application des codes, la N.R.A. pousse à la concentration industrielle qu'elle favorise, d'autre part, par la suspension du Sherman Act. On note déjà des tendances très nettes à la cartellisation et le gouvernement s'inquiète à juste titre des progrès du monopolisme dans certaines industries.

    La limitation des profits, l'augmentation des salaires et du pouvoir d'achat des masses ne peuvent que favoriser le développement des industries produisant des biens de consommation, aux dépens des industries de capital. Les investissements sont ralentis, l'importance relative de l'industrie lourde réduite.

    Enfin, la N.R.A. cherche à égaliser les conditions de travail et d'existence sur un immense territoire aux climats divers et qu'occupe un extraordinaire mélange de peuples et de races.

    Elle fait donc oeuvre d'unification nationale. En quoi elle répond à une nécessité historique.

    Pour le comprendre, qu'on imagine un continent, d'Europe, par exemple, à l'intérieur duquel n'existerait aucune barrière douanière. Entre la France et les Balkans le commerce serait libre, sans tarif, sans contingents ; survient une crise ; l'usine de Sofia ou de Tirana aux très bas salaires, ruine celle de Lyon : l'ouvrier bulgare ou albanais impose à l'ouvrier français son standard de vie.

    Toutes choses égales il existait une situation de ce genre aux Etats-Unis. Si la N.R.A. parvient à y mettre fin sans création de cordons douaniers intérieurs, au moyen d'un nivellement des conditions d'existence par le haut et non par le bas, ce ne sera pas la moindre des révolutions que Roosevelt aura accomplie.



1 - Op. cit.

2 - Usines qui pressurent (l’ouvrier).

3 - Chiffres donnés par le Commitee on recent economic changes et cités dans le rapport du Directeur du B.I.T. de 1932.

4 - La Section 7 de la loi stipule que : 1° les salariés auront le droit de s'organiser et de négocier collectivement par l'intermédiaire de représentants de leur choix et seront exempts de toute immixtion, entrave ou coercition de la part des employeurs ou des agents de ceux-ci dans la désignation de leurs représentants, dans l'organisation qu'ils se donneront, et dans toutes les autres activités concertées aux fins de négociations collectives ou d'autre aide ou protection mutuelles ; 2° aucun salarié ou aucune personne en quête d'emploi ne pourra être requis comme condition d'engagement, de s'affilier à un syndicat d'entreprise (Company Union) ou de s'abstenir de s'affilier à une organisation ouvrière de son choix, de l'organiser ou de l'assister.

5 - V. Chapitre IV.

6 - Pour la même raison, dès qu'a été acceptée la régle du salaire minimum, la question du travail des enfants s'est trouvée ipso facto résolue ; l'abolition en a été obtenue sans peine.

 

 

 

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1 décembre 2004 3 01 /12 /décembre /2004 00:16


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La Révolution Roosevelt
Georges Boris – 1934

 


Chapitre V : Réforme agraire

 

 

 

 

 

    Dans son rapport au président, pour l'année 1933, le secrétaire d'Etat à l'Agriculture, M. Henry Wallace écrit :

    « Une inflation contrôlée est en train de corriger les effets pernicieux d'une déflation incontrôlée. Elle sert la justice sociale en répartissant plus équitablement le revenu national. Elle soulage les fermiers du poids excessif de leurs dettes et de leurs impôts, dans la mesure où elle relève les prix de leurs produits. »

    Ces paroles témoignent d'une claire perception de la ligne générale que doit suivre la politique de redressement économique des Etats-Unis.

    « Cependant, poursuit M. Wallace, l'agriculture ne saurait compter exclusivement sur une politique monétaire pour restaurer les revenus de la classe paysanne. »

    Le Secrétaire à l'Agriculture n'avance pas cette opinion à la légère. Fils de fermier, fermier lui-même — il possède des terres de culture dans l'Iowa, — directeur d'un journal agricole, technicien de l'économie rurale et auteur de travaux originaux, il a étudié depuis de longues années les conditions de l'agriculture américaine et, mieux que personne, il sait ce dont il parle. C'est un des hommes les plus remarquables de la nouvelle Administration, et qui doit à son indépendance et à son courage politiques un prestige éminent.

    Issu d'une famille républicaine — son père avait été secrétaire de l'Agriculture sous la présidence de MM. Harding et Coolidge (1) — M. Henry Wallace a quitté le parti de M. Hoover, où il figurait d'ailleurs dans les rangs avancés, pour des raisons de principe, parce que convaincu de la nécessité de réformes profondes et de l'impossibilité de les faire accepter et réaliser par ses coreligionnaires politiques.

