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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:10

Vattel-tome-II.jpgCHAPITRE VII

De la Neutralité & du passage des Troupes en pays neutre.

 

§.103     Des Peuples neutres

            Les Peuples neutres, dans une Guerre, sont ceux qui n'y prennent aucune part, demeurant Amis communs des deux partis, & ne favorisant point les armes de l’un, au préjudice de l’autre.   Nous avons à considérer les obligations & les droits, qui découlent de la Neutralité.

 

§.104     Conduite que doit tenir un peuple neutre

            Pour bien saisir cette question, il faut éviter de confondre ce qui est permis à une Nation libre de tout engagement, avec ce qu'elle peut faire, si elle prétend être traitée comme parfaitement neutre, dans une guerre.   Tant qu'un Peuple neutre veut jouïr sûrement de cet état, il doit montrer en toutes choses une exacte impartialité entre ceux qui se font la guerre.   Car s'il favorise l’un, au préjudice de l’autre, il ne pourra se plaindre, quand celui-ci le traitera comme adhérent & Associé de son Ennemi.   Sa Neutralité seroit une Neutralité frauduleuse, dont personne ne veut être la dupe.   On la souffre quelquefois, parce qu’on n’est pas en état de s'en ressentir ; on dissimule, pour ne pas s'attirer de nouvelles forces sur les bras.   Mais nous cherchons ici ce qui est de droit, & non ce que la prudence peut dicter, selon les conjonctures.   Voyons donc en quoi consiste cette impartialité, qu'un Peuple neutre doit garder.

 

            Elle se rapporte uniquement à la Guerre, & comprend deux choses :

 

            1°, Ne point donner de sécours, quand on n'y est pas obligé, ne fournir librement ni Troupes, ni Armes, ni Munitions, ni rien de ce qui sert directement la Guerre.   je dis ne point donner de sécours, & non pas en donner également, car il seroit absurde qu'un Etat sécourût en même-tems deux Ennemis : Et puis il seroit impossible de le faire avec égalité ; les mêmes choses, le même nombre de Troupes, la même quantité d'armes, de munitions &c, fournies en des circonstances différentes, ne forment plus des sécours équivalens.  

 

            2°, Dans tout ce qui ne regarde pas la Guerre, une Nation neutre & impartiale ne refusera point à l’un des partis, à raison de la querelle présente, ce qu'elle accorde à l’autre.   Ceci ne lui ôte point la liberté, dans ses Négociations, dans ses liaisons d'Amitié, & dans son Commerce, de se diriger sur le plus grand bien de l’Etat.   Quand cette raison l’engage à des préférences, pour des choses, dont chacun dispose librement ; elle ne fait qu’user de son droit : il n’y a point là de partialité.   Mais si elle refusoit quelqu'une de ces choses-là à l’un des partis, uniquement parce qu'il fait la guerre à l’autre, pour favoriser celui-ci, elle ne garderoit plus une exacte neutralité.

 

§.105     Un Allié peut fournir le sécours qu'il doit, & rester neutre

            J'ai dit qu'un Etat neutre ne doit donner du sécours ni à l’un ni à l’autre des deux partis, quand il n'y est pas obligé.   Cette restriction est nécessaire.   Nous avons déjà vû, que quand un Souverain fournit le sécours modéré, qu'il doit en vertu d'une ancienne Alliance défensive, il ne s'associe point à la Guerre (§.101) : il peut donc s'acquitter de ce qu'il doit, & garder du reste une exacte Neutralité.   Les exemples en sont fréquens en Europe.

 

§.106     Du droit de demeurer neutre

            Quand il s’élève une Guerre entre deux Nations, toutes les autres, qui ne sont point liées par des Traités, sont libres de demeurer neutres ; si quelqu'un vouloit les contraindre à se joindre à lui, il leur feroit injure, puisqu'il entreprendroit sur leur indépendance, dans un point trés-essentiel.   C’est à elles uniquement de voir si quelque raison les invite à prendre parti ; & elles ont deux choses à considérer :

 

            1°, La justice de la Cause.   Si elle est évidente, on ne peut favoriser l’injustice ; il est beau, au contraire, de sécourir l’innocence opprimée, lorsqu'on en à le pouvoir.   Si la Cause est douteuse, les Nations peuvent suspendre leur jugement, & ne point entrer dans une querelle étrangère.  

 

            2°, Quand elles voient de quel côté est la justice, il reste encore à examiner s'il est du bien de l’Etat de se mêler de cette affaire & de s'embarquer dans la guerre.

 

§.107     Des Traités de Neutralité

            Une Nation qui fait la Guerre, ou qui se prépare à faire, prend souvent le parti de proposer un Traité de Neutralité à celle qui lui est suspecte.   Il est prudent de sçavoir de bonne-heure à quoi s'en tenir, & de ne point s'exposer à voir tout-à-coup un Voisin se joindre à l’Ennemi, dans le plus fort de la guerre.   En toute occasion où il est permis de rester neutre, il est permis aussi de s'y engager par un Traité.

 

            Quelquefois même cela devient permis par nécessité.   Ainsi, quoiqu’il soit du devoir de toutes les Nations de sécourir l’innocence opprimée (L.II §.4) ; si un Conquérant injuste, prêt à envahir le bien d'autrui, me présente la Neutralité, lorsqu'il est en état de m'accabler, que puis-je faire de mieux que de l’accepter ? J'obéis à la nécessité ; & mon impuissance me décharge d'une obligation naturelle.   Cette même impuissance me dégageroit même d'une obligation parfaite, contractée par une Alliance.   L’Ennemi de mon Allié me menace avec des forces très-supérieures ; mon sort est en sa main : il exige que je renonce à la liberté de fournir aucun sécours contre lui.   La nécessité, le soin de mon salut, me dispensent de mes engagemens.   C’est ainsi que Louis XIV força VICTOR-AMEDEE Duc de Savoye, à quitter le parti des Alliés.   Mais il faut que la nécessité soit très-pressante.   Les lâches seuls, ou les perfides, s’autorisent de la moindre crainte, pour manquer à leurs promesses, ou pour trahir leur devoir.   Dans la dernière Guerre, le Roi de Pologne Electeur de Saxe & le Roi de Sardaigne ont tenu ferme contre le malheur des événemens, & ils ont eû la gloire de ne point traiter sans leurs Alliés.

 

§.108     Nouvelle raison de faire ces Traités

            Une autre raison rend les Traités de Neutralité utiles & même nécessaires.   La Nation qui veut assurer sa tranquillité, lorsque le feu de la Guerre s'allume dans son Voisinage, n'y peut mieux réussir qu'en concluant avec les deux partis des Traités, dans lesquels on convient expressément de ce que chacun pourra faire, ou exiger, en vertu de la neutralité.   C'est le moyen de se maintenir en paix, & de prévenir toute difficulté, toute chicane.

 

§.109     Fondement des règles sur la neutralité

            Si l’on n'a point de pareils Traités, il est à craindre qu'il ne s'élève souvent des disputes sur ce que la Neutralité permet, ou ne permet pas.   Cette matière offre bien des Questions, que les Auteurs ont agitées avec chaleur, & qui ont excité entre les Nations des querelles plus dangereuses.   Cependant le Droit de la Nature & des Gens à ses Principes invariables, & peut fournir des Règles, sur cette matière, comme sur les autres.   Il est aussi des choses qui ont passé en Coûtume entre les Nations policées, & auxquelles il faut se conformer, si l’on ne veut pas s'attirer le blâme de rompre injustement la paix.   Quant aux Régles du Droit des Gens Naturel, elles résultent d'une juste combinaison des Droits de la Guerre, avec la Liberté, le salut, les avantages, le Commerce & les autres Droits des Nations neutres.   C’est sur ce principe, que nous formerons les Règles suivantes.

 

§.110     Comment on peut permettre des Levées, prêter de l’argent, ou vendre toute sorte de choses, sans rompre la neutralité

            Prémiérement, tout ce qu'une Nation fait en usant de ses droits, & uniquement en vuë de son propre bien, sans partialité, sans dessein de favoriser une Puissance au préjudice d'une autre ; tout cela, dis-je, ne peut, en général, être regardé comme contraire à la Neutralité, & ne devient tel que dans ces occasions particulières, où il ne peut avoir lieu sans faire tort à l’un des partis, qui a alors un droit particulier de s'y opposer.   C’est ainsi que l’Assiégeant à droit d'interdire l’entrée de la Place assiégée (voyez ci-dessous le §.117).   Hors ces sortes de cas, ses querelles d'autrui m'ôteront-elles la libre disposition de mes droits, dans la poursuite des mesures que je croirai salutaires à ma Nation ? Lors donc qu'un Peuple est dans l’usage, pour occuper & pour exercer ses sujets, de permettre des Levées de Troupes en faveur de la Puissance à qui si veut bien les confier ; l’Ennemi de cette Puissance ne peut traiter ces permissions d'hostilités, à moins qu'elles ne soient données pour envahir ses Etats, ou pour la défense d'une Cause odieuse & manifestement injuste.   Il ne peut même prétendre de droit, qu’on lui en accorde autant ; parceque ce Peuple peut avoir des raisons de le refuser, qui n'ont pas lieu à l’égard du parti contraire ; & c’est à lui de voir ce qui lui convient.   Les Suisses, comme nous l’avons déja dit, accordent des Levées de Troupes à qui il leur plait ; & personne jusqu'ici ne s’est avisé de leur faire la guerre à ce sujet.   Il faut avouer cependant, que si ces Levées étoient considérables, si elles faisoient la principale force de mon Ennemi, tandis que, sans alléguer de raisons solides, on m'en refuseroit absolument ; j'aurais tout lieu de regarder ce Peuple comme ligué avec mon Ennemi ; & en ce cas, le soin de ma propre sûreté m'autoriseroit à le traiter comme tel.

 

            Il en est de même de l’argent, qu'une Nation auroit coûtume de prêter à usure.   Que le Souverain, ou ses sujets prêtent ainsi leur argent à mon Ennemi, & qu’ils me le refusent, parce qu’ils n'auront pas la même confiance en moi ; ce n’est pas enfreindre la Neutralité : Ils placent leurs fonds là où ils croient trouver leur Sûreté.   Si cette préférence n'est pas fondée en raisons, je puis bien l’attribuer à mauvaise volonté envers moi, ou à prédilection pour mon Ennemi.   Mais si j'en prenois occasion de déclarer la Guerre, je ne serois pas moins condamné par les vrais principes du Droit des Gens, que par l’usage, heureusement établi en Europe.   Tant qu'il paroit que cette Nation prête son argent uniquement pour s'en procurer l’intérêt ; elle peut en disposer librement & selon sa prudence, sans que je sois en droit de me plaindre.

 

            Mais si le prêt se faisoit manifestement pour mettre un Ennemi en état de m'attaquer ; ce seroit concourrir à me faire la guerre.

 

            Que si ces Troupes étoient fournies à mon Ennemi par l’Etat lui-même, & à ses fraix, ou l’argent prêté de même par l’Etat, sans intérêt ; ce ne seroit plus une question de sçavoir, si un pareil sécours se trouveroit incompatible avec la Neutralité.

 

            Disons encore, sur les mêmes principes, que si une Nation commerce en Armes, en bois de construction, en Vaisseaux, en Munitions de Guerre, je ne puis trouver mauvais qu'elle vende de tout cela à mon Ennemi, pour vû qu'elle ne refuse pas de m'en vendre aussi à un prix raisonnable : Elle exerce son trafic, sans dessein de me nuire ; & en le continuant, comme si je n'avais point de guerre, elle ne me donne aucun juste sujet de plainte.

 

§.111     Du Commerce des Nations neutres avec celles qui sont en guerre

            Je Suppose, dans ce que je viens de dire, que mon Ennemi va acheter lui-même dans un pays neutre.   Parlons maintenant d'un autre cas, du Commerce que les Nations neutres vont exercer chez mon Ennemi.   Il est certain que, ne prenant aucune part à ma querelle, elles ne sont point tenuës de renoncer à leur trafic, pour éviter de fournir à mon Ennemi les moyens de me faire la guerre.   Si elles affectoient de ne me vendre aucun de ces articles, en prenant des mesures pour les porter en abondance à mon Ennemi, dans la vuë manifeste de le favoriser ; cette partialité les tireroit de la Neutralité.   Mais si elles ne font que suivre tout uniment à leur Commerce, elles ne le déclarent point par là contre mes intérêts ; elles exercent un droit, que rien ne les oblige de me sacrifier.

 

            D'un autre côté, dés que je suis en guerre avec une Nation, mon salut & ma sûreté demandent que je la prive, autant qu'il est en mon pouvoir, de tout ce qui peut la mettre en état de me résister & de me nuire.   Ici le Droit de nécessité déploye sa force.   Si ce droit m'autorise bien, dans l’occasion, à me saisir de ce qui appartient à autrui, ne pourra-t-il m'autoriser à arrêter toutes les choses appartenantes à la Guerre, que des peuples neutres conduisent à mon Ennemi ? Quand je devrois par là me faire autant d'ennemis de ces peuples neutres, il me conviendroit de le risquer, plûtôt que de laisser fortifier librement celui qui me fait actuellement la guerre.   Il est donc très-à-propos, très-convenable au Droit des Gens, qui défend de multiplier les sujets de guerre, de ne point mettre au rang des hostilités ces sortes de saisies, faites sur des Nations neutres.   Quand je leur ai notifié ma Déclaration de Guerre à tel ou tel Peuple ; si elles veulent s'exposer à lui porter des choses qui servent à la Guerre, elles n'auront pas sujet de se plaindre, au cas que leurs Marchandises tombent dans mes mains, de même que je ne leur déclare pas la guerre, pour avoir tenté de les porter.   Elles souffrent, il est vrai, d'une Guerre, à laquelle elles n'ont point de part ; mais c’est par accident, je ne m'oppose point à leur droit, j’use seulement du mien ; & si nos droits se croisent & se nuisent réciproquement, c’est par l’effet d'une nécessité inévitable.   Ce conflict arrive tous les jours dans la Guerre.   Lorsqu’usant de mes droits, j’épuise un pays, d'où vous tiriez votre subsistance, lorsque j'assiége une Ville, avec laquelle vous faisiez un riche Commerce ; je vous nuis sans-doute, je vous cause des pertes, des incommodités ; mais c’est sans dessein de vous nuire ; je ne vous fais point injure, puisque j’use de mes droits.

 

            Mais afin de mettre des bornes à ces inconvéniens, de laisser subsister la liberté du Commerce, pour les Nations neutres, autant que les Droits de la Guerre peuvent le permettre, il est des règles à suivre, & desquelles il semble que l’on soit assez généralement convenu en Europe.

 

§.112     Des Marchandises de contrebande

            La prémière est de distinguer soigneusement les Marchandises communes, qui n'ont point de rapport à la Guerre, de celles qui y servent particulièrement.   Le Commerce des premières doit être entièrement libre aux Nations neutres ; les Puissances en guerre n'ont aucune raison de le leur refuser, d'empêcher le transport de pareilles marchandises chez l’Ennemi : Le soin de leur Sûreté, la nécessité de se défendre, ne les y autorise point, puisque ces choses ne rendront pas l’ennemi plus formidable.   Entreprendre d'en interrompre, d'en interdire le Commerce, ce seroit violer les droits des Nations neutres & leur faire injure ; la nécessité comme nous venons de le dire, étant la seule raison, qui autorise à gêner leur Commerce & leur navigation dans les ports de l’Ennemi.   L’Angleterre & les Provinces-Unies étant convenuës le 22 Août 1689 par le Traité de Wittehall, de notifier à tous les Etats qui n'étoient pas en guerre avec la France, qu'elles attaqueraient, & qu'elles déclaroient d'avance de bonne prise, tout Vaisseau destiné pour un des ports de ce Royaume, ou qui en sortiroit ; la Suéde & le Dannemarck, sur qui on avoit fait quelques prises, se liguèrent le 17 Mars 1693 pour soutenir leurs droits & se procurer une juste satisfaction.   Les deux Puissances Maritimes, reconnoissant que les plaintes des deux Couronnes étoient bien fondées, leur firent justice (a(a) Voyez d'autres exemptes dans GROTIUS L.III Ch.I §.V not.6).

 

            Les choses qui sont d'un usage particulier pour la Guerre, & dont on empêche le transport chez l’Ennemi, s'appellent Marchandise de Contrebande.   Telles sont les Armes, les Munitions de Guerre, les bois & tout ce qui sert à la construction & à l’armement des Vaisseaux de Guerre, les Chevaux, & les vivres mêmes, en certaines occasions, où l’on espère de réduire l’Ennemi par la faim.

 

§.113     Si l’on peut confisquer ces marchandises

            Mais pour empêcher le transport des Marchandises de Contrebande chez l’Ennemi, doit-on se borner à les arrêter, à les saisir, en en payant le prix au propriétaire ; ou bien est-on en droit de les confisquer ? Se contenter d'arrêter ces marchandises, seroit le plus souvent un moyen inefficace, principalement sur mer, où il n’est pas possible de couper tout accès aux ports de l’Ennemi.   On prend donc le parti de confisquer toutes les Marchandises de Contrebande dont on peut se saisir, afin que la crainte de perdre servant de frein à l’avidité du gain, les Marchands des pays neutres s’abstiennent d'en porter à l’Ennemi.   Et certes il est d'une si grande importance pour une Nation qui fait la Guerre, d'empêcher, autant qu'il est en son pouvoir, que l’on ne porte à son Ennemi des choses qui le fortifient & le rendent plus dangereux, que la nécessité, le soin de son salut & de sa sûreté l’autorisent à y employer des moyens efficaces, à déclarer qu'elle regardera comme de bonne prise toutes les choses de cette nature, que l’on conduira à son Ennemi.   C’est pourquoi elle notifie aux Etats neutres sa Déclaration de Guerre (§.63) : Sur quoi ceux-ci avertissent ordinairement leurs sujets de s’abstenir de tout Commerce de contrebande avec les peuples qui sont en guerre, leur déclarant, que s'ils y sont pris, le Souverain ne les protégera point.   C’est à quoi les Coûtumes de l’Europe paroissent aujourd’hui s'être généralement fixées, après bien des variations, comme on peut le voir dans la Note de GROTIUS, que nous venons de citer, & particulièrement par les Ordonnances des Rois de France, des années 1543.   & 1584, lesquelles permettent seulement aux François de se saisir des Marchandises de Contrebande & de les garder, en en payant la valeur.   L’usage moderne est certainement ce qu'il y a de plus convenable aux devoirs mutuels des Nations, & de plus propre à concilier leurs droits respectifs.   Celle qui fait la Guerre à le plus grand intérêt à priver son Ennemi de toute assistance étrangère, & par là elle est en droit de regarder, sinon absolument comme ennemis, au moins comme gens qui se soucient fort peu de lui nuire, ceux qui portent à son Ennemi les choses dont il a besoin pour la Guerre : Elle les punit par la confiscation de leurs marchandises.   Si le Souverain de ceux-ci entreprenoit de le protéger, ce seroit comme s'il vouloit fournir lui-même cette espèce de sécours : Démarche contraire sans-doute à la Neutralité.   Une Nation, qui sans autre motif que l’appât du gain, travaille à fortifier mon Ennemi, & ne craint point de me causer un mal irréparable ; cette Nation n’est certainement pas mon Amie (a(a) De nos jours le Roi d’Espagne interdit l’entrée de ses ports aux Vaisseaux de Hambourg, parceque cette Ville s'étoit engagée à fournir des Munitions de Guerre aux Algériens, & l’a ainsi obligée à rompre son Traité avec les Barbaresques.), & elle me met en droit de la considérer & de la traiter comme Associée de mon Ennemi.   Pour éviter donc des sujets perpétuels de plainte & de rupture, on est convenu, d'une manière tout-à-fait conforme aux vrais principes, que les Puissances en guerre pourront saisir & confisquer toutes les Marchandises de Contrebande, que des personnes neutres transporteront chez leur Ennemi, sans que le Souverain de ces personnes-là s'en plaigne ; comme, d'un autre côté, la Puissance en guerre n'impute point aux Souverains neutres, ces entreprises de leurs sujets.   On a soin même de régler en détail toutes ces choses dans des Traités de Commerce & de Navigation.

 

§.114     De la visite des Vaisseaux neutres

            On ne peut empêcher le transport des effets de Contrebande si l’on ne visite pas les Vaisseaux neutres, que l’on rencontre en mer.   On est dont en droit de les visiter.   Quelques Nations puissantes ont refusé en différens tems, de se soumettre à cette visite.   « Après la paix de Vervins, la Reine ELISABETH continuant la Guerre avec l’Espagne, pria le Roi de France de permettre qu'elle fit visiter les Vaisseaux François qui alloient en Espagne, pour savoir s'ils n'y portoient point de Munitions de guerre cachées : Mais on le refusa, par la raison que ce seroit une occasion de favoriser le pillage, & de troubler le Commerce (a(a) GROTIUS, ubi suprà.). » Aujourd’hui un Vaisseau neutre qui refuseroit de souffrir la visite, se feroit condamner par cela seul, comme étant de bonne prise.   Mais pour éviter les inconvéniens, les vexations & tout abus, on règle, dans les Traités de Navigation & de Commerce, la manière dont la visite se doit faire.   Il est reçu aujourd'hui, que l’on doit ajoûter foi aux Certificats, Lettres de mer &c. que présente le Maître du Navire, à moins qu'il n'y paroisse de la fraude, ou qu’on n’ait de bonnes raisons d'en soupçonner.

 

§.115     Effets de l’Ennemi sur un vaisseau neutre

            Si l’on trouve sur un Vaisseau neutre des effets appartenants aux Ennemis, on s'en saisit par le droit de la Guerre ; mais naturellement on doit payer le frêt au Maître du Vaisseau, qui ne peut souffrir de cette saisie.

 

§.116     Effets neutres sur un vaisseau ennemi

            Les effets des peuples neutres, trouvés sur un Vaisseau ennemi doivent être rendus aux propriétaires, sur qui on n'a aucun droit de les confisquer ; mais sans indemnité pour retard, dépérissement &c.   La perte que les propriétaires neutres souffrent en cette occasion, est un accident, auquel ils se sont exposés en chargeant sur un Vaisseau ennemi ; & celui qui prend ce Vaisseau en usant du Droit de la Guerre, n'est point responsable des accidens qui peuvent en résulter, non plus que si son canon tuë sur un bord ennemi, un passager neutre, qui s'y rencontre pour son malheur.

 

§.117     Commerce avec une Place assiégée

            Jusques-ici nous avons parlé du Commerce des peuples neutres avec les Etats de l’Ennemi en général.   Il est un cas particulier, les Droits de la Guerre s'étendent plus loin.   Tout Commerce absolument est défendu avec une Ville assiégée.   Quand je tiens une Place allégée, ou seulement bloquée, je suis en droit d’empêcher que personne n'y entre, & de traiter en ennemi quiconque entreprend d'y entrer sans ma permission, ou d'y porter quoi que ce soit ; car il s'oppose à mon entreprise ; il peut contribuer à la faire échouer, & par là, me faire tomber dans tous les maux d'une Guerre malheureuse.   Le Roi DEMETRIUS fit pendre le Maître & le Pilote d'un Vaisseau, qui portoit des vivres à Athènes, lorsqu’il étoit sur le point de prendre cette Ville par famine (a(a) PLUTARQUE, in Demetrio).   Dans la longue & sanglante Guerre, que les Provinces-Unies ont soutenuë contre l’Espagne, pour recouvrer leur Liberté, elles ne voulurent point souffrir que les Anglois portassent des Marchandises à Dunkerque, devant laquelle elles avoient une flotte (b(b) GROTIUS, dans la note déja citée.).

 

§.118     Offices impartiaux des Peuples neutres

            Un Peuple neutre conserve avec les deux partis qui se font la guerre, les rélations, que la Nature à mises entre les Nations : il doit être prêt à leur rendre tous les Offices d'humanité, que les Nations se doivent mutuellement ; il doit leur donner, dans tout ce qui ne regarde pas directement la Guerre, toute l’assistance qui est en son pouvoir, & dont ils ont besoin.   Mais il doit la donner avec impartialité c’est-à-dire ne rien refuser à l’un des partis, par la raison qu'il fait la guerre à l’autre (§.104) : Ce qui n'empêche point que, si cet Etat neutre à des rélations particulières d'Amitié & de bon Voisinage avec l’un de ceux qui se font la guerre, il ne puisse lui accorder, dans tout ce qui n'appartient pas à la Guerre, ces préférences, qui sont duës aux Amis.   A plus forte raison pourra-t-il, sans conséquence, lui continuer dans le Commerce, par exemple, des faveurs stipulées dans leurs Traités.   Il permettra donc également aux sujets des deux partis, autant que le bien public pourra le souffrir, de venir dans son territoire pour leurs affaires, d'y acheter des vivres, des Chevaux, & généralement toutes les choses dont ils auront besoin ; à moins que par un Traité de Neutralité, il n’ait promis de refuser à l’un & à l’autre les choses qui servent à la Guerre.   Dans toutes les Guerres qui agitent l’Europe, les Suisses maintiennent leur Territoire dans la Neutralité : Ils permettent à tout le monde indistinctement d'y venir acheter des vivres, si le pays en à de reste, des Chevaux, des Munitions, des Armes.

 

§.119     Du passage des Troupes en pays neutre

            Le passage innocent est dû à toutes les Nations avec lesquelles on vit en paix (L.II §.123), & ce devoir s'étend aux Troupes comme aux particuliers.   Mais c’est au Maître du Territoire de juger si le passage est innocent (Ibid. §.128) & il est très-difficile que celui d'une Armée le soit entièrement.   Les Terres de la République de Venise, celles du Pape, dans les dernières Guerres d'Italie, ont souffert de très-grands dommages, par le passage des Armées, & sont devenuës souvent le Théatre de la guerre.

 

§.120     On doit demander le passage

            Le passage des Troupes, & sur-tout d'une Armée entière n'étant donc point une chose indifférente ; celui qui veut passer dans un pays neutre avec des Troupes doit en demander la permission au Souverain.   Entrer dans son territoire sans son aveu, c’est violer ses Droits de Souveraineté & de haut Domaine, en vertu desquels, nul ne peut disposer de ce territoire, pour quelque usage que ce soit, sans sa permission, expresse, ou tacite.   Or on ne peut présumer une permission tacite, pour l’entrée d'un Corps de Troupes, entrée qui peut avoir des suites si sérieuses.

