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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:14

CHAPITRE VII (c)

Des Droits, Privilèges & Immunités des Ambassadeurs & autres Ministres Publics.

 

[...]

§.97       Droit de le réprimer par la force, s'il agit en ennemi

            Mais doit-on toûjours se borner à chasser un Ambassadeur, à quelque excès qu'il se soit porté ? Quelques Auteurs le prétendent, fondés sur la parfaite indépendance du Ministre Public.   J'avouë qu'il est indépendant de la Jurisdiction du pays ; & j'ai déja dit, que, par cette raison, le Magistrat ordinaire ne peut procéder contre lui.   Je conviens encore que pour toute sorte de délits communs, pour les scandales & les desordres, qui font tort aux Citoyens & à la Société, sans mettre l’État ou le Souverain en péril, on doit ce ménagement à un Caractère si nécessaire pour la correspondance des Nations, & à la Dignité du Prince réprésenté, de se plaindre à lui de la conduite de son Ministre, & de lui en demander la réparation ; & si on ne peut rien obtenir, de se borner à chasser ce Ministre, au cas que la gravité de ses fautes exige absolument qu’on y mette ordre.   Mais l’Ambassadeur pourra-t-il impunément cabaler contre l’État où il réside, en machiner la perte, inciter les sujets à la révolte, & ourdir sans crainte les Conspirations les plus dangereuses, lorsqu'il se tient assuré de l’aveu de son Maître ? S'il se comporte en Ennemi, ne sera-t-il pas permis de le traiter comme tel ? La chose est indubitable, à l’égard d'un Ambassadeur qui en vient aux voies de fait, qui prend les armes, qui use de violence.   Ceux qu'il attaque peuvent le repousser ; la défense de soi-même est de Droit Naturel.   Ces Ambassadeurs Romains, envoyés aux Gaulois, & qui combattirent contre eux avec les Peuples de Ciusium, se dépouillèrent eux-mêmes de leur Caractère (a(a) TITE LIVE, Lib.V Cap.XXVI.   L’Historien décide sans balancer, que ces Ambassadeurs violèrent le Droit des Gens : Legati contra Jus Gentium arma capiunt).   Qui pourroit penser que les Gaulois devoient les épargner dans la Bataille ?

 

§.98       De l’Ambassadeur qui forme des Conjurations & des Complots dangereux

            La question a plus de difficulté à l’égard d'un Ambassadeur qui, sans en venir actuellement aux voies de fait, ourdit des trames dangereuses, incite, par ses menées, les sujets à la révolte, forme & anime des Conspirations contre le Souverain ou contre l’État.   Ne pourra-t-on réprimer & punir exemplairement un Traître, qui abuse de son Caractère, & qui viole le prémier le Droit des Gens ? Cette Loi sacrée ne pourvoit pas moins à la sûreté du Prince qui reçoit un Ambassadeur, qu'à celle de l’Ambassadeur lui-même.   Mais d'un autre côté, si nous donnons au Prince offensé, le droit de punir, en pareil cas, un Ministre Étranger, il en résultera de fréquens sujets de contestation & de rupture entre les Puissances, & il sera fort à craindre que le Caractère d'Ambassadeur ne soit privé de la sûreté qui lui est nécessaire.   Il est certaines pratiques, tolérées dans les Ministres Étrangers, quoiqu'elles ne soient pas toûjours fort honnêtes ; il en est que l’on ne peut réprimer par des peines, mais seulement en ordonnant au Ministre de se retirer : Comment marquer toûjours les limites de ces divers degrés de faute ? On chargera d'odieuses couleurs les intrigues d'un Ministre, que l’on voudra troubler ; on calomniera ses intentions & ses démarches, par une interprétation sinistre ; on lui suscitera même de fausses accusations.   Enfin, les entreprises de cette nature se font d'ordinaire avec précaution, elles se ménagent dans le secret ; la preuve complette en est difficile, & ne s'obtient guères que par les formalités de la Justice.   Or on ne peut assujettir à ces formalités un Ministre indépendant de la Jurisdiction du pays.

 

            En posant les fondements du Droit des Gens Volontaire (Prélim.   §.21), nous avons vû que les Nations doivent quelquefois se priver nécessairement, en faveur du bien général de certains Droits, qui, pris en eux-mêmes & abstraction faite de toute autre considération, leur appartiendroient naturellement.   Ainsi le Souverain, dont la Cause est juste, a seul véritablement tous les Droits de la Guerre (Liv.III §.188) ; & cependant il est obligé de considérer son Ennemi comme ayant des Droits égaux aux siens, & de le traiter en conséquence (ibid.   §§.190.   & 191).   Les mêmes Principes nous serviront ici de règle.   Disons donc, qu'en faveur de la grande utilité, de la nécessité même des Ambassades, les Souverains sont obligés de respecter l’inviolabilité de l’Ambassadeur, tant qu'elle ne se trouve pas incompatible avec leur propre sûreté & le salut de leur État.   Et par conséquent, quand les menées de l’Ambassadeur sont dévoilées, ses complots découverts ; quand le péril est passé, en sorte que, pour s'en garentir, il n'est plus nécessaire de mettre la main sur lui ; il faut, en considération du Caractère, renoncer au droit général de punir un Traître, un Ennemi couvert, qui attente au salut de l’État, & se borner à chasser le Ministre coupable, en demandant sa punition au Souverain de qui il dépend.

 

            C’est en effet de quoi la plûpart des Nations, & sur-tout celles de l’Europe, sont tombées d'accord.   On peut voir dans WICQUEFORT (a(a) Ambassadeur, Liv.I Sect.XXVII, XXVIII & XXIX) plusieurs exemptes des principaux Souverains de l’Europe, qui se sont contentés de chasser des Ambassadeurs coupables d'entreprises odieuses, quelquefois même sans en demander la punition aux Maîtres, de qui ils n'espéroient pas de l’obtenir.   Ajoûtons à ces exemples celui du Duc d'ORLéANS Régent de France : Ce Prince usa de ménagement envers le Prince de CELLAMARE Ambassadeur d'Espagne, qui avoit tramé contre lui une Conspiration dangereuse ; se bornant à lui donner des Gardes, à saisir ses papiers, & à le faire conduire hors du Royaume.   L’Histoire Romaine fournit un exemple trés-ancien, dans la personne des Ambassadeurs de TARQUIN.   Venus à Rome, sous prétexte de réclamer les biens particuliers de leur Maître, qui avoit été chassé ; ils y pratiquèrent une Jeunesse corrompue, & l’engagèrent dans une horrible trahison contre la Patrie.   Quoique la conduite de ces Ambassadeurs parût autoriser à les traiter en ennemis, les Consuls & le Sénat respectèrent en leurs personnes le Droit des Gens (a(a) TITE LIVE, Lib.II c.IV).   Les Ambassadeurs furent renvoyés, sans qu’on leur fît aucun mal ; mais il paroît, par le récit de TITE LIVE, qu’on leur enleva les Lettres des Conjurés, dont ils étoient chargés pour TARQUIN.

 

§.99       De ce qui est permis contre lui, selon l’exigence du cas

            Cet exemple nous conduit à la véritable règle du Droit des Gens, dans les cas dont il est question.   On ne peut punir l’Ambassadeur, parcequ'il est indépendant ; & il ne convient pas, par les raisons que nous venons d'exposer, de le traiter en ennemi, tant qu'il n'en vient pas lui-même à la violence & aux voies de fait : Mais on peut contre lui tout ce qu'exige raisonnablement le soin de se garentir du mal qu’il a machiné, de faire avorter ses complots.   S’il étoit nécessaire, pour déconcerter & prévenir une Conjuration, d'arrêter, de faire périr même un Ambassadeur, qui l’anime & la dirige ; je ne vois pas qu'il y eût à balancer ; non-seulement parceque le salut de l’État est la Loi suprême, mais encore parceque, indépendamment de cette maxime, on en a un droit parfait & particulier, produit par les propres faits de l’Ambassadeur.   Le Ministre Public est indépendant, il est vrai, & sa personne sacrée ; mais il est permis, sans-doute, de repousser ses attaques, sourdes ou ouvertes, de se défendre contre lui, dés qu'il agit en ennemi & en traître.   Et si nous ne pouvons nous sauver sans qu'il lui en arrive du mal ; c’est lui qui nous met dans la nécessité de ne pas l’épargner.   Alors on peut dire avec raison, que le Ministre se prive lui-même de la protection du Droit des Gens.   Je suppose que le Sénat de Venise, découvrant la Conjuration du Marquis de BEDMAR (a(a) Voyez-en l’Histoire écrite par l’Abbé de Sr.   RéAL), & convaincu que cet Ambassadeur en étoit l’âme & le Chef, n'eût pas eû d'ailleurs des lumières suffisantes, pour étouffer cet horrible Complot ; qu'il eût été incertain sur le nombre & la Condition des Conjurés, sur les objets de la Conjuration, sur le lieu où elle devoit éclater ; qu'il eût été en doute si on se proposoit de faire révolter l’Armée navale, ou les Troupes de terre, de surprendre quelque Place importante : Auroit-il été obligé de laisser partir l’Ambassadeur en liberté, & par-là de lui donner moyen d'aller se mettre à la tête de ses Complices & de faire réussir ses desseins ? On ne le dira pas sérieusement.   Le Sénat eût donc été en droit de faire arrêter le Marquis & toute sa Maison, de leur arracher même leur funeste secret.   Mais ces prudents Républicains voyant le péril passé, & la Conjuration entièrement étouffée, voulurent se ménager avec l’Espagne, & défendant d'accuser les Espagnols d'avoir eû part au Complot, ils prièrent seulement l’Ambassadeur de se retirer, pour se garentir de la fureur du peuple.

 

§.100     D'un Ambassadeur qui attente à la vie du Prince

            On doit suivre ici la même règle, que nous avons donnée ci-dessus (Liv.III §.136), en traitant de ce qui est permis contre un Ennemi : Dès que l’Ambassadeur agit en ennemi, on peut se permettre contre lui tout ce qui est nécessaire pour faire avorter ses mauvais desseins & pour se mettre en sûreté.   C’est encore sur ce même principe, & sur cette idée, qui présente l’Ambassadeur comme un Ennemi public, quand il en fait les actions, que nous déciderons son sort, au cas qu'il porte ses attentats jusqu'au plus haut dégré d'atrocité.   Si l’Ambassadeur commet de ces crimes atroces, qui attaquent la sûreté du Genre-humain, s'il entreprend d'assassiner ou d'empoisonner le Prince, qui l’a reçû à sa Cour ; il mérite, sans difficulté, d'être puni comme un Ennemi traître, empoisonneur ou assassin (voyez Liv.III §.155).   Son Caractère, qu’il a si indignement souillé, ne peut le soustraire à la peine.   Le Droit des Gens protègeroit-il un Criminel, dont la sûreté de tous les Princes & le salut du Genre-humain demandent le supplice ? On doit peu s'attendre, il est vrai, qu'un Ministre Public se porte à de si horribles excès.   Ce sont ordinairement des gens d'honneur, que l’on décore de ce Caractère : Et quand il s'en trouveroit, dans le nombre, de ceux qui ne font scrupule de rien ; les difficultés, la grandeur du péril sont capables de les arrêter : Cependant ces attentats ne sont pas sans exemple dans l’Histoire.   M.   BARBEYRAC (a(a) Dans ses notes sur le Traité du Juge compétent des Ambassadeurs par M.   DE BYNKERSHOEK, Chap.XXIV §.V not.2) rapporte celui d'un Assassinat commis en la personne du Seigneur de Sirmium, par un Ambassadeur, que lui envoya CONSTANTIN DIOGENE Gouverneur de la Province voisine pour BASILE II Empereur de Constantinople, & il cite l’Historien CEDRENUS.   Voici un fait, qui se rapporte à la matière.   CHARLES III Roi de Naples ayant envoyé en 1382 à son Compétiteur LOUIS Duc d'Anjou, un Chevalier nommé MATTHIEU SAUVAGE, en qualité de Héraut, pour le défier à un Combat singulier ; ce Héraut fut soupçonné de porter une demi-lance, dont le fer étoit imbû d'un poison si subtil, que quiconque y arrêtoit fixement la vuë, ou en laissoit toucher ses habits, tomboit mort à l’instant.   Le Duc d'Anjou averti, refusa de voir le Héraut, & le fît arrêter : on l’interrogea ; & sur sa propre confession, il eut la tête tranchée.   Charles se plaignit du supplice de son Héraut, comme d'une infraction aux Loix & aux usages de la Guerre.   Louis soutint dans sa réponse, qu'il n'avoit point violé les Loix de la Guerre à l’égard du Chevalier Sauvage, condamné sur sa propre déclaration (a(a) Histoire des Rois des deux Siciles, par M.   D’EGLY).   Si le crime imputé au Chevalier eût été bien avéré ; ce Héraut étoit un Assassin, qu'aucune Loi ne pouvoit protéger.   Mais la nature seule de l’accusation en montre assez la fausseté.

 

§.101     Deux exemples remarquables sur la question des Immunités des Ministres Publics

            La Question que nous venons de traiter, a été débattue en Angleterre & en France, en deux occasions célèbres.   Elle le fut à Londres, à l’occasion de JEAN LESLEY Évêque de Rosse, Ambassadeur de MARIE Reine d'Écosse.   Ce Ministre ne cessoit de cabaler contre la Reine ELISABETH & contre le repos de l’État : il formoit des Conjurations ; il excitoit les sujets à la révolte.   Cinq des plus habiles Avocats, consultés par le Conseil Privé, décidèrent, que l’Ambassadeur qui excite une rébellion contre le Prince auprès duquel il réside, est déchû des privilèges du Caractère, & sujet aux peines de la Loi.   Ils devoient dire plûtôt, qu’on peut le traiter en ennemi.   Mais le Conseil se contenta de faire arrêter l’évêque ; & après l’avoir détenu prisonnier à la Tour, pendant deux ans, on le mit en liberté, quand on n'eût plus rien à craindre de ses intrigues, & on le fît sortir du Royaume (a(a) CAMDEN, Annal.   Angl.   ad ann.   1571-1573).   Cet exemple peut confirmer les Principes que nous avons établis.   J'en dis autant du suivant.   Bruneau Sécrétaire de l'Ambassadeur d'Espagne en France, fut surpris traitant avec Mairargues, en pleine paix, pour faire livrer Marseilles aux Espagnols.   On le mit en prison, & le Parlement, qui fît le Procès à Mairargues, interrogea Bruneau juridiquement.   Mais il ne le condamna pas ; il le renvoya au Roi, qui le rendit à son Maître, à condition qu'il le feroit sortir incessamment du Royaume.   L’Ambassadeur se plaignit vivement de la détention de son Sécrétaire.   Mais HENRI IV lui répondit très-judicieusement, que le Droit des Gent n'empêche pas qu’on ne puisse arrêter un Ministre Public, pour lui ôter le moyen de faire du mal.   Le Roi pouvoit ajoûter, qu’on a même le droit de mettre en usage, contre le Ministre, tout ce qui est nécessaire pour se garentir du mal qu’il a voulu faire, pour déconcerter ses entreprises & en prévenir les suites.   C’est ce qui autorisoit le Parlement à faire subir un Interrogatoire à Bruneau, pour découvrir tous ceux qui avoient trempé dans un Complot si dangereux.   La question, si les Ministres Étrangers qui violent le Droit des Gens sont déchus de leurs Privilèges, fut agitée fortement à Paris : Mais le Roi n'en attendit pas la décision, pour rendre Bruneau à son Maître (a(a) Voyez cette discussion & les discours que HENRI IV tint à ce sujet à l’Ambassadeur d'Espagne, dans les Mémoires de NEVERS Tom.II pp.858 & suiv.   dans MATTHIEU Tom.II Liv.III & dans les autres Historiens).

 

§.102     Si l’on peut user de réprésailles envers un Ambassadeur

            Il n’est pas permis de maltraiter un Ambassadeur par réprésailles.   Car le Prince qui use de violence contre un Ministre Public, commet un crime ; & l’on ne doit pas s'en venger en l’imitant.   On ne peut jamais, sous prétexte de réprésailles, commettre des actions illicites en elles-mêmes : Et tels seroient sans-doute de mauvais traitemens, faits à un Ministre innocent, pour les fautes de son Maître.   S’il est indispensable d'observer généralement cette règle, en fait de réprésailles, le respect qui est dû au Caractère, la rend plus particulièrement obligatoire envers l’Ambassadeur.   Les Carthaginois avoient violé le Droit des Gens envers les Ambassadeurs de Rome : on amena à SCIPION quelques Ambassadeurs de ce Peuple perfide, & on lui demanda ce qu'il vouloit qu’on leur fît : Rien, dit-il, de semblable à ce que les Carthaginois ont fait aux nôtres ; & il les renvoya en sûreté (b(b) APPIEN, cité par GROTIUS Liv.II Chap.XXVIII §.VII.   Suivant DIODORE DE SICILE, SCIPION dit aux Romains : N'imitez point ce que vous reprochez aux Carthaginois.   DIOD.   SICUL.Excerpt.   Peiresc.   p.290).   Mais en même tems il se prépara à punir, par les armes, l’État qui avoit violé le Droit des Gens (c(c) TITE LIVE, Lib.XXX Cap.XXV.   Cet Historien fait dire à SCIPION : Quoique les Carthaginois aient violé la foi de la Trève & le Droit des Gens en la personne de nos Ambassadeurs ; je ne ferai rien contre les leurs, qui soit indigne des Maximes du Peuple Romain & de mes principes).   Voilà le vrai modèle de la conduite, qu'un Souverain doit tenir en pareille occasion.   Si l’injure, pour laquelle on veut user de réprésailles, ne regarde pas un Ministre Public, il est bien plus certain encore qu’on ne peut les exercer contre l’Ambassadeur de la Puissance dont on se plaint.   La sûreté des Ministres Publics seroit bien incertaine, si elle étoit dépendante de tous les différends, qui peuvent survenir.   Mais il est un cas, où il paroît très-permis d'arrêter un Ambassadeur, pourvû qu’on ne lui fasse souffrir d'ailleurs aucun mauvais traitement : Quand un Prince, violant le Droit des Gens, a fait arrêter notre Ambassadeur, nous pouvons arrêter & retenir le sien, afin d'assûrer par ce gage, la vie & la liberté du nôtre.   Si ce moyen ne réussissoit pas, il faudroit relâcher l’Ambassadeur innocent, & se faire Justice, par des voies plus efficaces.   CHARLES-QUINT fît arrêter l’Ambassadeur de France, qui lui avoit déclaré la Guerre ; surquoi FRANÇOIS I fît arrêter aussi GRANVELLE Ambassadeur de l’Empereur.   On convint ensuite, que les Ambassadeurs seroient conduits sur la frontière, & élargis en même-tems (a(a) Mézeray, Histoire de France, Tom.II p.470). [...]