    Avant même l'élection présidentielle de 1932, il avait élaboré un programme agraire qu'il soumit au candidat démocrate et que celui-ci fit ensuite étudier par le Brain Trust.

    Quand M. Roosevelt forma son cabinet, il confia le portefeuille de l'Agriculture à M. Wallace, avec mission d'appliquer ce programme. C'est pourquoi, dans l'empirisme général du New Deal, parmi tant de mesures mal coordonnées et même parfois déconcertantes, la réforme agraire apparaît seule comme procédant d'un plan préétabli et raisonné. Un cerveau l'a conçu, une volonté l'applique.

    Les motifs, les principes et les buts de la réforme, M. Wallace les a exposés dans des rapports officiels, dans des articles ou dans des discours aux fermiers, avec une franchise qui touche à l'intrépidité, tant ils heurtent les opinions courantes et s'écartent de la ligne de facilité politique. Il n'y a donc qu'à se reporter à ses paroles et à ses écrits pour connaître toute sa pensée.

    Pourquoi la crise agraire exige-t-elle d'autres remèdes encore que la crise générale? C'est qu'elle a ses causes propres : le marasme de l'agriculture a précédé de longtemps la dépression commerciale, industrielle et financière. Il date des premières années de l'après-guerre, cependant que les autres branches de l'économie sont restées prospères jusqu'en septembre 1929 ; et il tient à la surproduction des denrées agricoles d'exportation.

    Avant la guerre, les Etats-Unis étaient un pays débiteur : pour payer les arrérages de leurs dettes extérieures, ils livraient principalement les produits de leur sol. Des débouchés s'offraient donc tout naturellement à l'excédent de la production agricole sur les besoins de la consommation nationale.

    Pendant la guerre, pour assurer le ravitaillement des Alliés et des neutres, et, sous le double aiguillon de l'intérêt et du patriotisme, les fermiers américains furent incités à développer encore la production et l'exportation du tabac, du coton, de la viande et des céréales. Pour payer ces fournitures, les pays étrangers durent d'abord réaliser leurs créances et leurs titres, puis contracter eux-mêmes des dettes aux Etats-Unis.

    De débitrice l'Amérique était devenue créditrice. Les conséquences normales de cette situation nouvelle devaient être la réduction de la production agricole américaine d'une part, et l'augmentation des importations aux Etats-Unis, de l'autre.

    Au lieu de cela, on réalisa un faux équilibre sur des bases artificielles. Pour continuer de produire et d'exporter, l'Amérique avança aux autres pays, sous forme de prêts à long et à court terme, les sommes destinées à payer les livraisons qu'elle leur faisait.

    Et dans le même temps, loin d'admettre les importations étrangères, elle leur opposait des barrières douanières infranchissables, de sorte que, dès 1925, en dépit des milliards prêtés à l'étranger, les fermiers éprouvaient déjà des difficultés à écouler le surplus de leurs récoltes sur les marchés extérieurs. Tant bien que mal cependant, la prospérité industrielle aidant, ils purent continuer de résister quelque temps encore.

    Mais l'année 1930 allait voir s'écrouler le fragile échafaudage qui étayait l'agriculture américaine. Brusquement, par suite de la crise financière, les émissions de titres étrangers et les ouvertures de crédit cessèrent. Masquée jusqu'alors par le jeu des mouvements internationaux de capitaux, la véritable situation fut mise à nu. Elle se résumait ainsi : les Etats-Unis, chaque année, au lieu d'avoir à payer pour leurs dettes, comme avant la guerre, 200 millions de dollars à l'étranger, ont à en recevoir plus d'un milliard pour leurs créances, et ils exigent le paiement de cette annuité. Où donc les pays débiteurs pourraient-ils trouver les dollars nécessaires tant pour la couvrir que pour payer leurs nouveaux achats, maintenant que le marché financier leur est fermé? Où donc, si ce n'est dans le produit de leurs propres ventes aux Américains. Sans doute, mais les hauts tarifs douaniers les en empêchent…

    M. Wallace précise encore son argumentation dans le rapport déjà cité :

    « Les autres nations sont contraintes de réduire leurs achats chez nous, d'autant plus que nous ne leur offrons pas de marchés pour leurs produits. Les nations débitrices font effort pour se suffire à elles-mêmes, elles cèdent à la tendance naturelle d'acheter là où on peut vendre ; il est donc inconcevable que la demande de l'étranger pour les produits américains se développe assez, dans un avenir rapproché, pour absorber nos excédents. »

    Il poursuit :

    « Le pays se trouve en conséquence dans l'alternative soit de modifier sa politique douanière de façon à admettre des importations en quantités et en valeurs croissantes soit de se résigner à perdre pour toujours une large part de ses débouchés extérieurs. »