 

§.121     Il peut être refusé pour de bonnes raisons

            Si le Souverain neutre à de bonnes raisons de refuser le passage il n'est point obligé de l’accorder ; puisqu'en ce cas, le passage n’est plus innocent (L.II §.127).

 

§.122     En quel cas on peut le forcer

            Dans tous les cas douteux, il faut s'en rapporter au jugement du Maître, sur l’innocence de l’usage qu’on demande à faire des choses appartenantes à autrui (L.II §§.128 & 130), & souffrir son refus, bien qu’on le croye injuste.   Si l’injustice du refus étoit manifeste, si l’usage, &, dans le cas dont nous parlons, le passage étoit indubitablement innocent ; une Nation pourroit se faire justice à elle-même, & prendre de force, ce qu’on lui refuseroit injustement.   Mais nous l’avons déja dit, il est très-difficile que le passage d'une Armée soit entièrement innocent, & qu’il le soit bien évidemment ; Les maux qu'il peut causer, les dangers qu'il peut attirer sont si variés, ils tiennent à tant de choses, sont si compliqués, qu'il est presque toûjours impossible de tout prévoir, de pourvoir à tout.   D'ailleurs, l’intérêt propre influë si vivement dans les jugemens des hommes.   Si celui qui demande le passage peut juger de son innocence ; il n'admettra aucune des raisons qu’on lui opposera ; & vous ouvrez la porte à des querelles, à des hostilités continuelles.   La tranquillité & la sûreté commune des Nations exigent donc que chacune soit maîtresse de son territoire, & libre d'en refuser l’entrée à toute Armée étrangère, quand elle n'a point dérogé là-dessus à sa Liberté naturelle par des Traités.   Exceptons-en seulement ces cas très-rares, où l’on peut faire voir de la manière la plus évidente, que le passage demandé est absolument sans inconvénient & sans danger.   Si le passage est forcé en pareille occasion, on blâmera moins celui qui le force, que la Nation qui attiré mal-à-propos cette violence.   Un autre cas s'excepte de lui-même & sans difficulté, c’est celui d'une extrême nécessité.   La nécessité urgente & absoluë suspend tous les droits de Propriété (Liv.II II §§.119.   & 123) ; & si le maître n’est pas dans le même cas de nécessité que vous, il vous est permis de faire usage malgré lui, de ce qui lui appartient.   Lors donc qu'une Armée se voit exposée à périr, ou ne peut retourner dans son pays, à moins qu'elle ne passe sur des terres neutres ; elle est en droit de passer malgré le Souverain de ces terres, & de s'ouvrir un passage l’épée à la main.   Mais elle doit demander d'abord le passage, offrir des sûretés, & payer les dommages qu'elle aura causés.   C’est ainsi qu'en usèrent les Grecs, en revenant d’Asie, sous la conduite d'AGESILAS (a(a) PLUTARQUE, vie d'Agésiras.).

 

            L’extrême nécessité peut même autoriser à se saisir pour un tems d'une Place neutre, à y mettre Garnison, pour se couvrir contre l’Ennemi, ou pour le prévenir dans les desseins qu’il a sur cette même Place, quand le maître n'est pas en état de la garder.   Mais il faut la rendre, aussi-tôt que le danger est patté, en payant tous les fraix, les incommodités & les dommages, que l’on aura causés.

 

§.123     La crainte du danger peut autoriser à le refuser

            Quand la nécessité n'exige pas le passage, le seul danger qu'il y a à recevoir chez soi une Armée puissante, peut autoriser à lui refuser l’entrée du pays.   On peut craindre qu'il ne lui prenne envie de s'en emparer, ou au moins d'y agir en maître, d'y vivre à discrétion.   Et qu’on ne nous dise point avec GROTIUS (b(b) Liv.II chap.II §.XIII n.5.), que notre crainte injuste ne prive pas de son droit celui qui demande le passage.   La crainte probable, fondée sur de bonnes raisons, nous donne le droit d'éviter ce qui peut la réaliser ; & la conduite des Nations ne donne que trop de fondement à celle dont nous parlons ici.   D'ailleurs le droit de passage n’est point un droit parfait, si ce n'est dans le cas d'une nécessité pressante, ou lorsque l’innocence du passage est de la plus parfaite évidence.

 

§.124     Ou à exiger toute sûreté raisonnable

            Mais je suppose dans le paragraphe précédant, qu’il ne soit pas praticable de prendre des sûretés capables d'ôter tout sujet de craindre les entreprises & les violences de celui, qui demande à passer.   Si l’on peut prendre ces sûretés, dont la meilleure est de ne laisser passer que par petites bandes, & en consignant les armes, comme cela s'est pratiqué (a(a) Chez les Eléens & chez les anciens habitans de Cologne, Voyez GROTIUS ibid.) ; la raison prise de la crainte ne subsiste plus.   Mais celui qui veut passer doit se prêter à toutes les sûretés raisonnables qu’on exige de lui, & par conséquent, passer par divisions & consigner les armes, si on ne veut pas le laisser passer autrement.   Ce n’est point à lui de choisir les sûretés qu'il doit donner.   Des Otages, une Caution seroient souvent bien peu capables de rassurer.   De quoi me servira-t-il de tenir des Otages de quelqu'un, qui se rendra maître de moi ? Et la Caution est bien peu sûre contre un Principal trop puissant.

 

§.125     Si l’on est toûjours obligé de se prêter à toute sorte de sûretés

            Mais est-on toûjours obligé de se prêter à tout ce qu’exige une Nation pour sa sûreté, quand on veut parer sur ses terres ? Il faut d'abord distinguer entre ses causes du passage, & ensuite on doit faire attention aux mœurs de la Nation à qui le demande.   Si on n'a pas un besoin essentiel du passage, & qu’on ne puisse l’obtenir qu'à des conditions suspectes ou désagréables, il faut s'en abstenir, comme dans le cas d'un refus (§.122).   Mais si la nécessité m'autorise à passer ; les conditions auxquelles on veut me le permettre, peuvent se trouver acceptables, ou suspectes & dignes d'être rejettées, selon les mœurs du peuple à qui j’ai affaire.   Supposé que j'ai à traverser les terres d'une Nation barbare, féroce, & perfide ; me remettrai-je à sa discrétion, en livrant mes armes, en faisant passer mes Troupes par divisions ? Je ne pense pas que personne me condamne à une démarche si périlleuse.   Comme la nécessité m’autorise à passer, c’est encore une espéce de nécessité pour mol, de ne passer que dans une posture à me garentir de toute embuche, de toute violence.   J’offrirai toutes les sûretés, que je puis donner sans m’exposer moi-même follement ; & si on ne veut pas s'en contenter, je n'ai plus de conseil à prendre que de la nécessité & de la prudence : J'ajoûte, & de la modération la plus scrupuleuse ; afin de ne point aller au-delà du droit que me donne la nécessité.

 

§.126     De l’égalité qu'il faut garder, quant au passage, entre les deux parties

            Si l’Etat neutre accorde ou refuse le passage à l’un de ceux qui sont en guerre, il doit l’accorder ou le refuser de même à l’autre, à moins que le changement des circonstances ne lui fournisse de solides raisons d'en user autrement.   Sans des raisons de cette nature, accorder à l’un ce que l’on refuse à l’autre, ce seroit montrer de la partialité & sortir de l’exacte neutralité.

 

§.127     On ne peut se plaindre de l’Etat neutre qui accorde le passage

            Quand je n'ai aucune raison de refuser le passage, celui contre qui il est accordé ne peut s'en plaindre, encore moins en prendre sujet de me faire la guerre ; puisque je n'ai fait que me conformer à ce que le Droit des Gens ordonne (§.119).   Il n’est point en droit non plus d'exiger que je refuse le passage ; puisqu'il ne peut m'empêcher de faire ce que je crois conforme à mes devoirs.   Et dans les occasions même où je pourrais avec Justice refuser le passage, il m’est permis de ne pas user de mon droit, Mais sur-tout, lorsque je serois obligé de soutenir mon refus les armes à la main, qui osera se plaindre de ce que j’ai mieux aimé lui laisser aller la Guerre, que de la détourner sur moi ? Nul ne peut exiger que je prenne les armes en sa faveur, si je n'y suis pas obligé par un Traité.   Mais les Nations, plus attentives à leurs intérêts qu'à l’observation d'une exacte Justice, ne laissent pas, souvent, de faire sonner bien haut ce prétendu sujet de plainte.   A la Guerre principalement, elles s'aident de tous moyens ; & si par leurs menaces elles peuvent engager un voisin à refuser passage à leurs Ennemis, la plûpart de leurs Conducteurs ne voient dans cette conduite qu'une sage Politique.

 

§.128     Cet Etat peut le refuser par la crainte des maux qu'il lui attireroit de la part du parti contraire

            Un Etat puissant bravera ces menaces injustes, & ferme dans ce qu'il croit être de sa justice & de sa gloire, il ne se laissera point détourner par la crainte d'un ressentiment mal fondé : il ne souffrira pas même la menace.   Mais une Nation foible, peu en état de se soutenir avec avantage, sera forcée de penser à son salut ; & ce soin important l’autorisera à refuser un passage, qui l’exposeroit à de trop grands dangers.

 

§.129     Et pour éviter de rendre son pays le théatre de la guerre

            Une autre crainte peut l’y autoriser encore ; c’est celle d'attirer dans son pays les maux & les désordres de la Guerre.   Car si même celui contre qui le passage est demandé garde assez de modération pour ne pas employer la menace à le faire refuser, il prendra le parti de le demander aussi de son côté, il ira au devant de son Ennemi ; & de cette maniére, le pays neutre deviendra le théatre de la Guerre.   Les maux infinis qui en résulteroient, sont une très-bonne raison de refuser le passage.   Dans tous ces cas, celui qui entreprend de le forcer, fait injure à la Nation neutre, & lui donne le plus juste sujet de joindre ses armes à celles du parti contraire.   Les Suisses ont promis à la France, dans leurs Alliances, de ne point donner passage à ses Ennemis.   Ils le refusent constamment à tous les Souverains qui sont en guerre, pour éloigner ce fléau de leurs frontières : Et ils sçavent faire respecter leur Territoire.   Mais ils accordent le passage aux recruës, qui passent par petites bandes, & sans armes.

 

§.130     De ce qui est compris dans la concession du passage

            La concession du passage comprend celle de tout ce qui est naturellement lié avec le passage des Troupes, & des choses sans lesquelles il ne pourroit avoir lieu : Telles sont la liberté de conduire avec soi tout ce qui est nécessaire à une Armée, celle d'exercer la Discipline Militaire sur les soldats & Officiers, & la permission d'acheter à juste prix les choses dont l’Armée aura besoin ; à moins que, dans la crainte de la disette, on n’ait réservé qu'elle portera tous ses vivres avec elle.

 

§.131     Sûreté du passage

            Celui qui accorde le passage doit le rendre sûr, autant qu'il est en lui.   La bonne-foi le veut ainsi : En user autrement, ce seroit attirer celui qui passe dans un piège.

 

§.132     On ne peut exercer aucune hostilité en pays neutre

            Par cette raison, & parceque des Etrangers ne peuvent rien faire dans un Territoire, contre la volonté du Souverain, il n’est pas permis d'attaquer son Ennemi dans un pays neutre, ni d'y exercer aucun autre acte d'hostilité.   La Flotte Hollandoise des Indes-Orientales s'étant retirée dans le port de Borgue en Norvège, l’an 1666, pour échapper aux Anglais, l’Amiral ennemi osa l’y attaquer.   Mais le Gouverneur de Borgne fit tirer le canon sur les assaillans & la Cour de Dannemark se plaignit, trop mollement peut-être, d'une entreprise si injurieuse à sa Dignité & à ses Droits (a(a) l’Auteur Anglois de l’État présent du Dannemark prétend que les Danois avoit donné parole de livrer la Flotte Hollandoise ; mais qu’elle fut sauvée par quelques présents, faits à propos à la Gour de Coppenhague.   Etat présent du Dannemark, chap.X.).   Conduire des prisonniers, mener son butin en lieu de sûreté, sont des actes de Guerre ; on ne peut donc les faire en pays neutre, & celui qui le permettroit, sortiroit de la neutralité, en favorisant l’un des partis.   Mais je parle ici de prisonniers & de butin qui ne sont pas encore parfaitement en la puissance de l’ennemi, dont la capture n’est pas encore, pour ainsi dire pleinement consommée.   Par exemple, un parti faisant la petite guerre, ne pourra se servir d'un pays Voisin & neutre, comme d'un entrepôt, pour y mettre ses prisonniers & son butin en sûreté.   Le souffrir, ce seroit favoriser & soutenir ses hostilités.   Quand la prise est consommée, le butin absolument en la puissance de l’ennemi ; on ne s’informe point d'où lui viennent ces effets ; ils sont à lui, il en dispose en pays neutre.   Un Armateur conduit sa Prise dans le prémier port neutre, & l’y vend librement.   Mais il ne pourroit y mettre à terre ses prisonniers, pour les tenir captifs ; parceque garder & retenir des prisonniers de guerre, c’est une continuation d'hostilités.

 

§.133     Ce pays ne doit pas donner retraite à des Troupes, pour attaquer de nouveau leurs ennemis

            D'un autre côté, il est certain que si mon voisin donnoit retraite à mes Ennemis, lorsqu’ils auroient du pire & se trouveroient trop foibles pour m’échapper, leur laissant le tems de se refaire, & d’épier l’occasion de tenter une nouvelle irruption sur mes terres ; cette conduite, si préjudiciable à ma sûreté & à mes intérêts, seroit incompatible avec la Neutralité.   Lors donc que mes Ennemis battus se retirent chez lui ; si la charité ne lui permet pas de leur refuser passage & sûreté, il doit les faire passer outre le plus tôt possible, & ne point souffrir qu’ils se tiennent aux aguets pour m'attaquer de nouveau ; autrement, il me met en droit de les aller chercher dans ses terres.   C’est ce qui arrive aux Nations qui ne sont pas en état de faire respecter leur Territoire : Le théatre de la Guerre s'y établit bien-tôt : on y marche, on y campe, on s'y bat, comme dans un pays ouvert à tous venants.

 

§.134     Conduite que doivent tenir ceux qui passent dans un pays neutre

            Les Troupes à qui l’on accorde passage, doivent éviter de causer le moindre dommage dans le pays, suivre les routes publiques, ne point entrer dans les possessions des particuliers, observer la plus exacte Discipline, payer fidèlement tout ce qu’on leur fournit.   Et si la licence du soldat, ou la nécessité de certaines opérations, comme de camper, de se retrancher, ont causé du dommage ; celui qui les commande, ou leur Souverain, doit le réparer.   Tout cela n'a pas besoin de preuve.   De quel droit causeroit-on des pertes à un pays, où l’on n'a pû demander qu'un passage innocent?

 

            Rien n'empêche qu’on ne puisse convenir d'une somme, pour certains dommages, dont l’estimation est difficile, & pour les incommodités que cause le passage d'une Armée.   Mais il seroit honteux de vendre la permission même de passer, & de plus, injuste, quand le passage est sans aucun dommage ; puisqu'il est dû en ce cas.   Au reste le Souverain du pays doit veiller à ce que le dommage soit payé aux sujets qui l’ont souffert, & nul droit ne l’autorise à s'approprier ce qui est donné pour leur indemnité.   Il arrive trop souvent que les foibles souffrent la perte, & que les puissans en reçoivent le dédommagement.

 

§.135     On peut refuser le passage pour une guerre Manifestement injuste

            Enfin, le passage même innocent ne pouvant être dû que pour de justes causes, on peut le refuser à celui qui le demande pour une guerre manifestement injuste, comme, par exemple, pour envahir un pays, sans raison, ni prétexte.   Ainsi JULES-CESAR refusa le passage aux Helvétiens, qui quittoient leur pays pour en conquérir un meilleur.   Je pense bien que la Politique eut plus de part à son refus que l’amour de la justice : Mais enfin, il put, en cette occasion, suivre avec justice les maximes de sa prudence.   Un Souverain qui se voit en état de refuser sans crainte, doit sans-doute le faire, dans le cas dont nous parlons.   Mais s’il y a du péril à refuser, il n’est point obligé d'attirer un danger sur sa tête, pour en garantir celle d'un autre ; & même il ne doit pas témérairement exposer son peuple.


  

 

Table des matières

 

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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:09

CHAPITRE VI

Des Associés de l’Ennemi ; des Sociétés de Guerre, des Auxiliaires, des Subsides.

 

§.78       Des Traités rélatifs à la Guerre

            Nous avons assez parlé des Traités en général, & nous ne toucherons ici à cette matiére que dans ce qu’elle a de particuliérement rélatif à la Guerre.   Les Traités qui se rapportent à la Guerre sont de plusieurs espèces, & varient dans leurs objets & dans leurs clauses, suivant la volonté de ceux qui les font.   On doit d'abord y appliquer tout ce que nous avons dit des Traités en général (Liv.II chap.XII & suivans), & ils peuvent se diviser de même en Traités réels & personnels, égaux & inégaux &c.   Mais ils ont aussi leurs différences spécifiques, celles qui se rapportent à leur objet particulier, à la Guerre.

 

§.79       Des Alliances Défensives & des Alliances Offensives

            Sous cette rélation, les Alliances faites pour la Guerre se divisent en général en Alliances Défensives & Alliances offensives.   Dans les prémières, on s’engage seulement à défendre son Allié, au cas qu'il soit attaqué : Dans les sécondes, on se joint à lui pour attaquer, pour porter ensemble la Guerre chez une autre Nation.   Il est des Alliances offensives & définitives tout-ensemble ; & rarement une Alliance est-elle offensive, sans être défensive aussi.   Mais il est fort ordinaire d'en voir de purement défensives ; & celles-ci sont en général les plus naturelles & les plus légitimes.   Il seroit trop long, & même inutile, de parcourrir en détail toutes les variétés de ces Alliances.   Les unes se font sans restriction, envers & contre tous ; en d'autres on excepte certains Etats ; de troisièmes sont formées nommément contre telle, ou telle Nation.

 

§.80       Différence des Sociétés de Guerre & des Traités de sécours

            Mais une différence qu'il est important de bien remarquer, sur-tout dans les Alliances Défensives, est celle qui se trouve entre une Alliance intime & complette, dans laquelle on s'engage à faire Cause commune, & une autre, dans laquelle on se promet seulement un sécours déterminé.   L’Alliance dans laquelle on fait Cause commune, est une Société de Guerre : Chacun y agit de toutes ses forces ; tous les Alliés deviennent Parties principales dans la Guerre ; ils ont les mêmes Amis & les mêmes Ennemis.   Mais une Alliance de cette nature s'appelle plus particuliérement Société de Guerre, quand elle est offensive.

 

§.81       Des Troupes Auxiliaires

            Lorsqu’un Souverain, sans prendre part directement à la Guerre que fait un autre Souverain, lui envoye seulement un sécours de Troupes, ou de Vaisseaux de Guerre; ces Troupes, ou ces Vaisseaux s'appellent Auxiliaires.

 

            Les Troupes Auxiliaires servent le Prince à qui elles sont envoyées, suivant les ordres de leur Souverain.   Si elles sont données purement & simplement, sans restriction, elles serviront également pour l’offensive & pour la défensive ; et elles doivent obéir, pour là direction & le détail des opérations, au Prince qu'elles viennent sécourir.   Mais ce Prince n'en à point cependant la libre & entière disposition, comme de ses sujets.   Elles ne lui sont accordées que pour ses propres Guerres, & il n’est pas en droit de les donner lui-même, comme Auxiliaires, à une troisième Puissance.

 

§.82       Des subsides

            Quelquefois ce sécours d'une Puissance qui n'entre point directement dans la Guerre, consiste en argent, & alors on l’appelle Subside.   Ce terme se prend souvent aujourd’hui dans un autre sens, & signifie une famine d'argent, qu'un Souverain paye chaque année à un autre Souverain, en récompense d'un Corps de Troupes, que celui-ci lui fournit dans ses Guerres, ou qu'il tient prêt pour son service.   Les Traités, par lesquels on s’assure une pareille ressource, s'appellent Traités de Subsides.   La France & l’Angleterre ont aujourd’hui des Traités de cette nature avec divers Princes du Nord & de l’Allemagne, & les entretiennent même en tems de paix.

 

§.83       Comment il est permis à une Nation de donner du sécours à une autre

            Pour juger maintenant de la moralité de ces divers Traités, ou Alliances, de leur légitimité selon le Droit des Gens, & de la manière dont ils doivent être exécutés ; il faut d'abord poser ce principe incontestable : il est permis & louable de sécourir & d’assister de toute manière une Nation, qui fait une Guerre juste ; & cette assistance est un devoir, pour toute Nation qui peut la donner sans se manquer à elle-même.   Mais on ne peut aider d’aucun sécours celui qui fait une guerre injuste.   Il n’y a rien là qui ne soit démontré par tout ce que nous avons dit des devoirs communs des Nations les unes envers les autres (Liv.II chap.I).   Il est toûjours loüable de soutenir le bon Droit, quand on le peut : Mais aider l’injuste c’est participer à son crime, c’est être injuste comme lui.

 

§.84       Et de faire des Alliances pour la Guerre

            Si au principe que nous venons d'établir, vous joignez la considération de ce qu'une Nation doit à sa propre sûreté, des soins qu'il lui est si naturel & si convenable de prendre, pour se mettre en état de résister à ses Ennemis ; vous sentirez d'autant plus aisément combien elle est en droit de faire des Alliances pour la Guerre, & sur-tout des Alliances défensives, qui ne tendent qu'à maintenir un chacun dans la possession de ce qui lui appartient.

 

            Mais elle doit user d'une grande circonspection, quand il s'agit de contracter de pareilles Alliances.   Des engagemens, qui peuvent l’entraîner dans la Guerre, au moment qu'elle y pensera le moins, ne doivent se prendre que pour des raisons très-importantes, & en vuë du bien de l’Etat.   Nous parlons ici des Alliances qui se font en pleine paix & par précaution pour l’avenir.

 

§.85       Des Alliances qui se font avec une Nation actuellement en guerre  

            S'il est question de contracter Alliance avec une Nation déjà engagée dans la Guerre, ou prête à s'y engager, deux choses sont à considérer :

 

            1°, La justice des armes de cette Nation ;

 

            2°, Le bien de l’Etat.   Si la Guerre, que fait, ou que va faire un Prince, est injuste ; il n’est pas permis d'entrer dans son Alliance, puisqu'on ne peut soutenir l’injustice.   Est-il fondé à prendre les armes ? Il reste encore à considérer, si le bien de l’Etat vous permet, ou vous conseille, d'entrer dans sa querelle.   Car le Souverain ne doit user de son Autorité que pour le bien de l’Etat ; c’est là que doivent tendre toutes ses démarches, & sur-tout les plus importantes.   Quelle autre considération pourroit l’autoriser à exposer sa Nation aux calamités de la Guerre ?

 

§.86       Clause tacite en toute Alliance de Guerre

            Puisqu'il n’est permis de donner du sécours, ou de s'allier, que pour une Guerre juste ; toute Alliance, toute Société de Guerre, tout Traité de sécours, fait d'avance en tems de paix, & lorsqu'on n'a en vuë aucune Guerre particuliére, porte nécessairement & de soi-même cette Clause tacite, que le Traité n'aura lieu que pour une Guerre juste.   L’Alliance ne pourroit se contracter validement sur un autre pied (Liv.Il §§.161.   & 168).

 

            Mais il faut prendre garde de ne pas réduire par là les Traités d'Alliance à des formalités vaines & illusoires.   La restriction tacite ne doit s'entendre que d'une Guerre évidemment injuste ; autrement, on ne manqueroit jamais de prétexte, pour éluder les Traités.   S'agit-il de vous allier à une Puissance, qui fait actuellement la Guerre ? Vous devez peser religieusement la justice de sa Cause ; le jugement dépend de vous uniquement, parceque vous ne lui devez rien, qu'autant que ses armes seront justes, & qu'il vous conviendra de vous joindre à elle.   Mais lorsque vous êtes déjà lié, l’injustice bien prouvée de sa Cause, peut seule vous dispenser de l’assister : En cas douteux, vous devez présumer que votre Allié est fondé, puisque c’est son affaire.

 

            Mais si vous avez de grands doutes ; il vous est permis, & il sera très-loüable, de vous entremettre de l’accommodement.   Alors vous pourrez mettre le Droit en évidence, en reconnoissant quel est celui des deux Adversaires, qui se refuse à des conditions équitables.

 

§.87       Refuser du sécours pour une Guerre injuste, ce n'est pas rompre l’Alliance

            Toute Alliance portant la Clause tacite, dont nous venons de parler ; celui qui refuse du sécours son Allié, dans une guerre une Guerre manifestement injuste, ne rompt point l’Alliance.

 

§.88       Ce que c'est que le Casus Fœderis

            Lorsque des Alliances ont été ainsi contractées d'avance, il s'agit, dans l’occasion, de déterminer les cas, dans lesquels on doit agir en conséquence de l’Alliance, ceux où la force des engagemens se déploye : C’est ce qu’on appelle le Cas de l’Alliance, Casus Foederis.   Il se trouve dans le concours des circonstances pour lesquelles le Traité a été fait, soit que ces circonstances y soient marquées expressément, soit qu’on les ait tacitement supposées.   Tout ce qu’on a promis par le Traité d'Alliance, est dû dans le Casus Foederis & non autrement.

 

§.89       Il n'existe jamais pour une Guerre injuste

            Les Traités les plus solemnels ne pouvant obliger personne à favoriser d'injustes armes (§.86), le Casus foederis ne se trouve jamais avec l’injustice manifeste de la guerre.

 

§.90       Comment il existe pour une Guerre défensive

            Dans une Alliance défensive, le Casus Foederis n’existe pas tout de suite dés que notre Allié est attaqué.   Il faut voir encore s'il n'a point donné à son Ennemi un juste sujet de lui faire la guerre.   Car on ne peut s'être engagé à le défendre, pour le mettre en état d'insulter les autres, ou de leur refuser justice.   S’il est dans le tort, il faut l’engager à offrir une satisfaction raisonnable ; & si son Ennemi ne veut pas s'en contenter, le cas de le défendre arrive seulement alors.