 

Table des matières

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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:13

CHAPITRE VII (b)

Des Droits, Privilèges & Immunités des Ambassadeurs & autres Ministres Publics.

 

[...]

§.91       Par qui & à qui ils peuvent être envoyés

            Le Prince, le Général de l’Armée, & chaque Commandans en chef, dans son Département, ont seuls le droit d'envoyer un Trompette, ou Tambour ; & ils ne peuvent l’envoyer aussi qu'au Commandant en chef.   Si le Général qui assiège une Ville, entreprenoit d'envoyer un Trompette à quelque subalterne, au Magistrat, ou à la Bourgeoisie, le Gouverneur de la Place pourroit avec Justice traiter ce Trompette en Espion.   FRANçOIS I Roi de France, étant en Guerre avec CHARLES-QUINT, envoya un Trompette à la Diette de l’Empire, assemblée à Spire, en 1544.   L’Empereur fît arrêter le Trompette, & menaça de le faire pendre, parce qu'il ne lui étoit pas addressé (a(a) WICQUEFORT, ubi suprà).   Mais il n’osa exécuter sa menace, sans-doute parce qu'il sentoit bien, malgré ses plaintes, que la Diette étant en droit, même sans son aveu, d'écouter les propositions d'un Ennemi, cet Ennemi pouvoit lui envoyer un Trompette.   D'un autre côté, on dédaigne de recevoir un Tambour, ou Trompette, de la part d'un subalterne ; à moins que ce ne soit pour quelque objet particulier & dépendant de l’autorité présente de ce subalterne, dans ses fonctions.   Au siège de Rhinberg en 1598, un Mestre de Camp d'un Régiment Espagnol s'étant avisé de faire sommer la Place, le Gouverneur fît dire au Tambour, qu'il eût à se retirer, & que si quelqu'autre Tambour ou Trompette étoit assez hardi pour y revenir de la part d'un subalterne, il le feroit pendre (b(b) Idem, Ibid).

 

§.92       Indépendance des Ministres étrangers

            L’inviolabilité du Ministre Public, ou la Sûreté, qui lui est dûe plus saintement & plus particulièrement qu'à tout autre, étranger ou citoyen, n’est pas son seul Privilège : l’usage universel des Nations lui attribuë de plus une entière indépendance de la Jurisdiction & de l’Autorité de l’État où il réside.   Quelques Auteurs (c(c) Vide WOLF, Jus Gent.   §.1059) prétendent que cette indépendance est de pure institution entre les Nations, & veulent qu'on la rapporte au Droit des Gens Arbitraire, qui vient des mœurs, de la Coûtume, ou des Conventions particulières : Ils nient qu'elle soit de Droit des Gens Naturel.   Il est vrai que la Loi Naturelle donne aux hommes le droit de réprimer & de punir ceux qui leur font injure, & par conséquent elle donne aux Souverains celui de punir un Étranger, qui trouble l’ordre public, qui les offense eux-mêmes, ou qui maltraite leurs sujets ; elle les autorise à obliger cet Étranger de se conformer aux Loix & de remplir fidèlement ce qu'il doit aux Citoyens.   Mais il n’est pas moins vrai que la même Loi Naturelle impose à tous les Souverains l’obligation de consentir aux choses, sans lesquelles les Nations ne pourroient cultiver la Société que la Nature a établie entre elles, correspondre ensemble, traiter de leurs affaires, ajuster leurs différends ; Or les Ambassadeurs & autres Ministres Publics sont des instruments nécessaires à l’entretien de cette Société générale, de cette correspondance mutuelle des Nations.   Mais leur Ministère ne peut atteindre la fin à laquelle il est destiné, s'il n’est muni de toutes les prérogatives capables d'en assûrer le succès légitime, de le faire exercer en toute sûreté, librement & fidèlement.   Le même Droit des Gens, qui oblige les Nations à admettre les Ministres Étrangers, les oblige donc aussi manifestement à recevoir ces Ministres avec tous les droits qui leur sont nécessaires, tous les Privilèges qui assûrent l’exercice de leurs fonctions.   Il est aisé de comprendre que l’indépendance doit être l’un de ces Privilèges.   Sans elle, la sûreté, si nécessaire au Ministre Public, ne sera que précaire : on pourra l’inquiéter, le persécuter, le maltraiter, sous mille prétextes.   Souvent le Ministre est chargé de commissions desagréables au Prince, à qui il est envoyé ; Si ce Prince a quelque pouvoir sur lui, & singulièrement une Autorité souveraine ; comment espérer que le Ministre exécutera les ordres de son Maître, avec la fidélité, la fermeté, la liberté d'esprit nécessaires ? Il importe qu'il n’ait point de piéges à redouter, qu'il ne puisse être distrait de ses fonctions par aucune chicane ; il importe qu'il n’ait rien à espérer, ni rien à craindre du Souverain à qui il est envoyé.   Il faut donc, pour assûrer le succès de son Ministère, qu'il soit indépendant de l’Autorité souveraine, de la Jurisdiction du pays, tant pour le Civil, que pour le Criminel.   Ajoûtons que les Seigneurs de la Cour, les personnes les plus considérables ne se chargeroient qu'avec répugnance d'une Ambassade, si cette Commission devoit les soumettre à une Autorité étrangère, souvent chez des Nations peu amies de la leur, où ils auront à soutenir des prétentions desagréables, à entrer dans des discussions, où l’aigreur se mêle aisément.   Enfin, si l’Ambassadeur peut être accusé pour délits communs, poursuivi criminellement, arrêté, puni ; s'il peut être cité en Justice pour affaires Civiles ; il arrivera souvent qu'il ne lui restera ni le pouvoir, ni le loisir, ni la liberté d'esprit que demandent les affaires de son Maître.   Et la dignité de la Réprésentation, comment se maintiendra-t-elle dans cet assujettissement ? Pour toutes ces raisons, il est impossible de concevoir, que l’intention du Prince, qui envoie un Ambassadeur, ou tout autre Ministre, soit de le soumettre à L’Autorité d'une Puissance Étrangère.   C’est ici une nouvelle raison, qui achève d'établir l’indépendance du Ministre Public.   Si l’on ne peut raisonnablement présumer, que son Maître veuille le soumettre à l’Autorité du souverain à qui il l’envoie ; ce Souverain, en recevant le Ministre, consent à l’admettre sur ce pied d'indépendance : Et voilà, entre les deux Princes, une Convention tacite, qui donne une nouvelle force à l’obligation naturelle.

 

            L’usage est entièrement conforme à nos Principes.   Tous les Souverains prétendent une parfaite indépendance pour leurs Ambassadeurs & Ministres.   S’il est vrai qu'il se soit trouvé un Roi d'Espagne, qui, désirant de s'attribuer une Jurisdiction sur les Ministres Étrangers résidents à sa Cour, ait écrit à tous les Princes Chrétiens, que si ses Ambassadeurs venoient à commettre quelque crime dans le lieu de leur résidence, il vouloit qu’ils fussent déchûs de leurs Privilèges, & jugés suivant les Loix du pays (a(a) Le fait est avancé par ANTOINE DE VERA, dans son Idée du parfait Ambassadeur.   Mais ce récit paroit suspect à WICQUEFORT, parce qu'il ne l’a trouvé, dit-il, dans aucun autre Écrivain (Ambass.   Liv.I Sect.XXIX.   init.)) ; Un exemple unique ne fait rien, en pareille matière, & la Couronne d'Espagne n'a point adopté cette façon de penser.

 

§.93       Conduite que doit tenir le Ministre Etranger

            Cette indépendance du Ministre Étranger ne doit pas être convertie en licence : Elle ne le dispense point de se conformer dans ses actes extérieurs, aux usages & aux Loix du pays, dans tout ce qui est étranger à l’objet de son Caractère : Il est indépendant ; mais il n'a pas droit de faire tout ce qu'il lui plaît.   Ainsi, par exemple, s'il est défendu généralement à tout le monde, de passer en Carrosse auprès d'un Magasin à poudre, ou sur un pont, de visiter & examiner les fortifications d'une Place &c.   L’Ambassadeur doit respecter de pareilles défenses.   S’il oublie ses devoirs, s'il devient insolent, s'il commet des fautes & des crimes ; il y a divers moyens de le réprimer, selon l’importance & la nature de ses fautes ; & nous allons en parler, après que nous aurons dit deux mots de la conduite que le Ministre Public doit tenir, dans le lieu de sa résidence.   Il ne peut se prévaloir de son indépendance, pour choquer les Lois & les usages, mais plutôt il doit s'y conformer, autant que ces Loix & ces usages peuvent le concerner, quoique le Magistrat n’ait pas le pouvoir de l’y contraindre ; & sur tout il est obligé d'observer religieusement les règles universelles de la Justice, envers tous ceux qui ont affaire à lui.   A l’égard du Prince à qui il est envoyé, l’Ambassadeur doit se souvenir, que son Ministère est un Ministère de Paix, & qu'il n'est reçu que sur ce pied-là.   Cette raison lui interdit toute mauvaise pratique.   Qu'il serve son Maître, sans faire tort au Prince qui le reçoit.   C’est une lâche trahison, que d'abuser d'un Caractère sacré, pour tramer sans crainte la perte de ceux qui respectent ce Caractère, pour leur tendre des embuches, pour leur nuire sourdement, pour brouiller & ruïner leurs affaires.   Ce qui seroit infâme & abominable, dans un Hôte particulier, deviendra-t-il donc honnête & permis au Réprésentant d'un Souverain ?

Il se présente ici une Question intéressante.   Il n’est que trop ordinaire aux Ambassadeurs, de travailler à corrompre la fidélité des Ministres de la Cour où ils résident, celle des Sécrétaires & autres employés dans les Bureaux.   Que doit-on penser de cette pratique ? Corrompre quelqu'un, le séduire, l’engager, par l’attrait ode l’er, à trahir son Prince & son devoir, c’est incontestablement une mauvaise action, selon tous les principes certains de la Morale.   Comment se la permet-on si aisément dans les Affaires Publiques ? Un sage & vertueux Politique (a(a) M.   PECQUET, Discours sur l’Art de négocier, p.91 & 92) donne assez à entendre, qu'il condamne absolument cette indigne ressource.   Mais pour ne pas se faire lapider dans le Monde Politique, il se borne à conseiller de n'y avoir recours qu'au défaut de tout autre Moyen.   Pour nous, qui écrivons sur les Principes sacrés & invariables du Droit, disons hardiment, pour n'être pas infidèles au Monde Moral, que la corruption est un moyen contraire à toutes les règles de la Vertu & de l’honnêteté, qu'elle blesse évidemment la Loi Naturelle.   On ne peut rien concevoir de plus deshonnête, de plus opposé aux devoirs mutuels des hommes, que d'induire quelqu'un à faire le mal.   Le corrupteur pêche certainement envers le misérable qu'il séduit.   Et pour ce qui concerne le Souverain, dont on découvre les secrets de cette maniére, n'est-ce pas l’offenser, lui faire injure, que de profiter de l’accès favorable qu'il donne à sa Cour, pour corrompre la fidélité de ses serviteurs ? Il est en droit de chasser le corrupteur, & de demander Justice à celui qui l’a envoyé.

 

            Si jamais la corruption est excusable, c’est lorsqu'elle se trouve l’unique moyen de découvrir pleinement & de déconcerter une trame odieuse, capable de ruïner ou de mettre en grand péril l’État que l’on sert.   Celui qui trahit un pareil secret, peut, selon les circonstances, n'être pas condamnable : Le grand & légitime avantage qui découle de l’action qu’on lui fait faire, la nécessité d'y avoir recours, peuvent nous dispenser de nous arrêter trop scrupuleusement sur ce qu'elle peut avoir d'équivoque de sa part.   Le gagner est un acte de simple & juste défense.   Tous les jours on se voit obligé, pour faire avorter les complots des méchans, de mettre en œuvre les dispositions vicieuses de leurs semblables.   C’est sur ce pied-là que HENRI IV disoit à l’Ambassadeur d'Espagne, qu’il est permis à l’Ambassadeur d’employer la corruption, pour découvrir les intrigues qui se font contre le service de son Maître (a(a) Voyez les Mémoires de SULLY & les Historiens de France) ; ajoûtant, que les affaires de Marseilles, de Metz, & plusieurs autres, faisoient assez voir qu'il avoit raison de tâcher à pénétrer les desseins, qu’on formoit à Bruxelles, contre le repos de son Royaume.   Ce grand Prince ne jugeoit pas sans-doute, que la séduction fût toûjours une pratique excusable dans un Ministre Étranger ; puisqu'il fît arrêter BRUNEAU Sécrétaire de l’Ambassadeur d'Espagne, qui avoit pratiqué MAIRARGUES, pour faire livrer Marseilles aux Espagnols.

 

            Profiter simplement des offres d'un Traître, que l’on n'a point séduit, est moins contraire à la Justice & à l’honnêteté.   Mais les exemples des Romains, que nous avons rapportés ci-dessus (Liv.III §.155 & §.181), où il s’agissoit cependant d'ennemis déclarés ; ces exemples, dis-je, font voir que la grandeur-d’âme rejette même ce moyen, pour ne pas encourager l’infâme trahison, Un Prince, un Ministre, dont les sentimens ne seront point inférieurs à ceux de ces anciens Romains, ne se permettra d'accepter les offres d'un Traître, que quand une cruelle nécessité lui en fera la loi ; & il regrettera de devoir son salut à cette indigne ressource.

 

            Mais je ne prétens pas condamner ici les soins, ni même les présents & les promesses, qu'un Ambassadeur met en usage, pour acquérir des Amis à son Maître.   Ce n’est pas réduire les gens & les pousser au crime, que de se concilier leur affection ; & c’est à ces nouveaux Amis à s'observer de façon, que leur inclination pour un Prince étranger ne les détourne jamais de la fidélité, qu’ils doivent à leur Souverain.

 

§.94       Comment on peut le réprimer, 1°, à l’égard des délits communs

            Si L’Ambassadeur oublie les devoirs de son état, s'il se rend desagréable & dangereux, s'il forme des Complots, des entreprises préjudiciables au repos des Citoyens, à l’État, ou au Prince, à qui il est envoyé ; il est divers moyens de le réprimer, proportionnés à la nature & au dégré de sa faute.   S’il maltraite les Sujets de l’État, s'il leur fait des injustices, use contre eux de violence ; les sujets offensés ne doivent point recourrir aux Magistrats ordinaires, de la Jurisdiction desquels L’Ambassadeur est indépendant ; & par la même raison, ces Magistrats ne peuvent agir directement contre lui.   Il faut, en pareilles occasions, s'addresser au Souverain, qui demande Justice au Maître de l’Ambassadeur, & en cas de refus, peut ordonner au Ministre insolent de sortir de ses États.

 

§.95       2°, Pour les fautes commises contre le Prince

            Si le Ministre Étranger offense le Prince lui-même, s'il lui manque de respect, s'il brouille l’État & la Cour par ses intrigues ; le Prince offensé, voulant garder des ménagemens particuliers pour le Maître, se borne quelquefois à demander le rappel du Ministre, ou si la faute est plus considérable, il lui défend la Cour, en attendant la réponse du Maître.   Dans les cas graves, il va même jusqu'à le chasser de ses États.

 

§.96       Droit de chasser un Ambassadeur coupable ou justement suspect

            Tout Souverain est sans-doute en droit d'en user de la sorte.   Car il est maître chez-lui ; aucun étranger ne peut demeurer à sa Cour, ou dans ses États, sans son aveu.   Et si les Souverains sont en général obligés d'écouter les propositions des Puissances Étrangères & d'admettre leurs Ministres ; cette obligation cesse entièrement à l’égard d'un Ministre, qui, manquant lui-même aux devoirs que lui impose son Caractère, se rend dangereux ou justement suspect à celui, auprès duquel il ne peut venir que comme Ministre de Paix.   Un Prince seroit-il obligé de souffrir dans ses terres & à sa Cour, un Ennemi secret, qui trouble l'État, ou qui en machine la perte ? Ce fut une plaisante réponse que celle de PHILIPPE II à la Reine ELISABETH, qui le faisoit prier de rappeller son Ambassadeur, parce que celui-ci tramoit contre elle des complots dangereux.   Le Roi d'Espagne refusa de le rappeller, disant : Que « la condition des Princes seroit bien malheureuse, s'ils étoient obligés de révoquer leur Ministre, dès que sa conduite ne répondrait point à l’humeur ou à l’intérêt de ceux avec qui il négocie (a(a) WICQUEFORT ubi suprà Liv.I Sect.XXIX) ».   Elle seroit bien plus malheureuse la condition des Princes, s'ils étoient obligés de souffrir dans leurs États, & à leur Cour, un Ministre desagréable, ou justement suspect, un brouillon, un ennemi masqué sous le Caractère d'Ambassadeur, qui se prévaudroit de son inviolabilité, pour tramer hardiment des entreprises pernicieuses.   La Reine, justement offensée du refus de Philippe, fît donner des Gardes à l’Ambassadeur (b(b) Ibid). [...]

 


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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:11

CHAPITRE VII (a)

Des Droits, Privilèges & Immunités des Ambassadeurs & autres Ministres Publics.