    Tel est le dilemme en présence duquel M. Wallace met ses compatriotes. Il ne se fait pas d'illusions sur leur état d'esprit actuel et ne le cache pas :

    « Les Etats-Unis sont une nation créditrice avec une psychologie de nation débitrice. L'attitude du peuple américain est encore essentiellement favorable à la politique des hauts tarifs. Il s'est découragé de prêter de l'argent à l'étranger et pourtant ne veut pas permettre aux nations étrangères d'expédier ici leur marchandises pour payer notre blé, notre coton et nos autres denrées exportables. Mais de deux choses l'une, ou bien nous devons modifier notre politique douanière et peut-être aussi notre politique de dettes internationales et de prêts à l'étranger (2), ou bien il nous faut réadapter notre économie et la placer sur une base plus ou moins nationaliste.

    « Le mieux serait de chercher à développer le pouvoir d'achat de l'étranger en rajustant nos tarifs et au besoin en reprenant les prêts extérieurs, en même temps que nous nous montrerions disposés à recevoir certaines marchandises en contre-partie des sommes prêtées.

    « L'autre voie, celle sur laquelle nous nous sommes aujourd'hui engagés, répond à une nécessité pressante, mais il faut des efforts surhumains pour y persévérer.

    « Les débouchés étrangers étant pratiquement perdus, il faut réduire les ensemencements et, d'une manière générale, la production agricole assez pour que les prix offerts aux fermiers leur permettent de vivre. C'est une tâche d'une difficulté extrême. Il faut cependant adapter ses forces productives au genre d'univers dans lequel on veut vivre. Mais nous n'avons pas encore décidé le genre d'univers où nous voulons vivre. »

    Quel que soit le choix final, il faut faire face aux nécessités immédiates. Comme de toute façon le retour à la liberté des échanges, à la libre circulation des capitaux, et à des conditions économiques normales dans le reste du monde ne saurait être instantané, il est essentiel « de ne plus offrir à la clientèle étrangère infiniment davantage qu'elle ne peut absorber ». La production agricole de l'Amérique doit être réduite dans toute la mesure où l'excédent exportable ne trouve plus de débouchés à l'extérieur.

    Décision que M. Wallace ne prend pas sans vaincre de profondes répugnances personnelles. « Nous sommes contraints de faire et de continuer de faire des choses que nous n'aimons pas », écrit-il dans un article de Foreign affairs (3). Il devra même donner l'ordre de détruire des récoltes, mais ce geste, il l'accompagnera du commentaire suivant :

    « C'est une chose qui va contre les instincts les plus sains de la nature humaine. »

    Il n'ignore pas davantage l'impopularité des mesures qu'il lui faut prendre :

    « Instinctivement, les fermiers les détestent ; les chemins de fer et les intermédiaires y sont hostiles parce qu'elles contractent le volume de leurs affaires ; les industriels parce qu'elles comportent des taxes à la transformation ; les consommateurs parce qu'elles font monter le coût de la vie. »

    Néanmoins, c'est une nécessité pour l'agriculture américaine de s'adapter aux conditions actuelles. La loi qui institue le contrôle de la production rurale aux Etats-Unis porte d'ailleurs le nom de loi d'Aide pour la Réadaptation agricole (A. A. A.). Cette loi, dont la promulgation remonte au 12 mai 1933, comprend toutes les mesures dont l'ensemble constitue la réforme agraire, à savoir le réaménagement des dettes hypothécaires (4), l'octroi de crédits spéciaux et les autorisations nécessaires à la réglementation dont l'exposé va suivre.

    L'objectif est d'obtenir des fermiers la réduction volontaire de la production des quatre principales denrées d'exportation : le coton, dont en temps normal plus de la moitié était exportée ; le tabac dont l'exportation atteignait presque la moitié de la production ; la viande de porc, exportée naguère dans la proportion de 33 à 50 % et le blé dont un cinquième était expédié au dehors.

    Pour réduire les quantités produites, en excédent des besoins nationaux, jusqu'au niveau des possibilités d'exportation, l'administration estime que les superficies ensemencées doivent être diminuées de 16 ou même de 20 millions d'hectares.