 

§.91       Et dans un Traité de garentie

            Que si l’Alliance défensive porte une garentie de toutes les Terres, que l’Allié posséde actuellement ; le Casus Foederis se déploye dès que ces terres sont envahies, ou menacées d'invasion.   Si quelqu'un les attaque pour une juste Cause, il faut obliger l’Allié à donner satisfaction ; mais on est fondé à ne pas souffrir que ses Possessions lui soient enlevées ; car le plus souvent on en prend la Garentie pour sa propre sûreté.   Au reste, ses Règles d'Interprétation, que nous avons données dans un Chapitre exprès (*(*) Liv.II chap.XVII), doivent être consultées, pour déterminer, dans les occasions particulières l’existence du Casus Foederis.

 

§.92       On ne doit pas le sécours, quand on est hors d'état de le fournir, ou quand le salut public seroit exposé

            Si l’Etat qui a promis un sécours, ne se trouve pas en pouvoir de le fournir, il en est dispensé par son impuissance même : Et s'il ne pouvoit le donner, sans se mettre lui-même dans un danger évident, il en seroit dispensé encore.   Ce seroit le cas d'un Traité pernicieux à l’Etat, lequel n'est point obligatoire (Liv.II §.160).   Mais nous parlons ici d'un danger imminent, & qui menace le salut même de l’Etat.   Le cas d'un pareil danger est tacitement & nécessairement réservé en tout Traité.   Pour ce qui est des dangers éloignés, ou médiocres ; comme ils sont inséparables de toute Alliance dont la Guerre est l’objet, il seroit absurde de prétendre qu’ils dussent faire exception : Et le Souverain peut y exposer sa Nation, en faveur des avantages qu'elle retire de l’Alliance.

 

            En vertu de ces principes, celui-là est dispensé d'envoyer du sécours à son Allié, qui se trouve lui-même embarrassé dans une Guerre, pour laquelle il a besoin de toutes ses forces.   S’il est en état de faire face à ses Ennemis, & de sécourir en même-tems son Allié ; il n'a point de raison de s'en dispenser.   Mais en pareil cas, c’est à chacun de juger de ce que sa situation & ses forces lui permettent de faire.   Il en est de même des autres choses, que l’on peut avoir promises, des vivres, par exemple.   On n’est point obligé d'en fournir à un Allié, lorsqu'on en à besoin pour soi-même.

 

§.93       De quelques autres cas, & de celui ou deux Confédérés de la même Alliance se font la guerre

            Ne répétons point ici ce que nous avons dit de divers De quelques autres cas, en parlant des Traités en général, comme de la préférence qui est dûë au plus ancien Allié (Liv.II §.167), & à un Protecteur (Ibid. §.204), du sens que l’on doit donner au terme d'Alliés, dans un Traité où ils sont réservés (Ibid. §.309).   Ajoûtons seulement sur cette dernière question, que dans une Alliance pour la Guerre, qui se fait envers & contre tout, les Alliés réservés, cette exception ne doit s'entendre que des Alliés présens.   Autrement, il seroit aisé dans la suite, d'éluder l’ancien Traité, par de nouvelles Alliances ; on ne sçauroit, ni ce qu’on fait, ni ce qu’on gagne, en concluant un pareil Traité.

 

            Voici un cas, dont nous n'avons pas parlé.   Un Traité d'Alliance défensive s’est fait entre trois Puissances : Deux d'entre-elles se brouillent, & se font la guerre : Que fera la troisième ? Elle ne doit sécours ni à l’une, ni à l’autre, en vertu du Traité.   Car il seroit absurde de dire, qu’elle a promis à chacune son assistance, contre l’autre ou à l’une des deux, au préjudice de l’autre.   L’Alliance ne l’oblige donc à autre chose, qu'a interposer ses bons offices, pour réconcilier ses Alliés : Et si elle ne peut y réunir, elle demeure en liberté de sécourir celui des deux, qui lui paroîtra fondé en justice.

 

§.94       De celui qui refuse les sécours dûs en vertu d'une Alliance

            Refuser à un Allié les sécours qu’on lui doit, lorsqu'on n'a aucune bonne raison de s'en dispenser c’est lui faire une injure, puisque c’est violer le droit parfait, qu’on lui a donné par un engagement formel.   Je parle des cas évidens ; c’est alors seulement que le droit est parfait ; car dans les cas douteux, chacun est juge de ce qu'il est en état de faire (§.92).   Mais il doit juger sainement & agir de bonne-foi.   Et comme on est tenu naturellement à réparer le dommage, que l’on a causé par sa faute, & sur-tout par une injustice ; on est obligé à indemniser un Allié de toutes les pertes, qu'un injuste refus peut lui avoir causées.   Combien de circonspection faut-il donc apporter à des engagemens, auxquels on ne peut manquer, sans faire une brêche notable, ou à ses affaires, ou à son honneur, & dont l’accomplissement peut avoir les suites les plus sérieuses !

 

§.95       Des Associés de l’Ennemi

            C’est un engagement bien important que celui qui peut entraîner dans une guerre : il n'y va pas de moins, que du salut de l’Etat.   Celui qui promet dans une Alliance, un Subside, ou un Corps d'Auxiliaires, pense quelquefois ne hazarder qu'une somme d'argent, ou un certain nombre de soldats ; il s'expose souvent à la guerre & à toutes ses calamités.   La Nation, contre laquelle il donne du sécours, le regardera comme son Ennemi, & si le sort des armes la favorise, elle portera la guerre chez lui.   Mais il nous reste à voir, si elle peut le faire avec justice, & en quelles occasions.   Quelques Auteurs (a(a) Voyez WOLFF Jus Gentium §§.730 & 736) décident en général, que quiconque se joint à notre ennemi, ou l’assiste contre nous d'argent, de troupes, ou en quelque autre manière que ce soit, devient par-là notre Ennemi, & nous met en droit de lui faire la guerre.   Décision cruelle, & bien funeste au repos des Nations ! Elle ne peut se soutenir par les Principes, & l’usage de l’Europe s'y trouve heureusement contraire.   Il est vrai que tout Associé de mon Ennemi est lui-même mon Ennemi.   Peu importe que quelqu'un me fasse la guerre directement & en son propre nom, ou qu'il me la fasse sous les auspices d'un autre.   Tous les droits que la Guerre me donne contre mon Ennemi principal, elle me les donne de même contre tous ses Associés.   Car ces droits me viennent de celui de Sûreté, du soin de ma propre défense ; & je suis également attaqué par les uns & par les autres.   Mais la question est de sçavoir, qui sont ceux que je puis légitimement compter comme Associés de mon Ennemi, unis pour me faire la Guerre.

 

§.96       Ceux qui font Cause commune sont Associés de l’Ennemi

            Prémièrement je mettrai de ce nombre tous ceux qui ont avec mon Ennemi une véritable Société de Guerre, qui font Cause commune avec lui quoique la Guerre ne se fasse qu'au nom de cet Ennemi principal.   Cela n'a pas besoin de preuve.   Dans les Sociétés de Guerre ordinaires & ouvertes, la Guerre se fait au nom de tous les Alliés, lesquels sont également Ennemis (§.80).

 

§.97       Et ceux qui l’assistent sans y être obligés par des Traités

            En second lieu, je regarde comme Associés de mon Ennemi ceux qui l’assistent dans sa guerre, sans y être obligés par aucun Traité.   Puisqu’ils se déclarent contre moi librement & volontairement, ils veulent bien être mes Ennemis.   S'ils se bornent à donner un sécours déterminé, à accorder la levée de quelques Troupes, à avancer de l’argent, gardant d'ailleurs avec moi toutes les rélations de Nations amies, ou neutres ; je puis dissimuler ce sujet de plainte, mais je suis en droit de leur en demander raison.   Cette prudence, de ne pas rompre toûjours ouvertement avec ceux qui assistent ainsi un Ennemi, afin de ne les point obliger à se joindre à lui avec toutes leurs forces ; ce ménagement, dis-je, à insensiblement introduit la Coûtume, de ne pas regarder une pareille assistance, sur-tout quand elle ne consiste que dans la permission de lever des Troupes volontaires, comme un acte d'hostilité.   Combien de fois les Suisses ont-ils accordé des Levées à la France, en même-tems qu’ils les refusoient à la Maison d’Autriche, quoique l’une & l’autre Puissance fût leur Alliée ? Combien de fois en ont-ils accordé à un Prince & refusé à son Ennemi, n'ayant aucune Alliance, ni avec l’un, ni avec l’autre ? Ils les accordoient, ou les refusoient, selon qu’ils le jugeoient expédient pour eux-mêmes.   Jamais personne n'a osé les attaquer pour ce sujet.   Mais la prudence qui empêche d’user de tout son droit, n'ôte pas le droit pour cela.   On aime mieux dissimuler, que grossir sans nécessité le nombre de ses Ennemis.

 

§.98       Ou qui ont avec lui une Alliance offensive

            En troisiéme lieu, ceux qui, liés à mon Ennemi par une Alliance offensive, l’assistent actuellement dans la Guerre qu'il me déclare ; ceux-là, dis-je, concourrent au mal qu’on veut me faire ; Ils se montrent mes Ennemis, je suis en droit de les traiter comme tels.   Aussi les Suisses, dons nous venons de parler, n'accordent-ils ordinairement des Troupes, que pour la simple défensive.   Ceux qui servent en France, ont toûjours eû défense de leurs Souverains, de porter les armes contre l’Empire, ou contre les Etats de la Maison d'Autriche en Allemagne.   En 1644, les Capitaines du Régiment de GUY, Neufchatelois, apprenant qu’ils étoient destinés à servir sous le Maréchal de TURENNE en Allemagne, déclarèrent, qu’ils périroient plûtôt que de désobéir à leur Souverain & de violer les Alliances du Corps Helvétique.   Depuis que la France est maîtresse de l’Alsace, les Suisses qui combattent dans ses Armées, ne passent point le Rhin pour attaquer l’Empire.   Le brave DAXELHOFFER, Capitaine Bernois, qui servoit la France à la tête de deux-cents hommes, dont ses quatre fils formoient le prémier rang, voyant que le Général vouloit l’obliger à passer le Rhin, brisa son esponton, & ramena sa Compagnie à Berne.

 

§.99       Commuent l’Alliance défensive associe à l’Ennemi

            Une Alliance même défensive, faite nommêment contre moi, ou, ce qui revient à la même chose, concluë avec mon Ennemi pendant la Guerre, ou lorsqu'on la voit sur le point de se déclarer, est un acte d’association contre moi ; & si elle est suivie des effets, je suis en droit de regarder celui qui l’a contractée, comme mon ennemi.   C’est le cas de celui, qui assiste mon Ennemi, sans y être obligé, & qui veut bien être lui-même mon Ennemi (voyez le §.97).

 

§.100     Autre Cas

            L’Alliance défensive, quoique générale & faite avant qu'il fût question de la Guerre présente, produit encore le même effet, si elle porte une assistance de toutes les forces des Alliés.   Car alors, c’est une vraie Ligue, ou Société de Guerre.   Et puis, il seroit absurde que je ne pusse porter la Guerre chez une Nation, qui s'oppose à moi de toutes ses forces, & tarir la source des sécours qu'elle donne à mon Ennemi.   Qu’est-ce qu'un Auxiliaire, qui vient me faire la Guerre, à la tête de toutes ses forces ? Il se jouë, s'il prétend n'être pas mon Ennemi.   Que feroit-il de plus, s'il en prenoit hautement la qualité ? Il ne me ménage donc point ; il voudroit se ménager lui-même.   Souffrirai-je qu'il conserve ses Provinces en paix, à couvert de tout danger, tandis qu'il me fera tout le mal qu'il est capable de me faire ? Non ; la Loi de la Nature, le Droit des Gens, nous oblige à la justice, & ne nous condamne point à être dupes.

 

§.101     En quel cas elle ne produit point le même effet

            Mais si une Alliance défensive n'a point été faite particulièrement contre moi, ni concluë dans le tems que je me préparois ouvertement à la Guerre, ou que je l’avois déja commencée, & si les Alliés y ont simplement stipulé, que chacun d'eux fournira un sécours déterminé à celui qui sera attaqué ; je ne puis exiger qu’ils manquent à un Traité solemnel, que l’on a sans-doute pû conclure sans me faire injure : Les sécours qu’ils fournissent à mon Ennemi, sont une dette, qu’ils payent ; ils ne me font point injure en l’acquittant, & par conséquent, ils ne me donnent aucun juste sujet de leur faire la Guerre (§.26).   Je ne puis pas dire non-plus, que ma sûreté m'oblige à les attaquer.   Car je ne ferais par là qu'augmenter le nombre de mes Ennemis, & m'attirer toutes les forces de ces Nations sur les bras, au lieu d'un sécours modique, qu'elles donnent contre moi.   Les Auxiliaires seuls qu'elles envoyent, sont donc mes Ennemis.   Ceux-là sont véritablement joints à mes Ennemis & combattent contre moi.

 

            Les principes contraires iroient à multiplier les Guerres, à les étendre sans mesure, à la ruïne commune des Nations.   Il est heureux pour l’Europe, que l’usage s'y trouve, en ceci, conforme aux vrais principes.   Il est rare qu'un Prince ose se plaindre de ce qu’on fournit pour la défense d'un Allié, des sécours, promis par d'anciens Traités, par des Traités qui n'ont pas été faits contre lui.   Les Provinces-Unies ont long-tems fourni des Subsides, & même des Troupes, à la Reine de Hongrie, dans la dernière Guerre : La France ne s'en est plainte que quand ces Troupes ont marché en Alsace, pour attaquer sa frontière.   Les Suisses donnent à la France de nombreux Corps de Troupes, en vertu de leur Alliance avec cette Couronne ; & ils vivent en paix avec toute l’Europe.

 

            Un seul cas pourroit former ici une exception ; c’est celui d'une défensive manifestement injuste.   Car alors on n’est plus obligé d’assister un Allié (§§.86, 87, & 89).   Si l’on s'y porte sans nécessité, & contre son devoir, on fait injure à l’Ennemi, & on se déclare de gaieté de cœur contre lui.   Mais ce cas est très-rare entre les Nations.   Il est peu de Guerres défensives, dont la justice, ou la nécessité ne se puisse fonder au moins sur quelque raison apparente : Or en toute occasion douteuse, c’est à chaque Etat de juger de la justice de les armes, & la présomption est en faveur de l’Allié (§.86).   Ajoûtez, que c’est à vous de juger de ce que vous avez à faire conformément à vos devoirs & à vos engagemens, & que par conséquent l’évidence la plus palpable peut seule autoriser l’Ennemi de votre Allié, à vous accuser de soutenir une Cause injuste, contre les lumières de votre Conscience.   Enfin le Droit des Gens Volontaire ordonne, qu'en toute Cause susceptible de doute, les armes des deux partis soient regardées, quant aux effets extérieurs, comme également légitimes (§.40).

 

§.102     S'il est besoin de déclarer la Guerre aux Associés de l’Ennemi

            Les vrais Associés de mon Ennemi étant mes Ennemis ; j'ai contre eux les mêmes droits que contre l’Ennemi principal (§.95).   Et puisqu’ils se déclarent tels eux-mêmes, qu’ils prennent les prémiers les armes contre moi ; je puis leur faire la guerre sans la leur déclarer ; elle est assez déclarée par leur propre fait.   C’est le cas principalement de ceux qui concourrent en quelque manière que ce soit à me faire une guerre offensive, & c’est aussi celui de tous ceux dont nous venons de parler, dans les paragraphes 96, 97, 98, 99 & 100.

 

            Mais il n'en est pas ainsi des Nations, qui assistent mon Ennemi dans sa guerre défensive, sans que je puisse les regarder comme ses Associés (§.101).   Si j'ai à me plaindre des sécours qu'elles lui donnent ; c’est un nouveau différend de moi à elles.   Je puis leur demander raison, & si elles ne me satisfont pas, poursuivre mon droit & leur faire la guerre.   Mais alors, il faut la déclarer (§.51).   L’exemple de MANLIUS, qui fit la guerre aux Galates parce qu’ils avoient fourni des Troupes à ANTIOCHUS, ne convient point au cas.   GROTIUS (a(a) Droit de la G. & de la P. Liv.III chap.III §.X) blâme le Général Romain d'avoir commencé cette Guerre sans Déclaration.   Les Galates, en fournissant des Troupes pour une Guerre offensive contre les Romaine, s'étoient eux-mêmes déclarés Ennemis de Rome.   Il est vrai que la paix étant faite avec Antiochus, il semble que Manlius devoit attendre les ordres de Rome, pour attaquer les Galates.   Et alors, si on envisageoit cette expédition comme une Guerre nouvelle, il falloit, non-seulement la déclarer, mais demander satisfaction, avant que d'en venir aux armes (§.51).   Mais le Traité avec le Roi de Syrie n'étoit pas encore consommé, & il ne regardoit que lui, sans faire mention de ses Adhérens.   Manlius entreprit donc l’expédition contre les Galates, comme une suite, ou un reste de la Guerre d'Antiochus.   C’est ce qu'il explique fort bien lui-même, dans son Discours au Sénat (b(b) TIT. LIV. Lib.XXXVIII) ; & même il ajoûte, qu'il débuta par tenter s'il pourroit engager les Galates à se mettre à la raison.   GROTIUS allégue plus à propos l’exemple d'Ulisse & de ses Compagnons, les blâmant d'avoir attaqué sans Déclaration de Guerre les Ciconiens, qui, pendant le siége de Troie, avoient envoyé du sécours à PRIAM (c(c) GROTIUS ubi supra. not.3).


  

 

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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:07

CHAPITRE V

De l’Ennemi, & des choses appartenantes à l’Ennemi.

 

§.69       Ce que c'est que l’Ennemi

            L’Ennemi est celui avec qui on est en Guerre ouverte.   Les Latins avoient un terme particulier (hostis) pour désigner un Ennemi public, & ils le distinguoient d'un ennemi particulier (inimicus).   Notre langue n'a qu'un même terme pour ces deux ordres de personnes, qui cependans doivent être soigneusement distinguées.   L’ennemi particulier est une personne qui cherche nôtre mal, qui y prend plaisir : l’Ennemi public forme des prétentions contre nous, ou se refuse aux nôtres, & soutient ses droits, vrais ou prétendus, par la force des armes.   Le prémier n’est jamais innocent ; il nourit dans son cœur l’animosité & la haine.   Il est possible que l’Ennemi public ne soit point animé de ces odieux sentimens, qu'il ne désire point notre mal, & qu'il cherche seulement à soutenir ses droits.   Cette observation est nécessaire, pour régler les dispositions de notre cœur, envers un Ennemi public.

 

§.70       Tous les sujets de deux Etats qui se font la guerre, sont ennemis

            Quand le Conducteur de l’Etat, le Souverain, déclare la Guerre à un autre Souverain, on entent que la Nation entière déclare la guerre à une autre Nation.   Car le Souverain réprésente la Nation & agit au nom de la Société entiére (L.I §§.40 & 41), & les Nations n'ont affaire les unes aux autres qu'en Corps, dans leur qualité de Nations.   Ces deux Nations sont donc ennemies, tous les sujets de l’une sont ennemis de tous les sujets de l’autre.   L’usage est ici conforme aux principes.

 

§.71       Et demeurent tels en tous lieux

            Les Ennemis demeurent tels, en quelque lieu qu’ils se trouvent.   Le lieu du séjour ne fait rien ici ; les siens Politiques établissent la qualité.   Tant qu'un homme Citoyen de son pays, il est ennemi de ceux avec qui sa Nation est en guerre.   Mais il n'en faut pas conclure, que ces Ennemis puissent se traiter comme tels, par-tout où ils se rencontrent.   Chacun étant maître chez soi, un Prince neutre ne leur permet pas d’user de violence dans ses terres.

 

§.72       Si les femmes & les enfans sont au nombre des ennemis

            Puisque les femmes & les enfans sont sujets de l’Etat & membres de la Nation, ils doivent être comptés au nombre des Ennemis.   Mais cela ne veut pas dire qu'il soit permis de les traiter comme les hommes, qui portent les armes, ou qui sont capables de les porter.   Nous verrons que l’on n'a pas les mêmes droits contre toute sorte d'ennemis.

 

§.73       Des choses appartenantes à l’Ennemi

            Dès que l’on a déterminé exactement qui sont les Ennemis, il est aisé de connoître quelles sont les choses appartenantes à l’Ennemi (res hostiles) Nous avons fait voir que, non-seulement le Souverain, avec qui on a la guerre, est Ennemi, mais aussi sa Nation entiére, jusqu'aux femmes & aux enfans ; tout ce qui appartient à cette Nation, à l’Etat, au Souverain, aux sujets de tout âge & de tout sexe, tout cela, dis-je, est donc au nombre des choses appartenantes à l’Ennemi.

 

§.74       Elles demeurent telles par-tout

            Et il en en encore ici comme des personnes : Les choses appartenantes à l’Ennemi demeurent telles, en quelque lieu qu'elles se trouvent.   D'où il ne faut pas conclure, non-plus qu'à l’égard des personnes (§.71), que l’on ait partout le droit de les traiter en choses qui appartiennent à l’Ennemi.

 

§.75       Des choses neutres, qui se trouvent chez l’ennemi

            Puisque ce n’est point le lieu où une chose se trouve, qui décide de la nature de cette chose-là, mais la qualité de la personne à qui elle appartient ; les choses appartenantes à des personnes neutres, qui se trouvent en pays ennemi, ou sur des vaisseaux ennemis, doivent être distinguées de celles qui appartiennent à l’Ennemi.   Mais c’est au propriétaire de prouver clairement qu'elles sont à lui ; car, au défaut de cette preuve, on présume naturellement qu'une chose appartient à la Nation chez qui elle se trouve.

 

§.76       Des Fonds possédés par des Etrangers en pays ennemi

            Il s'agit des biens mobiliaires, dans le paragraphe précédent.   La régle est différente à l’égard des Immeubles, des Fonds de terre.   Comme ils appartiennent tous en quelque sorte à la Nation, qu’ils sont de son Domaine, de son Territoire, & sous son Empire (Liv.I §§.204, 235, & Liv.II §.114) ; & comme le possesseur est toûjours sujet du pays, en sa qualité de possesseur d'un Fonds ; les Biens de cette nature ne cessent pas d'être Biens de l’Ennemi, (res hostiles), quoiqu’ils soient possédés par un étranger neutre.   Cependant aujourd’hui que l’on fait la guerre avec tant de modération & d'égards, on donne des Sauvegardes aux maisons, aux Terres, que des Etrangers possédent en pays ennemi.   Par la même raison, celui qui déclare la Guerre, ne confisque point les Biens immeubles, possédés dans son pays par des sujets de son Ennemi.   En leur permettant d'acquérir & de posséder ces biens-là, il les a reçus, à cet égard, au nombre de ses sujets.   Mais on peut mettre les revenus en séquestre, afin qu’ils ne soient pas transportés chez l’Ennemi.

 

§.77       Des choses duës par un tiers à l’Ennemi

            Au nombre des choses appartenantes à l’Ennemi sont les choses incorporelles, tous ses droits, noms & actions ; excepté cependant ces espèces de Droits, qu'un tiers à concédés & qui l’intéressent, ensorte qu'il ne lui est pas indifférent par qui ils soient possédés ; tels que des droits de Commerce, par exemple.   Mais comme les noms & actions, ou les dettes actives, ne sont pas de ce nombre, la Guerre nous donne sur les sommes d'argent, que des Nations neutres pourroient devoir à notre Ennemi, les mêmes droits qu'elle peut nous donner sur ses autres biens.   ALEXANDRE vainqueur & maître absolu de Thèbes, fit présent aux Thessaliens de Cent Talens, qu’ils devoient aux Thébains (a(a) Voyez GROTIUS Droit de la G. & de la P. Liv.III Ch.VIII §.IV).   Le Souverain à naturellement le même droit sur ce que ses sujets peuvent devoir aux ennemis.   Il peut donc confisquer des dettes de cette nature, si le terme du payement tombe au tems de la Guerre ; ou au moins défendre à ses sujets de payer, tant que la Guerre durera.   Mais aujourd'hui, l’avantage & la sûreté du Commerce ont engagé tous les Souverains de l’Europe à se relâcher de cette rigueur.   Et dès que cet usage est généralement reçu, celui qui y donneroit atteinte blesseroit la foi publique ; car les Etrangers n'ont confié à ses sujets, que dans la ferme persuasion, que l’usage général seroit observé.   L’Etat ne touche pas même aux sommes qu'il doit aux Ennemis ; partout, les fonds confiés au Public sont exempts de confiscation & de saisie, en cas de Guerre.


  

 

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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:05

CHAPITRE IV

De la Déclaration de Guerre, & de la Guerre en forme.

 

§.51       Déclaration de Guerre, & sa nécessité

            Le droit de faire la Guerre n'appartient aux Nations que comme un remède contre l’injustice : C’est le fruit d'une malheureuse nécessité.   Ce remède est si terrible dans ses effets, si funeste à l’humanité, si fâcheux même à celui qui l’employe, que la Loi Naturelle ne le permet sans-doute qu'à la dernière extrémité ; c’est-à-dire, lorsque tout autre est inefficace pour le soutien de la justice.   Il est démontré dans le Chapitre précédent, que pour être autorité à prendre les armes, il faut,

 

            1° : que nous ayons un juste sujet de plainte,

 

            2° : Que l’on nous ait refusé une satisfaction raisonnable,

 

            3° ; Enfin nous avons observé, que le Conducteur de la Nation doit mûrement considérer s’il est du bien de l’Etat de poursuivre son droit par la force des armes.   Ce n'est point assez.   Comme il est possible que la crainte présente de nos armes fasse impression sur l’esprit de notre Adversaire, & l’oblige à nous rendre justice ; nous devons encore ce ménagement à l’humanité, & sur-tout au sang & au repos des sujets, de déclarer à cette Nation injuste, ou à son Conducteur, que nous allons enfin recourrir au dernier remède & employer la force ouverte, pour le mettre à la raison.   C’est ce qu’on appelle déclarer la Guerre.   Tout cela est compris dans la manière de procéder des Romains, réglée dans leur Droit Fécial.   Ils envoyoient prémiérement le Chef des Féciaux, ou Hérauts-d’Armes, appellé Pater-Patratus, demander satisfaction au peuple qui les avoit offensés ; & si, dans l’espace de trente-trois jours, ce peuple ne faisoit pas une réponse satisfaisante, le Héraut prenoit les Dieux à témoins de l’injustice, & s'en retournait, en disant, que les Romains verroient ce qu’ils auroient à faire.   Le Roi, & dans la suite le Consul, demandoit l’avis du Sénat ; & la Guerre résoluë, on renvoyoit le Héraut la déclarer sur la frontière (a(a) TIT. LIV. Lib.I cap.XXXII).   On est étonné de trouver chez les Romains, une conduite si juste, si modérée & si sage, dans un tems, où il semble qu’on ne devoit attendre d'eux que de la valeur & de la férocité.   Un Peuple qui traitoit la Guerre si religieusement, jettoit des fondemens bien solides de sa future grandeur.