 

 

§.80       Respect dû aux Ministres Publics

            Le respect qui est dû aux Souverains doit réjaillir sur leurs Réprésentans & principalement sur l’Ambassadeur, qui réprésente la personne de son Maître au prémier dégré.   Celui qui offense & insulte un Ministre commet un crime d'autant plus digne d'une peine sévère, qu'il pourroit attirer par-là de fâcheuses affaires à son Souverain & à sa Patrie.   Il est juste qu'il porte la peine de sa faute, & que l’État donne, aux dépens du coupable, une pleine satisfaction au Souverain offensé dans la personne de son Ministre.   Si le Ministre Étranger offense lui-même un Citoyen ; celui-ci peut le réprimer, sans sortir du respect qui est dû au Caractère, & lui donner une leçon, également propre à laver l’offense & à en faire rougir l’auteur.   L’offensé peut encore porter sa plainte à son Souverain, qui demandera pour lui une juste satisfaction au Maître du Ministre.   Les grands intérêts de l’État ne permettent point au Citoyen d'écouter, en pareille rencontre, les idées de vengeance, que pourroit lui donner le point d'honneur, quand on les jugeroit permises d'ailleurs.   Un Gentilhomme, même suivant les maximes du Siècle, n'est point flétri par une offense, dont il n’est pas en son pouvoir de tirer satisfaction par lui-même.

 

§.81       Leur personne est sacrée & inviolable

            La nécessité & le droit des Ambassades une fois établis (voyez le Chapitre V de ce livre) ; la sûreté parfaite, l’inviolabilité des Ambassadeurs & autres Ministres en est une conséquence certaine.   Car si leur Personne n’est pas à couvert de toute violence, le Droit des Ambassades devient précaire, & leur succès très-incertain.   Le droit à la fin, est inséparable du droit aux moyens nécessaires.   Les Ambassades étant donc d'une si grande importance, dans la société universelle des Nations, si nécessaires à leur salut commun ; la personne des Ministres chargés de ces Ambassades doit être sacrée & inviolable chez tous les Peuples (voyez Liv.II §.218).   Quiconque fait violence à un Ambassadeur, ou à tout autre Ministre Public, ne fait pas seulement injure au Souverain, que ce Ministre réprésente ; il blesse la sûreté commune & le salut des Nations, il se rend coupable d'un crime atroce envers tous les Peuples.

 

§.82       Protection particulière qui leur est dûe

            Cette sûreté est particulièrement dûe au Ministre, de la part du Souverain, à qui il est envoyé.   Admettre un Ministre, le reconnoître en cette qualité, c’est s'engager à lui accorder la protection la plus particulière, à le faire jouïr de toute la sûreté possible.   Il est vrai que le Souverain doit protéger tout homme qui se trouve dans ses États, Citoyen ou Étranger, & le mettre à couvert de la violence ; mais cette attention est dûe au Ministre Étranger dans un plus haut dégré.   La violence faite à un particulier, est un délit commun, que le Prince peut pardonner, selon les circonstances : A-t-elle pour objet un Ministre Public ? C’est un crime d'État, & un attentat contre le Droit des Gens : Le pardon ne dépend pas du Prince, chez qui le crime a été commis, mais de celui qui a été offensé dans la personne de son Réprésentant.   Cependant si le Ministre a été insulté par gens qui ne connoissoient pas son Caractère, la faute n'intéresse plus le Droit des Gens ; elle retombe dans le cas des délits communs.   De jeunes débauchés, dans une Ville de Suisse, ayant insulté, pendant la nuit, l’Hôtel du Ministre d'Angleterre, sans savoir qui y logeoit ; le Magistrat fît demander à ce Ministre, quelle satisfaction il désiroit.   Il répondit sagement, que c'étoit au Magistrat de pourvoir comme il l’entendroit à la sûreté publique ; mais que quant à lui en particulier, il ne demandoit rien ; ne se tenant point pour offensé par des gens, qui ne pouvoient l’avoir eû en vuë, puisqu’ils ne connoissoient pas sa Maison.   Il y a encore ceci de particulier, dans la protection qui est dûe au Ministre Étranger : Dans les funestes maximes, introduites par un faux point d'honneur, un Souverain est dans la nécessité d’user d'indulgence envers un homme d'épée, qui se venge sur le champ d'un affront que lui fait un particulier ; mais les voies de fait ne peuvent être permises, ou excusées, contre un Ministre Public, que dans le cas, où celui-ci, usant le prémier de violence, mettroit quelqu'un dans la nécessité de se défendre.

 

§.83       Du tems où elle commence

            Quoique le Caractère du Ministre ne se développe dans toute son étenduë, & ne lui assûre ainsi la jouïssance de tous ses droits, que dans le moment où il est reconnu & admis par le Souverain, à qui il remet ses Lettres de Créance ; dès qu'il est entré dans le pays, où il est envoyé & qu'il se fait connaître, il est sous la protection du Droit des Gens ; autrement sa venuë ne seroit pas sûre.   On doit, jusqu’à son arrivée auprès du Prince, le regarder comme Ministre, sur sa parole : Et d'ailleurs, outre les avis qu’on en a ordinairement par Lettres ; en cas de doute, le Ministre est pourvû de Passeports, qui font foi de son Caractère.

 

§.84       De ce qui leur est dû dans les Pays où ils passent

            Ces Passeports lui deviennent quelquefois nécessaires, dans les pays étrangers, où il passe, pour se rendre au lieu de sa destination.   Il les montre, au besoin, pour se faire rendre ce qui lui est dû.   A la vérité, le Prince seul, à qui le Ministre est envoyé, se trouve obligé & particulièrement engagé à le faire jouïr de tous les droits attachés au Caractère : Mais les autres, sur les Terres de qui il passe, ne peuvent lui refuser les égards, que mérite le Ministre d'un Souverain, & que les Nations se doivent réciproquement.   Ils lui doivent sur-tout une entière sûreté.   L’insulter, ce seroit faire injure à son Maître & à toute la Nation ; l’arrêter & lui faire violence, ce seroit blesser le Droit d'Ambassade, qui appartient à tous les Souverains (§§.57 & 63).   FRANçOIS I Roi de France étoit donc très-fondé à se plaindre de l’assassinat de ses Ambassadeurs RINCON & FREGOSE, comme d'un horrible attentat contre la Foi publique & le Droit des Gens.   Ces deux Ministres, destinés, l’un pour Constantinople, & l’autre pour Venise, s'étant embarqués sur le Po, furent arrêtés & assassinés, selon toute apparence, par les ordres du Gouverneur de Milan (a(a) Voyez les Mémoires de MARTIN DU BELLAY, Liv.IX).   L’Empereur CHARLES V ne s'étant point mis en peine de faire rechercher les auteurs du meurtre, donna lieu de croire qu'il l’avoit commandé, ou au moins, qu’il l’approuvoit secrettement & après-coup.   Et comme il n'en donna point de satisfaction convenable, François I avoit un très-juste sujet de lui déclarer la Guerre, & même de demander l’assistance de toutes les Nations.   Car une affaire de cette nature n’est point un différend particulier, une question litigieuse, dans laquelle chaque partie tire le droit de son côté ; c’est la querelle de toutes les Nations intéressées à maintenir comme sacrés, le droit & les moyens qu'elles ont de communiquer ensemble & de traiter de leurs affaires.   Si le passage innocent est dû, même avec une entière sûreté, à un simple particulier ; à plus forte raison le doit-on au Ministre d'un Souverain, qui va exécuter les ordres de son Maître, & qui voyage pour les affaires d'une Nation.   Je dis le passage innocent ; car si le voyage du Ministre est justement suspect, si un Souverain a lieu de craindre qu'il n'abuse de la liberté d'entrer dans ses Terres, pour y tramer quelque chose contre son service, ou qu'il n'aille pour donner des avis à ses ennemis, pour lui en susciter de nouveaux ; nous avons déja dit (§.64) qu'il peut lui refuser le passage.   Mais il ne doit pas le maltraiter, ni souffrir qu’on attente à sa personne.   S’il n'a pas des raisons assez fortes pour lui refuser le passage, il peut prendre des précautions contre l’abus que le Ministre en pourroit faire.   Les Espagnols trouvèrent ces Maximes établies dans le Méxique & les Provinces Voisines : Les Ambassadeurs y étoient respectés dans toute leur route ; mais ils ne pouvoient s'écarter des grands chemins sans perdre leurs droits (a(a) Histoire de la Conquête du Mexique).   Réserve sagement établie, & ainsi réglée, pour empêcher qu’on n'envoyât des Espions, sous le nom d'Ambassadeurs.   C’est ainsi que la Paix se traitant, au fameux Congrès de Westphalie, parmi les dangers & le bruit des armes, les Courriers, que les Plénipotentiaires recevoient & dépéchoient, avoient leur route marquée, hors de laquelle leurs Passeports ne pouvoient leur servir (b(b) WICQUEFORT, Ambassadeur Liv.I Sect.   XVII).

 

§.85       Ambassadeurs passans en pays ennemi

            Ce que nous venons de dire regarde les Nations qui ont la paix entre-elles.   Dés que l’on est en guerre, on n’est plus obligé de laisser à l’Ennemi la libre jouïssance de ses droits ; au contraire, on est fondé à l’en priver, pour l’affoiblir & le réduire à accepter des Conditions équitables.   On peut encore attaquer & arrêter ses gens, par-tout où on a la liberté d'exercer des actes d'hostilité.   Non-seulement donc on peut justement refuser le passage aux Ministres, qu'un Ennemi envoye à d'autres Souverains ; on les arrête même, s'ils entreprennent de passer secrettement & sans permission dans les lieux dont on est Maître.   La dernière Guerre nous en fournit un grand exemple.   Un Ambassadeur de France allant à Berlin, passa, par l’imprudence de ses guides, dans un village de l’Électorat de Hanover, dont le Souverain, Roi d'Angleterre, étoit en guerre avec la France : il y fut arrêté, & ensuite transféré en Angleterre.   Ni la Cour de France, ni celle de Prusse ne se plaignirent de S.   M.   Britannique, qui n'avoit fait qu’user des droits de la Guerre.

 

§.86       Ambassades entre ennemis

            Les raisons qui rendent les Ambassades nécessaires & les Ambassadeurs sacrés & inviolables n'ont pas moins de force en tems de guerre, qu'en pleine paix.   Au contraire, la nécessité & le devoir indispensable de conserver quelque moyen de se rapprocher & de rétablir la paix, est une nouvelle raison qui rend la personne des Ministres, instruments des pourparlers & de la réconciliation, plus sacrée encore & plus inviolable.   Nomen Legati, dit CICERON, ejusmodi esse debet, quod non modo inter sociorum jura, sed etiam inetr bostium tela incolume versetur.   Aussi la sûreté de ceux, qui apportent les messages, ou les propositions de l’Ennemi, est-elle une des Loix les plus sacrées de la Guerre.   Il est vrai que l’Ambassadeur d'un Ennemi ne peut venir sans permission ; & comme il n'auroit pas toûjours la commodité de la faire demander par des personnes neutres, on y a suppléé par l’établissement de certains Messagers privilégiés, pour faire des propositions en toute sûreté, d'ennemi à ennemi.

 

§.87       Des Hérauts, Trompettes& Tambours

            Je veux parler des Hérauts, des Trompettes & des Tambours qui, par les Loix de la Guerre & le Droit des Gens, sont sacrés & inviolables, dès qu’ils se font connaître, & tant qu’ils se tiennent dans les termes de leur Commission, dans les fonctions de leur Emploi.   Cela doit être ainsi nécessairement ; car sans compter ce que nous venons de dire, qu'il faut se réserver des moyens de ramener la paix, il est, dans le cours même de la Guerre, mille occasions, où le salut commun & l’avantage des deux partis exigent qu’ils puissent se faire porter des messages & des propositions.   Les Hérauts avoient succédé aux Féciales des Romains : aujourd’hui ils ne sont plus guères en usages : on envoie des Tambours, des Trompettes, & ensuite, selon les occasions, des Ministres, ou des Officiers munis de Pouvoirs.   Ces Tambours & Trompettes sont sacrés & inviolables ; mais ils doivent se faire connoître, par les marques qui leur sont propre.   Le Prince d'Orange MAURICE témoigna un vif ressentiment contre la Garnison d’Yfendick, qui avoit tiré sur son Trompette (a(a) WICQUEFORT, Liv.I Sect.III) : il disoit à cette occasion, qu’on ne sçauroit punir trop sévèrement ceux qui violent le Droit des Gens.   On peut voir d'autres exemples dans WICQUEFORT & en particulier la réparation, que le Duc de Savoye, commandant l’Armée de CHARLES QUINT, fît faire à un Trompette François, qui avoit été démonté & dépouillé par quelques soldats Allemands (b(b) Ibid).

 

§.88       Les Ministres, les Trompettes &c. doivent être respectés même dans une Guerre Civile

            Dans les Guerres des Pays-Bas, le Duc d'ALBE fît pendre un Trompette du Prince d'Orange, disant, qu'il n'étoit pas obligé de donner sûreté à un Trompette, que lui envoyoit le Chef des Rebelles (c(c) Ident.   Ibid).   Ce Général sanguinaire viola certainement, en cette occasion comme en bien d'autres, les Loix de la Guerre qui doivent être observées même dans les Guerres Civiles, comme nous l’avons prouvé ci-dessus (Liv.III Chap. XVIII).   Et comment viendra-t-on à parler de paix, dans ces occasions malheureuses ; par quel moyen ménagera-t-on un Accommodement salutaire, si les deux Partis ne peuvent se faire porter des messages & s'envoyer réciproquement des personnes de confiance, en toute sûreté ? Le même Duc d'Albe, dans la Guerre que les Espagnols firent ensuite aux Portugais, qu’ils traitoient aussi de rebelles, fît pendre le Gouverneur de Cascaïs, parce qu'il avoit fait tirer sur le Trompette, qui venoit sommer la Place (a(a) Id.   Ibid).   Dans une Guerre Civile, ou lorsqu’un Prince prend les armes, pour soumettre un Peuple, qui se croit dispensé de lui obéir ; prétendre forcer les Ennemis à respecter les Loix de la Guerre, dans le tems qu’on s'en dispense à leur égard, c'est vouloir porter ces Guerres aux derniers excès de la cruauté ; c’est les faire dégénérer en massacres sans régle & sans mesure, par un enchainement de Réprésailles réciproques.

 

§.89       On peut quelquefois refuser de les admettre

            Mais, de même qu'un Prince, s’il en a de bonnes raisons, peut se dispenser d'admettre & d'écouter des Ambassadeurs ; un Général d'Armée, ou tout autre Commandant, n’est pas toûjours obligé de laisser approcher & d'écouter un Trompette, ou un Tambour.   Si un Gouverneur de Place, par exemple, craint qu'une sommation n'intimide sa Garnison & ne fasse naître des idées de capituler avant le tems ; il peut sans-doute envoyer au devant du Trompette qui s'approche, lui ordonner de se retirer, & déclarer, que s'il revient pour le même sujet & sans permission, il fera tirer sur lui.   Cette conduite n’est pas une violation des Loix de la Guerre : mais il ne faut y venir que sur des raisons pressantes, parcequ'elle expose, en irritant l’ennemi, à en être traité à toute rigueur & sans ménagement.   Refuser d'écouter un Trompette, sans en donner une bonne raison, c’est déclarer qu’on veut faire la Guerre à outrance.

 

§.90       Il faut éviter à leur égard tout ce qui sent l’insulte

            Soit qu’on admette un Héraut, ou un Trompette, soit qu’on refuse de l’entendre, il faut éviter à son égard, tout ce qui peut sentir l’insulte.   Non-seulement ce respect est dû au Droit des Gens ; c’est encore une maxime de prudence.   En 1744, 1e Bailly de GIVRY envoya un Trompette avec un Officier, pour sommer la Redoute de Pierre-longe en Piedmont.   L’Officier Savoyard, qui commandoit dans la Redoute, brave-homme, mais brusque & emporté, indigné de se voir sommé dans un poste, qu'il croyoit bon, fît une réponse, injurieuse au Général françois.   L’Officier, en homme d'esprit, la rendit au Bailly de Givry, en présence des Troupes Françoises : Elles en furent enflammées de colère, & l’ardeur de venger un affront, rejoignant à leur valeur naturelle, rien ne fut capable de les arrêter : Les pertes qu'elles souffrirent dans une attaque très-sanglante, ne firent que les animer ; elles emportèrent enfin la Redoute, & l’imprudent Commandant contribua ainsi à sa perte & à celle de ses gens & de son poste. [...]

 

 

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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:10

CHAPITRE VI

Des divers ordres de Ministres Publics, du Caractère réprésentatif, & des honneurs qui sont dûs aux Ministres.

 

§.69       Origine des divers ordres de Ministres Publics

            Anciennement on ne connoissoit guères qu'un seul ordre de Ministres Publics, en Latin Legati ; mot que l’on traduit en François par celui d'Ambassadeurs.   Mais depuis que l’on fut devenu plus fastueux, & en même-tems plus difficile sur le Cérémonial ; & sur-tout depuis que l’on se fut avisé d'étendre la réprésentation du Ministre jusqu'à la Dignité de son Maître ; on imagina, pour éviter les difficultés, l’embarras & la dépense, d'employer en certaines occasions, des Commissionaires moins relevés ; (Louis XIV Roi de France est peut-être celui qui en a donné l’exemple) : Et en établissant ainsi divers ordres de Ministres, on attacha plus ou moins de dignité à leur Caractère & on exigea pour eux des honneurs proportionnés.

 

§.70       Du Caractère réprésentatif

            Tout Ministre réprésente en quelque façon son Maître, comme tout Procureur, ou Mandataire, réprésente son Constituant.   Mais cette réprésentation est rélative aux Affaires ; le Ministre réprésente le sujet dans lequel résident les Droits, qu'il doit manier, conserver & faire valoir, les Droits dont il doit traiter, en tenant la place du Maître.   Dans la généralité, & pour l’essentiel des Affaires, en admettant cette réprésentation, on fait abstraction de la Dignité du Constituant.   Les Souverains ont voulu ensuite se faire réprésenter, non-seulement dans leurs Droits & pour leurs Affaires, mais encore dans leur Dignité, leur Grandeur & leur prééminence ; & sans-doute que ces occasions d'éclat, ces Cérémonies, pour lesquelles on envoie des Ambassadeurs, les Mariages, par exemple, ont donné naissance à cet usage.   Mais un si haut dégré de dignité dans le Ministre, est fort incommode dans les Affaires ; & il en naît souvent, outre l’embarras, des difficultés & des contestations.   De-là sont nés les divers ordres de Ministres Publics, les différens dégrés de réprésentation.   L’usage a établi trois dégrés principaux.   Ce qu’on appelle le Caractère réprésentatif par excellence, est la faculté qu'a le Ministre de réprésenter son maître, quant à sa Personne même & à sa Dignité.