    Mais cet abandon de leurs cultures n'est demandé aux fermiers que parce que la nation américaine, prise dans son ensemble, exige une certaine politique douanière. Il est donc juste que la nation indemnise les fermiers pour le manque à produire et à gagner. Toutes les classes doivent participer au sacrifice. Il est donc institué une taxe à la première transformation des denrées visées (processing tax) dont l'incidence atteint les consommateurs en fin de compte et dont le produit est consacré à l'indemnisation des agriculteurs. En second lieu, dans le cas du coton, le gouvernement offre aux planteurs qui souscrivent aux engagements demandés, une option à bas prix sur ses anciens stocks de coton. Enfin l'administration fédérale procède, sur le marché, à des achats, dont l'effet immédiat est de soutenir les prix, et qui lui serviront ensuite à distribuer des secours en nature aux nécessiteux.

    A eux seuls les paiements de la première catégorie ont atteint en 1933 un total d'environ 300 millions de dollars. Ils correspondent en somme à un prélèvement effectué au bénéfice des agriculteurs sur les revenus de la collectivité.

    Ces avantages furent offerts aux intéressés sous forme de contrats individuels qu'ils avaient toute liberté d'accepter ou de refuser.

    Au moment de la mise en vigueur de l’A. A. A. les ensemencements de coton étaient déjà faits, et comme ils dépassaient sensiblement ceux de l'année précédente, la menace d'une forte récolte venait encore s'ajouter au poids des énormes stocks dont le marché était encombré.

    Le Département de l'Agriculture, d'accord avec les associations agricoles, proposa de remettre en jachère plus de dix millions d'acres, soit le quart des surfaces ensemencées. L'indemnité offerte aux planteurs indépendamment de l'option sur les vieux stocks était fixée à 10 dollars 60 par acre ; pour la récupérer, le coton était frappé, à la première transformation, d'une taxe de 4,2 cents par livre, montant qui est censé représenter la différence entre le cours du 15 juin 1933 et le prix normal de la matière première.

    Grâce à une active propagande menée par les agents du gouvernement, assistés de 22.000 volontaires, on avait, au mois de septembre, recueilli les signatures de 1.031.000 planteurs. Le succès de la campagne était bientôt démontré par une très importante amélioration des cours.

    Pour le blé, la situation au départ était plus sombre encore. Le report des précédentes récoltes représentait le triple du chiffre normal. Aux termes du programme de l'A.A.A., chaque fermier se vit attribuer une proportion déterminée de la production nécessaire à la consommation intérieure. La réduction globale des emblavements devait atteindre 15 %. La taxe à la première transformation était fixée à 30 cents par boisseau ; les indemnités variaient de 7 à 20 dollars par acre.

    Une armée de 30.000 volontaires s'employa à faire accepter ces conditions par les producteurs. Sur 1.200.000 fermiers on estime que la moitié a souscrit aux engagements demandés ; ils contrôlent les quatre cinquièmes des cultures. Ici encore les résultats ont été très favorables, à en juger par les cours du blé.

    De même pour le tabac où des accords de type différent ont été soumis à l'agrément des planteurs selon les régions et la qualité des produits récoltés.

    Pour les porcs la méthode employée a été celle des achats directs du gouvernement, achats qui ont porté sur des animaux de reproduction. Le prix payé par tête a été en moyenne de 5 dollars supérieur au cours du marché. Le financement de l'opération a été assuré par une taxe à la transformation de 50 cents par quintal. Les porcs achetés ont été abattus ; la viande et les conserves sont distribuées aux oeuvres d'assistance.

    Le Département de l'Agriculture ne pense pas toutefois que la méthode qu'il a dû improviser en 1933 soit suffisamment efficace. L'élevage des porcs est lié à la culture du maïs qui sert à leur alimentation. On se propose donc de réduire d'un quart l'ensemencement de cette céréale.

    En ce qui concerne les autres produits agricoles, l'Administration s'est contentée de favoriser les accords entre producteurs (marketing agreements) ; elle se refuse en effet à envisager le paiement d'indemnités et de subventions dans les cas où la mévente n'est pas due à la perte des débouchés extérieurs. Toutefois les éleveurs de bétail, dont la situation reste grave, font pression sur le Congrès et sur le gouvernement pour obtenir des subsides. M. Wallace qui, s'il cédait, donnerait une entorse à ses principes, résiste énergiquement.


***



    Depuis un an l'agriculture américaine est engagée sur la voie de l'économie dirigée. Dans quatre domaines au moins, on peut d'ores et déjà dire qu'elle est planifiée. Jusqu'à présent, c'est sur la base d'accords bilatéraux, que les intéressés sont libres d'accepter ou de refuser, que la tentative s'est poursuivie.

    Cependant, l'administration, tout en affirmant que le principe d'une direction et d'une planification est définitivement acquis, reconnaît le caractère provisoire des méthodes appliquées et des-mesures prises jusqu'à ce jour. Les modalités devront être adaptées aux circonstances : par exemple, le futur programme pour le blé ne pourra être fixé que lorsque seront connus les résultats des récoltes et l'avenir des conventions internationales élaborées à Londres.