 

§.52       Ce qu'elle doit contenir

            La Déclaration de Guerre étant nécessaire, pour tenter encore de terminer le différend sans effusion de sang, en employant la crainte, pour faire revêtir à l’Ennemi des sentimens plus justes ; en même-tems qu'elle dénonce la résolution que l’on a prise, de faire la Guerre, elle doit exposer le sujet, pour lequel on prend les armes.   C’est ce qui se pratique constamment aujourd’hui entre les Puissance de l’Europe.

 

§.53       Elle est simple, ou conditionelle

            Lorsqu’on a demandé inutilement justice, on peut en venir à la Déclaration de Guerre, qui est alors pure & simple.   Mais si on le juge à propos, pour n’en pas faire à deux fois, on peut joindre à la demande du droit, que les Romains appelloient rerum repetitio, une Déclaration de Guerre conditionnelle, en déclarant, que l’on va commencer la Guerre, si l’on n'obtient pas incessamment satisfaction sur tel sujet.   Et alors, il n’est pas nécessaire de déclarer encore la Guerre purement & simplement ; la Déclaration conditionnelle suffit, si l’Ennemi ne donne pas satisfaction sans délai.

 

§.54       Le droit de faire la guerre tombe, par l’offre de conditions équitables

            Si l’Ennemi, sur l’une ou l’autre Déclaration de Guerre, offre des Conditions de paix équitables, on doit s'abstenir de la Guerre.   Car aussi-tôt que l’on vous rend justice, vous perdez tout droit d'employer la force ; l’usage ne vous en étant permis que pour le soutien nécessaire de vos droits.   Bien entendu que les offres doivent être accompagnées de sûreté ; car on n’est point obligé de se laisser amuser par de vaines propositions.   La foi d'un Souverain est une sûreté suffisante, tant qu'il ne s’est pas fait connoître pour un perfide ; & on doit s'en contenter.   Pour ce qui est des Conditions en elles-mêmes ; outre le sujet principal, on est encore fondé à demander le remboursement des dépenses, que l’on a faites en préparatifs.

 

§.55       Formalités de la Déclaration de Guerre

            Il faut que la Déclaration de Guerre soit connuë de celui à qui elle s’adresse.   C’est tout ce qu'exige le Droit des Gens naturel.   Cependant, si la Coûtume y a introduit quelques formalités, les Nations, qui, en adoptant la Coûtume, ont donné à ces formalités un consentement tacite, sont obligées de les observer, tant qu'elles n'y ont pas renoncé publiquement (Prélim. §.26).   Autrefois les Puissances de l’Europe envoyoient des Hérauts, ou des Ambassadeurs, pour déclarer la Guerre : aujourd’hui on se contente de la faire publier dans la Capitale, dans les principales Villes, ou sur la frontière ; on répand des Manifestes ; & la communication, devenue si prompte & si facile depuis l’établissement des Postes, en porte bien-tôt la nouvelle de tous côtés.

 

§.56       Autres raisons, qui en rendent la publication nécessaire

            Outre les raisons que nous avons allégués, il est nécessaire de publier la Déclaration de Guerre, pour l’instruction & la direction de ses propres sujets, pour fixer l’époque des droits, qui leur appartiennent dès le moment de cette Déclaration, & rélativement à certains effets, que le Droit des Gens Volontaire attribuë à la Guerre en forme.   Sans cette Déclaration publique de la Guerre, il seroit trop difficile de convenir, dans le Traité de Paix, des actes qui doivent passer pour des effets de la Guerre, & de ceux que chaque Nation peut mettre en griefs, pour en demander la réparation.   Dans le dernier Traité d'Aix-la-Chapelle, entre la France & l’Espagne d'un côté, & l’Angleterre de l’autre, on convint que toutes les prises faites de part & d'autre avant la Déclaration de Guerre, seroient restituées.

 

§.57       La Guerre défensive n'a pas besoin de déclaration

            Celui qui est attaqué & qui ne soit qu'une Guerre défensive, n'a pas besoin de déclarer la Guerre ; la Déclaration de l’Ennemi, ou ses hostilités ouvertes, étant suffisantes, pour constater l’état de Guerre.   Cependant le Souverain attaqué ne manque guéres aujourd’hui de déclarer aussi la Guerre, soit par dignité, soit pour la direction de ses sujets.

 

§.58       En quel cas on peut l’omettre, dans une Guerre offensive

            Si la Nation à qui on a résolu de faire la Guerre ne veut admettre ni Ministre, ni Héraut pour la lui déclarer ; on peut, quelle que soit d'ailleurs la Coûtume, se contenter de la publier dans ses propres Etats, ou sur la frontière ; & si la Déclaration ne parvient pas à sa connoissance avant le commencement des hostilités, cette Nation ne peut en accuser qu’elle-même.   Les Turcs mettent en prison & maltraitent les Ambassadeurs mêmes des Puissances, avec lesquelles ils ont résolu de rompre : il seroit périlleux à un Héraut d'aller chez eux leur déclarer la Guerre.   On est dispensé de le leur envoyer, par leur propre férocité.

 

§.59       On ne peut point l’omettre par réprésailles

            Mais personne n'étant dispensé de son devoir, par cela seul qu'un autre n'a pas rempli le sien ; nous ne pouvons nous dispenser de déclarer la Guerre à une Nation avant que de commencer les hostilités, par la raison que, dans une autre occasion, elle nous à attaqués sans Déclaration de Guerre.   Cette Nation à péché alors contre la Loi Naturelle (§.51) ; & sa faute ne nous autorise pas à en commettre une pareille.

 

§.60       Du tems de la Déclaration

            Le Droit des Gens n'impose point l’obligation de déclarer la Guerre, pour laisser à l’Ennemi le tems de se préparer à une injuste défensive.   Il est donc permis de faire sa Déclaration seulement lorsque l’on est arrivé sur la frontière avec une Armée, & même après que l’on est entré dans les terres de l’Ennemi, & que l’on y a occupé un poste avantageux ; toutefois avant que de commettre aucune hostilité.   Car de cette manière, on pourvoit à sa propre sûreté, & on atteint également le but de la Déclaration de Guerre, qui est, de donner encore à un injuste Adversaire le moyen de rentrer sérieusement en lui-même, & d'éviter les horreurs de la Guerre, en faisant justice.   Le généreux HENRI IV en usa de cette manière envers CHARLES-EMANUEL Duc de Savoye, qui avoit lassé sa patience, par des Négociations vaines & frauduleuses (a(a) Voyez les Mémoires de SULLY).

 

§.61       Devoir des habitans, dans le cas où une Armée étrangère entre dans le pays avant que de déclarer la Guerre

            Si celui qui entre ainsi dans le pays avec une Armée, gardant une exacte Discipline, déclare aux habitans, qu'il ne vient point en Ennemi, qu'il ne commettra aucune violence, & qu'il fera connoître au Souverain la Cause de sa venuë ; les habitans ne doivent point l’attaquer, & s'ils osent l’entreprendre, il est en droit de les châtier.   Bien entendu qu’on ne lui permettra point l’entrée dans les Places fortes, & qu'il ne peut la demander.   Les sujets ne doivent pas commencer les hostilités, sans ordre du Souverain.   Mais s'ils sont braves & fidèles, ils occuperont, en attendant, les Postes avantageux, & se défendront, en cas que l’on entreprenne de les y forcer.

 

§.62       Commencement des hostilités

            Après que ce Souverain, ainsi venu dans le pays, à déclaré la Guerre ; si on ne lui offre pas sans délai des Conditions équitables, il peut commencer les opérations.   Car, encore un coup, rien ne l’oblige à se laisser amuser.   Mais dans tout ce que nous venons de dire, il ne faut jamais perdre de vuë les principes établis ci-dessus (§§.26 & 51) touchant les seules causes légitimes de la Guerre.   Se porter avec une Armée dans un pays voisin, de la part duquel on n'est point menacé, & sans avoir tenté d'obtenir, par la raison & la Justice, une réparation équitable des griefs que l’on prétend avoir ; ce seroit introduire une méthode funeste à l’humanité, & renverser les fondemens de la sûreté, de la tranquillité des Nations.   Si cette manière de procéder n’est pas proscrite par l’indignation publique & le concert des Peuples civilisés, il faudra demeurer armé & se tenir sur ses gardes, aussi-bien en pleine paix, que dans une guerre déclarée.

 

§.63       Conduite que l’on doit tenir envers les sujets de l’Ennemi qui se trouvent dans le pays lors de la Déclaration de Guerre

            Le Souverain qui déclare la Guerre, ne peut retenir les sujets de l’Ennemi, qui se trouvent dans ses Etats au moment de la Déclaration, non plus que leurs effets.   Ils sont venus chez-lui sur la foi publique : En leur permettant d'entrer dans ses terres & d'y séjourner, il leur à promis tacitement toute liberté, & toute sûreté pour le retour.   Il doit donc leur marquer un tems convenable, pour se retirer avec leurs effets, & s'ils restent au-delà du terme prescrit, il est en droit de les traiter en ennemis ; toutefois en ennemis désarmés.   Mais s'ils sont retenus par un empêchement insurmontable, par une maladie, il faut nécessairement, & par les mêmes raisons, leur accorder un juste délai.   Loin de manquer à ce devoir aujourd'hui, on donne plus encore à l’humanité, & très-souvent on accorde aux étrangers, sujets de l’Etat auquel on déclare la Guerre, tout le tems de mettre ordre à leurs affaires.   Cela se pratique sur-tout envers les Négocians ; & l’on a soin aussi d'y pourvoir, dans les Traités de Commerce.   Le Roi d'Angleterre à fait plus que cela : Dans sa dernière Déclaration de Guerre contre la France, il ordonne, que tous les François qui se trouvent dans ses Etats, pourront y demeurer, avec une entière sûreté pour leur personne & leurs effets, pourvû qu’ils s'y comportent comme ils le doivent.

 

§.64       Publication de la Guerre, Manifestes

            Nous avons dit (§.56), que le Souverain doit publier la Guerre dans ses Etats, pour l’instruction & la direction de ses sujets.   Il doit aussi aviser de sa Déclaration de Guerre les Puissances neutres, pour les informer des raisons justificatives qui l’autorisent, du sujet qui l’oblige à prendre les armes, & pour leur notifier que tel ou tel peuple est son ennemi, afin qu'elles puissent se diriger en conséquence.   Nous verrons même que cela est nécessaire pour éviter toute difficulté, quand nous traiterons du droit de saisir certaines choses, que des personnes neutres conduisent à l’Ennemi, de ce qu’on appelle Contrebande, en tems de Guerre.   On pourroit appeller Déclaration cette publication de la Guerre, & Dénonciation celle qui se notifie directement à l’Ennemi, comme en effet elle s'appelle en Latin Denunciatio belli.

 

            On publie aujourd’hui & l’on déclare la Guerre par des Manifestes.   Ces pièces ne manquent point de contenir les raisons justificatives, bonnes ou mauvaises, sur lesquelles on se fonde, pour prendre les armes.   Le moins scrupuleux voudroit passer pour juste, équitable, amateur de la paix : il sent qu'une réputation contraire pourroit lui être nuisible.   Le manifeste qui porte Déclaration de Guerre, ou si l’on veut, la Déclaration même, publiée, imprimée & répanduë dans tout l’Etat, contient aussi les ordres généraux, que le Souverain donne à ses sujets à l’égard de la Guerre.

 

§.65       Décence & modération, que l’on doit garder dans les Manifestes

            Est-il nécessaire, dans un siécle si poli, d'observer que l’on doit s’abstenir dans ces Ecrits, qui se publient au sujet de la Guerre, de toute expression injurieuse, qui manifeste des sentimens de haine, d'animalité, de fureur, & qui n’est propre qu'à en exciter de semblables dans le cœur de l’Ennemi ? Un Prince doit garder la plus noble décence, dans ses discours & dans ses écrits : il doit se respecter soi-même dans la personne de ses pareils : Et s’il a le malheur d'être en différend avec une Nation, aigrir la querelle, par des expressions offensantes & s'ôter jusqu'à l’espérance d'une réconciliation sincère ? Les Héros d'HOMERE se traitent d'Yvrogne & de Chien ; aussi se faisoient-ils la guerre à toute outrance.   FREDERIC-BARBEROUSSE, d'autres Empereurs, & les Papes leurs ennemis, ne se ménageoient pas davantage.   Félicitons-nous de nos mœurs plus douces, plus humaines, & ne traitons point de vaine politesse, des ménagemens, qui ont des suites bien réelles.

 

§.66       Ce que c'est que la guerre légitime & dans les formes

            Ces formalités, dont la nécessité se déduit des Principes, & de la nature même de la Guerre, caractérisent la Guerre légitime & dans les formes (Justum bellum).   GROTIUS (a(a) Droit de la Guerre & de la Paix, Liv.I chap.III §.IV) dit, qu'il faut deux choses pour qu'une Guerre soit solemnelle, ou dans les formes, selon le Droit des Gens : La prémiére, qu'elle se fasse de part & d'autre par autorité du Souverain : La séconde, qu'elle soit accompagnée de certaines formalités.   Ces formalités consistent dans la demande d'une juste satisfaction (rerum repetitio), & dans la Déclaration de Guerre ; au moins de la part de celui qui attaque ; car la Guerre défensive n'a pas besoin d'une Déclaration (§.57), ni même, dans les occasions pressantes, d'un ordre exprès du Souverain.   En effet, ces deux conditions sont nécessaires à une Guerre légitime selon le Droit des Gens, c’est-à-dire, telle que les Nations ont droit de la faire.   Le droit de faire la Guerre n'appartient qu'au Souverain (§.4) ; & il n’est en droit de prendre les armes, que quand on lui refuse satisfaction (§.37), & même après avoir déclaré la Guerre (§.51).

 

            On appelle aussi la Guerre en forme, une Guerre règlée, parce qu’on y observe certaines règles, ou prescrites par la Loi Naturelle, ou adoptées par la Coûtume.

 

§.67       Il faut la distinguer de la Guerre informe & illégitime

            Il faut soigneusement distinguer la Guerre légitime & dans les formes, de ces guerres informes & illégitimes, ou plûtôt de ces brigandages, qui se font, ou sans Autorité légitime, ou sans sujet apparent, comme sans formalités, & seulement pour piller.   GROTIUS, Livre III, Chapitre III, rapporte beaucoup d'exemples de ces dernières.   Telles étoient les guerres des Grandes-Compagnies, qui s’étoient formées en France, dans les Guerres des Anglois ; Armées de brigands, qui courroient l’Europe pour la ravager : Telles étoient les Courses des Flibustiers, sans Commission & en tems de paix ; & telles sont en général les déprédations des Pirates.   On doit mettre au même rang presque toutes les expéditions des Corsaires de Barbarie, quoiqu'autorisées par un Souverain ; elles se font sans aucun sujet apparent, & n'ont pour Cause que la soif du butin.   Il faut, dis-je, bien distinguer ces deux sortes de Guerres, légitimes & illégitimes ; parce qu'elles ont des effets & produisent des droits bien différens.

 

§.68       Fondement de cette distinction

            Pour bien sentir le fondement de cette distinction, il est nécessaire de se rappeller la nature & le but de la Guerre légitime.   La Loi Naturelle ne la permet que comme un remède contre l’injustice obstinée.   De là les droits qu'elle donne, comme nous l’expliquerons plus bas : De là encore les règles qu'il y faut observer.   Et comme il est également possible que l’une ou l’autre des Parties ait le bon Droit de son côté, & que personne ne peut en décider vû l’indépendance des Nations (§.40) ; la condition des deux Ennemis est la même, tant que dure la Guerre.   Ainsi, lorsqu'une Nation, ou un Souverain, à déclaré la Guerre à un autre Souverain, au sujet d'un différend qui s'en élevé entre eux, leur Guerre est ce que l’on appelle entre les Nations une Guerre légitime & dans les formes ; & comme nous le ferons voir plus en détail (a(a) Ci-dessous chap.XII), les effets en sont les mêmes de part & d'autre, par le Droit des Gens Volontaire, indépendamment de la justice de la Cause.   Rien de tout cela, dans une Guerre informe & illégitime appellée avec plus de raison un brigandage.   Entreprise sans aucun droit, sans sujet intime apparent, elle ne peut produire aucun effet légitime, ni donner aucun droit à celui qui en est l’Auteur.   La Nation attaquée par des ennemis de cette sorte, n'est point obligée d'observer envers eux les règles prescrites dans les Guerres en forme ; elle peut les traiter comme des brigands.   La Ville de Genève échapée à la fameuse Escalade (a(a) En l’année 1602), fit pendre les prisonniers qu'elle avoit faits sur les Savoyards comme des voleurs, qui étoient venus l’attaquer sans sujet & sans Déclaration de Guerre.   Elle ne fut point blâmée d'une action, qui seroit détestée dans une Guerre en forme.


  

 

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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:04

Vattel-tome-II.jpgCHAPITRE III

Des justes Causes de la Guerre.

 

§.24       Que la Guerre ne doit point être entreprise sans de très-fortes raisons

            Quiconque aura une idée de la Guerre, quiconque réfléchira à ses effets terribles, aux suites funestes qu'elle traîne après elle, conviendra aisément qu'elle ne doit point être entreprise sans les plus fortes raisons.   L’humanité se révolte contre un Souverain, qui prodigue le sang de ses plus fidèles sujets, sans nécessité, ou sans raisons pressantes, qui expose son peuple aux calamités de la Guerre, lorsqu'il pourroit le faire jouïr d'une paix glorieuse & salutaire.   Que si à l’imprudence, au manque d'amour pour son peuple, il joint l’injustice envers ceux qu'il attaque ; de quel crime, ou plûtôt, de quelle effroyable suite de crimes ne se rend-il point coupable ? Chargé de tous les maux qu'il attire à ses sujets, il est coupable encore de tous ceux qu'il porte chez un peuple innocent : Le sang versé, les Villes saccagées, les Provinces ruïnées ; voilà ses forfaits.   On ne tuë pas un homme, on ne brûle pas une chaumière, dont il ne soit responsable devant Dieu & comptable à l’humanité.   Les violences, les crimes, les désordres de toute espèce, qu'entraînent le tumulte & la licence des armes, souillent sa Conscience & sont mis sur son compte, parce qu'il en est le prémier auteur.   Puisse ce foible tableau toucher les Conducteurs des Nations, & leur inspirer, dans les entreprises guerriéres, une circonspection proportionnée à l’importance du sujet !

 

§.25       Des Raisons justificatives & des Motifs de faire la guerre

            Si les hommes étoient toûjours raisonnables, ils ne combattroient que par les armes de la Raison ; la Justice & l’Equité naturelle seroient leur règle, ou leur juge.   Les voies de la force sont une triste & malheureuse ressource, contre ceux qui méprirent la justice & qui refusent d'écouter la Raison.   Mais enfin, il faut bien venir à ce moyen, quand tout autre est inutile.   Une Nation juste & sage, un bon Prince, n'y recourt qu’à l’extrémité, comme nous l’avons fait voir dans le dernier Chapitre du Livre II.   Les raisons qui peuvent l’y déterminer sont de deux sortes ; Les unes font voir qu'il est en droit de faire la Guerre, qu’il en a un légitime sujet ; on les appelle Raisons justificatives : Les autres sont prises de l’utilité & de la convenance : Par elles on voit s'il convient au Souverain d'entreprendre la Guerre ; ce sont des Motifs.

 

§.26       Quelle est en général la juste Cause de la guerre

            Le droit d’user de force, ou de faire la Guerre n'appartient aux Nations que pour leur défense & pour le maintien de leurs droits (§.3).   Or si quelqu'un attaque une Nation ou viole ses droits parfaits, il lui fait injure.   Dés-lors, & dés-lors seulement, cette Nation est en droit de le repousser & de le mettre à la raison : Elle a le droit encore de prévenir l’injure, quand elle s'en voit menacée (L.II §.50).   Disons donc en général, que le fondement, ou la Cause de toute Guerre juste est l’injure, ou déja faite, ou dont on se voit menacé.   Les Raisons justificatives de la Guerre font voir que l’on a reçû une injure, ou qu’on s'en voit assez menacé, pour être autorisé à la prévenir par les armes.   Au reste, on voit bien qu'il s'agit ici de la partie principale, qui fait la Guerre, & non de ceux qui y prennent part, en qualité d'Auxiliaires.

 

            Lorsdonc qu'il s'agit de juger si une Guerre est juste, il faut voir si celui qui l’entreprend à véritablement reçû une injure, ou s'il en est réellement menacé.   Et pour savoir ce que l’on doit regarder comme une injure, il faut connaître les droits proprement dits, les droits parfaits d'une Nation.   Il en est de bien des sortes, & en très-grand nombre ; mais on peut les rapporter tous aux chefs généraux, dont nous avons déja traité, & dont nous traiterons encore dans cet Ouvrage.   Tout ce qui donne atteinte à ces droits est une injure, & une juste Cause de la Guerre.

 

§.27       Quelle Guerre est injuste

            Par une conséquence immédiate de ce que nous venons d'établir, si une Nation prend les armes lorsqu'elle n'a reçû aucune injure, & qu'elle n'en est point menacée, elle fait une Guerre injuste.   Celui-là seul à droit de faire la guerre à qui on a fait, ou on se prépare à faire injure.

 

§.28       Du but de la Guerre

            Nous déduirons encore du même Principe le but, ou la fin légitime de toute Guerre, qui est de venger, ou de prévenir l’injure.   Venger signifie ici, poursuivre la réparation de l’injure, si elle est de nature à être réparée, ou une juste satisfaction, si le mal est irréparable ; c’est encore, si le cas l’exige, punir l’offenseur, dans la vuë de pourvoir à notre sûreté pour l’avenir.   Le Droit de sûreté nous autorise à tout cela (Liv.II §§.49-52) Nous pouvons donc marquer distinctement cette triple fin de la Guerre légitime :

 

            1°.   Nous faire rendre ce qui nous appartient, ou ce qui nous est dû.

 

            2°.   Pourvoir à notre sûreté pour la suite, en punissant l’aggresseur ou l’offenseur.

 

            3°.   Nous défendre, ou nous garentir d'injure, en repoussant une injuste violence.   Les deux prémiers points font l’objet de la Guerre offensive, le troisiéme est celui de la Guerre défensive.   CAMILLE sur le point d'attaquer les Gaulois, présente en peu de mots à ses soldats tous les sujets qui peuvent fonder, ou justifier la Guerre : omnia quae defendi, repetique & ulcisci fit (a(a) TIT. LIV. Lib.V cap XLIX).

 

§.29       Les raisons justificatives & les motifs honnêtes doivent concourrir pour faire entreprendre la Guerre

            La Nation, ou son Conducteur, n'ayant pas seulement à garder la justice, dans toutes ses démarches, mais encore à les régler constamment sur le bien de l’Etat ; il faut que des motifs honnêtes & loüables concourrent avec les raisons justificatives, pour lui faire entreprendre la Guerre.   Ces raisons font voir que le Souverain est en droit de prendre les armes, qu’il en a un juste sujet ; les motifs honnêtes montrent qu'il est à propos, qu'il est convenable, dans le cas dont il s'agit, d’user de son droit : Ils se rapportent à la Prudence, comme les raisons justificatives appartiennent à la Justice.

 

§.30       Des motifs honnêtes & des motifs vicieux

            J'appelle motifs honnêtes & loüables, ceux qui sont pris du bien de l’Etat, du salut & du commun avantage des Citoyens.   Ils ne vont point sans les raisons justificatives ; car il n’est jamais véritablement avantageux de violer la justice.   Si une Guerre injuste enrichit l’Etat pour un tems, si elle recule ses frontières ; elle le rend odieux aux autres Nations, & l’expose au danger d'en être accablé.   Et puis, sont-ce toûjours les richesses, & l’étenduë des Domaines, qui font le bonheur des Etats ? On pourroit citer bien des exemples ; bornons-nous à celui des Romains.   La République Romaine se perdit par ses triomphes, par l’excès de ses Conquêtes & de sa puissance.   Rome, la Maîtresse du Monde, asservie à des Tyrans, opprimée sous le Gouvernement Militaire, avoit sujet de déplorer les succés de ses arme, de regretter les tems heureux, où sa Puissance ne s'étendoit pas au dehors de l’Italie, ceux-là même où sa Domination étoit presque renfermée dans l’enceinte de ses murailles.

 

            Les Motifs vicieux sont tous ceux qui ne se rapportent point au bien de l’Etat, qui ne sont pas puisés dans cette source pure, mais suggérés par la violence des passions.   Tels sont l’orgueilleux désir de commander, l’ostentation de ses forces, la soif des richesses, l’avidité des Conquêtes, la haine, la vengeance.

 

§.31       Guerre dont le sujet est légitime & les motifs vicieux

            Tout le droit de la Nation, & par conséquent du Souverain, vient du bien de l’Etat, & doit se mesurer sur cette règle.   L’obligation d'avancer & de maintenir le vrai bien de la Société, de l’Etat, donne à la Nation le droit de prendre les armes contre celui qui menace ou qui attaque ce bien précieux.   Mais si, lorsqu'on lui fait injure, la Nation est portée à prendre les armes, non par la nécessité de se procurer une juste réparation, mais par un motif vicieux ; elle abuse de son droit.   Le vice du motif souille des Armes, qui pouvoient être justes : La Guerre ne se fait point pour le sujet légitime qu’on avoit de l’entreprendre, & ce sujet n'en est plus que le prétexte.   Quant au Souverain en particulier, au Conducteur de la Nation, de quel droit expose-t-il le salut de l’Etat, le sang & la fortune des Citoyens, pour satisfaire ses passions ? Le pouvoir suprême ne lui est confié que pour le bien de la Nation ; il n'en doit faire usage que dans cette unique vuë ; c’est le but prescrit à ses moindres démarches : & il se portera à la plus importante, à la plus dangereuse, par des motifs étrangers ou contraires à cette grande fin ! Rien n’est plus ordinaire cependant qu'un renversement de vuës si funeste ; & il est remarquable, que, par cette raison, le judicieux POLYBE appelle Causes de la Guerre, les Motifs qui portent à l’entreprendre, & Prétextes, les raisons justificatives, dont on s'autorise.   C’est ainsi, dit-il, que la Cause de la Guerre des Grecs contre les Perses fut l’expérience qu’on avoit faite de leur foiblesse & PHILIPPE ou ALEXANDRE après lui, prit pour prétexte le désir de venger les injustes, que la Grèce avoit si souvent reçues, & de pourvoir à sa sûreté pour l’avenir.