 

§.71       De l’Ambassadeur

            Le Caractère réprésentatif, ainsi dit par excellence, ou en opposition avec les autres sortes de Réprésentations, constituë le Ministre du prémier ordre, l’Ambassadeur : il le tire du pair d'avec tous les autres Ministres, qui ne sont pas revêtus du même Caractère, & ne permet point à ceux-ci d'entrer en concurrence avec l’Ambassadeur.   Il y a aujourd'hui des Ambassadeurs Ordinaires & des Ambassadeurs extraordinaires.   Mais ce n'en qu'une distinction accidentelle & rélative au sujet de leur mission.   Cependant on met presque par-tout quelque différence, dans le traitement que l’on fait à ces divers Ambassadeurs.   Cela est purement d’usage.

 

§.72       Des Envoyés

            Les Envoyés ne sont point revêtus du Caractère réprésentatif proprement dit, ou au prémier dégré.   Ce sont des Ministres du second ordre, que leur Maître a voulu décorer d'un dégré de dignité & de considération, lequel, sans faire comparaison avec le Caractère d'Ambassadeur, le suit immédiatement & ne céde à aucun autre.   Il y a aussi des Envoyés Ordinaires & Extraordinaires ; & il paroît que l’intention des Princes est de rendre ceux-ci plus considérables : C’est encore affaire d’usage.

 

§.73       Des Résidens

            Le terme de Résident ne se rapportoit autrefois qu'à la continuité du séjour d'un Ministre ; & l’on voit dans l’Histoire, des Ambassadeurs Ordinaires désignés par le titre seul de Résidens.   Mais depuis que l’usage des différens ordres de Ministres s'est généralement établi, le nom de Résident est demeuré à des Ministres d'un troisième ordre, au Caractère desquels on attache, par un usage généralement reçû, un moindre dégré de Considération.   Le Résident ne réprésente pas la Personne du Prince dans sa Dignité, mais seulement dans ses Affaires.   Au fonds, sa Réprésentation est de la même nature que celle de l’Envoyé : C’est pourquoi on le dit souvent Ministre du second ordre, comme l’Envoyé ; ne distinguant ainsi que deux ordres de Ministres Publics, les Ambassadeurs qui ont le Caractère réprésentatif par excellence, & tous les Ministres qui ne sont pas revêtus de ce Caractère éminent.   C’est la distinction la plus nécessaire, & la seule essentielle.

 

§.74       Des Ministres

            Enfin, un usage encore plus moderne à établi une nouvelle espèce de Ministres Publics, qui n'ont aucune détermination particulière de Caractère.   On les appelle simplement Ministres, pour marquer qu’ils sont revêtus de la qualité générale de Mandataires d'un Souverain, sans aucune attribution particulière de rang & de Caractère.   C’est encore le Cérémonial pointilleux, qui a donné lieu à cette nouveauté.   L’usage avoit établi des traitemens particuliers pour l’Ambassadeur, pour l’Envoyé & pour le Résident : il naissoit souvent des difficultés à ce sujet, & sur-tout pour le rang, entre les Ministres des différens Princes.   Pour éviter tout embarras, en certaines occasions, où on auroit lieu de le craindre on s’est avisé d'envoyer des Ministres, sans leur donner aucun de ces trois Caractères connus.   Dès-lors, ils ne sont assujettis à aucun Cérémonial réglé, & ils n'ont à prétendre aucun traitement particulier.   Le Ministre réprésente son Maître, d'une manière vague & indéterminée, qui ne peut aller jusqu'au prémier dégré ; & par conséquent, il cède sans difficulté à l’Ambassadeur.   Il doit jouïr en général de la considération que mérite une personne de confiance, à qui un Souverain commet le soin de ses Affaires, & il a tous les droits essentiels au Caractère de Ministre Public.   Cette qualité indéterminée est telle, que le Souverain peut la donner à tel de ses Serviteurs, qu'il ne voudroit pas revêtir du Caractère d'Ambassadeur ; & que, d'un autre côté, elle peut être acceptée par un homme de Condition, qui ne voudroit pas se contenter de l’état de Résident & du traitement destiné aujourd’hui à cet état.   Il y a aussi des Ministres Plénipotentiaires, beaucoup plus distingués que les simples Ministres.   Ils n'ont point non plus aucune attribution particulière de rang & de Caractère : Mais l’usage paroît désormais les placer immédiatement après L’Ambassadeur, ou avec l’Envoyé Extraordinaire.

 

§.75       Des Consuls, Agents, Députés, Commissaires &c.

            Nous avons parlé des Consuls, en traitant du Commerce (Liv.II §.34) Autrefois les Agents, étoient une espèce de Ministres Publics : Mais aujourd'hui, que les Titres sont multipliés & prodigués, celui-ci est donné à de simples Commissionnaires des Princes, pour leurs Affaires particulières.   Souvent même ce sont des sujets du pays où ils résident.   Ils ne sont pas Ministres Publics, ni par conséquent sous la protection du Droit des Gens.   Mais on leur doit une protection plus particulière qu'à d'autres Étrangers, ou Citoyens, & quelques égards, en considération du Prince qu’ils servent.   Si ce Prince envoie un agent, avec des Lettres de Créance & pour Affaires Publiques ; l’Agent est dés-lors Ministre Public ; le Titre n'y fait rien.   Il faut en dire autant des Députés, Commissaires, & autres, chargés d'Affaires Publiques.

 

§.76       Des Lettres de Créance

            Entre les divers Caractères établis par l’usage, le Souverain peut choisir celui dont il veut revêtir son Ministre ; & il déclare le Caractère du Ministre dans les Lettres de Créance, qu'il lui remet, pour le Souverain à qui il l’envoie.   Les Lettres de Créance sont l’Instrument, qui autorise & constituë le Ministre dans son Caractère, auprès du Prince, à qui elles sont adressées.   Si ce Prince reçoit le Ministre, il ne peut le recevoir que dans la qualité, que lui donnent ses Lettres de Créance.   Elles sont comme sa Procuration générale, son Mandement ouvert (mandatum manifestum).

 

§.77       Des Instructions

            Les Instructions données au Ministre contiennent le Mandement Secret du Maître, les ordres, auxquels le Ministre aura soin de se conformer, & qui limitent ses Pouvoirs.   On pourroit appliquer ici toutes les règles du Droit Naturel sur la matière de la Procuration, ou du Mandement, tant ouvert que secret.   Mais outre que cela regarde plus particulièrement la matière des Traités ; nous pouvons d'autant mieux nous dispenser de ces détails dans cet Ouvrage, que par un usage sagement établi, les engagemens dans lesquels un Ministre peut entrer, n'ont aujourd’hui aucune force entre les Souverains, s'ils ne sont ratifiés par son Principal.

 

§.78       Du droit d'envoyer des Ambassadeurs

            Nous avons vû ci-dessus, que tout Souverain, & même tout Corps, ou toute personne qui a le droit de traiter d'Affaires Publiques avec des Puissances Étrangères, a aussi celui d'envoyer des Ministres Publics (voyez le Chap. précèdent).   Il n’y a pas de difficulté pour ce qui est des simples Ministres, ou des Mandataires, considérés en général comme chargés des Affaires & munis des Pouvoirs de ceux qui ont droit de traiter.   On accorde encore sans difficulté aux Ministres de tous les Souverains, les Droits & les Prérogatives des Ministres du second ordre.   Mais les grands Monarques refusent à quelques petits États le droit d'envoyer des Ambassadeurs.   Voyons si c'est avec raison.   Suivant l’usage généralement reçu, l’Ambassadeur est un Ministre Public, qui réprésente la Personne & la Dignité d'un Souverain : Et comme ce Caractère réprésentatif lui attire des honneurs particuliers, c’est la raison pourquoi les grands Princes ont peine à admettre l’Ambassadeur d'un petit État, se sentant de la répugnance à lui accorder des honneurs si distingués.   Mais il est manifeste que tout Souverain a un droit égal de se faire réprésenter, aussi bien au prémier dégré, qu'au second & au troisième : Et la Dignité souveraine mérite, dans la Société des Nations, une considération distinguée.   Nous avons fait voir (Liv.II Chap. III) que la Dignité des Nations indépendantes est essentiellement la même ; qu'un Prince foible, mais souverain, est aussi bien souverain & indépendant que le plus grand Monarque, comme un Nain n’est pas moins un homme, qu'un Géant ; quoiqu'à la vérité, le Géant Politique fasse une plus grande figure que le Nain, dans la Société générale, & s'attire par-là plus de respect & des honneurs plus recherchés.   Il est donc évident que tout Prince, tout État véritablement souverain à le droit d'envoyer des Ambassadeurs & que lui contester ce droit, c’est lui faire une très-grande injure ; c’est lui contester sa Dignité souveraine.   Et s'il a ce droit, on ne peut refuser à ses Ambassadeurs les égards & les honneurs, que l’usage attribuë particulièrement au Caractère qui porte la Réprésentation d'un Souverain.   Le Roi de France n'admet point d'Ambassadeurs de la part des Princes d'Allemagne, refusant à leurs Ministres les honneurs affectés au premier degré de la Réprésentation ; & cependant il reçoit les Ambassadeurs des Princes d'Italie.   C’est qu'il prétend que ces derniers sont plus parfaitement Souverains que les autres, ne relevant pas de même de l’Autorité de l’Empereur & de l’Empire, bien qu’ils en soient Feudataires.   Les Empereurs cependant affectent sur les Princes d'Italie les mêmes Droits, qu’ils peuvent avoir sur ceux d'Allemagne.   Mais la France voyant que ceux-là ne font pas Corps avec l’Allemagne, & n'assistent point aux Diettes, les sépare de l’Empire, autant qu'elle peut, en favorisant leur indépendance absoluë.

 

§.79       Des honneurs qui sont dûs eux Ambassadeurs

            Je n'entrerai point ici dans le détail des honneurs, qui sont dûs & qui se rendent en effet aux Ambassadeurs : Ce sont choses de pure institution & de Coûtume.   Je dirai seulement en général, qu’on leur doit les civilités & les distinctions, que l’usage & les mœurs destinent à marquer la considération convenable au Réprésentant d'un Souverain.   Et il faut observer ici, au sujet des choses d'institution d'usage, que quand une Coûtume est tellement établie qu'elle donne une valeur réelle à des choses indifférentes de leur nature, & une signification constante, suivant les mœurs & les usages ; le Droit des Gens Naturel & Nécessaire oblige d'avoir égard à cette institution, & de se conduire, par rapport à ces choses-là, comme si elles avoient d’elles-mêmes la valeur, que les hommes y ont attachée.   C’est, par exemple, dans les mœurs de toute l’Europe, une Prérogative propre à l’Ambassadeur, que le droit de se couvrir devant le Prince, à qui il est envoyé.   Ce droit marque qu’on le reconnoît pour le Réprésentant d'un Souverain.   Le refuser à l’Ambassadeur d'un État véritablement indépendant, c’est donc faire injure à cet État & le dégrader en quelque sorte ; Les Suisses, autrefois plus instruits dans la Guerre que dans les manières des Cours, & peu jaloux de ce qui n’est que Cérémonie, se sont laissés traiter en quelques occasions, sur un pied peu convenable à la Dignité de la Nation.   Leurs Ambassadeurs, en 1663, souffrirent que le Roi de France & les Seigneurs de la Cour leur refusassent des honneurs, que l’usage a rendus essentiels aux Ambassadeurs des Souverains, & particulièrement celui de se couvrir à l’Audience du Roi.   Quelques-uns, mieux instruits de ce qu’ils devoient à la gloire de leur République, insistèrent fortement sur cet honneur essentiel & distinctif : Mais la pluralité l’emporta, & tous cédèrent enfin, sur ce qu’on les assûra, que les Ambassadeurs de la Nation ne s'étoient point couverts devant HENRI IV.   Supposé que le fait fût vrai, la raison n'étoit point sans réplique.   Les Suisses pouvoient répondre, que du tems de Henri, leur Nation n'avoit pas été solemnellement reconnuë pour libre & indépendante de l’Empire, comme elle venoit de l’être, en 1648, dans le Traité de Westphalie.   Ils pouvoient dire, que si leurs devanciers avoient failli, & mal soutenu la Dignité de leurs Souverains, cette faute grossière ne pouvoit imposer à des Successeurs l’obligation d'en commettre une pareille.   Aujourd’hui la Nation, plus éclairée & plus attentive à ces sortes de choses, sçaura mieux maintenir sa Dignité : Tous les honneurs extraordinaires, que l’on rend d'ailleurs à ses Ambassadeurs, ne pourront l’aveugler desormais jusqu'à lui faire négliger celui que l’usage a rendu essentiel.   Lorsque Louis XV vint en Alsace en 1744, elle ne voulut point lui envoyer des Ambassadeurs, pour le complimenter, suivant la coûtume, sans sçavoir si on leur permettroit de se couvrir.   Et une si juste demande ayant été refusée, le Corps Helvétique n'envoya personne.   On doit espérer en Suisse que le Roi très-Chrétien n'incitera pas davantage sur une prétention, très-inutile à l’éclat de sa Couronne, & qui ne pourroit servir qu'à dégrader d'anciens & fidèles Alliés.


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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:09

CHAPITRE V

Du Droit d'Ambassade, ou du Droit d'envoyer & de recevoir des Ministres Publics.

 

§.55       Il est nécessaire que les Nations puissent traiter & communiquer ensemble

            Il est nécessaire que les Nations traitent & communiquent ensemble, pour le bien de leurs affaires, pour éviter de se nuire réciproquement, pour ajuster & terminer leurs différends.   Et comme toutes sont dans l’obligation indispensable de se prêter & de concourrir à ce qui est du bien & du salut commun (Prélim.   §.13) ; de se ménager les moyens d'accommoder & de terminer leurs différends (Liv.II §§.323 & suiv.) ; & que chacune a droit à tout ce qu'exige sa conservation (Liv.I §.18), à tout ce qui peut contribuer à sa perfection, sans faire tort aux autres (ibid.   §.23), de même qu'aux moyens nécessaires pour remplir ses devoirs : il résulte de tout cela, que chaque Nation réunit en elle le droit de traiter & de communiquer avec les autres, & l’obligation réciproque de se prêter à cette communication, autant que l’état de ses affaires peut le lui permettre.

 

§.56       Elles le font par le moyen des Ministres Publics

            Mais les Nations, ou États souverains ne traitent point ensemble immédiatement ; & leurs Conducteurs, ou les Souverains, ne peuvent guères s'aboucher eux-mêmes, pour traiter ensemble de leurs affaires.   Souvent ces entrevûës seroient impraticables : Et sans compter les longueurs, les embarras, la dépense, & tant d'autres inconvéniens ; rarement, suivant la remarque de PHILIPPES DE COMMINES, pourroit-on s'en promettre un bon effet.   Il ne reste donc aux Nations & aux Souverains, que de communiquer & traiter ensemble, par l’entremise de Procureurs, ou Mandataires, de Délégués, chargés de leurs Ordres & munis de leurs Pouvoirs ; c’est-à-dire, de Ministres Publics.   Ce terme, dans sa plus grande généralité, désigne toute personne chargée des Affaires Publiques ; on l’entend plus particulièrement de celle qui en est chargée auprès d'une Puissance étrangère.

 

            On connoît aujourd’hui divers Ordres de Ministres Publics, & nous en parlerons ci-après.   Mais quelque différence que l’usage ait introduite entre-eux, le Caractère essentiel leur est commun à tous ; c’est celui de Ministre, & en quelque façon, de Réprésentant d'une Puissance Étrangère, de personne chargée de ses Affaires & de ses Ordres ; & cette qualité nous suffit ici.

 

§.57       Tout Etat souverain est en droit d'envoyer & de recevoir des Ministres Publics

            Tout État souverain est donc en droit d'envoyer & de recevoir des Ministres Publics.   Car Ils sont les instruments nécessaires des Affaires que les Souverains ont entre-eux, & de la Correspondance, qu’ils sont en droit d'entretenir.   On peut voir dans le prémier Chapitre de cet Ouvrage, quels sont les Souverains & les États indépendans, qui figurent ensemble, dans la grande Société des Nations.   Ce sont-là les Puissances, qui ont le Droit de l’Ambassade.

 

§.58       L’Alliance inégale, ni le Traité de Protection n'ôte pas ce Droit

            Une Alliance inégale, ni même un Traité de Protection, n'étant pas incompatible avec la Souveraineté (Liv.I §§.5 & 6) ; ces sortes de Traités ne dépouillent point par eux-mêmes un État, du droit d'envoyer & de recevoir des Ministres Publics.   Si l’Allié inégal, ou le Protégé n'a pas renoncé expressément au droit d'entretenir des rélations & de traiter avec d'autres Puissances, il conserve nécessairement celui de leur envoyer des Ministres & d'en recevoir de leur part.   Il en faut dire autant des Vassaux & des Tributaires, qui ne sont point sujets (voyez Liv.I §§.7 & 8).