    Mais la permanence de contrôle fédéral est certaine : il a même toutes chances de devenir plus strict. Déjà l'obligation tend à se substituer au volontariat. Une loi proposée par le sénateur Bankhead et qui a été votée avec l'agrément de l'administration, fixe le maximum de la récolte de coton à 10 millions de balles et prévoit une taxe prohibitive sur toutes les quantités égrénées au delà de ce total.

    D'ailleurs, les fraudes, les abus, auxquels l'A. A. A. a déjà donné lieu et qui risquent de se multiplier, contraindront l'Etat à une surveillance et à des interventions de plus en plus rigoureuses. On a signalé notamment le cas d'agriculteurs qui ont acheté des terrains, à très bas prix et ont réussi à se faire verser des indemnités pour ne pas les cultiver ; d'autres obéissent à la tentation naturelle de concentrer leurs efforts sur les terres restées en culture, et d'employer les subsides gouvernementaux à l'achat d'engrais pour augmenter le rendement.

    Un grave problème est, d'autre part, soulevé à propos des terres où les fermiers s'engagent à ne plus planter ni coton, ni blé, ni maïs, ni tabac. Ne risquent-elles pas d'être affectées à d'autres cultures, de sorte que le déséquilibre serait simplement transféré d'une branche à l'autre de la production? Ici encore l'Etat fédéral devra nécessairement agir. Et déjà on semble s'orienter vers la solution du rachat des champs en jachère suivant un programme où seraient intégrés les plans de reboisement et de lutte contre l'érosion. En fin de compte, seules les meilleures terres resteraient en culture.

    La diminution des superficies cultivées pose également un problème démographique. On a vu que le gouvernement envisage la transplantation de certains éléments de la population rurale et son établissement dans des colonies nouvelles.

    L'étroite interdépendance des exportations de produits agricoles et dé la politique douanière — interdépendance si lumineusement démontrée par M. Wallace — ne peut que rendre plus nécessaires encore et plus fréquentes dans l'avenir les interventions de l'Etat en vue d'une planification de l'économie rurale. Toute modification des droits de douane dans un sens ou dans un autre, se reflétera instantanément sur la situation et les perspectives de l'agriculture.

    On connaît la position de M. Wallace. Il espère que graduellement le peuple américain se convaincra de l'opportunité d'abaisser les barrières douanières et d'admettre plus de marchandises étrangères, pour pouvoir exporter davantage de produits américains :

    « Mon propre préjugé, écrit-il, est international. C'est, chez moi, une attitude innée. Dites qu'elle est semi-religieuse, si vous voulez, mais j'ai le profond sentiment que l'amitié doit régner entre les nations et que cette amitié doit s'exprimer par des échanges internationaux. Si le libre-échangisme triomphe dans le monde, on pourra supprimer les règles qui, par la force des choses, ont été imposées à l'agriculture américaine. »

    Mais M. Wallace sait l'improbabilité des solutions absolues :

    « Il n'est pas indispensable, poursuit-il, que nos exportations augmentent d'un milliard de dollars par an. Il est possible que nous arrivions à adopter un plan qui permettra un accroissement  d'un demi-milliard de nos importations, et alors, la réduction des ensemencements n'aurait plus à porter que sur 20 millions d'acres au lieu de 40. »

    La nation américaine n'est peut-être pas encore gagnée aux idées de M. Wallace, mais M. Roosevelt est convaincu. C'est pour les appliquer qu'il a demandé au Congrès de l'autoriser à négocier avec les pays étrangers des traités de commerce d'une validité de trois ans, et à abaisser (ou relever) de 50 % les tarifs en vigueur. Une dure bataille s'engage, dont l'issue est incertaine. Le Congrès tient jalousement à ses prérogatives en matière douanière. Aux résistances politiques s'ajoute l'opposition des grands intérêts industriels, mais l'avenir des populations rurales est en jeu. Tôt ou tard la réforme douanière devra compléter et corriger la réforme agraire.




1 - Il donna sa démission dans des circonstances qui sont tout à son honneur.

2 - On notera au passage que le Secrétaire d'Etat à l'Agriculture ne craint pas de soulever la question des dettes dans un rapport officiel et d'y manifester une opinion opposée aux sentiments de la grande majorité ; il a d'ailleurs fait preuve de plus de hardiesse encore dans certains discours tenus devant des assemblées de fermiers.

3 - American Agriculture and World Markets, par Henry A. Wallace, Foreign Affairs, janvier 1934.

4 - Voir chapitre I.

 

 

 

 

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