 

§.32       Des Prétextes

            Toutefois, espérons mieux des Nations & de leurs Conducteurs.   Il est de justes causes de Guerre, de véritables raisons justificatives : Et pourquoi ne se trouveroit-il pas des Souverains, qui s'en autorisent sincérement, quand ils ont d'ailleurs des motifs raisonnables de prendre les armes ? Nous appellerons donc Prétextes, les Raisons que l’on donne pour justificatives, & qui n'en ont que l’apparence, ou qui sont même absolument destituées de fondement.   On peut encore appeller Prétextes, des raisons vraies en elles-mêmes & fondées, mais qui n'étant point d'une assez grande importance pour faire entreprendre la Guerre, ne sont mises en avant que pour couvrir des vuës ambitieuses, ou quelqu'autre motif vicieux.   Telle étoit la plainte du Czar PIERRE I de ce qu’on ne lui avoit pas rendu assez d'honneurs, à son passage dans Riga.   Je ne touche point ici à ses autres raisons pour déclarer la Guerre à la Suède.

 

            Les Prétextes sont au moins un hommage, que les injustes rendent à la Justice.   Celui qui s'en couvre, témoigne encore quelque pudeur.   Il ne déclare pas ouvertement la guerre à tout ce qu'il y a de sacré dans la Société humaine.   Il avoue tacitement, que l’injustice décidée mérite l’indignation de tous les hommes.

 

§.33       Guerre entreprise pour la seule utilité

            Celui qui entreprend une Guerre, sur des motifs d'utilité seulement, sans raisons justificatives, agit sans aucun droit, & sa Guerre est injuste.   Et celui qui ayant en effet quelque juste sujet de prendre les armes, ne s'y porte cependant que par des vuës intéressées, ne peut être à la vérité accusé d'injustice ; mais il manifeste des dispositions vicieuses : Sa Conduite est répréhensible, & souillée par le vice des motifs.   La Guerre est un fléau si terrible, que la justice seule, jointe à une espèce de nécessité, peut l’autoriser, la rendre loüable, ou au moins la mettre à couvert de tout reproche.

 

§.34       Des peuples qui font la guerre sans raisons & sans motifs apparens

            Les peuples toûjours prêts à prendre les armes, dès qu’ils espèrent y trouver quelque avantage, sont des injustes, des ravisseurs ; mais ceux qui semblent se nourrir des fureurs de la Guerre, qui la portent de tous côtés, sans raisons ni prétextes, & même sans autre motif que leur férocité, sont des Monstres indignes du nom d'hommes.   Ils doivent être regardés comme les Ennemis du Genre humain, de même que, dans la Société Civile, les Assassins & les Incendiaires de profession ne sont pas seulement coupables envers les victimes particulières de leur brigandage, mais encore envers l’Etat, dont ils sont déclarés ennemis.   Toutes les Nations sont en droit de se réunir, pour châtier même pour exterminer ces peuples féroces.   Tels étoient divers Peuples Germains, dont parle TACITE ; tels ces Barbares, qui ont détruit l’Empire Romain.   Ils conservèrent cette férocité, long-tems après leur conversion au Christianisme.   Tels ont été les Turcs & d'autres Tartares, GENGHISKAN, TIMUR-BEC ou TAMERLAN, fléaux de Dieu comme ATTILA, & qui faisoient la Guerre pour le plaisir de la faire.   Tels sont dans les siécles polis & chez les Nations les mieux civilisées, ces prétendus Héros, pour qui les Combats n'ont que des charmes, qui font la guerre par goût, & non point par amour pour la Patrie.

 

§.35       Comment la Guerre défensive est juste, ou injuste    

            La Guerre défensive est juste, quand elle se fait contre un injuste aggresseur.   Cela n'a pas besoin de preuve.   La défense de soi-même contre une injuste violence, n’est pas seulement un droit, c’est un devoir pour une Nation, & l’un de ses devoirs les plus sacrés.   Mais si l’Ennemi qui fait une Guerre offensive à la Justice de son côté, on n’est point en droit de lui opposer la force, & la défensive alors est injuste.   Car cet Ennemi ne fait qu’user de son droit : il a pris les armes, pour se procurer une justice qu’on lui refusoit ; & c’est une injustice que de résister à celui qui use de son droit.

 

§.36       Comment elle peut devenir juste contre une offensive, qui étoit juste dans son principe

            La seule chose qui reste à faire en pareil cas, c’est d'offrir à celui qui attaque, une juste satisfaction.   S’il ne veut pas s'en contenter, on a l’avantage d'avoir mis le bon droit de son côté ; & l’on oppose désormais de justes armes à ses hostilités, devenuës injustes, parcequ'elles n'ont plus de fondement.

 

            Les Samnites, poussés par l’ambition de leurs Chefs, avoient ravagé les terres des Alliés de Rome.   Revenus de leur égarement, ils offrirent la réparation du dommage, & toute sorte de satisfaction raisonnable ; mais leurs soumissions ne purent appaiser les Romains : Sur quoi CAIUS PONTIUS Général des Samnites, dit à son Peuple : « Puisque les Romains veulent absolument la Guerre, elle devient juste pour nous par nécessité ; les armes sont justes & saintes, pour ceux à qui on ne laisse d'autre ressource que les armes » : Justum est bellum, quibus necessarium ; & pia arma, quibus nulla nisi in armis relinquitur spes (a(a) TIT. LIV.Lib.IX).

 

§.37       Comment la Guerre offensive est juste, dans une Cause évidente

            Pour juger de la justice d'une Guerre offensive, si faut d'abord considérer la nature du sujet qui fait prendre les armes.   On doit être bien assûré de son droit, pour le faire valoir d'une manière si terrible.   S’il est donc question d'une chose évidemment juste, comme de recouvrer son bien, de faire valoir un droit certain & incontestable, d'obtenir une juste satisfaction pour une injure manifeste ; & si on ne peut obtenir justice autrement que par la force des armes ; la Guerre offensive est permise.   Deux choses sont donc nécessaires pour la rendre juste :

 

            1°, Un droit à faire valoir ; c’est-à-dire que l’on soit fondé à exiger quelque chose d'une Nation.  

 

            2°, Que l’on ne puisse l’obtenir autrement que par les armes.   La nécessité seule autorise à user de force.   C’est un moyen dangereux & funeste.   La Nature, Mère commune des hommes, ne le permet qu'à l’extrémité, & au défaut de tout autre.   C’est faire injure à une Nation, que d'employer contre elle la violence, avant que de savoir si elle est disposée à rendre justice, ou à la refuser.   Ceux qui, sans tenter les voies pacifiques, courrent aux armes pour le moindre sujet, montrent assez, que les raisons justificatives ne sont, dans leur bouche, que des prétextes : Ils saisissent avidement l’occasion de se livrer à leurs passions, de servir leur Ambition, sous quelque couleur de droit.

 

§.38       Et dans une Cause douteuse

            Dans une Cause douteuse, là où il s'agit de droits incertains, obscurs, litigieux, tout ce que l’on peut exiger raisonnablement, c'est que la question soit discuttée (Liv.II §.331), & s’il n’est pas possible de la mettre en évidence, que le différend soit terminé par une transaction équitable.   Si donc l’une des Parties se refuse à ces moyens d'accommodement, l’autre sera en droit de prendre les armes, pour la forcer à une transaction.   Et il faut bien remarquer, que la Guerre ne décide pas la question ; la Victoire contraint seulement le vaincu à donner les mains au Traité qui termine le différend.   C’est une erreur non moins absurde que funeste, de dire, que la Guerre doit décider les Controverses entre ceux qui, comme les Nations, ne reconnoissent point de Juge.   La Victoire suit d'ordinaire la force & la prudence, plûtôt que le bon droit.   Ce seroit une mauvaise règle de décision.   Mais c’est un moyen efficace, pour contraindre celui qui se refuse aux voies de justice ; & il devient juste dans les mains du Prince, qui l’employe à propos & pour un sujet légitime.

 

§.39       La Guerre ne peut être juste des deux côtés

            La Guerre ne peut être juste des deux côtés.   L’un s’attribuë un droit, l’autre le lui conteste ; l’un se plaint d'une injure, l’autre nie de l’avoir faite.   Ce sont deux personnes qui disputent sur la vérité d'une proposition : il est impossible que les deux sentiments contraires soient vrais en même-tems.

 

§.40       Quand réputée cependant pour légitime

            Cependant il peut arriver que les contendans soient l’un & l’autre dans la bonne-foi : Et dans une Cause douteuse, il est encore incertain de quel côté se trouve le droit.   Puis donc que les Nations sont égales & indépendantes (Liv.II §.36 & Prélim. §§.18-19), & ne peuvent s'ériger en juges les unes des autres ; il s’ensuit que dans toute Cause susceptible de doute, les armes des deux parties qui se font la Guerre doivent passer également pour légitimes, au moins quant aux effets extérieurs, & jusqu'à ce que la Cause soit décidée.   Cela n'empêche point que les autres Nations n'en puissent porter leur jugement pour elles-mêmes, pour savoir ce qu'elles ont à faire, assister celle qui leur paroîtra fondée.   Cet effet de l’indépendance des Nations n'empêche point non-plus que l’Auteur d'une Guerre injuste ne soit très-coupable.   Mais s'il agit par les suites d'une ignorance, ou d'une erreur invincible, l’injustice de ses armes ne peut lui être imputée.

 

§.41       Guerre entreprise pour punir une Nation

            Quand la Guerre offensive à pour objet de punir une Nation, elle doit être fondée, comme toute autre Guerre, sur le droit & la nécessité.  

 

            1°, Sur le droit : il faut que l’on ait véritablement reçu une injure ; l’injure seule étant une juste Cause de la Guerre (§.26) : on est en droit d'en poursuivre la réparation ; ou si elle est irréparable de sa nature, ce qui est le cas de punir, on est autorisé à pourvoir à sa propre sûreté, & même à celle de toutes les Nations en infligeant à l’offenseur une peine capable de le corriger & de servir d'exemple.  

 

            2°, La nécessité doit justifier une pareille Guerre ; c’est-à-dire, que pour être légitime, il faut qu'elle se trouve l’unique moyen d'obtenir une juste satisfaction, laquelle emporte une sûreté raisonnable pour l’avenir.   Si cette satisfaction complette est offerte, ou si on peut l’obtenir sans Guerre ; l’injure est effacée, & le droit de sûreté n'autorise plus à en poursuivre la vengeance (voyez Liv.II §§.49-52).

 

            La Nation coupable doit se soumettre à une peine qu’elle a méritée, & la souffrir en forme de satisfaction.   Mais elle n’est pas obligée de se livrer à la discrétion d'un Ennemi irrité.   Lors donc qu'elle se voit attaquée, elle doit offrir satisfaction, demander ce qu’on exige d'elle en forme de peine ; & si on ne veut pas s'expliquer, ou si on prétend lui imposer une peine trop dure, elle est en droit de résister ; sa défense devient légitime.

 

            Au reste, il est manifeste que l’offensé seul à le droit de punir des personnes indépendantes.   Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit ailleurs (L.II §.7) de l’erreur dangereuse, ou de l’extravagant prétexte de ceux qui s’arrogent le droit de punir une Nation indépendante, pour des fautes, qui ne les intéressent point ; qui s’érigent follement en Défenseurs de la Cause de Dieu, se charge de punir la dépravation des mœurs, ou l’irréligion d’un peuple, qui n’est pas commis à leurs soins.

 

§.42       Si l’accroissement d'une Puissance voisine peut autoriser à lui faire la guerre

            Il se présente ici une Question célèbre & de la plus grande importance.   On demande, si l’accroissement d’une Puissance voisine, par laquelle on craint d’être un jour opprimé, est une raison suffisante de lui faire la Guerre ; si l’on peut avec justice, prendre les armes, pour s’opposer à son aggrandissement, ou pour l’affoiblir, dans la seule vuë de se garentir des dangers, dont une Puissance démésurée menace presque toûjours les foibles ? La Question n’est pas un problème, pour la plûpart des Politiques : Elle est plus embarrassante pour ceux qui veulent allier constamment la Justice à la Prudence.

 

             D’un côté, l’Etat qui accroît sa puissance par tous les ressorts d’un bon Gouvernement, ne fait rien que de loüable ; il remplit ses devoirs envers soi-même, & ne blesse point ceux qui le lient envers autrui.   Le Souverain qui, par héritage, par une élection libre, ou par quelque autre voie juste & honnête, unis à ses Etats de nouvelles Provinces, des Royaumes entiers, use de ses droits, & ne fait tort à personne.   Comment seroit -il donc permis d'attaquer une Puissance, qui s'aggrandit par des moyens légitimes ? Il faut avoir reçu une injure, ou en être visiblement menacé, pour être autorisé à prendre les armes, pour avoir un juste sujet de Guerre (§§.26 & 27).   D'un autre côté, une funeste & constante expérience ne montre que trop, que les Puissances prédominantes ne manquent guères de molester leurs voisins, de les opprimer, de les subjuguer même entiérement, dès qu'elles en trouvent l’occasion & qu'elles peuvent le faire impunément.   L’Europe se vit sur le point de tomber dans les fers, pour ne s’être pas opposée de bonne-heure à la fortune de CHARLES-QUINT.   Faudra-t-il attendre le danger, laisser grossir l’orage, qu’on pourroit dissiper dans ses commencemens ; souffrir l’aggrandissement d'un Voisin, & attendre paisiblement qu'il se dispose à nous donner des fers ? Sera-t-il tems de se défendre quand on n'en aura plus les moyens ? La Prudence est un devoir pour tous les hommes, & très-particulièrement pour les Conducteurs des Nations, chargés de veiller au salut de tout un peuple.   Essayons de résoudre cette grande question, conformément aux principes sacrés du Droit de la Nature & des Gens.   On verra qu’ils ne mènent point à d'imbécilles scrupules, & qu'il est toûjours vrai de dire, que la Justice est inséparable de la saine Politique.

 

§.43       Seul & par lui-même, il ne peut en donner le droit

            Et d'abord, observons que la prudence, qui est sans-doute une vertu bien nécessaire aux Souverains, ne peut jamais conseiller l’usage des moyens illégitimes pour une fin juste & loüable.   Qu’on n'oppose point ici le salut du peuple, Loi suprême de l’Etat ; car ce salut même du peuple, le salut commun des Nations, proscrit l’usage des moyens contraires à la Justice & à l’honnêteté.   Pourquoi certains moyens sont-ils illégitimes ? Si l’on y regarde de près, si l’on remonte jusqu'aux prémiers principes, on verra que c’est précisément parceque leur introduction seroit pernicieuse à la Société humaine, funeste à toutes les Nations.   Voyez en particulier ce que nous avons dit en traitant de l’observation de la Justice (Liv.II chap.V).   C'est donc pour l’intérêt & le salut même des Nations, que l’on doit tenir comme une Maxime sacrée, que la fin ne légitime pas les moyens.   Et puisque la Guerre n’est permise que pour venger une injure reçuê, ou pour se garentir de celle dont on est menacé (§.26) ; c’est une Loi sacrée du Droit des Gens, que l’accroissement de puissance ne peut seul & par lui-même donner à qui que ce soit le droit de prendre les armes, pour s'y opposer.

 

§.44       Comment les apparences du danger donnent ce droit

            On n'a point reçu d'injure de cette Puissance ; la Question le suppose : il faudroit donc être fondé à s'en croire menacé, pour courrir légitimement aux armes.   Or la puissance seule ne menace pas d'injure ; il faut que la volonté y soit jointe.   Il est malheureux pour le Genre-humain, que l’on puisse presque toûjours supposer la volonté d'opprimer, là où se trouve le pouvoir d'opprimer impunément.   Mais ces deux choses ne fons pas nécessairement inséparables : Et tout le droit que donne leur union ordinaire, ou fréquente, c’est de prendre les prémières apparences pour un indice suffisant.   Dès qu'un Etat à donné des marques d'injustice, d'avidité, d'orgueil, d'ambition, d'un désir impérieux de faire la loi ; c’est un Voisin suspect, dont on doit se garder : on peut le prendre au moment où il est sur le point de recevoir un accroissement formidable de Puissance, lui demander des sûretés ; & s'il hésite à les donner, prévenir ses desseins par la force des armes.   Les intérêts des Nations sont d'une toute autre importance, que ceux des particuliers ; le Souverain ne peut y veiller mollement, ou sacrifier ses défiances, par grandeur d’âme & par générosité.   Il y va de tout pour une Nation, qui a un Voisin également puissant & ambitieux.   Puisque les hommes sont réduits à se gouverner le plus souvent sur les probabilités ; ces probabilités méritent leur attention, à proportion de l’importance du sujet ; & pour me servir d'une expression de Géométrie, on en fondé à aller au-devant d'un danger, en raison composée du dégré d'apparence & de la grandeur du mal dont on est menacé.   S’il est question d'un mal supportable, d'une perte légère, il ne faut rien précipiter ; il n’y a pas un grand péril à attendre, pour s'en garder, la certitude qu’on en est menacé.   Mais s'agit-il du salut de l’Etat ? La prévoyance ne peut s'étendre trop loin.   Attendra-t-on, pour détourner sa ruïne, qu'elle soit devenuë inévitable ? Si l’on en croit si aisément les apparences, C’est la faute de ce Voisin, qui a laissé échapper divers indices de son Ambition.   Que CHARLES II Roi d'Espagne, au lieu d'appeller à sa Succession le Duc d'Anjou, eût nommé pour son Héritier Louis XIV lui-même ; souffrir tranquillement l’union de la Monarchie d'Espagne à celle de France, c’eût été, suivant toutes les règles de la prévoyance humaine, livrer l’Europe entière à la servitude, ou la mettre au moins dans l’état le plus critique.   Mais quoi ? Si deux Nations indépendantes jugent à propos de s'unir, pour ne former désormais qu'un même Empire, ne sont-elles pas en droit de le faire ? Qui sera fondé à s'y opposer ? Je répons, qu'elles sont en droit de s'unir, pourvû que ce ne soit point dans des vuës préjudiciables aux autres.   Or si chacune de ces deux Nations est en état de se gouverner & de se soutenir par elle-même, de se garentir d'insulte & d'oppression ; on présume avec raison qu'elles ne s'unissent en un même Etat, que dans la vuë de dominer sur leurs voisins.   Et dans les occasions où il est impossible, ou trop dangereux d'attendre une entière certitude, on peut justement agir sur une présomption raisonnable.   Si un inconnu me couche en jouë au milieu d'un bois, je ne suis pas encore certain qu'il veuille me tuer ; lui laisserai-je le tems de tirer, pour m'assûrer de son dessein ? Est-il un Casuiste raisonnable qui me refuse le droit de le prévenir ? Mais la présomption devient presque équivalente à une certitude, si le Prince qui va s'élever à une Puissance énorme, à déja donné des preuves de hauteur & d'une ambition sans bornes.   Dans la supposition que nous venons de faire, qui eût osé conseiller aux Puissances de l’Europe de laisser prendre à Louis XIV un accroissement de forces si redoutable ? Trop certaines de l’usage qu'il en auroit fait, elles s'y seroient opposées de concert ; & leur sûreté les y autorisoit.   Dire qu'elles devoient lui laisser le tems d'affermir sa domination sur l’Espagne, de consolider l’union des deux Monarchies, & dans la crainte de lui faire injustice, attendre tranquillement qu'il les accablât ; ne seroit-ce pas interdire aux hommes le droit de se gouverner suivant les règles de la prudence, de suivre la probabilité, & leur ôter la liberté de pourvoir à leur salut, tant qu'elles n'auront pas une démonstration Mathématique qu'il est en danger ? On prêcheroit vainement une pareille doctrine.   Les principaux Souverains de l’Europe, que le Ministère de Louvois avoit accoûtumés à redouter les forces & les vuës de Louis XIV, portèrent la défiance jusqu'à ne pas vouloir souffrir qu'un Prince de la Maison de France s’assit sur le Trône d'Espagne, quoiqu'il y fût appellé par la Nation, qui approuvoit le Testament de son dernier Roi.   Il y monta malgré les efforts de ceux qui craignoient tant son élévation ; & les suites ont fait voir que leur Politique étoit trop ombrageuse.

 

§.45       Autre cas plus évident

            Il est plus aisé encore de prouver, que si cette Puissance formidable laisse percer des dispositions injustes & ambitieuses, par la moindre injustice qu'elle fera à une autre, toutes les Nations peuvent profitter de l’occasion, & en se joignant à l’offensé, réunir leurs forces, pour réduire l’Ambitieux & pour le mettre hors d'état d'opprimer si facilement ses Voisins, ou de les faire trembler continuellement devant lui.   Car l’injure donne le droit de pourvoir à sa sûreté pour l’avenir, en ôtant à l’injuste les moyens de nuire ; & il est permis, il est même loüable, d’assister ceux qui sont opprimés, ou injustement attaqués.   Voilà de quoi mettre les Politiques à l’aise, & leur ôter tout sujet de craindre, que se piquer ici d'une exacte justice, ce ne fût courrir à l’esclavage, il est peut-être sans exemple, qu'un Etat reçoive quelque notable accroissement de puissance, sans donner à d'autres de justes sujets de plainte.   Que toutes les Nations soient attentives à le réprimer ; & elles n'auront rien à craindre de sa part.   L’Empereur CHARLES-QUINT saisit le prétexte de la Religion, pour opprimer les Princes de l’Empire & les soumettre à son autorité absoluë.   Si, profittant de sa Victoire sur l’Electeur de Saxe, il fût venu à bout de ce grand dessein, la Liberté de l’Europe étoit en danger.   C'étoit donc avec raison que la France assistoit les Protestans d'Allemagne ; la Justice le lui permettoit, & elle y étoit appellée par le soin de son propre salut.   Lorsque le même Prince s'empara du Duché de Milan, les Souverains de l’Europe devoient aider la France à le lui disputer, & profitter de l’occasion pour réduire sa Puissance à de justes bornes.   S'ils se fussent habilement prévalus des justes sujets qu'il ne tarda pas à leur donner de se liguer contre lui, ils n'auroient pas tremblé dans la suite pour leur Liberté.

 

§.46       Autres moyens toûjours permis, pour se mettre en garde contre une grande Puissance

            Mais supposé que cet Etat puissant par une conduite également juste & circonspecte, ne donne aucune prise sur lui ; verra-t-on ses progrès d'un œil indifférent ; & tranquilles spectateurs des rapides accroissemens de ses forces, se livrera-t-on imprudemment aux desseins qu'elles pourront lui inspirer ? Non sans-doute.   L’imprudente nonchalance ne seroit pas pardonnable, dans une matière de si grande importance.   L’exemple des Romains est une bonne leçon à tous les Souverains.   Si les plus Puissans de ces tems-là se fussent concertés pour veiller sur les entreprises de Rome, pour mettre des bornes à ses progrès ; ils ne seroient pas tombés successivement dans la servitude.   Mais la force des armes n’est pas le seul moyen de se mettre en garde contre une Puissance formidable.   Il en est de plus doux, & qui sont toûjours légitimes.   Le plus efficace est la Confédération des autres Souverains moins puissans, lesquels, par la réunion de leurs forces, se mettent en état de balancer la Puissance qui leur fait ombrage.   Qu’ils soient fidèles & fermes dans leur Alliance ; leur union fera la sûreté d'un chacun.

 

            Il leur est permis encore de se favoriser mutuellement, à l’exclusion de celui qu’ils redoutent ; & par les avantages de toute espèce, mais sur-tout dans le Commerce, qu’ils feront réciproquement aux sujets des Alliés, & qu’ils refuseront à ceux de cette dangereuse Puissance, ils augmenteront leurs forces, en diminuant les siennes, sans qu’elle ait sujet de se plaindre ; puisque chacun dispose librement de ses faveurs.

 

§.47       De l’Equilibre Politique

            L’Europe fait un systême Politique, un Corps, où tout est lié par les rélations & les divers intérêts des Nations, qui habitent cette partie du Monde.   Ce n’est plus, comme autrefois, un amas confus de pièces isolées, dont chacune se croyoit peu intéressée au sort des autres, & se mettoit rarement en peine de ce qui ne la touchoit pas immédiatement.   L’attention continuelle des Souverains à tout ce qui se passe, les Ministres toûjours résidens les Négociations perpétuelles font de l’Europe moderne une espèce de République, dont les Membres indépendans, mais liés par l’intérêt commun, se réunissent pour y maintenir l’ordre & la Liberté.   C’est ce qui a donné naissance à cette fameuse idée de la Balance Politique, ou de l’Equilibre du Pouvoir.   On entend par là, une disposition des choses, au moyen de laquelle aucune Puissance ne se trouve en état de prédominer absolument, & de faire la loi aux autres.

 

§.48       Moyens de le maintenir

            Le plus sûr moyen de conserver cet Equilibre seroit, de faire qu'aucune Puissance ne surpassât de beaucoup les autres, que toutes, ou au moins la meilleure partie, fussent à-peu-près égales en forces.   On a attribué cette vuë à HENRI IV.   Mais elle n'eût pû se réaliser sans injustice & sans violence.   Et puis, cette égalité une fois établie, comment la maintenir toûjours par des moyens légitimes ? Le Commerce, l’industrie, les Vertus Militaires, la feront bientôt disparoître.   Le droit d'héritage, même en faveur des femmes & de leurs descendans, établi avec tant d'absurdité pour les Souverainetés, mais établi enfin, bouleversera votre systême.

 

            Il est plus simple, plus aisé & plus juste, de recourrir au moyen dont nous venons de parler, de former des Confédérations, pour faire tête au plus puissant & l’empêcher de donner la Loi.   C’est ce que font aujourd’hui les Souverains de l’Europe.   Ils considérent les deux principales Puissances, qui, par-là même, sont naturellement rivales, comme destinées à se contenir réciproquement, & ils se joignent à la plus foible, comme autant de poids, que l’on jette dans le bassin le moins chargé, pour le tenir en équilibre avec l’autre.   La Maison d'Autriche à long-tems été la Puissance prévalente C’est aujourd’hui le tour de la France.   L’Angleterre, dont les richesses & les Flottes respectables ont une très-grande influence, sans allarmer aucun Etat pour sa Liberté, parceque cette Puissance paroit guérie de l’esprit de Conquête ; l’Angleterre, dis-je, à la gloire de tenir en ses mains la Balance Politique.   Elle est attentive à la conserver en équilibre.   Politique très-sage & très-juste en elle-même, & qui sera à-jamais loüable, tant qu'elle ne s'aidera que d'Alliances, de Confédérations, ou d'autres moyens également légitimes.