 

§.59       Du Droit des Princes & Etats de l’Empire à cet égard

            Bien plus ; ce droit peut se trouver même chez des Princes, ou des Communautés, qui ne sont pas souverains.   Car les Droits, dont l’assemblage constituë la pleine Souveraineté, ne sont pas indivisibles ; & si, par la Constitution de l’État, par la Concession du Souverain, ou par les réserves, que les sujets ont faites avec lui, un Prince, ou une Communauté se trouve en possession de quelqu'un de ces Droits, qui appartiennent ordinairement au Souverain seul ; il peut l’exercer, & le faire valoir, dans tous ses effets & dans toutes ses conséquences naturelles ou nécessaires, à moins qu'elles n'aient été formellement exceptées.   Quoique les Princes & États de l’Empire relèvent de l’Empereur & de l’Empire, ils sont Souverains à bien des égards : Et puisque les Constitutions de l’Empire leur assurent le droit de traiter avec les Puissances Étrangères & de Contracter avec elles des Alliances ; ils ont incontestablement celui d'envoyer & de recevoir des Ministres Publics.   Les Empereurs le leur ont quelquefois contesté, quand ils se sont vûs en état de porter fort haut leurs prétentions, ou du moins ils ont voulu en soumettre l’exercice à leur Autorité suprême ; prétendant que leur permission devoit y intervenir.   Mais depuis la Paix de Westphalie, & par le moyen des Capitulations Impériales, les Princes & États d'Allemagne ont sçû se maintenir dans la possession de ce Droit ; & ils s'en sont assuré tant d’autres, que l’Empire est considéré aujourd’hui comme une République de Souverains.

 

§.60       Des Villes qui ont le Droit de Bannière

            Il est même des Villes sujettes, & qui se reconnoissent pour telles, qui ont droit de recevoir les Ministres des Puissances Étrangères & de leur envoyer des Députés ; puisqu'elles ont droit de traiter avec elles : C’est de là que dépend toute la question ; car celui qui a droit à la fin, à droit aux moyens.   Il seroit absurde de reconnoître le droit de négocier & de traiter, & d'en contester les moyens nécessaires.   Les Villes de Suisse, telles que Neufchatel & Bienne, qui jouissent du Droit de Bannière, ont par-là le droit de traiter avec les Puissances Étrangères, quoique ces Villes soient sous la Domination d'un Prince.   Car le Droit de Bannière, ou des Armes, comprend celui d'accorder des sécours de Troupes (a(a) Voyez l’Histoire de la Confédération Helvétique, par M.   DE WATTEVILLE), pourvû que ce ne soit pas contre le service du Prince.   Si ces Villes peuvent accorder des Troupes, elles peuvent écouter la demande que leur en fait une Puissance Étrangère, & traiter des Conditions.   Elles peuvent donc encore lui députer quelqu'un dans cette vuë, ou recevoir ses Ministres.   Et comme elles ont en même-tems l’exercice de la Police, elles sont en état de faire respecter les Ministres Étrangers, qui viennent auprès d'elles.   Un ancien & constant usage confirme ce que nous disons des Droits de ces Villes-là, Quelque éminens & extraordinaires que soient de pareils Droits, on ne les trouvera pas étranges, si l’on considère que ces mêmes Villes possédoient déja de grands Privilèges, dans le tems que leurs Princes relevoient eux-mêmes des Empereurs, ou d'autres Seigneurs, Vassaux immédiats de l’Empire.   Lorsqu’ils sécouèrent le joug & se mirent dans une parfaite indépendance, les Villes considérables de leur Territoire firent leurs Conditions ; & loin d'empirer leur état, il étoit bien naturel qu'elles profitassent des conjonctures, pour le rendre plus libre encore & plus heureux.   Les Souverains ne pourroient aujourd’hui réclamer contre des Conditions, auxquelles ces Villes ont bien voulu suivre leur fortune & les reconnoître pour leurs seuls Supérieurs.

 

§.61       Ministres des Vicerois

            Les Vicerois & les Gouverneurs en chef d'une Souveraineté ou d'une Province éloignée, ont souvent le droit d'envoyer & de recevoir des Ministres Publics, agissant en cela au nom & par l’Autorité du Souverain qu’ils réprésentent, & dont ils exercent les Droits.   Cela dépend entièrement de la volonté du Maître qui les établit.   Les Vicerois de Naples, les Gouverneurs de Milan, les Gouverneurs généraux des Pays-bas pour l’Espagne étoient revêtus de ce pouvoir.

 

§.62       Ministres de la Nation, ou des Régens, dans l’Interrègne

            Le Droit d'Ambassade, ainsi que tous les autres Droits de la Souveraineté, réside originairement dans la Nation, comme dans son sujet principal & primitif.   Dans l’Interrègne, l’exercice de ce Droit retombe à la Nation, ou il est dévolu à ceux à qui les Loix ont commis la Régence de l’État.   Ils peuvent envoyer des Ministres, tout comme le Souverain avoit accoûtumé de faire ; & ces Ministres ont les mêmes droits, qu'avoient ceux du Souverain.   Quand le Trône est vaquant, la République de Pologne envoie des Ambassadeurs, & elle ne souffriroit pas qu’ils fussent moins considérés, que ne le sont ceux qui s'envoient quand elle a un Roi.   CROMWEL sçut maintenir les Ambassadeurs d'Angleterre dans la même considération, où ils étoient, sous l’Autorité des Rois.

 

§.63       De celui qui trouble un autre, dans l’exercice du Droit d'Ambassade

            Tels étant les droits des Nations, le Souverain qui entreprend d'empêcher qu'un autre ne puisse envoyer & recevoir des Ministres Publics, lui fait injure & blesse le Droit des Gens.   C’est attaquer une Nation dans un de ses Droits les plus précieux, & lui disputer ce que la Nature elle-même donne à toute Société indépendante ; C’est rompre les liens qui unissent les Peuples, & les offenser tous.

 

§.64       De ce qui est permis à cet égard en tems de Guerre

            Mais cela ne doit s'entendre que d'un tems de Paix : La Guerre donne lieu à d'autres droits.   Elle permet d'ôter à l’Ennemi toutes ses ressources, d'empêcher qu'il ne puisse envoyer ses Ministres, pour solliciter des sécours.   Il est même des occasions, où l’on peut refuser le passage aux Ministres des Nations neutres, qui voudroient aller chez l’Ennemi.   On n’est point obligé de souffrir qu’ils lui portent peut-être des avis salutaires, qu’ils aillent concerter avec lui les moyens de l’assister &c.   Cela ne souffre nul doute, par exemple, dans le cas d'une Ville assiégée.   Aucun droit ne peut autoriser le Ministre d'une Puissance neutre, ni qui que ce soit, à y entrer malgré l’Assiégeant.   Mais pour ne point offenser les Souverains, il faut leur donner de bonnes raison du refus que l’on fait de laisser passer leurs Ministres ; & ils doivent s'en contenter, s'ils prétendent demeurer neutres.   On refuse même quelquefois le passage à des Ministres suspects, dans des tems soupçonneux & critiques, quoiqu'il n’y ait point de Guerre ouverte.   Mais la démarche est délicate ; & si on ne la justifie par des raisons tout-à-fait satisfaisantes, elle produit une aigreur, qui dégénère aisément en rupture.

 

§.64       On doit recevoir le Ministre d'une Puissance amie

            Puisque les Nations sont obligées de communiquer ensemble, d'écouter les propositions & les demandes qui leur sont faites de maintenir un moyen libre & sûr de s'entendre & de se concilier dans leurs différends ; un Souverain ne peut, sans des raisons très-particulières, refuser d'admettre & d'entendre le Ministre d'une Puissance Amie, ou avec laquelle il est en paix.   Mais s’il a des raisons de ne point le recevoir dans l’intérieur du pays, il peut lui marquer un lieu sur la frontière, où il enverra, pour entendre ses propositions ; & le Ministre étranger doit s'y arrêter : il suffit qu’on l’entende ; c’est tout ce qu'il peut prétendre.

 

§.66       Des Ministres résidens

            L’obligation ne va point jusqu'à souffrir en tout tems des Ministres perpétuels, qui veulent résider auprès du Souverain, bien qu’ils n’aient rien à négocier.   Il est naturel, à la vérité, & très-conforme aux sentimens que se doivent mutuellement les Nations, de recevoir avec amitié ces Ministres résidens, lorsqu'on n'a rien à craindre de leur séjour.   Mais si quelque raison solide s'y oppose, le bien de l’État prévaut sans difficulté ; & le Souverain étranger ne peut s'offenser, si l’on prie son Ministre de se retirer, quand il a terminé les affaires qui l’avoient amené, ou lorsqu'il n’en a aucune à traiter.   La Coûtume d'entretenir par-tout des Ministres continuellement résidens, est aujourd’hui si bien établie, qu'il faut alléguer de très-bonnes raisons, pour refuser de s'y prêter, sans offenser personne.   Ces raisons peuvent être fournies par des conjonctures particulières : mais il y en a aussi d'ordinaires, qui subsistent toûjours, & qui se rapportent à la Constitution du Gouvernement, à l’état d'une Nation.   Les Républiques en auroient souvent de très-bonnes, de cette dernière espèce, pour se dispenser de souffrir continuellement chez elles des Ministres étrangers, qui corrompent les Citoyens, qui les attachent à leurs Maîtres, au grand préjudice de la République, qui y forment & y fomentent des partis &c.   Et quand ils ne feroient que répandre chez une Nation, anciennement simple, frugale & vertueuse, le goût du Luxe, la soif de l’or, les mœurs des Cours ; en voilà de reste, pour autoriser un Magistrat sage & prévoyant à les congédier.   La Nation Polonoise ne souffre pas volontiers les Ministres Résidens ; & leurs pratiques auprès des Membres qui composent la Diette, n'ont fourni que trop de raisons de les en éloigner.   L’an 1666, un Nonce se plaignit en pleine Diette de ce que l’Ambassadeur de France prolongeoit sans nécessité son séjour en Pologne, & dit qu'il falloit le regarder comme un Espion.   D'autres, en 1668, firent instance à ce qu’on réglât par une Loi, le tems du séjour, que les Ambassadeurs pourroient faire dans le Royaume (a(a) WICQUEFORT de l’Ambassadeur, Liv.I Sect.I à la fin).

 

§.67       Comment on doit admettre les Ministres d'un ennemi

            Plus la Guerre est un fléau terrible, & plus les Nations sont obligées de se réserver des moyens pour y mettre fin.   Il est donc nécessaire qu'elles puissent s'envoyer des Ministres, au milieu même des hostilités, pour faire quelques ouvertures de paix, ou quelques propositions tendantes à adoucir la fureur de armes.   Il est vrai que le Ministre d'un Ennemi ne peut venir sans permission ; aussi fait-on demander pour lui un Passeport, ou Saufconduit, soit par un Ami commun, soit par un de ces Messagers privilégiés par les Loix de la Guerre, & dont nous parlerons plus bas ; je veux dire par un Trompette, ou un Tambour.   Il est vrai encore que l’on peut refuser le Saufconduit, & ne point admettre le Ministre, si on en a des raisons particulières & solides.   Mais cette liberté, fondée sur le soin que chaque Nation doit à sa propre sûreté, n'empêche point que l’on ne puisse poser comme une Maxime générale, qu’on ne doit pas refuser d'admettre & d'entendre le Ministre d'un Ennemi.   C’est-à-dire, que la Guerre seule, & par elle-même, n'est pas une raison suffisante, pour refuser d'entendre toute proposition venant d'un Ennemi : Il faut que l’on y soit autorisé par quelque raison particulière & bien fondée.   Telle seroit, par exemple, une crainte raisonnable & justifiée par la conduite même d'un Ennemi artificieux, qu'il ne pense à envoyer ses Ministres, à faire des propositions, que dans la vuë de désunir des Alliés, de les endormir par des apparences de paix, de les surprendre.

 

§.68       Si l’on peut recevoir les Ministres d'un Usurpateur & lui en envoyer

            Avant que de finir ce Chapitre, nous devons examiner une Question célébre & souvent agitée ; on demande, si les Nations étrangères peuvent recevoir les Ambassadeurs & autres Ministres d'un Usurpateur, & lui envoyer les leurs ? Les Puissances étrangères suivent ici la Possession, si le bien de leurs affaires les y convie.   Il n’y a point de règle plus sûre, plus conforme au Droit des Gens & à l’indépendance des Nations.   Puisque les Étrangers ne sont pas en droit de se mêler des Affaires domestiques d'un Peuple ; ils ne sont pas obligés d'examiner & d'approfondir sa conduite, dans ces mêmes Affaires, pour en peser la Justice, ou l’injustice ; ils peuvent, s’ils le jugent à propos, supposer que le Droit est joint à la Possession.   Lorsqu'une Nation a chassé son Souverain, les Puissances qui ne veulent pas se déclarer contre elle & s'attirer ses armes, ou son inimitié, la considèrent desormais comme un État libre & souverain, sans prendre sur elles de juger, si c’est avec Justice qu'elle s’est soustraite à l’empire du Prince qui la gouvernoit.   Le Cardinal MAZARIN fît recevoir LOCCARD, envoyé par CROMWEL, comme Ambassadeur de la République d'Angleterre, & ne voulut voir ni le Roi CHARLES II ni ses Ministres.   Si la Nation, après avoir chassé son Prince, se soumet à un autre, ou si elle change l’ordre de la succession, & reconnoît un Souverain, au préjudice de l’Héritier naturel & désigné ; les Puissances étrangères sont encore fondées à tenir pour légitime ce qui s'est fait ; ce n'est pas leur querelle, ni leur affaire.   Au commencement du siècle dernier, CHARLES Duc de Sudermanie s'étant fait couronner Roi de Suéde, au préjudice de SIGISMOND Roi de Pologne son Neveu, il fut bientôt reconnu par la plûpart des Souverains.   VILLEROY Ministre de HENRI IV Roi de France, disoit nettement au Président JEANNIN, dans une Dépêche du 8 d'Avril 1608, Toutes ces raisons & considérations n'empêcheront point le Roi de traiter avec Charles, s'il y trouve son intérêt & celui de son Royaume.   Ce discours étoit sente.   Le Roi de France n'étoit ni le Juge, ni le Tuteur de la Nation Suédoise, pour refuser, contre le bien de son Royaume, de reconnoître le Roi qu'elle s'étoit choisi, sous prétexte qu'un Compétiteur traitoit CHARLES d'Usurpateur.   Fût ce-même avec raison ; les Étrangers ne sont pas appelés à en juger.

 

            Lors donc que des Puissances étrangères ont admis les Ministres d'un Usurpateur, & lui ont envoyé les leurs ; le Prince légitime, venant à remonter sur le Trône, ne peut se plaindre de ces démarches, comme d'une injure, ni en faire un juste sujet de Guerre, pourvû que ces Puissances ne soient pas allées plus avant, & n'aient point donné de sécours contre lui.   Mais reconnaître le Prince détrôné, ou son Héritier, après qu’on a solemnellement reconnu celui qui l’a remplacé, c’est faire injure à ce dernier, & se déclarer ennemi de la Nation qui l’a choisi.   Le Roi GUILLAUME III & la Nation Angloise firent d'une pareille démarche, hazardée en faveur du fils de JAQUES II, l’un des principaux sujets de la Guerre, que l’Angleterre déclara bientôt après à la France.   Tous les ménagemens, toutes les Protestations de Louis XIV n'empêchèrent pas que la reconnoissance du Prince STUART, en qualité de Roi d'Angleterre, d'Écosse & d'Irlande, sous le nom de JACQUES III, ne fût regardée en Angleterre, comme une injure, faite au Roi & à la Nation.


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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:08

CHAPITRE IV (b)

De l’observation & de la rupture du Traité de Paix.

 

[...]

§.43       La juste défense de Soi-même ne rompt point le Traité de paix

            La juste défense de soi-même ne rompt point le Traité de paix.   C’est un droit naturel, auquel on ne peut renoncer ; & en promettant de vivre en paix, on promet seulement de ne point attaquer sans sujet, de s'abstenir d'injure & de violence.   Mais il y a deux manières de se défendre soi-même, ou ses biens : Quelquefois la violence ne permet d'autre remède que la force ; & alors, on en fait usage très-légitimement.   En d'autres occasions, il y a des moyens plus doux d'obtenir la réparation du dommage & de l’injure : il faut toûjours préférer ces derniers moyens.   Telle est la règle de la conduite que doivent tenir deux Nations soigneuses de conserver la Paix, quand il arrive que les sujets, de part ou d'autre, s'échappent à quelque violence.   La force présente, se repousse & se réprime par la force : mais s'il est question de poursuivre la réparation du dommage & une juste satisfaction ; il faut s'adresser au Souverain des coupables ; on ne peut les aller chercher dans ses terres, & recourrir aux armes, que dans le cas d'un déni de Justice.   Si l’on a lieu de craindre que les coupables n'échappent ; si, par exemple, des inconnus, d'un pays voisin, ont fait irruption sur nos terres, nous sommes en droit de les poursuivre chez-eux, à main armée, jusques-à-ce qu’ils soient saisis ; & leur Souverain ne pourra regarder notre action que comme une juste & légitime défense, pourvû que nous ne commettions aucune hostilité contre des innocens.

 

§.44       Des sujets de rupture qui ont pour objet des Alliés

            Quand la Partie principale contractante a compris les Alliés dans son Traité, leur Cause lui est commune à cet égard, & ces Alliés doivent jouïr comme elle de toutes les Conditions essentielles à un Traité de paix, ensorte que tout ce qui est capable de rompre le Traité, étant commis contre elle-même, ne le rompt pas moins, s’il a pour objet les Alliés qu’elle a fait comprendre dans son Traité.   Si l’injure est faite à un Allié nouveau, ou non-compris dans le Traité, elle peut bien fournir un nouveau sujet de Guerre, mais elle ne donne pas atteinte au Traité de paix.

 

§.45       2°, Le Traité se rompt par ce qui est opposé à sa nature particulière

            La seconde manière de rompre un Traité de Paix est de faire quelque chose de contraire à ce que demande la nature particulière du Traité.   Ainsi tout procédé contraire à l’Amitié, rompt un Traité de paix fait sous la condition expresse de vivre desormais en bons Amis.   Favoriser les ennemis d'une Nation, traiter durement ses sujets, la gêner sans raison dans son Commerce ; lui préférer, aussi sans raison, une autre Nation ; lui refuser des sécours de vivres, qu'elle veut payer, & dont on a de reste ; protéger ses sujets factieux, ou rebelles, leur donner retraite : Ce sont-là tout autant de procédés évidemment contraires à l’Amitié.   On peut, selon les circonstances, y joindre les suivans : Construire des Forteresses sur les frontières d'un État, lui témoigner de la défiance, faire des Levées de Troupes, sans vouloir lui en déclarer le sujet &c.   Mais donner retraite aux Exilés, recevoir des sujets, qui veulent quitter leur Patrie sans prétendre lui nuire par leur départ, mais seulement pour le bien de leurs affaires particulières ; accueillir charitablement des Emigrans, qui sortent de leur pays pour se procurer la Liberté de Conscience : il n’y a rien dans tout cela qui soit incompatible avec la qualité d'Ami.   Les Loix particulières de l’Amitié ne nous dispensent point, selon le caprice de nos Amis, des devoirs communs de l’humanité envers le reste des hommes.