 

§.49       Comment on peut contenir, ou même affoiblir celui qui rompt l’équilibre

            Les Confédérations seroient un moyen sûr de conserver l’Equilibre, & de maintenir ainsi la Liberté des Nations, si tous les Souverains étoient constamment éclairés sur leurs véritables intérêts, & s’ils mesuroient toutes leurs démarches sur le bien de l’Etat.   Mais les grandes Puissances ne réussissent que trop à se faire des partisans & des Alliés, aveuglément livrés à leurs vuës.   Eblouïs par l’éclat d'un avantage présent, réduits par leur avarice, trompés par des ministres infidèles, combien de Princes se font les instruments d'une Puissance, qui les engloutira quelque jour, eux ou leurs Successeurs ? Le plus sûr est donc d'affoiblir celui qui rompt l’équilibre, aussi-tôt qu’on en trouve l’occasion favorable, & qu’on peut le faire avec justice (§.45) ; ou d’empêcher par toute sorte de moyens honnêtes, qu'il ne s'élève à un dégré de puissance trop formidable.   Pour cet effet, toutes les Nations doivent être sur-tout attentives à ne point souffrir qu'il s'aggrandisse par la vole des armes : Et elles peuvent toûjours le faire avec justice.   Car si ce Prince fait une Guerre injuste ; chacun est en droit de secourir l’opprimé.   Que s'il fait une Guerre juste ; les Nations neutres peuvent s'entremettre de l’accommodement, engager le foible à offrir une juste satisfaction, des conditions raisonnables, & ne point permettre qu'il soit subjugué.   Dés que l’on offre des Conditions équitables à celui qui fait la Guerre la plus juste, il a tout ce qu'il peut prétendre.   La justice de sa Cause, comme nous le verrons plus bas, ne lui donne jamais le droit de subjuguer son ennemi, si ce n'est quand cette extrémité devient nécessaire à sa sûreté, ou quand il n'a pas d'autre moyen de s'indemniser du tort qui lui a été fait.   Or ce n’est point ici le cas ; les Nations intervenantes pouvant lui faire trouver d'une autre manière & sa sûreté, & un juste dédommagement.

 

            Enfin il n'est pas douteux que si cette Puissance formidable médite certainement des desseins d'oppression & de conquête, si elle trahit ses vuës par ses préparatifs, ou par d'autres démarches ; les autres sont en droit de la prévenir, & si le sort des armes leur est favorable, de profitter d'une heureuse occasion, pour affoiblir & réduire une Puissance trop contraire à l’équilibre, & redoutable à la Liberté commune.

 

            Ce droit des Nations est plus évident encore contre un Souverain, qui, toûjours prêt à courrir aux armes, sans raisons & sans prétextes plausibles, trouble continuellement la tranquillité publique.

 

§.50       Conduite que l’on peut tenir avec un Voisin, qui fait des préparatifs de Guerre

            Ceci nous conduit à une Question particulière, qui a beaucoup de rapport à la précédente.   Quand un Voisin, au milieu d'une paix profonde, construit des Forteresses sur notre frontière, équippe une Flotte, augmente ses Troupes, assemble une Armée puissante, remplit ses Magasins ; en un mot, quand il fait des préparatifs de Guerre ; nous est-il permis de l’attaquer, pour prévenir le danger, dont nous nous croyons menacés ? La réponse dépend beaucoup des mœurs, du caractère de ce Voisin.   Il faut le faire expliquer, lui demander la raison de ces préparatifs.   C’est ainsi qu’on en use en Europe.   Et si sa foi est justement suspecte, on peut lui demander des sûretés.   Le refus seroit un indice suffisant de mauvais desseins & une juste raison de les prévenir.   Mais si ce Souverain n'a jamais donné des marques d'une lâche perfidie, & sur-tout si nous n'avons actuellement aucun démêlé avec lui ; pourquoi ne demeurerions-nous pas tranquilles sur sa parole, en prenant seulement les précautions que la prudence rend indispensables ? Nous ne devons point, sans sujet, le présumer capable de se couvrir d'infamie en ajoutant la perfidie à la violence.   Tant qu'il n'a pas rendu sa foi suspecte, nous ne sommes point en droit d'exiger de lui d'autre sûreté.

 

            Cependant il est vrai que si un Souverain demeure puissamment armé en pleine paix, ses Voisin ne peuvent s’endormir entièrement sur sa parole : La prudence les oblige à se tenir sur leurs gardes.   Et quand ils seroient absolument certains de la bonne-foi de ce Prince ; il peut survenir des différends, qu’on ne prévoit pas : Lui laisseront-ils l’avantage d'avoir alors des Troupes nombreuses & bien disciplinées, auxquelles ils n'auront à opposer que de nouvelles levées ? Non sans-doute ; ce seroit se livrer presque à sa discrétion.   Les voilà donc contraints de l’imiter, d'entretenir comme lui une grande Armée.   Et quelle charge pour un Etat ! Autrefois, & sans remonter plus haut que le siécle dernier, on ne manquoit guères de stipuler dans les Traités de paix, que l’on désarmeroit de part & d'autre, qu’on licencieroit les Troupes.   Si en pleine paix, un Prince vouloit en entretenir un grand nombre sur pied, ses voisins prenoient leurs mesures, formoient des Ligues contre lui ; & l’obligeoient à désarmer.   Pourquoi cette Coûtume salutaire ne s’est-elle pas conservée ? Ces Armées nombreuses, entretenuës en tout tems, privent la terre de ses Cultivateurs, arrêtent la population, & ne peuvent servir qu'à opprimer la Liberté du peuple qui les nourrit.   Heureuse l’Angleterre ! Sa situation la dispense d'entretenir à grands fraix les instruments du Despotisme.   Heureux les Suisses ! Si continuant à exercer soigneusement leurs Milices, ils se maintiennent en état de repousser les Ennemis du dehors, sans nourrir dans l’oisiveté, des soldats, qui pourroient un jour opprimer la Liberté du peuple, & menacer même l’Autorité légitime du Souverain.   Les Légions Romaines en fournissent un grand exemple.   Cette heureuse méthode d'une République libre, l’usage de former tous les Citoyens au métier de la Guerre, rend l’Etat respectable au dehors sans le charger d'un vice intérieur.   Elle eût été par-tout imitée, si par-tout on se fût proposé pour unique vuë le Bien public.   En voilà assez sur les principes généraux, par lesquels on peut juger de la justice d'une Guerre.   Ceux qui posséderont bien les Principes, & qui auront de justes idées des divers droits des Nations, appliqueront aisément les Règles aux cas particuliers.


 

 

 

Table des matières

 

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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:03

CHAPITRE II

De ce qui sert à faire la Guerre, de la levée des Troupes &c., de leurs Commandans, ou des Puissances subalternes dans la Guerre.

 

§.6        Des instruments de la Guerre

            Le Souverain est le véritable Auteur de la Guerre, laquelle se fait en son nom & par son ordre.   Les Troupes, Officiers, Soldats, & en général tous ceux par le moyen desquels le Souverain fait la Guerre, ne sont que des instruments dans sa main.   Ils exécutent sa volonté, & non la leur.   Les armes, & tout l’appareil des choses qui servent à la Guerre, sont des instruments d'un ordre inférieur.   Il est important, pour des questions qui se présenteront dans la suite, de déterminer précisément quelles sont les choses qui appartiennent à la Guerre.   Sans entrer ici dans le détail, nous disons que tout ce qui sert particulièrement à faire la Guerre, doit être mis au rang des instruments de la Guerre ; & les choses qui sont également d'usage en tout tems, comme les vivres, appartiennent à sa paix ; si ce n'est en certaines occasions particulières, où l’on voit que ces choses-là sont spécialement destinées à soutenir la Guerre.   Les Armes de toute espèce, l’Artillerie, la poudre à canon, le salpêtre & le souffre, qui servent à la fabriquer, les échelles, gabions, outils, & tout l’attirail d'un siège ; les matériaux de construction pour vaisseaux de guerre, les tentes, les habits de soldats &c., tout cela appartient constamment à la Guerre.           

           

 

§.7        Du droit de lever des Troupes

            La Guerre ne pouvant se faire sans soldats il est manifeste que Quiconque a le droit de faire la Guerre, a naturellement aussi celui de lever des Troupes.   Ce dernier droit appartient donc encore au Souverain (§.4), & il et au nombre des Droits de Majesté (L.I §.45).   Le pouvoir de lever des Troupes, de mettre une Armée sur pied, est d'une trop grande conséquence dans l’Etat, pour qu'il puisse être confié à d'autres qu'au Souverain.   Les Puissances subalternes n'en sont point revêtuës : Elles l’exercent seulement par ordre ou par Commission du Souverain.   Mais il n'est pas toûjours nécessaire qu'elles en ayent un ordre exprès.   Dans ces occasions pressantes, où il est impossible d'attendre les ordres suprêmes, un Gouverneur de Province, un Commandant de Place peuvent lever des Troupes, pour la défense de la Ville ou de la Province qui leur est confiée ; & ils le sont en vertu du pouvoir que leur donne tacitement leur Commission, pour des cas de cette nature.

 

            Je dis que ce pouvoir éminent est l’appannage du Souverain ; il fait partie de l’Empire suprême.   Mais on a vû ci-dessus, que les droits, dont l’assemblage constituë la souveraineté, peuvent être divisés (L. I §§.31 & 45), si telle est la volonté de la Nation.   Il peut donc arriver que la Nation ne confie pas à son Conducteur un droit si dangereux à la Liberté, celui de lever des Troupes & de les tenir sur pied, ou qu'elle en limite au moins l’exercice, en le faisant dépendre du consentement de ses Réprésentans.   Le Roi d'Angleterre, qui a le droit de faire la Guerre, a bien aussi celui de délivrer des Commissions pour la levée des Troupes ; mais il ne peut contraindre personne à s'enrôller, ni entretenir une Armée sur pied sans le concours du Parlement.

 

§.8        Obligation des Citoyens ou Sujets

            Tout Citoyen est obligé de servir & de défendre l’Etat, autant qu'il en est capable.   La Société ne peut se conserver autrement ; & ce concours pour la défense commune est une des prémières vuës de toute Association Politique.   Quiconque est en état de porter les armes, doit les prendre, au prémier commandement de celui qui a le pouvoir de faire la Guerre.

 

§.9        Enrôllemens, levée des Troupes

            Autrefois, & sur-tout dans les petits Etats, dès que la Guerre se déclaroit, tout devenoit soldat ; le peuple entier prenoit les armes & faisoit la guerre.   Bientôt on fit un choix, on forma des Armées de gens d'élite, & le reste du peuple se tint à ses occupations ordinaires.   Aujourd’hui l’usage des Troupes réglées s'est établi presque par-tout, & principalement dans les grands Etats.   La Puissance publique lève des soldats, les distribuë en différens Corps, sous l’autorité des Chefs & autres Officiers, & les entretient aussi long-tems qu'elle le trouve à propos.   Puisque tout Citoyen ou sujet est obligé de servir l’Etat, le Souverain est en droit d'enrôller qui il lui plaît, dans le besoin.   Mais il ne doit choisir que des gens propres au métier de la guerre ; & il est tout-à-fait convenable qu'il ne prenne, autant que cela se peut, que des hommes de bonne volonté, qui s'enrôllent sans contrainte.

 

§.10       S’il y a des exemptions de porter les armes

            Naturellement nul n'est exempt de prendre les armes pour la Cause de l’Etat ; l’obligation de tout Citoyen étant la même.   Ceux-là seuls sont exceptés, qui ne sont pas capables de manier les armes, ou de soutenir les fatigues de la guerre.   Par cette raison, on exempte les vieillards, les enfans & les femmes.   Quoiqu'il se trouve des femmes aussi robustes & aussi courageuses que les hommes, cela n'est pas ordinaire ; & les règles sont nécessairement générales, elles se forment sur ce qui se voit plus communément.   D'ailleurs les femmes sont nécessaires à d'autres soins dans la Société ; enfin le mélange des deux séxes dans les armées, entraineroit trop d'inconvéniens.

 

            Autant qu'il est possible, un bon Gouvernement doit employer tous les Citoyens, distribuer les charges & les fonctions, de manière que l’Etat soit le mieux servi, dans toutes ses affaires.   Il doit donc, quand la nécessité ne le presse pas, exempter de la Milice tous ceux qui sont voüés à des fonctions utiles, ou nécessaires à la Société.   C'est pourquoi les Magistrats sont ordinairement exempts ; ils n'ont pas trop de tout leur tems pour rendre la Justice & maintenir le bon ordre.

 

            Le Clergé ne peut naturellement, & de droit, s'arroger aucune exemption particulière.   Défendre la Patrie n'est point une fonction indigne des mains les plus sacrées.   La Loi de l’Eglise, qui défend aux Ecclésiastiques de verser le sang, est une invention commode, pour dispenser d'aller aux coups, des gens souvent si ardens à souffler le feu de la discorde & à exciter des guerres sanglantes.   A la vérité, les mêmes raisons que nous venons d'alléguer en faveur des Magistrats, doivent faire exempter des armes le Clergé véritablement utile, celui qui sert à enseigner la Religion, gouverner l’Eglise & à célébrer le Culte public (a(a) Autrefois les Evêques alloient à la Guerre, à raison de leurs Fiefs, & y menoient leurs Vassaux.   Les Evêques Danois ne manquoient point à une fonction, qui leur plaisoit davantage que les soins paisibles de l’Episcopat.   Le fameux ABSALON Evêque de Roschild & ensuite Archevêque de Lunden, étoit le principal General du Roi VALDEMAR I.   Et depuis que l’usage des Troupes réglées a mis fin à ce service féodal, on a vû des Prélats guerriers ambitionner le Commandement des Armées.   Le Cardinal de LA VALETTE, SOURDIS Archevêque de Bourdeaux endossérent la cuirasse sous le Ministère de RICHELIEU, qui s'en revêtit lui-même, à l’attaque du pas de Suse.   C'est un abus, auquel l’Eglise s'oppose avec raison.   Un Evêque est mieux à sa place dans son Diocèse, qu'à l’Armée : Et aujourd’hui les Souverains ne manquent pas de Généraux & d'Officiers, plus utiles que ne pourroient l’être des Gens d'Eglise.   En général, il convient que chacun reste dans ses fonctions.   Je ne conteste au Clergé qu'une exemption de droit, & dans les cas de nécessité.).

 

            Mais cette immense multitude d'inutiles Religieux, ces gens, qui, sous prétexte de se consacrer à Dieu, se voüent en effet à une molle oisiveté, de quel droit prétendent-ils une prérogative ruïneuse à l’Etat ? Et si le Prince les exempte des armes, ne fait-il pas tort au reste des Citoyens, sur qui il rejette le fardeau ? Je ne prétens pas ici conseiller à un Souverain de remplir ses Armées de Moines ; mais de diminuer insensiblement une Espèce inutile, en lui ôtant des Privilèges abusifs & mal fondés.   L’Histoire parle d'un Évêque guerrier (b(b) Un Evêque de Beauvais sous PHILIPPE-AUGUSTE.   Il combattit à la Bataille de Bouvines.), qui combattoit avec une massuë, assommant les ennemis, afin de ne pas encourir l’irrégularité en répandant leur sang.   Il seroit plus raisonnable, en dispensant les Religieux de porter les armes, de les employer aux travaux & au soulagement des soldats.   Plusieurs s'y sont prêtés avec zèle dans la nécessité : je pourrois citer plus d'un siège fameux, où des Religieux ont servi utilement à la défense de la Patrie.   Quand les Turcs assiégèrent Malte, les Gens d'Eglise, les femmes, les enfans mêmes, tous contribuèrent chacun selon son état ou ses forces, à cette glorieuse défense qui rendit vains tous les efforts de l’Empire Ottoman.

 

            Il est une autre espèce de fainéans, dont l’exemption est plus criante encore ; je veux parler de ce tas de valets, qui remplissent inutilement les Maisons des Grands & des riches : Gens dont la vocation est de se corrompre eux -mêmes, en étalant le luxe de leur Maître.

 

§.11       Solde & logement des Gens de guerre

            Chez les Romains, la Milice fut gratuite, pendant que tout le peuple y servoit à son tour.   Mais dès que l’on fait un choix, dès que l’on entretient des Troupes sur pied, l’Etat doit les soudoyer ; car personne ne doit que sa quote-part du service public : Et si les revenus ordinaires ne suffisent pas, il faut y pourvoir par des Impôts.   Il est juste que ceux qui ne servent pas, payent leurs Défenseurs.

 

            Quand le soldat n'est pas sous la tente, il faut nécessairement le loger.   Cette charge tombe naturellement sur ceux qui possèdent des Maisons.   Mais comme elle est sujette à bien des inconvéniens, & très-fâcheuse aux Citoyens ; il est d'un bon Prince, d'un Gouvernement sage & équitable, de les en soulager autant qu'il est possible.   Le Roi de France y a pourvû magnifiquement en bien des Places, par des Casernes, construites pour le logement de la Garnison.

 

§.12       Des Hôpitaux & Hôtels d'Invalides

            Les Asyles préparés aux soldats & aux Officiers pauvres, qui ont blanchi sous le harnois, que les fatigues ou le fer de l’ennemi ont mis hors d'état de pourvoir à leurs besoins, peuvent être envisagés comme une partie de la solde militaire.   En France & en Angleterre, de magnifiques Etablissemens en faveur des Invalides, font honneur au Souverain & à la Nation, en acquittant une dette sacrée.   Le soin de ces infortunées victimes de la Guerre, est un devoir indispensable pour tout Etat, à proportion de son pouvoir.   Il est contraire, non pas seulement à l’humanité, mais à la plus étroite justice, de laisser périr de misère, ou indignement forcés à mendier leur pain, de généreux Citoyens, des Héros, qui ont versé leur sang pour le salut de la Patrie.   Leur entretien honorable seroit une charge bien convenable à répartir sur les riches Couvents & sur les gros Bénéfices Ecclésiastiques.   Il est trop juste que des Citoyens, qui fuient tous les dangers de la guerre, employent une partie de leurs richesses à soulager leurs vaillans Défenseurs.

 

§.13       Des soldats mercénaires

            Les soldats mercénaires sont des Etrangers qui s'engagent volontairement à servir l’Etat, pour de l’argent, pour une solde convenuë.   Comme ils ne doivent aucun service à un Souverain, dont ils ne sont pas sujets, les avantages qu'il leur fait sont leurs motifs.   Ils contractent, par leur engagement, l’obligation de le servir & le Prince, de son côté leur promet des conditions, stipulées dans leur Capitulation.   Cette Capitulation, règle & mesure des obligations & des droits respectifs des Contractans, doit être observée religieusement.   Les plaintes de quelques Historiens François, contre des Troupes Suisses, qui, en diverses occasions, ont autrefois refusé de marcher à l’ennemi & se sont même retirées parce qu’on ne les payoit pas ; ces plaintes, dis-je, ne sont pas moins ridicules qu'injustes.   Par quelle raison, une Capitulation lieroit-elle plus fortement l’une des parties que l’autre ? Dès que le Prince ne tient pas ce qu’il a promis, les soldats étrangers ne lui doivent plus rien.   J'avoüe qu'il y auroit peu de générosité à abandonner un Prince, Lorsqu’un accident le mettroit pour un tems hors d'état de payer, sans qu'il y eût de sa faute.   Il pourroit se trouver même des circonstances, dans lesquelles cette infléxibilité seroit, sinon injuste à rigueur, au moins fort contraire à l’équité.   Mais ce n'a jamais été le cas des Suisses.   Ils ne quittoient point à la prémière montre qui manquoit : Et lorsqu’ils ont vû dans un Souverain beaucoup de bonne volonté, jointe à une véritable impuissance de les satisfaire, leur patience & leur zèle se sont constamment soutenus.   HENRI IV leur devoit des sommes immenses : Ils ne l’abandonnèrent point dans ses plus grandes nécessités ; & ce Héros trouva dans la Nation autant de générosité que de bravoure.

 

            Je parle ici des Suisses, parce qu'en effet, ceux dont il est question étoient souvent de simples Mercénaires.   Mais il ne faut pas confondre avec des Troupes de cette espèce, les Suisses qui servent aujourd’hui diverses Puissances avec la permission de leur Souverain & en vertu des Alliances, qui subsistent entre ces Puissances & le Corps Helvétique ou quelque Canton en particulier.   Ces dernières Troupes sont de véritables Auxiliaires, quoique payées par les Souverains qu'elles servent.

 

            On a beaucoup agité la question, si la profession de soldat mercénaire est légitime, ou non ; s'il est permis à des particuliers de s'engager pour de l’argent, ou pour d'autres récompenses, à servir un Prince étranger, dans ses guerres.   Je ne vois pas que cette question soit fort difficile à résoudre.   Ceux qui s'engagent ainsi, sans la permission expresse ou tacite, de leur Souverain péchent contre leur devoir de Citoyens.   Mais dès que le Souverain leur laisse la liberté de suivre leur inclination pour les armes ; ils deviennent libres à cet égard.   Or il est permis à tout homme libre, de se joindre à telle Société qu'il lui plaît, & où il trouve son avantage, de faire Cause commune avec elle, & d'épouser ses querelles.   Il devient en quelque façon, au moins pour un tems, Citoyen de l’Etat où il prend du service : Et comme, pour l’ordinaire, un Officier est libre de quitter quand il le trouve propos, & le simple soldat au terme de son engagement ; si cet Etat entreprend une guerre Manifestement injuste, l’Etranger peut prendre son Congé.   Ce soldat mercénaire, en apprenant le métier de la guerre, se sera rendu plus capable de servir sa Patrie, si jamais elle a besoin de son bras.   Cette dernière considération nous fournira la réponse à une instance, que l’on fait ici.   On demande, si le Souverain peut honnêtement permettre à ses sujets de servir indistinctement des Puissances étrangères, pour de l’argent ? Il le peut, par cette seule raison, que de cette manière ses sujets vont à l’Ecole d'un Métier, qu'il est utile & nécessaire de bien savoir.   La tranquillité, la paix profonde, dont jouit depuis long-tems la Suisse, au milieu des Guerres qui agitent l’Europe, ce long repos lui deviendroit bientôt funeste, si ses Citoyens n'alloient pas dans les services étrangers, se former aux opérations de la guerre & entretenir leur ardeur martiale.

 

§.14       Ce qu'il faut observer dans leur engagement

            Les soldats mercénaires s'engagent volontairement ; le Souverain n'a aucun droit de contraindre des étrangers : il ne doit même employer ni surprise, ni artifice, pour les engager à un Contrat, lequel, aussi bien que tout autre, doit être fondé sur la bonne-foi.

 

§.15       Des enrôllemens en pays étrangers

            Le droit de lever des soldats appartenant uniquement à la Nation, ou au Souverain (§.7) personne ne peut en enrôller en pays étranger, sans la permission du Souverain ; & avec cette permission même, on ne peut enrôller que des volontaires.   Car il ne s'agit pas ici du service de la Patrie, & nul Souverain n'a le droit de donner, ou de vendre ses sujets à un autre.

 

            Ceux qui entreprennent d'engager des soldats en pays étranger, sans la permission du Souverain, & en général quiconque débauche les sujets d'autrui, viole un des droits les plus sacrés du Prince & de la Nation.   C’est le crime que l’on appelle Plagiat, ou vol d'homme.   Il n'est aucun Etat policé qui ne le punisse très-sévèrement.   Les Enrôlleurs étrangers sont pendus sans rémission & avec justice.

 

            On ne présume point que leur Souverain leur ait commandé de commettre un crime, & quand ils en auroient reçu l’ordre, ils ne devoient pas obéir ; le Souverain n'étant pas en droit de commander des choses contraires à la Loi Naturelle.   On ne présume point, dis-je, que ces Enrôlleurs agissent par ordre de leur Souverain, & on se contente pour l’ordinaire de punir, quand on peut les attraper, ceux qui n'ont mis en œuvre que la séduction.   S'ils ont usé de violence ; on les réclame, lorsqu’ils ont échapé, & on redemande les hommes qu’ils ont enlevés.   Mais si l’on est assûré qu’ils ont eû des ordres, on est fondé à regarder cet attentat d'un Souverain étranger comme une injure, & comme un sujet très-légitime de lui déclarer la Guerre, à moins qu'il ne fasse une réparation convenable.

 

§.16       Obligation des soldats

            Tous les soldats, sujets ou étrangers doivent prêter serment de servir avec fidélité, & de ne point déserter le service.   Ils y sont déja obligés, les uns par leur qualité de sujets, & les autres par leur engagement.   Mais leur fidélité est si importante à l’Etat, qu’on ne sçauroit prendre trop de précautions pour s'en assûrer.   Les déserteurs méritent d'être punis très-sévèrement, & le Souverain peut même décerner contre eux une peine capitale, s'il le juge nécessaire.   Les émissaires, qui les sollicitent à la désertion, sont beaucoup plus coupables encore que les enrôlleurs, dont nous venons de parler.

 

§.17       Des Loix Militaires

            Le bon ordre & la subordination, par-tout si utiles, ne sont nulle part si nécessaires que dans les Troupes.   Le Souverain doit déterminer exactement les fonctions, les devoirs & les droits des gens de Guerre, soldats, Officiers, Chefs des Corps, Généraux ; il doit régler & fixer l’autorité des Commandans dans tous les grades, les peines attachées aux délits, la forme des Jugemens &c.   Les Loix & les Ordonnances, qui concernent ces différens points, forment le Code Militaire.

 

§.18       De la Discipline Militaire

             Les réglemens qui tendent en particulier à maintenir l’ordre dans les troupes & à les mettre en état de servir utilement, forment ce qu’on appelle la Discipline Militaire, Elle est d'une extrême importance.   Les Suisses sont la prémiére des Nations modernes qui l’ait remise en vigueur.   Une bonne Discipline jointe à la Valeur d'un Peuple libre, produisit dès les commencemens de la République, ces exploits éclatans, qui étonnèrent toute l’Europe.   MACHIAVEL dit, que les Suisses sont les Maîtres de l’Europe dans l’art de la Guerre (a(a) Discours sur TITE LIVE).   De nos jours les Prussiens ont fait voir ce que l’on peut attendre d'une bonne Discipline & d'un exercice assidu : Des soldats ramassés de tout côté, ont exécuté, par la force de l’habitude & par l’impression du Commandement, ce que l’on pourroit espérer des sujets les plus affectionnés.