 

§.46       3°, Par la violation de quelque Article

            Enfin la Paix se rompt par la violation de quelqu'un des Articles exprès du Traité.   Cette troisième manière de rompre est la plus expresse, la moins susceptible d'évasions & de chicanes.   Quiconque manque à ses engagemens annulle le Contrat, autant qu'en lui est ; cela n’est pas douteux.

 

§.47       La violation d'un seul Article rompt le Traité entier

            Mais on demande, si la violation d'un seul Article du Traité peut en opérer la rupture entière ? Quelques-uns (a(a) Vide WOLF.   Jus Gent.   §§.2022, 2023) distinguent ici entre les Articles qui sont liés ensemble (connexi), & les Articles divers (diversi), & prononcent, que si le Traité est violé dans les Articles divers, la Paix subsiste à l’égard des autres.   Mais le sentiment de GROTIUS me paroît évidemment fondé sur la nature & l’esprit des Traités de Paix.   Ce Grand-homme dit, que « tous les Articles d'un seul & même Traité sont renfermés l’un dans l’autre, en forme de Condition, comme si l’on avoit dit formellement : je ferai telle ou telle chose, pourvû que de votre côté vous fassiez ceci ou cela (b(b) Liv.III Chap. XIX §.XIV) ».   Et il ajoûte avec raison, que « quand on veut empêcher que l’engagement ne demeure par là sans effet, on ajoûte cette Clause expresse, qu'encore qu’on vienne à enfraindre quelqu'un des Articles du Traité, les autres ne laisseront pas de subsister dans toute leur force ».   On peut sans-doute convenir de cette manière : on peut encore convenir que la violation d'un Article ne pourra opérer que la nullité de ceux qui y répondent, & qui en sont comme l’équivalent.   Mais si cette Clause ne se trouve expressément dans le Traité de paix, un seul Article violé donne atteinte au Traité entier, comme nous l’avons prouvé ci-dessus, en parlant des Traités en général (Liv.II.   §.202).

 

§.48       Si l’on peut distinguer à cet égard entre les Articles plus ou moins importans

            Il n’est pas moins inutile de vouloir distinguer ici entre les Articles de grande importance & ceux qui sont de peu d'importance.   A rigueur de Droit, la violation du moindre Article dispense la Partie lésée de l’observation des autres ; puisque tous, comme nous venons de le voir, sont liés les uns aux autres, en forme de Conditions.   D'ailleurs, quelle source de disputes qu'une pareille distinction ! Qui décidera de l’importance de cet Article violé ? Mais il est très-vrai qu'il ne convient nullement aux devoirs mutuels des Nations, à la charité, à l’amour de la paix, qui doit les animer, de rompre toûjours un Traité, pour le moindre sujet de plainte.

 

§.49       De la peine attachée à la violation d'un Article

            Dans la vuë de prévenir un si fâcheux inconvénient, on convient sagement d'une peine, que devra subir l’infracteur de quelqu'un de ces Articles de moindre importance ; & alors, en satisfaisant à la peine, le Traité subsiste dans toute sa force.   On peut de même attacher à la violation de chaque Article, une peine proportionnée à son importance, Nous avons traité cette matiére en parlant de la Trève (Liv.III §.243) ; on peut recourrir à ce paragraphe.

 

§.50       Des délais affectés

            Les délais affectés sont équivalens à un refus exprès ; & ils n'en diffèrent que par l’artifice, avec lequel celui qui en use voudroit couvrir sa mauvaise-foi : il joint la fraude à la perfidie, & viole réellement l’Article qu'il doit accomplir.

 

§.51       Des empéchemens insurmontables

            Mais si l’empêchement est réel, il faut donner du tems ; car nul n'est tenu à l’impossible.   Et par cette même raison, si quelque obstacle insurmontable rend l’exécution d'un Article non-seulement impraticable pour le présent, mais impossible à jamais ; celui qui s'y étoit engagé n’est point coupable, & l’autre Partie ne peut prendre occasion de son impuissance, pour rompre le Traité ; mais elle doit accepter un dédommagement, s’il y a lieu à dédommagement, & s'il est praticable.   Toutefois, si la chose qui devoit se faire en vertu de l’Article en question, est de telle nature, que le Traité paroisse évidemment n'avoir été fait qu'en vuë de cette même chose, & non d'aucun équivalent ; l’impossibilité survenuë annulle sans-doute le Traité.   C’est ainsi qu'un Traité de Protection devient nul, quand le Protecteur se trouve hors d'état d'effectuer la Protection qu’il a promise, quoiqu'il s'en trouve incapable sans qu'il y soit de sa faute.   De même, quelque chose qu'un Souverain ait pû promettre, à condition qu’on lui procurera la restitution d'une Place importante ; si on ne peut le faire rentrer en possession de cette Place, il est quitte de tout ce qu'il avoit promis pour la ravoir.   Telle est la règle invariable du Droit.   Mais le Droit rigoureux ne doit pas toûjours être pressé : La Paix est une matière si favorable, les Nations sont si étroitement obligées à la cultiver, à la procurer, à la rétablir quand elle est troublée, que si de pareils obstacles se rencontrent dans l’exécution d'un Traité de Paix, il faut se prêter de bonne-foi à tous les expédiens raisonnables, accepter des équivalens, des dédommagemens, plûtôt que de rompre une Paix déja arrêtée & de reprendre les armes.

 

§.52       Des atteintes données au Traité de paix par les sujets

            Nous avons recherché ci-dessus dans un Chapitre exprès (Liv.II Chap. VI), comment & en quelles occasions les actions des sujets peuvent être imputées au Souverain & à la Nation.   C’est là-dessus qu'il faut se régler, pour voir comment les faits des Sujets peuvent rompre un Traité de Paix : Ils ne sçauroient produire cet effet, qu'autant qu’on peut les imputer au Souverain.   Celui qui est lésé par les sujets d'autrui, s'en fait raison lui-même, quand il attrape les coupables dans ses terres, ou en lieu libre, en pleine mer, par exemple ; ou s'il l’aime mieux, il demande Justice à leur Souverain.   Si les coupables sont des Sujets desobéissans ; on ne peut rien demander à leur Souverain ; mais quiconque vient à les saisir, même en lieu libre, en fait Justice lui-même.   C’est ainsi qu’on en use à l’égard des Pirates.   Et pour éviter toute difficulté, on est convenu de traiter de même tous particuliers, qui commettent des actes d'hostilité sans pouvoir montrer une Commission de leur Souverain.

 

§.53       Ou par des Alliés

            Les actions de nos Alliés peuvent encore moins nous être imputées, que celles de nos sujets.   Les atteintes données au Traité de paix par des Alliés, même par ceux qui y ont été compris, ou qui y sont entrés comme Parties principales contractantes, ne peuvent donc en opérer la rupture que par rapport à eux-mêmes, & point du tout en ce qui touche leur Allié, qui, de son côté, observe religieusement les engagemens.   Le Traité subsiste pour lui dans toute sa force, pourvû qu'il n'entreprenne point de soutenir la Cause de ces Alliés perfides.   S’il leur donne un sécours, qu'il ne peut leur devoir en pareille occasion, il épouse leur querelle & prend part à leur manque de foi.   Mais s'il est intéressé à prévenir leur ruïne, il peut intervenir, & en les obligeant à toutes les réparations convenables, les garentir d'une oppression, dont il sentiroit le contre-coup.   Leur défense devient même juste, contre un ennemi implacable, qui ne veut pas se contenter d'une juste satisfaction.

 

§.54       Droits de la Partie lésée, contre celle qui a violé le Traité

            Quand le Traité de paix est violé par l’un des Contractans, l’autre est le maître de déclarer le Traité rompu, ou de le laisser subsister.   Car il ne peut être lié par un Contrat, qui contient des engagemens réciproques, envers celui qui ne respecté pas ce même Contrat.   Mais s'il aime mieux ne pas rompre, le Traité demeure valide & obligatoire.   Il seroit absurde que celui qui l’a violé, le prétendit annullé par sa propre infidélité : Moyen facile de se débarasser de ses engagemens, & qui réduiroit tous les Traités à de vaines formalités ! Si la Partie lésée veut laisser subsister le Traité, elle peut pardonner l’atteinte qui y a été donnée, ou exiger un dédommagement, une juste satisfaction, ou se libérer elle-même des engagemens qui répondent à l’Article violé, de ce qu'elle avoit promis en considération d'une chose, que l’on n'a point accomplie.   Que si elle se détermine à demander un juste dédommagement, & que la Partie coupable le refuse, le Traité se rompt alors de nécessité, & le Contractant lésé a un très-juste sujet de reprendre les armes.   C’est aussi ce qui arrive le plus souvent ; car il ne se trouve guères que le coupable veuille reconnaître sa faute, en accordant une réparation.


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CHAPITRE IV (a)

De l’observation & de la rupture du Traité de Paix.

 

§.35       Le Traité de paix oblige la Nation & les Successeurs

            Le Traité de Paix, conclu par une Puissance légitime, est sans-doute un Traité public, qui oblige toute la Nation (Liv.II §.154).   Il est encore, par sa nature, un Traité réel ; car s'il n'étoit fait que pour la vie du Prince, ce seroit un Traité de Trève, & non pas de Paix.   D'ailleurs tout Traité, qui, comme celui-ci, est fait en vuë du bien public, est un Traité réel (Liv.II §.189).   Il oblige donc les Successeurs, aussi fortement que le Prince même qui l’a signé ; puisqu'il oblige l’État même, & que ses Successeurs ne peuvent jamais avoir, à cet égard, d'autres droits que ceux de l’État.

 

§.36       Il doit être fidèlement observé

            Après tout ce que nous avons dit de la Foi des Traités, de l’obligation indispensable qu’ils imposent, il seroit superflu de s'étendre à montrer en particulier, combien les Souverains & les peuples doivent être religieux observateurs des Traités de paix.   Ces Traités intéressent & obligent les Nations entières ; ils sont de la dernière importance ; leur rupture rallume infailliblement la Guerre : Toutes raisons, qui donnent une nouvelle force à l’obligation de garder la foi, de remplir fidèlement ses promesses.

 

§.37       L’exception prise de la crainte, ou de la force, ne peut en dégager

            On ne peut se dégager d'un Traité de Paix, en alléguant qu’il a été extorqué par la crainte, ou arraché de force.   Prémièrement, si cette exception étoit admise, elle sapperoit par les fondemens toute la sûreté des Traités de paix ; car il en est peu contre lesquels on ne pût s'en servir, pour couvrir la mauvaise foi.   Autoriser une pareille défaite, ce seroit attaquer la sûreté commune & le salut des Nations La maxime seroit exécrable, par les mêmes raisons, qui rendent la foi des Traités sacrée dans l’Univers (Liv.II §.220).   D'ailleurs, il seroit presque toûjours honteux & ridicule, d'alléguer une pareille exception.   Il n'arrive guères aujourd’hui que l’on attende les dernières extrémités, pour faire la paix : Une Nation, bien que vaincuë en plusieurs batailles, peut encore se défendre ; elle n'est pas sans ressource tant qu'il lui reste des hommes & des armes.   Si, par un Traité désavantageux, elle trouve à propos de se procurer une Paix nécessaire ; si elle se rachette d'un danger imminent, d'une ruïne entière, par de grands sacrifices ; ce qui lui reste est encore un bien, qu'elle doit à la Paix ; Elle s'est déterminée librement à préférer une perte certaine & présente, mais bornée, à un danger encore à venir, mais trop probable, & terrible.

 

            Si jamais l’exception de la contrainte peut être alléguée ; c’est contre un acte, qui ne mérite pas le nom de Traité de paix, contre une soumission forcée à des Conditions, qui blessent également la Justice & tous les devoirs de l’humanité.   Qu'un avide & injuste Conquérant subjugue une Nation, qu'il la force à accepter des Conditions dures, honteuses, insupportables ; la nécessité la contraint à se soumettre.   Mais ce repos apparent n'est pas une Paix : C’est une oppression que l’on souffre, tandis qu’on manque de moyens pour s'en délivrer, & contre laquelle des gens de cœur se soulèvent, à la prémiére occasion favorable.   Lorsque FERNAND CORTEZ attaquoit l’Empire du Méxique, sans aucune ombre de raison, sans le moindre prétexte apparent ; si l’infortuné MONTEZUMA eût pû racheter sa Liberté en se soumettant à des Conditions également dures & injustes, à recevoir Garnison dans ses Places & dans sa Capitale, à payer un Tribut immense & à obéir aux ordres du Roi d'Espagne : De bonne-foi, dira-t-on qu'il n’eût pû avec Justice saisir une occasion favorable, pour rentrer dans ses droits & délivrer son peuple ; pour chasser, pour exterminer des Usurpateurs avides, insolens & cruels ? Non, non ; on n'avancera pas sérieusement une si grande absurdité.   Si la Loi Naturelle veille au salut & au repos des Nations, en recommandant la fidélité dans les Promesses ; elle ne favorise pas les Oppresseurs.   Toutes ses Maximes vont au plus grand bien de l’humanité : C’est la grande fin des Loix & du Droit.   Celui qui rompt lui-même tous les liens de la Société humaine, pourra-t-il les réclamer ? S'il arrive qu'un Peuple abuse de cette maxime, pour se soulever injustement & recommencer la Guerre ; il vaut mieux s'exposer à cet inconvénient, que de donner aux Usurpateurs un moyen aisé, d'éterniser leurs injustices, & d'asseoir leur Usurpation sur un fondement solide.   Mais quand vous voudriez prêcher une Doctrine, qui s'oppose à tous les mouvemens de la Nature, à qui la persuaderez-vous ?      

           

 

§.38       En combien de manières un Traité de paix peut se rompre

            Les Accommodemens équitables, ou au moins supportables, méritent donc seuls le nom de Traités de Paix : Ce sont ceux-là, où la Foi publique est engagée, & que l’on doit garder fidèlement, bien qu’on les trouve durs & onéreux, à divers égards.   Puisque la Nation y a consenti, il faut qu'elle les ait regardés encore comme un bien, dans l’état où étoient les choses ; & elle doit respecter sa parole.   Si l’on pouvoit défaire dans un tems, ce que l’on a été bien-aise de faire dans un autre, il n'y auroit rien de stable parmi les hommes.

 

            Rompre le Traité de Paix, c’est en violer les engagemens, soit en faisant ce qu'il défend, soit en ne faisant pas ce qu'il prescrit.   Or on peut manquer aux engagemens du Traité en trois manières différentes : ou par une conduite contraire à la nature & à l’essence de tout Traité de Paix en général ; ou par des procédés incompatibles avec la nature particulière du Traité ; ou enfin en violant quelqu'un de ses Articles exprès.

 

§.39       1°, Par une conduite contraire à la nature de tout Traité de paix

            1°, On agit contre la nature & l’essence de tout Traité de Paix, contre la Paix elle-même, quand on la trouble sans sujet, soit en prenant les armes & recommençant la Guerre, quoiqu'on ne puisse alléguer même un prétexte tant-soit-peu plausible ; soit en offensant de gaieté de cœur celui avec qui on a fait la paix, & en le traitant, lui ou ses sujets, d'une manière incompatible avec l’état de paix, & qu'il ne peut souffrir, sans se manquer à soi-même.   C’est encore agir contre la nature de tout Traité de paix, que de reprendre Les armes pour le même sujet, qui avoit allumé la Guerre, ou par ressentiment de quelque chose, qui s’est passée dans le cours des hostilités.   Si l’on ne peut se couvrir au moins d'un prétexte spécieux, emprunté de quelque sujet nouveau ; on ressuscite manifestement la Guerre qui avoit pris fin, & on rompt le Traité de Paix.

 

§.40       Prendre les armes pour un sujet nouveau, ce n'est pas rompre le Traité de paix

            Mais prendre les armes pour un sujet nouveau, ce n’est pas rompre le Traité de paix.   Car bien que l’on ait promis de vivre en paix, on n'a pas promis, pour cela, de souffrir l’injure & toute sorte d'injustice, plûtôt que de s'en faire raison par la voie des armes.   La rupture vient de celui, qui, par son injustice obstinée, rend cette voie nécessaire.

 

            Mais il faut se souvenir ici de ce que nous avons observé plus d'une fois, sçavoir, que les Nations ne reconnoissent point de Juge commun sur la terre, qu'elles ne peuvent se condamner mutuellement sans appel, & qu'elles sont enfin obligées d'agir dans leurs querelles, comme si l’une & l’autre étoit également dans ses droits.   Sur ce pied-là, que le sujet nouveau, qui donne lieu à la Guerre, soit juste, ou qu'il ne le soit pas, ni celui qui en prend occasion de courrir aux armes, ni celui qui refuse satisfaction, n’est réputé rompre le Traité de paix, pourvû que le sujet de plainte, & le refus de satisfaction aient de part & d'autre au moins quelque couleur, ensorte que la question soit litigieuse.   Il ne reste aux Nations d'autre voie que les armes, quand elles ne peuvent convenir de rien, sur une question de cette nature.   C'est alors une Guerre nouvelle, qui ne touche point au Traité.

 

§.41       S'allier dans la fuite avec un ennemi, ce n'est pas non plus rompre le Traité

            Et comme en faisant la paix, on ne renonce point par cela même au droit de faire des Alliances & d'assister ses Amis ; ce n’est pas non plus rompre le Traité de paix que de s'allier dans la fuite & de se joindre aux ennemis de celui avec qui on l’a conclu, d'épouser leur querelle & d'unir ses armes aux leurs ; à moins que le Traité de paix ne le défende expressément : C’est tout au plus commencer une Guerre nouvelle, pour la Cause d'autrui.