 

§.19       Des Puissances subalternes dans la guerre

            Chaque Officier de Guerre, depuis l’Enseigne jusqu’au Général, jouit des droits & de l’autorité qui lui sont attribués par le Souverain : Et la volonté du Souverain, à cet égard, se manifeste par ses déclarations expresses, soit dans les Commissions qu'il délivre, soit dans les Loix Militaires ; ou elle se déduit, par une conséquence légitime, de la nature des fonctions commises à un chacun.   Car tout homme en place est présumé revêtu de tous les pouvoirs, qui lui sont nécessaires pour bien remplir sa Charge, pour s'acquitter heureusement de ses fonctions.

 

            Ainsi la Commission de Général en chef, quand elle est simple & non limitée, donne au Général un pouvoir absolu sur l’Armée, le droit de la faire marcher où il juge à propos d'entreprendre telles opérations qu'il trouve convenables au service de l’Etat &c.   Il est vrai que souvent on limite son pouvoir : Mais l’exemple du Maréchal de TURENNE montre assez, que quand le Souverain est assûré d'avoir fait un bon choix, il lui est avantageux & salutaire de donner carte blanche au GénéraL.   Si le Duc de MARLBOUROUGH eût dépendu dans ses opérations, de la direction du Cabinet ; il n’y a pas d'apparence que toutes ses Campagnes eussent été couronnées de succès si éclatans.

 

            Quand un Gouverneur est assiégé dans sa Place ; toute communication lui étant ôtée avec son Souverain, il se trouve par cela même revêtu de toute l’Autorité de l’Etat, en ce qui concerne la défense de la Place & le salut de la Garnison.   Il est nécessaire de bien remarquer ce que nous disons ici, afin d'avoir un principe pour juger de ce que les divers Commandans, qui sont des Puissances subalternes, ou inférieures, dans la Guerre, peuvent faire avec un pouvoir suffisant.

 

            Outre les conséquences que l’on peut tirer de la nature même des fonctions, il faut encore ici consulter la Coûtume & les usages reçûs.   Si l’on sçait que chez une Nation, les Officiers d'un certain grade ont constamment été revêtus de tels ou tels pouvoirs, on présume légitimement que celui à qui on a affaire est muni des mêmes pouvoirs.

 

§.20       Comment leurs promesses obligent le Souverain

            Tout ce qu'une Puissance inférieure, un Commandant dans son département, promet dans les termes de sa Commission & suivant le pouvoir que lui donnent naturellement son Office & les fonctions qui lui sont commises ; tout cela, dis-je, par les raisons que nous venons d'exposer, est promis au nom & en l’autorité du Souverain, & l’oblige comme s'il avoit promis lui-même immédiatement.   Ainsi un Commandant capitule pour sa Place & pour sa Garnison ; & le Souverain ne peut invalider ce qu’il a promis.   Dans la dernière Guerre, le Général qui commandoit les François à Lintz, s'engagea à ramener ses Troupes en-deça du Rhin.   Des Gouverneurs de Place ont souvent promis que pendant un certain tems, leur Garnison ne porteroit point les armes contre l’ennemi avec qui ils capituloient : Et ces Capitulations ont été fidèlement observées.

 

§.21       En quels cas leurs promesses ne lient qu'elles seules

            Mais si la Puissance inférieure va plus loin & passe le pouvoir de sa Charge, la promesse n’est plus qu'un engagement privé, ce que l’on appelle sponsio & dont nous avons traité ci-dessus (L.II Ch.XIV).   C'étoit le cas des Consuls Romains aux Fourches-Caudines.   Ils pouvoient bien consentir à livrer des Otages, à faire passer l’Armée sous le joug &c.   Mais ils n'étoient pas en pouvoir de faire la paix ; comme ils eurent soin d'en avertir les Samnites.

 

§.22       De celle qui s'attribuë un pouvoir qu’elle n'a pas

            Si une Puissance inférieure s'attribuë un pouvoir qu'elle n'a pas, & trompe ainsi celui qui traite avec elle, même un Ennemi ; elle est naturellement tenuë du dommage causé par sa fraude, & obligée à le réparer.   Je dis, même un Ennemi ; car la Foi dans les Traités doit être gardée entre

 

            Ennemis, comme en conviennent tous ceux qui ont du sentiment, & comme nous le prouverons dans la suite.   Le Souverain de cet Officier de mauvaise foi, doit le punir & l’obliger à réparer sa faute ; il le doit à la justice & à sa propre gloire.

 

§.23       Comment elles obligent leurs inférieurs

            Les Puissances subalternes obligent par leurs promesses ceux qui sont sous leurs ordres, à l’égard de toutes les choses qu'elles sont en pouvoir & en possession de leur commander.   Car, à l’égard de ces choses-là, elles sont revêtuës de l’autorité du Souverain, que leurs inférieurs sont tenus de respecter en elles.   C’est ainsi que dans une Capitulation, le Gouverneur de la Place stipule & promet pour sa Garnison, & même pour les Magistrats & les Citoyens.


 

 

 

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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:02
LE DROIT

DES GENS

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LIVRE III 

  De la Guerre.


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CHAPITRE I

De la Guerre & de ses différentes espèces, & du Droit de faire la Guerre.

 

 

§.1        Définition de la Guerre

            La Guerre est cet état dans lequel on poursuit son droit par la force.   On entend aussi par ce mot, l’acte même ou la manière de poursuivre son droit par la force : Mais il est plus conforme à l’usage, & plus convenable dans un Traité du Droit de la Guerre, de prendre ce terme dans le sens que nous lui donnons.

 

§.2        De la Guerre publique

            La Guerre publique est celle qui a lieu entre les Nations ou les Souverains, qui se fait au nom de la Puissance publique, & par son ordre.   C'est celle dont nous avons à traiter ici ; la Guerre privée, qui se fait entre particuliers, appartenant au Droit Naturel proprement dit.

 

§.3        Du Droit de faire la guerre

            En traitant du Droit de sûreté, nous avons montré, que la Nature donne aux hommes le droit d'user de force, quand cela est nécessaire pour leur défense & pour la conservation de leurs droits.   Ce principe est généralement reconnu ; la Raison le démontre, & la Nature elle-même l’a gravé dans le cœur de l’homme.   Quelques fanatiques seulement, prenants à la lettre la modération recommandée dans l’Évangile, se sont mis en fantaisie de se laisser égorger, dépouiller, plûtôt que d'opposer la force à la violence.   Mais il n'est pas à craindre que cette erreur fasse de grands progrès.   La plûpart des hommes s'en garentiront d'eux-mêmes : Heureux s'ils sçavoient aussi bien se tenir dans les justes bornes, que la Nature a mises à un Droit accordé seulement par nécessité ! C'est à les marquer exactement, ces justes bornes ; c'est à modérer par les règles de la justice, de l’équité, de l’humanité, un Droit triste en lui-même & trop souvent nécessaire, que ce troisième Livre est destiné.

 

§.4        Il n'appartient qu’à la Puissance Souveraine

            La Nature ne donnant aux hommes le droit d'user de force que quand il leur devient nécessaire pour leur défense & pour la conservation de leurs droits (Liv.II §.49 & suiv), il est aisé d'en conclure, que depuis l’établissement des Sociétés Politiques, un droit si dangereux dans son exercice n'appartient plus aux particuliers, si ce n'est dans ces rencontres, ou la Société ne peut les protéger, les sécourir.   Dans le sein de la Société, l’Autorité publique vuide tous les différends des Citoyens, réprime la violence & les voies de fait.   Que si un particulier veut poursuivre son droit contre le sujet d'une Puissance étrangère, il peut s'adresser au Souverain de son adversaire, aux Magistrats qui exercent l’Autorité publique : Et s'il n'en obtient pas justice, il doit recourrir à son propre Souverain, obligé de le protéger.   Il seroit trop dangereux d'abandonner à chaque Citoyen la liberté de se faire lui-même justice contre les Etrangers ; une Nation n'auroit pas un de ses membres qui ne pût lui attirer la Guerre.   Et comment les Peuples conserveroient-ils la paix, si chaque particulier avoit le pouvoir de la troubler ? Un droit d'une si grande importance, le droit de juger si la Nation a un véritable sujet de se plaindre, si elle est dans le cas d'user de force, de prendre les armes avec justice, si la prudence le lui permet, si le bien de l’Etat l’y invite ; ce droit, dis-je, ne peut appartenir qu'au Corps de la Nation, ou au Souverain qui la réprésente.   Il est sans-doute au nombre de ceux, sans lesquels on ne peut gouverner d'une manière salutaire & que l’on appelle Droits de Majesté (L.I §.45).

 

            La Puissance souveraine est donc seule en pouvoir de faire la Guerre.   Mais comme les divers Droits qui forment cette Puissance, résidente originairement dans le Corps de la Nation, peuvent être séparés, ou limités, suivant la volonté de la Nation (L.I §§.31 & 45) ; c’est dans la Constitution particulière de chaque Etat, qu'il faut chercher quelle est la Puissance autorisée à faire la Guerre au nom de la Société.   Les Rois d’Angleterre, dont le pouvoir est d'ailleurs si limité, ont le droit de faire la Guerre (a(a) je parle du droit en lui-même.   Mais un Roi d'Angleterre ne pouvant ni lever de l’argent, ni contraindre ses sujets à prendre ses armes, sans le concours de Parlement ; son droit de faire la Guerre le réduit en effet à peu de chose, si le Parlement ne lui fournit les moyens) & la Paix : Ceux de Suède l’ont perdu.   Les brillans & ruïneux exploits de CHARLES XII n'ont que trop autorisé les Etats du Royaume à se réserver un Droit si intéressant pour leur salut.

 

§.5        De la Guerre défensive & de la Guerre offensive

            La Guerre est Défensive, ou Offensive.   Celui qui prend les armes pour repousser un Ennemi qui l’attaque, fait une Guerre Défensive.   Celui qui prend les armes le prémier & attaque une Nation qui vivoit en paix avec lui, fait une Guerre Offensive.   L’objet de la Guerre défensive est simple, c'est la défense de soi-même : Celui de la Guerre offensive varie autant que les diverses affaires des Nations.   Mais en général, il se rapporte ou à la poursuite de quelques droits, ou à la sûreté.   On attaque une Nation, ou pour se faire donner une chose, à laquelle on forme des prétentions, ou pour la punir d'une injure qu’on en a reçuë, ou pour prévenir celle qu'elle se prépare à faire, & détourner un danger, dont on se croit menacé de sa part.   Je ne parle pas encore de justice de la Guerre : Ce sera le sujet d'un Chapitre.   Il s'agit seulement ici d'indiquer en général les divers objets, pour lesquels on prend les armes ; objets qui peuvent fournir des raisons légitimes, ou d'injustes prétextes, mais qui sont au moins susceptibles d'une couleur de Droit.   C'est pourquoi je ne mets point au rang des objets de la Guerre offensive, la Conquête, ou le désir d'envahir le bien d'autrui : Une pareille vue, dénuée même de prétexte, n'est pas l’objet d'une Guerre en forme, mais celui d'un Brigandage, dont nous parlerons en son lieu.

 

 

 

 

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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:17

CHAPITRE IX

De la Maison de l’Ambassadeur, de son Hôtel & des Gens de sa suite.

 

§.117     De l’Hôtel de l’Ambassadeur

            L’Indépendance de l’Ambassadeur seroit fort imparfaite, & sa sûreté mal établie, si la Maison où il loge ne jouïssoit d'une entière franchise,  si elle n'étoit pas inaccessible aux Ministres ordinaires de la Justice.   L’Ambassadeur pourroit être troublé sous mille prétextes, son secret découvert par la visite de ses papiers, & sa personne exposée à des avanies.   Toutes les raisons qui établissent son indépendance & son inviolabilité, concourrent donc aussi à assûrer la franchise de son Hôtel.   Ce droit du Caractère est généralement reconnu chez les Nations policées : on considère, au moins dans tous les cas ordinaires de la vie, l’Hôtel d'un Ambassadeur comme étant hors du Territoire, aussi bien que sa personne.   On en a vû, il y a peu d'années, un exemple remarquable à Petersbourg.   Trente soldats, aux ordres d'un Officier, entrèrent le 3 d’Avril 1752 dans l’Hôtel du Baron de GREIFFENHEIM Ministre de Suéde, & enlevèrent deux de ses Domestiques, qu’ils conduisirent en prison, sous prétexte que ces deux  hommes avoient vendu clandestinement des boissons, que la Ferme Impériale a seule le Privilège de débiter.   La Cour indignée d'une pareille action, fît arrêter aussitôt les auteurs de cette violence, & l’Impératrice ordonna de donner satisfaction au Ministre offensé.   Elle lui fît remettre, & aux autres Ministres des Puissances Étrangères, une Déclaration, dans laquelle cette Souveraine témoignoit son indignation & son déplaisir de ce qui s'étoit passé & faisoit part des Ordres qu'elle avoit donnés au Sénat, de faire le procès au Chef du Bureau établi pour empêcher la vente clandestine des liqueurs, qui étoit le principal coupable.

 

            La Maison d'un Ambassadeur doit être à couvert de toute insulte, sous la protection particulière des Loix & du Droit des Gens : l’insulter, c’est se rendre coupable envers l’État & envers toutes les Nations.

 

§.118     Du Droit d'asyle

            Mais l’immunité, la franchise de l’Hôtel n'est établie qu'en faveur du Ministre & de ses gens, comme on le voit évidemment, par les raisons mêmes sur lesquelles elle est fondée.   Pourra-t-il s'en prévaloir pour faire de sa Maison un Asyle, dans lequel il retirera les ennemis du Prince & de l’État, les malfaiteurs de toute espèce, & les soustraira aux peines qu’ils auront méritées ? Une pareille conduite seroit contraire à tous les devoirs d'un Ambassadeur, à l’esprit qui doit l’animer, aux vuës légitimes qui l’ont fait admettre ; personne n'osera le nier : Mais nous allons plus loin, & nous posons comme une vérité certaine, qu'un Souverain n'est point obligé de souffrir un abus si pernicieux à son État, si préjudiciable à la Société.   A la vérité, quand il s'agit de certains délits communs, de gens souvent plus malheureux que coupables, ou dont la punition n’est pas fort importante au repos de la Société ; l’Hôtel d'un Ambassadeur peut bien leur servir d’Asyle, & il vaut mieux laisser échapper des coupables de cette espèce, que d'exposer le Ministre à se voir souvent troublé, sous prétexte de la recherche qu’on en pourroit faire, & que de compromettre l’État dans les inconvéniens qui en pourroient naître.   Et comme l’Hôtel d'un Ambassadeur est indépendant de la Jurisdiction ordinaire ; il n'appartient en aucun cas aux Magistrats, Juges de Police, ou autres subalternes d'y entrer de leur autorité, ou d'y envoyer leurs gens, si ce n’est dans des occasions de nécessité pressante, où le bien public seroit en danger, & ne permettroit point de délai.   Tout ce qui touche une matière si élevée & si délicate, tout ce qui intéresse les Droits & la Gloire d'une Puissance Étrangère, tout ce qui pourroit commettre l’État avec cette Puissance, doit être porté immédiatement au Souverain, & réglé par lui-même, ou, sous ses ordres, par son Conseil d'État.   C’est donc au Souverain de décider, dans l’occasion, jusqu’à quel point on doit respecter le Droit d'Asyle, qu'un Ambassadeur attribuë à son Hôtel : Et s'il s'agit d'un coupable, dont la détention, ou le châtiment soit d'une grande importance à l’État ; le Prince ne peut être arrêté par la considération d'un Privilège, qui n'a jamais été donné pour tourner au dommage & à la ruïne des États.   L’an 1726, le fameux Duc de RIPPERDA s'étant réfugié chez Milord HARRINGTON Ambassadeur d'Angleterre, le Conseil de Castille décida, « qu’on pouvoit faire enlever, même de force ; puisque autrement ce qui avoit été réglé pour maintenir une plus grande Correspondance entre les

Souverains, tourneroit au contraire à la ruïne & à la destruction de leur Autorité ; qu'étendre les Privilèges, accordés aux Hôtels des Ambassadeurs en faveur simplement des délits communs, jusqu'aux sujets dépositaires des finances, des forces & des secrets d'un État, lorsqu’ils viennent à manquer aux devoirs de leur Ministère, ce seroit introduire la chose du monde la plus préjudiciable & la plus contraire à toutes les Puissances de la terre, qui se verroient forcées, si jamais cette maxime avoit lieu, non-seulement à souffrir, mais même à voir soutenir dans leur Cour, tous ceux qui machineroient leur perte (a(a) Mémoires de M.   l’Abbé de MONTGON, Tom.I).   »

On ne peut rien dire de plus vrai & de plus judicieux sur cette matière.

 

            L’abus de la franchise n'a été porté nulle-part plus loin qu'à Rome, où les Ambassadeurs des Couronnes la prétendent pour tout le Quartier dans lequel leur Hôtel est situé.   Les Papes, autrefois si formidables aux Souverains, sont depuis plus de deux siècles, dans la nécessité de les ménager à leur tour.   Ils ont fait de vains efforts pour abolir, ou pour resserrer du moins dans de justes bornes, un Privilège abusif, que le plus ancien usage ne devroit pas soutenir contre la Justice & la raison.

 

§.119     Franchise des Carrosses de l’Ambassadeur

            Les Carrosses, les Équipages de l’Ambassadeur jouïssent des mêmes privilèges que son Hôtel, & par les mêmes raisons : Les insulter, c’est attaquer l’Ambassadeur lui-même & le Souverain qu'il réprésente.   Ils sont indépendans de toute Autorité subalterne, des Gardes, des Commis, des Magistrats & de leurs suppôts, & ne peuvent être arrêtés & visités, sans un ordre supérieur.   Mais ici comme à l’égard de l’Hôtel, il faut éviter de confondre l’abus avec le droit.   Il seroit absurde qu'un Ministre Étranger pût faire évader dans son Carrosse un Criminel d'importance, un homme, dont il seroit essentiel à l’État de s'assûrer ; & cela, sous les yeux d'un Souverain, qui se verroit ainsi bravé dans son Royaume & à sa Cour.   En est-il un qui le voulût souffrir ? Le Marquis de FONTENAY Ambassadeur de France à Rome donnoit retraite aux exilés & aux rebelles de Naples, & voulut enfin les faire sortir de Rome dans ses Carrosses.   Mais en sortant de la Ville, les Carrosses furent arrêtés par des Corses de la Garde du Pape, & les Napolitains mis en prison.   L’Ambassadeur se plaignit vivement : Le Pape lui répondit: « Qu'il avoit voulu faire saisir des gens, que l’Ambassadeur avoit fait évader de la prison ; que puisque L’Ambassadeur se donnoit la liberté de protéger des scélérats, & tout ce qu'il y avoit de Criminels dans l’État de l’Église, il devoit pour le moins être permis à lui, qui en étoit le Souverain, de les faire reprendre par-tout où ils se rencontreroient ; le Droit & le Privilège des Ambassadeurs ne devant pas s'étendre si loin ».   L’Ambassadeur repartit, « qu'il ne se trouveroit point qu'il ait donné retraite aux sujets du Pape, Mais bien à quelques Napolitains, à qui il pouvoit donner sûreté contre les persécutions des Espagnols (a(a) WICQUEFORT, Ambass.   Liv.I sect.XXVIII vers la fin) ».   Ce Ministre convenoit tacitement par sa réponse, qu'il n'auroit pas été fondé à se plaindre, de ce qu’on avoit arrêté ses Carrosses, s'il les eût fait servir à l’évasion de quelques sujets du Pape, & à soustraire des Criminels à la Justice.

 

§.120     De la suite de l’Ambassadeur

            L’inviolabilité de l’Ambassadeur se communique aux gens de sa suite, & son indépendance s'étend à tout ce qui forme sa Maison.   Toutes ces personnes lui sont tellement attachées, qu'elles suivent son sort ; elles dépendent de lui seul immédiatement, & sont exemptes de la Jurisdiction du pays, où elles ne se trouvent qu'avec cette réserve.   L’Ambassadeur doit les protéger, & on ne peut les insulter sans l’insulter lui-même.   Si les Domestiques & toute la Maison d'un Ministre Étranger ne dépendoient pas de lui uniquement, on sent avec quelle facilité il pourroit être molesté, inquiété & troublé dans l’exercice de ses fonctions.   Ces maximes sont reconnuës par-tout aujourd'hui, & confirmées par l’usage.

 

§.121     De l’Epouse & de la famille de l’Ambassadeur

            L’Épouse de l’Ambassadeur lui est intimément unie, & lui appartient plus particulièrement que toute autre personne de sa Maison.   Aussi participe-elle à son indépendance & à son inviolabilité.   On lui rend-même des honneurs distingués, & qui ne pourroient lui être refusés à un certain point, sans faire affront à L’Ambassadeur : Le Cérémonial en est réglé, dans la plûpart des Cours.   La Considération qui est dûe à l’Ambassadeur réjaillit encore sur ses enfans, qui participent aussi à ses Immunités.

 

§.122   Du Sécrétaire de l’Ambassade

            Le Sécrétaire de l’Ambassadeur est au nombre de ses Domestiques ; mais le Sécrétaire de l’Ambassade tient Commission du Souverain lui-même ; ce qui en fait une espèce de Ministre Public, qui jouït par lui-même de la protection du Droit des Gens & des Immunités attachées à son état, indépendamment de l’Ambassadeur ; aux ordres duquel il n’est même soumis que fort imparfaitement, quelquefois point du tout, & toûjours suivant que leur Maître commun l’a réglé.

 

§.123     Des Courriers & des Dépêches de l’Ambassadeur

            Les Courriers qu'un Ambassadeur dépêche ou reçoit, ses papiers, ses Lettres & Dépêches sont autant de choses qui appartiennent essentiellement à l’Ambassade, & qui doivent par conséquent être sacrées ; puisque si on ne les respectoit pas, l’Ambassade ne sçauroit obtenir sa fin légitimes ni l’Ambassadeur remplir ses fonctions avec la sûreté convenable.   Les États-Généraux des Provinces-Unies ont jugé, dans le tems que le Président JEANNIN étoit Ambassadeur de France auprès d'eux, que ouvrir les Lettres d'un Ministre Public c’est violer le Droit des Gens (a(a) WICQUEFORT, Liv.I Sect.XXVII).   On peut voir d'autres exemples dans WICQUEFORT.   Ce Privilège n'empêche pas cependant que, dans les occasions importantes, où l’Ambassadeur a violé lui-même le Droit des Gens, en formant, ou en favorisant des Complots dangereux, des Conspirations contre l’État, on ne puisse saisir ses Papiers, pour découvrir toute la trame & connoître les Complices ; puisqu'on peut bien, en pareil cas, l’arrêter & l’interroger lui-même (§.99).   On en usa ainsi à l’égard des Lettres remises par des Traîtres aux Ambassadeurs de TARQUIN (§.98).

 

§.124     Autorité de l’Ambassadeur sur les Gens de sa suite

            Les Gens de la suite du Ministre Étranger étant indépendans de la Jurisdiction du pays, ne peuvent être arrêtés ni punis sans son consentement.   Mais il seroit peu convenable qu’ils vécussent dans une entière indépendance, & qu’ils eussent la liberté de se livrer sans crainte à toute sorte de desordres.   L’Ambassadeur est nécessairement revêtu de toute l’Autorité nécessaire pour les contenir.   Quelques-uns veulent que cette Autorité s'étende jusqu'au droit de vie & de mort.   Le Marquis de ROSNY, depuis Duc de SULLY étant Ambassadeur Extraordinaire de France en Angleterre, un Gentilhomme de sa suite se rendit coupable d'un meurtre ; ce qui excita une grande rumeur parmi le peuple de Londres.   L’Ambassadeur assembla quelques Seigneurs François, qui l’avoient accompagné, fît le procès au meurtrier, & le condamna à perdre la tête ; après quoi, il fît dire au Maire de Londres, qu'il avoit jugé le Criminel, & lui demanda des Archers & un Bourreau pour exécuter la Sentence.   Mais ensuite, il convint de livrer le coupable aux Anglois, pour en faire eux-mêmes Justice, comme ils l’entendroient ; & M.   de BEAUMONT Ambassadeur ordinaire de France, obtint du Roi d'Angleterre la grâce du jeune-homme, qui étoit son parent (a(a) Mémoires de SULLY, Tom.VI Chap.I Edition in 12°).   Il dépend du Souverain d'étendre jusqu'à ce point le pouvoir de son Ambassadeur sur les gens de sa Maison ; & le Marquis de Rosny se tenoit bien assûré de l’aveu de son Maître, qui en effet approuva sa conduite.   Mais en général, on doit présumer que l’Ambassadeur est seulement revêtu d'un pouvoir coercitif, suffisant pour contenir ses gens, par la prison & par d'autres peines, non-capitales & point infamantes.   Il peut châtier les fautes commises contre lui & contre le service du Maître, ou renvoyer les coupables à leur Souverain, pour être punis.   Que si ses Gens se rendent coupables envers la Société, par des crimes dignes d'une peine sévère ; L’Ambassadeur doit distinguer entre les Domestiques de sa Nation, & ceux qui sont sujets du pays où il réside.   Le plus court & le plus naturel est de chasser ces derniers de sa Maison, & de les livrer à la Justice.   Quant à ceux qui sont de sa Nation, s'ils ont offensé le Souverain du pays, ou commis de ces crimes atroces, dont la punition intéresse toutes les Nations, & qu'il est d'usage, pour cette raison, de reclamer & de rendre d'un État à l’autre ; pourquoi ne les livreroit-il pas à la Nation qui demande leur supplice ? Si la faute est d'un autre genre, il les renverra à son Souverain.   Enfin, dans un cas douteux, l’Ambassadeur doit tenir le criminel dans les fers, jusques-à-ce qu’il ait reçû les ordres de sa Cour.   Mais s'il condamne le coupable à mort, je ne pense pas qu'il puisse le faire exécuter dans son Hôtel.   Car une exécution de cette nature est un acte de Supériorité Territoriale, qui n'appartient qu'au Souverain du pays.   Et si l’Ambassadeur est réputé hors du Territoire, aussi bien que sa Maison & son Hôtel ; ce n'est qu'une façon d'exprimer son indépendance & tous les Droits nécessaires au légitime succés de l’Ambassade : Cette fiction ne peut emporter des Droits réservés au Souverain, trop délicats & trop importans pour être communiqués à un Étranger, & dont l’Ambassadeur n'a pas besoin pour s'acquitter dignement de ses fonctions.   Si le coupable a péché contre l’Ambassadeur, ou contre le service du Maître ; l’Ambassadeur peut l’envoyer à son Souverain : Si le crime intéresse l’État où le Ministre réside ; il peut juger le criminel, & le trouvant digne de mort, le livrer à la Justice du pays, comme fit le Marquis de Rosny.