 

            Mais je suppose que ces nouveaux Alliés ont quelque sujet plausible de prendre les armes, & qu’on a de bonnes & justes raisons de les soutenir ; car s'il en étoit autrement, s'allier avec eux, justement lorsqu’ils vont entrer en Guerre, ou lorsqu’ils l’ont commencée, ce seroit manifestement chercher un prétexte, pour éluder le Traité de paix ; ce seroit le rompre avec une artificieuse perfidie. [...]

 


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CHAPITRE III

De l’exécution du Traité de Paix.

 

§.24       Quand le Traité commence à obliger

            Le Traité de Paix oblige les Parties contractantes du moment qu'il est conclu, aussi-tôt qu’il a reçû toute sa forme ; & elles doivent en procurer incessamment l’exécution.   Il faut que toutes les hostilités cessent dès-lors, à moins que l’on n’ait marqué un jour, auquel la Paix doit commencer.   Mais ce Traité n'oblige les sujets, que du moment qu'il leur est notifié.   Il en est ici comme de la Trève (Liv.III §.239).   S’il arrive que des gens de guerre commettent, dans l’étenduë de leurs fonctions & en suivant les règles de leurs devoirs, quelques hostilités, avant que le Traité de Paix soit dûement venu à leur connoissance ; c’est un malheur, dont ils ne peuvent être punis ; mais le Souverain, déja obligé à la paix, doit faire restituer ce qui a été pris depuis qu’elle est concluë, il n'a aucun droit de le retenir.

 

§.25       Publication de la Paix

            Et afin de prévenir ces funestes accidens, qui peuvent coûter la vie à plusieurs innocens, on doit publier la Paix sans délai, au moins pour les gens de guerre.   Mais aujourd’hui, que les peuples ne peuvent entreprendre d'eux-mêmes aucun acte d'hostilité, & qu’ils ne se mêlent pas de la Guerre, la publication solemnelle de la Paix peut se différer, pourvû que l’on mette ordre à la cessation des hostilités ; ce qui se fait aisément, par le moyen des Généraux, qui dirigent toutes les opérations, ou par un Armistice publié à la tête des Armées.   La Paix faite en 1735 entre l’Empereur & la France, ne fut publiée que long-tems après: On attendit que le Traité en fût digéré à loisir ; les points les plus importans ayant été réglés dans les Préliminaires.   La publication de la Paix remet les deux Nations dans l’état où elles se trouvoient avant la Guerre ; Elle rouvre entre elles un libre Commerce & permet de nouveau aux Sujets de part & d'autre, ce qui leur étoit interdit par l’état de Guerre.   Le Traité devient par la publication, une Loi pour les Sujets, & ils sont obligés de se conformer désormais aux dispositions dont on y est convenu.   Si, par exemple, le Traité porte que l’une des deux Nations s’abstiendra d'un certain Commerce, tous les membres de cette Nation seront obligés de renoncer à ce Commerce du moment que le Traité sera publié.

 

§.26       Du tems de l’exécution

            Lorsqu’on n'a point marqué de terme, pour l’accomplissement du Traité, & pour l’exécution de chacun des Articles ; le bon-sens dit que chaque point doit être éxécuté aussi-tôt qu'il est possible : C’est sans doute ainsi qu’on l’a entendu.   La foi des Traités exclut également, dans leur exécution, toute négligence, toute lenteur, & tous délais affectés.

 

§.27       Une excuse légitime doit être admise

            Mais, en cette matière comme en toute autre, une excuse légitime, fondée sur un empêchement réel & insurmontable, doit être admise ; car personne tenu à l’impossible.   L’empêchement, quand il n’y a point de la faute du promettant, anéantit une promesse qui ne peut être remplie par un équivalent, & dont l’exécution ne peut se remettre à un autre tems.   Si la promesse peut être remplie en une autre occasion, il faut accorder un délai convenable.   Supposons que, par le Traité de paix, l’une des Parties ait promis à l’autre un Corps de Troupes Auxiliaires : Elle ne sera point tenus à le fournir, s'il arrive qu'elle en ait un besoin pressant, pour sa propre défense : Qu’elle ait promis une certaine quantité de bled par année ; on ne pourra les exiger, Lorsqu’elle souffre la disette : Mais quand elle se retrouvera dans l’abondance, elle devra livrer, si on l’éxige, ce qui est demeuré en arrière.

 

§.28       La promesse tombe, quand l’acceptant en a lui-même empêché l’exécution

            L’on tient encore pour maxime, que le Promettant est dégagé de sa Promesse, Lorsque s'étant mis en devoir de la remplir, aux termes de son engagement, celui à qui elle étoit faite, l’a empêché lui-même de l’accomplir.   On est censé remettre une Promesse, dont on empêche soi-même l’exécution.   Disons donc encore, que si celui qui a promis une chose par le Traité de paix, étoit prêt à l’effectuer dans le tems convenu, ou tout de suite & en tems convenable, s'Il n’y a point de terme marqué, & que l’autre Partie ne l’ait pas voulu ; le Promettant est quitte de sa Promesse.   Car l’Acceptant ne s'étant pas réservé le droit d'en fixer l’exécution à sa volonté, il est censé y renoncer, lorsqu’il ne l’accepte pas dans le tems convenable, & pour lequel la promesse a été faite.   S’il demande que la prestation soit remise à un autre tems ; la bonne foi exige que le Promettant consente au délai, à moins qu'il ne fasse voir par de bonnes raisons, que la

 

§.29       Cessation des Contributions

            Lever des Contributions est un acte d’hostilité, qui doit cesser dés que la Paix est concluë (§.24).   Celles qui sont déja promises, & non encore payées, sont dûes, & se peuvent exiger à titre de chose dûe.   Mais pour éviter toute difficulté, il faut s'expliquer nettement & en détail, sur ces sortes d'articles ; & on a soin ordinairement de le faire.

 

§.30       Des fruits de la chose restituée ou cédée

            Les fruits des choses restituées à la paix sont dûs dès l’instant marqué pour l’exécution : S'il n’y a point de terme fixé, les fruits sont dûs dès le moment que la restitution des choses a été accordée ; mais on ne rend pas ceux qui étoient échûs, ou cueillis, avant la conclusion de la Paix.   Car les fruits sont au Maître du Fonds ; & ici la possession est tenuë pour un titre légitime.   Par la même raison, en cédant un Fonds, on ne céde pas en même-tems les fruits qui sont déja dûs.   C’est ce qu'AUGUSTE soutint avec raison, contre SEXTUS POMPEE, qui prétendoit, lorsqu'on lui eût donné le Péloponnèse, se faire payer les Impôts des années précédentes (a(a) APPIAN de Bell.   Civ.   Lib.   V cité par GROTIUS, Lib.   II Cap.   XX & XXII).

 

§.31       En quel état les choses doivent être renduës

            Les choses dont la restitution est simplement stipulée dans le Traité de paix sans autre explication, doivent être renduës dans l’état où elles ont été prises ; car le terme de restitution signifie naturellement le rétablissement de toutes choses dans leur prémier état.   Ainsi, en restituant une chose, on doit rendre en même tems tous les droits, qui y étoient attachés lorsqu’elle a été prise.   Mais il ne faut pas comprendre sous cette règle, les changemens, qui peuvent avoir été une suite naturelle, un effet de la Guerre même & de ses opérations.   Une Place sera renduë dans l’état où elle étoit quand on l’a prise, autant qu'elle se trouvera encore dans ce même état, à la conclusion de la Paix.   Mais si la Place a été rasée, ou démantelée, pendant la Guerre ; elle l’a été par le droit des armes, & l’Amnistie met à néant ce dommage.   On n'est pas tenu à rétablir un pays ravagé, que l’on rend à la Paix : on le rend tel qu'il se trouve.   Mais comme ce seroit une insigne perfidie que de dévaster ce pays, après la paix faite, & avant que de le rendre ; il en est de même d'une Place, dont la Guerre a épargné les fortifications : La démanteler, pour la rendre, seroit un trait de mauvaise foi.   Si le vainqueur en a réparé les brêches, s'il l’a rétablie dans l’état où elle étoit avant le siège, il doit la rendre dans ce même état.   Mais s’il y a ajoûté quelques Ouvrages, il peut les démolir.   Que s’il a rasé les anciennes fortifications, pour en construire de nouvelles ; il sera nécessaire de convenir sur cette amélioration, ou de marquer précisément en quel état la Place doit être renduë.   Il est bon même, pour prévenir toute chicane & toute difficulté, de ne jamais négliger cette dernière précaution.   Dans un Instrument destiné à rétablir la Paix, on ne doit, s'il se peut, laisser aucune ambiguïté, rien qui soit capable de rallumer la Guerre.   Ce n’est point là, je le sçai, la méthode de ceux qui s'estiment aujourd’hui les plus habiles Négociateurs.   Ils s'étudient, au contraire, à glisser dans un Traité de Paix, des Clauses obscures, ou ambiguës, afin de réserver à leur Maître un prétexte de brouiller de nouveau & de reprendre les armes, à la prémiére occasion favorable.   Nous avons déjà remarqué ci-dessus (Liv.II §.231) combien cette misérable finesse est contraire à la Foi des Traités.   Elle est indigne de la candeur & de la noblesse, qui doivent éclater dans toutes les actions d'un grand Prince.

 

§.32       De l’interprétation du Traité de paix ; qu'elle se fait contre celui qui a donné la Loi

            Mais comme il est bien difficile qu'il ne se trouve quelque ambiguïté dans un Traité, dressé même avec tout le soin & toute la bonne-foi possible, ou qu'il ne survienne quelque difficulté dans l’application de ses Clauses aux cas particuliers ; il faudra souvent recourrir aux règles d'Interprétation.   Nous avons consacré un Chapitre entier à l’exposition de ces Règles importantes (a(a) Liv.II Chap. XVII), & nous ne nous jetterons point ici dans des répétitions ennuyeuses.   Bornons-nous à quelques Règles, qui conviennent plus particulièrement à l’espèce, aux Traités de Paix.   1°, En cas de doute, l’interprétation se fait contre celui qui a donné la loi dans le Traité.   Car c’est lui, en quelque façon, qui l’a dicté : C'est sa faute, s'il ne s’est pas énoncé plus clairement ; & en étendant, ou resserrant la signification des termes, dans le sens qui lui est le moins favorable, ou on ne lui fait aucun tort, ou on ne lui fait que celui auquel il a bien voulu s'exposer ; mais par une interprétation contraire, on risqueroit de tourner des termes vagues, ou ambigus, en pièges pour le plus foible Contractant, qui a été obligé de recevoir ce que le plus fort a dicté.

 

§.33       Du nom des pays cédés

            2°, Le nom des pays cédés par le Traité doit s'entendre suivant l’usage reçû alors par les personnes habiles & intelligentes.   Car on ne présume point que des ignorants ou des sots soient chargés d'une chose aussi importante que l’est un Traité de paix ; les dispositions d'un Contrat doivent s'entendre de ce que les Contractans ont eû vraisemblablement dans l’esprit, puisque c’est sur ce qu’ils ont dans l’esprit qu’ils contractent

 

§.34       La restitution ne s'entend pas de ceux qui se sont donnés volontairement

            3°, Le Traité de Paix ne se rapporte naturellement & de lui-même qu'à la Guerre, à laquelle il met fin.   Ses Clauses vagues ne doivent donc s'entendre que dans cette rélation.   Ainsi la simple stipulation du rétablissement des choses dans leur état, ne se rapporte point à des changemens, qui n'ont pas été opérés par la Guerre même.   Cette Clause générale, ne pourra donc obliger l’une des Parties à remettre en Liberté un Peuple libre, qui se sera donné volontairement à elle, pendant la Guerre.   Et comme un Peuple abandonné par son Souverain, devient libre, & maître de pourvoir à son salut comme il l’entend (Liv.I §.202) ; si ce Peuple, dans le cours de la Guerre, s’est donné & soumis volontairement à l’Ennemi de son ancien Souverain, sans y être contraint par la force des armes ; la promesse générale de rendre les Conquêtes rie s'étendra point jusqu'à lui.   En vain dira-t-on que celui qui demande le rétablissement de toutes choses sur l’ancien pied, peut avoir intérêt à la Liberté du prémier des peuples dont nous parlons, & qu’il en a visiblement un très-grand à la restitution du second.   S’il vouloit des choses, que la Clause générale ne comprend point d'elle-même, il devoit s'en expliquer clairement & spécialement.   On peut insérer toute sorte de Conventions dans un Traité de paix ; mais si elles n'ont aucun rapport à la Guerre qu'il s'agit de terminer, il faut les énoncer bien expressément ; car le Traité ne s'entend naturellement que de son objet.

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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:05

CHAPITRE II (b)

Des Traités de Paix.


[...]

§.14       Si l’on peut faire la pais avec un Usurpateur

            Lorsqu’un injuste Conquérant, ou tout autre Usurpateur a envahi le Royaume ; dès que les peuples se sont soumis à lui, & par un hommage volontaire, l’ont reconnu pour leur Souverain, il est en possession de l’empire.   Les autres Nations, qui n’ont aucun droit de s'ingérer dans les affaires domestiques de celle-ci, de se mêler de son Gouvernement, doivent s'en tenir à son jugement & suivre la possession.   Elles peuvent donc traiter de la Paix avec l’Usurpateur & la conclure avec lui.   Par là elles ne blessent point le droit du Souverain légitime.   Ce n’est point à elles d'examiner ce droit, & d'en juger ; elles le laissent pour ce qu’il est, & s'attachent uniquement à la possession, dans les affaires qu'elles ont avec ce Royaume, suivant leur propre droit & celui de l’État, dont la Souveraineté est disputée.   Mais cette règle n'empêche pas qu'elles ne puissent épouser la querelle du Roi dépouillé, si elles la trouvent juste, & lui donner sécours : Alors elles se déclarent ennemies de la Nation qui a reconnu son Rival, comme elles ont la liberté, quand deux Peuples différens sont en guerre, d’assister celui qui leur paroît le mieux fondé.

 

§.15       Alliés compris dans le Traité de paix

            La Partie principale, le Souverain au nom de qui la Guerre s’est faite, ne peut avec Justice, faire la paix, sans y comprendre ses Alliés, j’entens ceux qui lui ont donné du sécours, sans prendre part directement à la Guerre.   C’est une précaution nécessaire pour les garentir du ressentiment de l’ennemi.   Car bien que celui-ci ne doive pas s'offenser contre des Alliés de son ennemi, qui engagés seulement à la défensive, ne font autre chose que remplir fidèlement leurs Traités (Liv.III §.101) ; il est trop ordinaire que les passions déterminent plûtôt les démarches des hommes, que la Justice & la raison.   Si ces Alliés ne le sont que depuis la Guerre, & à l’occasion de cette même Guerre ; quoiqu'ils ne s'y engagent pas de toutes leurs forces, ni directement comme Parties principales, ils donnent cependant à celui contre qui ils s'allient, un juste sujet de les traiter en ennemis.   Celui qu’ils ont assisté, ne peut négliger de les comprendre dans la Paix.

 

            Mais le Traité de la Partie principale n'oblige ses Alliés, qu'autant qu’ils veulent bien l’accepter, à moins qu’ils ne lui ayent donné tout pouvoir de traiter pour eux.   En les comprenant dans son Traité, elle acquiert seulement contre son Ennemi réconcilié, le droit d'exiger qu'il n'attaque point ces Alliés, à raison des sécours qu’ils ont donnés contre lui ; qu'il ne les moleste point & qu'il vive en paix avec eux comme si rien n'étoit arrivé.

 

§.16       Les Associés doivent traiter chacun pour Soi

            Les Souverains qui se sont associés pour la Guerre, tous ceux qui y ont pris part directement, doivent faire leur Traité de paix, chacun pour soi.   C’est ainsi que cela s’est pratiqué à Nimègue, à Rifvvick, à Utrecht.   Mais l’Alliance les oblige à traiter de concert.   De sçavoir en quels cas un Associé peut se détacher de & faire sa paix particulière ; c’est une question, que nous avons examinée en traitant des Sociétés de Guerre (Liv.III Chap. VI), & des Alliances en général (Liv.II Chap. XII & XV).

 

§.17       De la Médiation

            Souvent deux Nations, également lasses de la Guerre, ne laissent pas de la continuer, par la seule raison que chacune craint de faire des avances, qui pourroient être imputées à foiblesse ; ou elles s'y opiniâtrent par animosité, & contre leurs véritables intérêts.   Alors des Amis communs interposent avec fruit leurs bons Offices en s'offrant pour Médiateurs.   C’est un Office bien salutaire & bien digne d'un grand Prince, que celui de réconcilier deux Nations ennemies & d'arrêter l’effusion du sang humain ; c’est un devoir sacré, pour ceux qui ont les moyens d'y réussir.   Nous nous bornons à cette seule réfléxion, sur une matiére, que nous avons déja traitée (Liv.II §.328).

 

§.18       Sur quel pied la paix peut se conclure

            Le Traité de Paix ne peut être qu'une Transaction.   Si l’on devoit y observer les règles d'une Justice exacte & rigoureuse, ensorte que chacun reçût précisément tout ce qui lui appartient, la Paix deviendroit impossible.   Premièrement, à l’égard du sujet même qui a donné lieu à la Guerre, il faudroit que l’un des Partis reconnût son tort, & condamnât lui-même ses injustes prétentions ; ce qu'il fera difficilement, tant qu'il ne sera pas réduit aux dernières extrémités.   Mais s'il avouë l’injustice de sa cause, il doit passer condamnation sur tout ce qu’il a fait pour la soutenir : il faut qu'il rende ce qu’il a pris injustement, qu'il rembourse les fraix de la Guerre, qu'il répare les dommages.   Et comment faire une juste estimation de tous les dommages ? A quoi taxera-t-on le sang répandu, la perte d'un grand nombre de Citoyens, la désolation des familles ? Ce n’est pas tout encore.   La Justice rigoureuse exigeroit de plus, que l’Auteur d'une Guerre injuste fût soumis à une peine proportionnée aux injures, dont il doit une satisfaction, & capable de pourvoir à la sûreté future de celui qu’il a attaqué.   Comment déterminer la nature de cette peine, en marquer précisément le degré ? Enfin celui-là même, de qui les armes sont justes, peut avoir passé les bornes d'une juste défense, porté à l’excès des hostilités, dont le but étoit légitime ; autant de torts, dont la Justice rigoureuse demanderoit la réparation.   Il peut avoir fait des Conquêtes & un butin, qui excédent la valeur de ce qu'il avoit à prétendre.   Qui en fera le calcul exact, la juste estimation ? Puis donc qu'il seroit affreux de perpétuer la Guerre, de la pousser jusqu'à la ruïne entière de l’un des partis, & que dans la Cause la plus juste, on doit penser enfin à rétablir la paix, & tendre constamment à cette fin salutaire ; il ne reste d'autre moyen que de transiger sur toutes les prétentions, sur tous les griefs de part & d'autre, & d'anéantir tous les différends, par une Convention, la plus équitable qu'il soit possible.   On n'y décide point la Cause même de la Guerre, ni les controverses, que les divers actes pourroient exciter ; ni l’une, ni l’autre des Parties n'y est condamnée comme injuste ; il n'en est guères qui voulût le souffrir : Mais on y convient de ce que chacun doit avoir, en extinction de toutes ses prétentions.

 

§.19       Effet général du Traité de paix

            L’effet du Traité de Paix est de mettre fin à la Guerre, & d'en abolir le sujet.   Il ne laisse aux Parties contractantes aucun droit de commettre des actes d'hostilité, soit pour le sujet même qui avoit allumé la Guerre, soit pour tout ce qui s’est passé dans son cours.   Il n’est donc plus permis de reprendre les armes pour le même sujet.   Aussi voyons-nous que dans ces Traités on s'engage réciproquement à une Paix perpétuelle.   Ce qu'il ne faut pas entendre comme si les Contractans promettoient de ne se faire jamais la Guerre, pour quelque sujet que ce soit.   La Paix se rapporte à la Guerre qu'elle termine ; & cette Paix est réellement perpétuelle, si elle ne permet pas de réveiller jamais la même Guerre, en reprenant les armes pour la Cause qui l’avoit allumée.

 

            Au reste, la Transaction spéciale sur une Cause, n'éteint que le moyen seul, auquel elle se rapporte ; elle n'empêcheroit point qu’on ne pût dans la suite, sur d'autres fondemens, former de nouvelles prétentions à la chose même.   C’est pourquoi on a communément soin d'exiger une Transaction générale, qui se rapporte à la chose même controversée, & non pas seulement à la Controverse présente ; on stipule une renonciation générale à toute prétention quelconque sur la chose dont il s'agit.   Et alors, quand même, par de nouvelles raisons, celui qui a renoncé se verroit un jour en état de démontrer, que cette chose-là lui appartenoit, il ne seroit plus reçû à la réclamer.

 

§.20       De l’Amnistie

            L’Amnistie est un oubli parfait du passé ; & comme la Paix est destinée à mettre à néant tous les sujets de discorde, ce doit être là le prémier Article du Traité.   C’est aussi à quoi on ne manque pas aujourd'hui.   Mais quand le Traité n'en diroit pas un mot, l’Amnistie y est nécessairement comprise par la nature même de la Paix.

 

§.21       Des choses dont le Traité ne dit rien

            Chacune des Puissances qui se font la guerre prétendant être fondée en Justice, & personne ne pouvant juger de cette prétention (Liv.III §.188) ; l’état où les choses se trouvent, au moment du Traité, doit passer pour légitime, & si l’on veut y apporter du changement, il faut que le Traité en fasse une mention expresse.   Par conséquent, toutes les choses, dont le Traité ne dit rien, doivent demeurer dans l’état, où elles se trouvent lors de sa conclusion.   C’est aussi une conséquence de l’Amnistie promise.   Tous les dommages causés pendant la guerre, sont pareillement mis en oubli ; & l’on n'a aucune action pour ceux, dont la réparation n'est pas stipulée dans le Traité : Ils sont regardés comme non-avenus.

 

§.22       Des choses qui ne sont pas comprises dans la Transaction ou dans l’Amnistie

            Mais on ne peut étendre l’effet de la Transaction ou de l’Amnistie, à des choses, qui n'ont aucun rapport à la Guerre terminée par le Traité.   Ainsi des répétitions fondées sur une Dette, ou sur une injure antérieure à la Guerre, mais qui n'a eû aucune part aux raisons qui l’ont fait entreprendre, demeurent en leur entier, & ne sont point abolies par le Traité, à moins qu’on ne l’ait expressément étendu à l’anéantissement de toute prétention quelconque.   Il en est de même des Dettes, contractées pendant la Guerre, mais pour des sujets qui n'y ont aucun rapport, ou des injures, faites aussi pendant sa durée, mais sans rélation à l’état de Guerre.

 

            Les Dettes contractées envers des particuliers, ou les torts qu’ils peuvent avoir reçûs d’ailleurs, sans rélation à la Guerre, ne sont point abolies non plus par la Transaction & l’Amnistie, qui se rapportent uniquement à leur objet, sçavoir, à la Guerre, à ses causes & à ses effets.   Ainsi deux sujets de Puissances ennemies contractant ensemble en pays neutre, ou l’un y recevant quelque tort de l’autre, l’accomplissement du Contract, ou la réparation de l’injure & du dommage pourra être poursuivie après la conclusion du Traité de Paix.

 

            Enfin, si le Traité porte que toutes chose seront rétablies dans l’état ce elles étoient avant la Guerre ; cette Clause ne s'entend que des Immeubles, & elle ne peut s'étendre aux choses mobiliaires, au butin, dont la propriété passe d'abord à ceux qui s’en emparent, & qui est censé abandonné par l’ancien maître, à cause de la difficulté de le reconnoître, & du peu d’espérance de le recouvrer.

 

§.23       Les Traités anciens, rappellés & confirmés dans le nouveau, en font partie.

            Les Traités anciens, rappellés & confirmés dans le dernier, font partie de celui-ci, comme s'ils y étoient renfermés & transcrits de mot à mot : Et dans les nouveaux Articles qui se rapportent aux anciennes Conventions, l’interprétation doit se faire suivant les Régles données ci-dessus Livre II Chapitre XVII, & en particulier au paragraphe 286.


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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:04

CHAPITRE II (a)

Des Traités de Paix.

 

§.9        Ce que c'est que le Traité de Paix

            Quand les Puissances qui étoient en guerre, sont convenuës de poser les armes ; l’Accord, ou le Contrat, dans lequel elles stipulent les Conditions de la paix, & règlent la manière dont elle doit être rétablie & entretenue, s'appelle le Traité de Paix.

 

§.10       Par qui il peut être conclu

            La même Puissance qui a le droit de faire la guerre, de la résoudre, de la déclarer, & d'en diriger les opérations, a naturellement aussi celui de faire la paix & d'en conclure le Traité.   Ces deux pouvoirs sont liés ensemble, & le sécond suit naturellement du prémier.   Si le Conducteur de l’État est autorisé à juger des causes & des raisons, pour lesquelles on doit entreprendre la Guerre ; du tems & des circonstances, où il convient de la commencer ; de la manière dont elle doit être soutenuë & poussée ; c’est donc à lui aussi d'en borner le cours, de marquer quand elle doit finir, de faire la paix.   Mais ce pouvoir ne comprend pas nécessairement celui d'accorder, ou d'accepter, en vuë de la paix, toute sorte de Conditions.   Quoique l’État ait confié en général à la prudence de son Conducteur, le soin de résoudre la Guerre & la Paix ; il peut avoir borné ses pouvoirs, sur bien des choses, par les Loix fondamentales.   C’est ainsi que FRANCOIS I Roi de France avoit la disposition absoluë de la Guerre & de la Paix ; & cependant l’Assemblée de Cognac déclara, qu'il ne pouvoit aliéner, par le Traité de Paix, aucune partie du Royaume.   (Voyez L.I §.265)

La Nation qui dispose librement de ses Affaires domestiques, de la forme de son Gouvernement, peut confier à une personne, ou à une Assemblée, le pouvoir de faire la paix, quoiqu'elle ne lui ait pas abandonné celui de déclarer la Guerre.   Nous en avons un exemple en Suéde depuis la mort de CHARLES XII.   Le Roi ne peut déclarer la Guerre, sans le consentement des États assemblés en Diette ; il peut faire la Paix, de concert avec le Sénat.   Il est moins dangereux à un Peuple d'abandonner à ses Conducteurs ce dernier pouvoir, que le prémier.   Il peut raisonnablement espérer qu’ils ne feront la paix, que quand elle sera convenable aux intérêts de l’État.   Mais leurs passions, leurs intérêts propres, leurs vies particulières influent trop souvent dans leurs résolutions, quand il s'agit d'entreprendre la Guerre.   D'ailleurs il faudroit qu'une Paix fût bien misérable, si elle ne valoit pas mieux que la Guerre ; au contraire, on hazarde toûjours beaucoup, lorsqu'on quitte le repos, pour les armes.

 

            Quand une Puissance limitée à le pouvoir de faire la Paix ; comme elle ne peut accorder d'elle-même toute sorte de Conditions, ceux qui voudront traiter sûrement avec elle, doivent exiger que le Traité de Paix soit approuvé par la Nation, ou par la Puissance qui peut en accomplir les Conditions.   Si quelqu'un, par exemple, traite de la paix avec la Suède, demande pour Condition, une Alliance défensive, une Garentie ; cette stipulation n'aura rien de solide, si elle n'est approuvée & acceptée par la Diette, qui seule a le pouvoir de lui donner effet.   Les Rois d'Angleterre ont le droit de conclure des Traités de Paix & d'Alliance ; mais ils ne peuvent aliéner, par ces Traités, aucune des Possessions de la Couronne, sans le consentement du Parlement.   Ils ne peuvent non-plus, sans le concours du même Corps, lever aucun argent dans le Royaume.   C’est pourquoi, quand ils concluent quelque Traité de Subsides, ils ont soin de le produire au Parlement pour s’assurer qu'il les mettra en état de le remplir.   L’Empereur CHARLES-QUINT, voulant exiger de François I son Prisonnier, des Conditions, que ce Roi ne pouvoit accorder sans l’aveu de la Nation, devoit le retenir jusques-à-ce que le Traité de Madrid eût été approuvé par les États-Généraux de France, & que la Bourgogne s'y fût soumise : il n'eût pas perdu le fruit de sa Victoire, par une négligence, fort surprenante dans un Prince si habile.

 

§.11       Des aliénations faites par le Traité de paix

            Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit plus haut de l’aliénation d'une partie de l’État (Liv.I §§.263 & suiv.), ou de l’État entier (ib.   §§.68 & suiv.) Remarquons seulement, que, dans le cas d'une nécessité pressante, telle que l’imposent les événemens d'une Guerre malheureuse, les aliénations que fait le Prince, pour sauver le reste de l’État, sont censées approuvées & ratifiées par le seul silence de la Nation, lorsqu'elle n'a point conservé, dans la forme du Gouvernement, quelque moyen aisé & ordinaire de donner son consentement exprès, & qu’elle a abandonné au Prince une Puissance absoluë.   Les États-Généraux sont abolis en France, par non-usage & par le consentement tacite de la Nation.   Lors donc que ce Royaume se retrouve pressé, c’est au Roi seul de juger des sacrifices qu'il peut faire pour acheter la paix ; & ses ennemis traitent solidement avec lui.   En vain les peuples diroient-ils, qu’ils n'ont souffert que par crainte l’abolition des États-Généraux.   Ils l’ont soufferte enfin ; & par-là, ils ont laissé passer entre les mains du Roi, tous les pouvoirs nécessaires pour contracter au nom de la Nation, avec les Nations étrangères.   Il faut nécessairement qu’il se trouve dans l’État une Puissance, avec laquelle ces Nations puissent traiter sûrement.   Un Historien (a(a) L’Abbé de Choisy, Histoire de Charles V p.49) dit, que les Loix fondamentales empêchent les Rois de France de renoncer à aucun de leurs droits, au préjudice de leurs Successeurs, par aucun Traité, ni libre, ni forcé.   Les Loix fondamentales peuvent bien refuser au Roi le pouvoir d'aliéner ce qui appartient à l’État, sans le consentement de la Nation : Mais elles ne peuvent rendre nulle une aliénation, ou une renonciation, faite avec ce consentement.   Et si la Nation a laissé venir les choses en tel état, qu'elle n'a plus le moyen de déclarer expressément son consentement ; son silence seul, dans les occasions, est un vrai consentement tacite.   S’il en étoit autrement, personne ne pourroit traiter sûrement avec un pareil État : Et infirmer ainsi d'avance tous les Traités futurs, ce seroit agir contre le Droit des Gens, qui prescrit aux Nations de conserver les moyens de traiter ensemble (Liv.I §.262), & de garder leurs Traités (Liv.II §§.163, 219, & suiv.).

 

            Il faut observer enfin, que quand nous examinons si le consentement de la Nation est requis, pour l’aliénation de quelque partie de l’État, nous entendons parler des parties qui sont encore sous la Puissance de la Nation, & non pas de celles qui sont tombées pendant la Guerre au pouvoir de l’ennemi.   Car celles-ci n'étant plus possédées par la Nation, c’est au Souverain seul, s’il a l’administration pleine & absoluë du Gouvernement, le Pouvoir de la Guerre & de la Paix ; c'est, dis-je, à lui seul de juger, s'il convient d'abandonner ces parties de l’État, ou de continuer la guerre, pour les recouvrer.   Et quand même on voudroit prétendre qu'il ne peut seul les aliéner validement ; il est, dans notre supposition, c’est-à-dire, s'il jouït de l’Empire plein & absolu ; il est, dis-je, en droit de promettre, que jamais la Nation ne reprendra les armes, pour recouvrer ces Terres, Villes, ou Provinces, qu'il abandonne : Et cela suffit pour en assurer la possession tranquille à l’Ennemi, qui les a conquises.

 

§.12       Comment le Souverain peut disposer dans le Traité de ce qui intéresse les particuliers

            La nécessité de faire la paix autorise le Souverain à disposer, dans le Traité, des choses mêmes qui appartiennent aux particuliers ; & le Domaine éminent lui en donne le droit (Liv.I §.244).   Il peut même, jusqu’à un certain point, disposer de leur personne, en vertu de la Puissance qu’il a sur tous ses sujets.   Mais l’État doit dédommager les Citoyens, qui souffrent de ces dispositions, faites pour l’avantage commun (ibid).

 

§.13       Si un Roi prisonnier de guerre peut faire la paix

            Tout empêchement, qui met le Prince hors d'état d'administrer les affaires du Gouvernement, lui ôte sans-doute le pouvoir de faire la paix.   Ainsi un Roi en bas âge, ou en démence, ne peut traiter de la paix : Cela n'a pas besoin de preuve.   Mais on demande si un Roi prisonnier de Guerre peut faire la paix, en conclure validement le Traité ? Quelques Auteurs célèbres (a(a) Vide Wolf.   Jus Gent.   §.982) distinguent ici entre le Roi dont le Royaume est Patrimonial, & celui qui n’en a que l’usufruit.   Nous croyons avoir détruit cette idée fausse & dangereuse, de Royaume Patrimonial (Liv. I §.68 & suiv.), & fait voir évidemment, qu'elle doit se réduire au seul pouvoir confié au Souverain, de désigner son Successeur, de donner un autre Prince à l’État, & d'en démembrer quelques parties, s'il le juge convenable ; le tout constamment pour le bien de la Nation, en vuë de son plus grand avantage.   Tout Gouvernement légitime, quel qu'il puisse être, est uniquement établi pour le bien & le salut de l’État.   Ce principe incontestable une fois posé ; la Paix n’est plus l’affaire propre du Roi ; c’est celle de la Nation.   Or il est certain qu'un Prince captif ne peut administrer l’Empire, vacquer aux affaires du Gouvernement.   Celui qui n’est pas libre, commandera-t-il à une Nation ? Comment la gouverneroit-il au plus grand avantage du peuple, & pour le salut public ? Il ne perd pas ses droits, il est vrai ; mais sa captivité lui ôte la faculté de les exercer, parce qu'il n’est pas en état d'en diriger l’usage à sa fin légitime : C’est le cas d'un Roi mineur, ou de celui dont la raison est altérée.   Il faut alors que celui, ou ceux, qui sont appellés à la Régence, par les Loix de l’État, prennent les rênes du Gouvernement.   C’est à eux de traiter de la paix, d'en arrêter les Conditions, & de la conclure, suivant les Loix.

 

            Le Souverain captif peut la négocier lui-même & promettre ce qui dépend de lui personnellement ; mais le Traité ne devient obligatoire pour la Nation, que quand il est ratifié par elle-même, ou par ceux qui sont dépositaires de l’Autorité Publique, pendant la captivité du Prince, ou enfin par lui-même, après sa délivrance.

 

            Au reste, si l’État doit, autant qu'il se peut, délivrer le moindre des Citoyens, qui a perdu sa Liberté pour la Cause publique, à plus forte raison est-il tenu de cette obligation envers son Souverain, envers ce Conducteur, dont les soins, les veilles & les travaux sont consacrés au bonheur & au salut communs.   Le Prince, fait prisonnier à la Guerre, n’est tombé dans un état, qui est le comble de la misère pour un homme d'une Condition si relevée, qu'en combattant pour son peuple ; ce même peuple hésitera-t-il à le délivrer au prix des plus grands sacrifices ? Rien, si ce n’est le salut même de l’État, ne doit être ménagé, dans une si triste occasion.   Mais le salut du peuple est, en toute rencontre, la Loi suprême ; & dans cette dure extrémité, un Prince généreux imitera l’exemple de REGULUS.   Ce Héros Citoyen, renvoyé à Rome sur sa parole, dissuada les Romains de le délivrer par un Traité honteux, quoiqu'il n'ignorât pas les supplices, que lui réservoit la cruauté des Carthaginois (a(a) Voyez Tite Live Epitom.   Lib XVIII & les autres Historiens). [...]

 


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