 

§.125     Quand finissent les droits de l’Ambassadeur

            Quand la Commission d'un Ambassadeur est finie, lorsqu’il a terminé les Affaires qui l’ont amené, lorsqu’il est rappellé, ou congédié ; en un mot, dès qu'il est oblige de partir, par quelque raison que ce soit ; ses fonctions cessent, mais ses Privilèges & ses Droits n'expirent point dès ce moment : il les conserve, jusqu’à son retour auprès du Maître, à qui il doit rendra compte de son Ambassade.   Sa sûreté, son indépendance & son inviolabilité ne sont pas moins nécessaires au succès de l’Ambassade, dans le départ, que dans la venue.   Aussi, Lorsqu’un Ambassadeur se retire, à cause de la Guerre, qui s'allume entre son Maître & le Souverain auprès duquel il étoit employé, on lui laisse un tems suffisant, pour sortir du pays en toute sûreté : Et même, s'il s'en retournoit par mer, & qu'il vînt à être pris dans le trajet, il seroit relâché sans difficulté, comme ne pouvant être de bonne prise.

 

§.126     Des cas où il faut de nouvelles lettres de Créances

            Les mêmes raisons font subsister les Privilèges de l’Ambassadeur, dans le cas où l’activité de son Ministère se trouve en suspens, & où il a besoin de nouveaux Pouvoirs.   Ce cas arrive par la mort du Prince que le Ministre réprésente, ou par celle du Souverain auprès duquel il réside.   Dans l’une & l’autre occasion, il est nécessaire que le Ministre soit muni de nouvelles Lettres de Créance ; moins nécessaire cependant dans le dernier cas, que dans le prémier ; sur-tout si le Successeur du Prince mort est Successeur naturel & nécessaire ; parceque l’Autorité d'où est émané le pouvoir du Ministre subsistant, on présume aisément qu'il demeure en la même qualité auprès du nouveau Souverain.   Mais si le Maître du Ministre n’est plus, ses pouvoirs expirent, & il lui faut absolument des Lettres de Créance du Successeur, pour l’autoriser à parler & à agir en son nom.   Cependant il demeure, dans l’intervalle Ministre de sa Nation, & il doit jouïr à ce titre, des droits & des honneurs attachés au Caractère.

 

§.127     Conclusion

            Me voici enfin parvenu au bout de la carrière que je m’étois proposée.   Je ne me flatte point d'avoir donné un Traité complet & parfaitement rempli du Droit des Gens : Ce n’a pas été mon dessein ; & c'eût été trop présumer de mes forces, dans une matière si vaste & si riche.   Ce sera beaucoup pour moi, si mes Principes sont trouvés solides, lumineux, & suffisans aux personnes intelligentes, pour donner la solution des questions de détail, dans les cas particuliers.   Heureux si mon travail peut être de quelque utilité aux Gens en place, qui aiment le Genre-humain & qui respectent la Justice ; s'il leur fournit des armes, pour défendre le bon Droit, & pour forcer au moins les injustes à garder quelque mesure, à se tenir dans les bornes de la décence !

 

FIN


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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:16

CHAPITRE VIII

Du Juge de l’Ambassadeur, en matière Civile.

 

§.110     L’Ambassadeur est exempt de la Jurisdiction Civile du pays ou il réside

            Quelques Auteurs veulent soumettre l’Ambassadeur, pour Affaires Civiles, à la jurisdiction du pays où il réside ; au moins pour les Affaires qui ont pris naissance pendant le tems de l’Ambassade ; & ils allèguent, pour soutenir leur sentiment, que cette sujettion ne fait aucun tort au Caractère : Quelque sacrée, disent-ils, que soit une personne, on ne donne aucune atteinte à son inviolabilité en l’appelant en Justice pour Cause Civile.   Mais ce n'est pas parceque leur personne est sacrée, que les Ambassadeurs ne peuvent être appellés en Justice ; c’est par la raison qu'ils ne relèvent point de la Jurisdiction du pays où ils sont envoyés : Et l’on peut voir ci-dessus (§.92) les raisons solides, de cette indépendance.   Ajoûtons ici, qu'il est tout-à-fait convenable, & même nécessaire, qu'un Ambassadeur ne puisse être appellé en Justice, même pour Cause Civile ; afin qu'il ne soit point troublé dans l’exercice de ses fonctions.   Par une raison semblable, il étoit défendu chez les Romains, d'appeler en Justice un Pontife, pendant qu'il vacquoit à ses fonctions sacrées ; mais on pouvoit l’y appeler en d'autres tems.   La raison sur laquelle nous nous fondons, est alléguée dans le Droit Romain : Ideo enim non datur actio (adversus Legatum) ne ab officio suscepto Legationis avocetur (a(a) DIGEST.   Lib.V Tit.I De Judiciis &c.   Leg.XXIV) ; Ne impediatur Legatio (b(b) Ibid.   Leg.XXVI).   Mais il y avoit une exception au sujet des affaires contractées pendant l’Ambassade.   Cela étoit raisonnable, à l’égard de ces Legati, ou Ministres, dont parle ici le Droit Romain, lesquels n'étant envoyés que par des Peuples soumis à l’Empire, ne pouvoient prétendre à l’indépendance, dont jouït un Ministre Étranger.   Le Législateur pouvoit ordonner ce qui lui paroissoit le plus convenable, à l’égard des sujets de l’État : Mais il n'est pas de même au pouvoir d'un Souverain, de soumettre à sa Jurisdiction le Ministre d'un autre Souverain.   Et quand il le pourroit, par Convention, ou autrement ; cela ne seroit point à propos.   L’Ambassadeur pourroit être souvent troublé dans son Ministère, sous ce prétexte, & l’État entraîné dans de fâcheuses querelles, pour le mince intérêt de quelques particuliers, qui pouvoient & qui devoient prendre mieux leurs sûretés.   C’est donc trés-convenablement aux Devoirs des Nations, & conformément aux grands Principes du Droit des Gens, que, par l’usage & le consentement de tous les peuples, l’Ambassadeur, ou Ministre Public, est aujourd'hui absolument indépendant de toute Jurisdiction, dans l’État où il réside, tant pour le Civil, que pour le Criminel.   Je sçai qu’on a vû quelques exemples du contraire.   Mais un petit nombre de faits n'établit pas la Coûtume ; au contraire, ceux-ci la confirment telle que nous la disons, par l’improbation qu’ils ont reçûe.   L’an 1668, On vit à la Haye un Résident de Portugal arrêté & mis en prison pour dettes, par ordre de la Cour de Justice.   Mais un illustre Membre (a(a) M.   DE BYNKERSHOEK, Traité du Juge compétent des Ambassadeurs, Chap.XIII §.I) de cette même Cour juge avec raison, que cette procédure étoit illégitime & contraire au Droit des Gens.   En l’année 1657, un Résident de l’Électeur de Brandebourg fut arrêté aussi pour dettes, en Angleterre.   Mais on le relâcha, comme n'ayant pû être arrêté légitimement ; & même les Créanciers & les Officiers de Justice, qui lui avoient fait cette insulte, furent punis (b(b) Ibid).

 

§.111     Comment il peut s'y soumettre volontairement

            Mais si l’Ambassadeur veut renoncer en partie à son indépendance, & se soumettre à la Jurisdiction du pays pour affaires Civiles ; il peut le faire, sans-doute, pourvû que ce soit avec le consentement de son Maître.   Sans ce consentement, l’Ambassadeur n’est pas en droit de renoncer à des Privilèges, qui intéressent la Dignité & le service de son Souverain, qui sont fondés sur les Droits du Maître, faits pour son avantage, & non pour celui du Ministre.   Il est vrai que, sans attendre la permission du Maître, l’Ambassadeur reconnoît la Jurisdiction du pays, lorsqu’il devient Acteur en Justice.   Mais cela est inévitable ; & d'ailleurs il n’y a pas d'inconvénient, en matière Civile & d'intérêt ; parceque l’Ambassadeur est toûjours le maître de ne point se rendre Acteur, & qu'il peut, au besoin, charger un Procureur ou un Avocat, de poursuivre sa Cause.

 

            Ajoûtons ici en passant, qu'il ne doit jamais se rendre Acteur en Justice, pour Cause Criminelle : S’il a été insulté, il porte ses plaintes au Souverain, & la Partie Publique doit poursuivre le coupable.

 

§.112     D'un Ministre sujet de l’Etat auprès duquel il est employé

            Il peut arriver que le Ministre d'une Puissance étrangère soit en même-tems sujet de l’État où il est accrédité ; & en ce cas, par sa qualité de sujet, il demeure incontestablement soumis à la Jurisdiction du pays, dans tout ce qui n'appartient pas directement à son Ministère.   Mais il est question de connoître en quels cas ces deux qualités de sujet & de Ministre Étranger se trouvent réunies dans la mène personne.   Il ne suffit pas pour cela, que le Ministre soit né sujet de l’État où il est envoyé ; car à moins que les Loix ne défendent expressément à tout Citoyen de quitter sa Patrie, il peut avoir renoncé légitimement à son pays, pour se donner à un nouveau Maître ; il peut encore, sans renoncer pour toûjours à sa Patrie, en devenir indépendant, pour tout le tems qu'il sera au service d'un Prince étranger ; & la présomption est certainement pour cette indépendance.   Car l’état & les fonctions du Ministre Public exigent naturellement qu'il ne dépende que de son Maître (§.92), du Prince dont il fait les affaires.   Lors donc que rien ne décide ni n'indique le contraire, le Ministre Étranger, quoique auparavant sujet de l’État, en est réputé absolument indépendant, pendant tout le tems de sa Commission.   Si son prémier Souverain ne veut pas lui accorder cette indépendance dans son pays, il peut refuser de l’admettre en qualité de Ministre Étranger, comme cela se pratique en France, où, suivant M.   de CALLIéRES (a(a) Manière de négocier avec les Souverains, Chap.VI), le Roi ne reçoit plus de ses sujets en qualité de Ministres des autres Princes.

 

            Mais un sujet de l’État peut demeurer sujet, tout en acceptant la Commission d'un Prince étranger.   Sa sujettion est expressément établie, quand le Souverain ne le reconnoît en qualité de Ministre, que sous la réserve qu'il demeurera sujet de l’État.   Les États-Généraux des Provinces-Unies, par une Ordonnance du 19 de Juin 1681, déclarent, « qu’aucun sujet de l’État n’est reçû comme Ambassadeur ou Ministre d'une autre Puissance, qu'à condition, qu'il ne dépouillera point sa qualité de sujet, même à l’égard de la Jurisdiction, tant pour les affaires civiles, que pour les criminelles : & que si quelqu'un en se faisant reconnoître pour Ambassadeur ou Ministre, n'a point fait mention de sa qualité de sujet de l’État, il ne jouïra point des droits ou privilèges, qui ne conviennent qu'aux Ministres des Puissances Étrangères (a(a) BYNKERSHOEK, ubi suprà, Chap.XI à la fin).   »

Ce Ministre peut encore garder tacitement sa prémiére sujettion ; & alors, on connoît qu'il demeure sujet, par une conséquence naturelle, qui se tire de ses actions, de son état & de toute sa conduite.   C’est ainsi que, indépendamment même de la Déclaration dont nous venons de parler, ces Marchands Hollandois, qui se procurent des titres de Résidents de quelques Princes étrangers, & continuent cependant leur Commerce, indiquent assez par cela même, qu’ils demeurent sujets.   Quels que puissent être les inconvéniens de la sujettion d'un Ministre au Souverain, auprès duquel il est employé ; si le Prince étranger veut s'en contenter, & avoir un Ministre sur ce pied-là ; c’est son affaire ; il ne pourra se plaindre, quand son Ministre sera traité comme sujet.

 

            Il peut arriver encore qu'un Ministre Étranger se rende sujet de la Puissance à laquelle il est envoyé, en recevant d'elle un Emploi ; & en ce cas, il ne peut prétendre à l’indépendance, que dans les choses seulement qui appartiennent directement à son Ministère.   Le Prince qui l’envoie, lui permettant cet assujettissement volontaire, veut bien s'exposer aux inconvéniens.   Ainsi on a vû dans le siècle dernier, le Baron de CHARNACE & le Comte d'ESTRADES, Ambassadeurs de France auprès des États-Généraux, & en même-tems Officiers dans les Troupes de Leurs Hautes Puissances.

 

§.113     Comment l’exemption du Ministre s'étend à ses biens

            L’indépendance du Ministre Public est donc la vraie raison qui le rend exempt de toute Jurisdiction du pays où il réside.   On ne peut lui addresser directement aucun exploit juridique ; parce qu'il ne relève point de l’Autorité du Prince ou des Magistrats.   Mais cette exemption de la personne s'étend-elle indistinctement à tous ses biens ? Pour résoudre cette question, il faut voir ce qui peut assujettir les biens à la Jurisdiction d'un pays, & ce qui peut les en exempter.   En général, tout ce qui se trouve dans l’étenduë d'un pays, est soumis à l’Autorité du Souverain & à sa Jurisdiction (Liv.I §.205, & Liv.II §§.83, 84) : S'il s'élève quelque contestation au sujet d'effets, de Marchandises, qui se trouvent dans le pays, ou qui y passent ; c'est au Juge du lieu qu'en appartient la décision.   En vertu de cette dépendance, on a établi en bien des pays, le moyen des Arrêts, ou Saisies, pour obliger un Étranger à venir dans le lieu où se fait l’Arrêt, répondre à quelque demande qu’on a à lui faire, quoi qu'elle n’ait pas pour objet direct les effets saisis.   Mais, comme nous l’avons fait voir, le Ministre Étranger est indépendant de la Jurisdiction du pays ; & son indépendance personnelle, quant au Civil, lui seroit assez inutile, si elle ne s'étendoit à tout ce qui lui est nécessaire pour vivre avec dignité & pour vacquer tranquillement à ses fonctions.   D'ailleurs, tout ce qu’il a amené, ou acquis pour son usage, comme Ministre, est tellement attaché à sa personne, qu'il en doit suivre le sort, Le Ministre venant comme indépendant, il n'a pû entendre soumettre à la Jurisdiction du pays son train, ses bagages, tout ce qui sert à sa personne.   Toutes les choses donc qui appartiennent directement à la personne du Ministre, en sa qualité de Ministre Public, tout ce qui est à son usage, tout ce qui sert à son entretien & à celui de sa Maison ; tout cela, dis-je, participe à l’indépendance du Ministre, & est absolument exempt de toute Jurisdiction dans le pays.   Ces choses-là sont considérées comme étant hors du Territoire, avec la personne à qui elles appartiennent.

 

§.114     L’exemption ne peut s'étendre aux effets appartenans à quelque trafic que fera le Ministre

            Mais il n'en peut être de même des effets qui appartiennent manifestement au Ministre, sous une autre rélation que celle de Ministre.   Ce qui n'a aucun rapport à ses fonctions & à son Caractère, ne peut participer aux Privilèges, que ses fonctions & son Caractère lui donnent.   S’il arrive donc, comme on l’a vû souvent, qu'un Ministre fasse quelque trafic ; tous les effets, marchandises, argent, dettes actives & passives appartenans à son Commerce, toutes les contestations même & les Procès qui en résultent ; tout cela est soumis à la Jurisdiction du pays.   Et bien que, pour ces Procès, on ne puisse s'adresser directement à la personne du Ministre, à Cause de son indépendance ; on l’oblige indirectement à répondre, par la saisie des effets qui appartiennent à son Commerce.   Les abus qui naîtroient d'un usage contraire sont manifestes.   Que seroit-ce qu'un Marchand, privilégié pour commettre impunément dans un pays étranger toutes sortes d'injustices ? Il n’y a aucune raison d'étendre l’exemption du Ministre jusqu'à des choses de cette nature.   Si le Maître craint quelque inconvénient de la dépendance indirecte, où son Ministre se trouvera de cette manière ; il n'a qu'à lui défendre un négoce, lequel aussi bien sied assez mal à la dignité du Caractère.

 

            Ajoûtons deux éclaircissemens à ce qui vient d’être dit ; 1°, Dans le doute, le respect dû au Caractère exige que l’on explique toûjours les choses à l’avantage de ce même Caractère.   Je veux dire, que quand il y a lieu de douter si une chose est véritablement destinée à l’usage du Ministre & de sa Maison, ou si elle appartient à son Commerce, il faut juger à l’avantage du Ministre ; autrement on s'exposeroit à violer ses Privilèges.   2°, Quand je dis que l’on peut saisir les effets du Ministre qui n'ont aucun rapport à son Caractère, ceux de son Commerce en particulier ; cela doit s'entendre dans la supposition que ce ne soit point pour quelque sujet provenant des affaires que peut avoir le Ministre, dans sa qualité de Ministre, pour fournitures faites à sa Maison, par exemple, pour loyer de son Hôtel &c.   Car les affaires que l’on a avec lui sous cette rélation, ne peuvent être jugées dans le pays ; ni par conséquent être soumises à la Jurisdiction, par la voie indirecte des Arrêts.

 

§.115     Non plus qu'aux Immeubles, qu'il possède dans le pays

            Tous les Fonds de terre, tous les Biens immeubles relèvent de la Jurisdiction du pays (Liv.I §.205 & Liv.II §.83, 84), quel qu'en soit le propriétaire.   Pourroit-on les en soustraire par cela seul, que le Maître sera envoyé en qualité d'Ambassadeur, par une Puissance étrangère ? Il n'y auroit aucune raison à cela.   L’Ambassadeur ne possède pas ces Biens-là comme Ambassadeur ; ils ne sont pas attachés à sa personne, de manière qu’ils puissent être réputés hors du Territoire avec elle.   Si le Prince étranger craint les suites de cette dépendance, où se trouvera son Ministre, par rapport à quelques-uns de ses Biens ; il peut en choisir un autre.   Disons donc que les Biens immeubles, possédés par un Ministre étranger, ne changent point de nature par la qualité du Propriétaire, & qu’ils demeurent sous la Jurisdiction de l’État où ils sont situés.   Toute difficulté, tout Procès qui les concerne, doit être porté devant les Tribunaux du pays, & les mêmes Tribunaux en peuvent ordonner la saisie, sur un titre légitime.   Au reste, on comprendra aisément que si L’Ambassadeur loge dans une Maison qui lui appartient en propre, cette Maison est exceptée de la règle, comme servant actuellement à son usage ; exceptée, dis-je, dans tout ce qui peut intéresser l’usage qu'en fait actuellement L’Ambassadeur.

 

            On peut voir dans le Traité de M.   de BYNKERSHOEK (a(a) Du Juge compétent des Ambassadeurs, Chap.XVI §.VI), que la Coûtume est conforme aux Principes établis ici & dans le paragraphe précédent.   Lorsqu'on veut intenter action à un Ambassadeur, dans les deux cas dont nous venons de parler, c’est-à-dire, au sujet de quelque Immeuble situé dans le pays, ou d'effets mobiliaires, qui n'ont aucun rapport à l’Ambassade ; on doit faire citer l’Ambassadeur, comme on cite les absents, puisqu'il est censé hors du Territoire, & que son indépendance ne permet point qu’on s'addresse à sa personne, par une voie qui porte le Caractère de l’Autorité, comme seroit le ministère d'un Huissier.

 

§.116     Comment on peut obtenir justice contre un Ambassadeur

            Quel est donc le moyen d'avoir raison d'un Ambassadeur, qui se refuse à la Justice, dans les affaires que l’on peut avoir peut avec lui ? Plusieurs disent qu'il faut l’attaquer devant le Tribunal dont il étoit ressortissant avant son Ambassade.   Cela ne me paroît pas exact.   Si la nécessité & l’importance de ses fonctions le mettent au-dessus de toute poursuite, dans le pays étranger où il réside, sera-t-il permis de le troubler, en l’appelant devant les Tribunaux de son Domicile ordinaire ? Le bien du service public s'y oppose.   Il faut que le Ministre dépende uniquement du Souverain, auquel il appartient d'une façon toute particulière.   C’est un Instrument dans la main du Conducteur de la Nation, dont rien ne doit détourner ou empêcher le service.   Il ne seroit pas juste non plus, que l’absence d'un homme chargé des Intérêts du Souverain & de la Nation, lui devint préjudiciable dans ses affaires particulières.   Par-tout, ceux qui sont absents pour le service de l’État, ont des Privilèges, qui les mettent à couvert des inconvéniens de l’absence.   Mais il faut prévenir, autant qu'il est possible, que ces Privilèges des Ministres de l'État ne soient trop onéreux aux particuliers, qui ont des affaires avec eux.   Quel est donc le moyen de concilier ces intérêts divers, le, service de l’État & le soin de la Justice ? Tous particuliers, Citoyens ou Étrangers, qui ont des prétentions à la charge d'un Ministre, s'ils ne peuvent obtenir satisfaction de lui-même, doivent s'addresser au Maître, lequel est obligé de rendre Justice, de la manière la plus compatible avec le service public.   C’est au Prince de voir s'il convient de rappeler son Ministre, ou de marquer le Tribunal devant lequel on pourra l’appeler, d'ordonner des délais &c.   En un mot, le bien de l’État ne souffre point que qui que ce soit puisse troubler le Ministre dans ses fonctions, ou l’en distraire, sans la permission du Souverain ; & le Souverain, obligé de rendre la Justice à tout le monde, ne doit point autoriser son Ministre à la refuser, ou à fatiguer ses Adversaires par d'injustes délais.


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10 décembre 2004 5 10 /12 /décembre /2004 00:15

CHAPITRE VII (d)

Des Droits, Privilèges & Immunités des Ambassadeurs & autres Ministres Publics.

 


[...]

§.102     Si l’on peut user de réprésailles envers un Ambassadeur

            Il n’est pas permis de maltraiter un Ambassadeur par réprésailles.   Car le Prince qui use de violence contre un Ministre Public, commet un crime ; & l’on ne doit pas s'en venger en l’imitant.   On ne peut jamais, sous prétexte de réprésailles, commettre des actions illicites en elles-mêmes : Et tels seroient sans-doute de mauvais traitemens, faits à un Ministre innocent, pour les fautes de son Maître.   S’il est indispensable d'observer généralement cette règle, en fait de réprésailles, le respect qui est dû au Caractère, la rend plus particulièrement obligatoire envers l’Ambassadeur.   Les Carthaginois avoient violé le Droit des Gens envers les Ambassadeurs de Rome : on amena à SCIPION quelques Ambassadeurs de ce Peuple perfide, & on lui demanda ce qu'il vouloit qu’on leur fît : Rien, dit-il, de semblable à ce que les Carthaginois ont fait aux nôtres ; & il les renvoya en sûreté (b(b) APPIEN, cité par GROTIUS Liv.II Chap.XXVIII §.VII.   Suivant DIODORE DE SICILE, SCIPION dit aux Romains : N'imitez point ce que vous reprochez aux Carthaginois.   DIOD.   SICUL.Excerpt.   Peiresc.   p.290).   Mais en même tems il se prépara à punir, par les armes, l’État qui avoit violé le Droit des Gens (c(c) TITE LIVE, Lib.XXX Cap.XXV.   Cet Historien fait dire à SCIPION : Quoique les Carthaginois aient violé la foi de la Trève & le Droit des Gens en la personne de nos Ambassadeurs ; je ne ferai rien contre les leurs, qui soit indigne des Maximes du Peuple Romain & de mes principes).   Voilà le vrai modèle de la conduite, qu'un Souverain doit tenir en pareille occasion.   Si l’injure, pour laquelle on veut user de réprésailles, ne regarde pas un Ministre Public, il est bien plus certain encore qu’on ne peut les exercer contre l’Ambassadeur de la Puissance dont on se plaint.   La sûreté des Ministres Publics seroit bien incertaine, si elle étoit dépendante de tous les différends, qui peuvent survenir.   Mais il est un cas, où il paroît très-permis d'arrêter un Ambassadeur, pourvû qu’on ne lui fasse souffrir d'ailleurs aucun mauvais traitement : Quand un Prince, violant le Droit des Gens, a fait arrêter notre Ambassadeur, nous pouvons arrêter & retenir le sien, afin d'assûrer par ce gage, la vie & la liberté du nôtre.   Si ce moyen ne réussissoit pas, il faudroit relâcher l’Ambassadeur innocent, & se faire Justice, par des voies plus efficaces.   CHARLES-QUINT fît arrêter l’Ambassadeur de France, qui lui avoit déclaré la Guerre ; surquoi FRANÇOIS I fît arrêter aussi GRANVELLE Ambassadeur de l’Empereur.   On convint ensuite, que les Ambassadeurs seroient conduits sur la frontière, & élargis en même-tems (a(a) Mézeray, Histoire de France, Tom.II p.470).

 

§.103     Consentement des Nations sur les Privilèges des Ambassadeurs

            Nous avons déduit l’indépendance & l’inviolabilité de l’Ambassadeur, des Principes naturels & nécessaires du Droit des Gens.   Ces prérogatives lui sont confirmées par l’usage & le consentement général des Nations.   On a vû ci-dessus (§.84) que les Espagnols trouvèrent le Droit des Ambassades établi & respecté au Méxique.   Il l’est même chez les Peuples sauvages de l’Amérique septentrionale.   Passez à l’autre extrémité de la Terre ; vous verrez les Ambassadeurs très-respectés à la Chine.   Ils le sont aux Indes ; moins religieusement, à la vérité (a(a) Histoire générale des Voyages, Art.   de la Chine & des Indes).   Le Roi de Ceylan a quelquefois mis en prison les Ambassadeurs de la Compagnie Hollandoise.   Maître des lieux où croît la Canelle, il sçait que les Hollandais lui passeront bien des choses, en faveur d'un riche Commerce ; & il s'en prévaut en Barbare.   L’Alcoran prescrit aux Musulmans de respecter le Ministre : Et si les Turcs n'ont pas toûjours observé ce précepte, il faut en accuser la férocité de quelques Princes, plûtôt que les principes de la Nation.   Les Droits des Ambassadeurs étoient fort bien connus des Arabes.   Un Auteur (b(b) ALVAKéDI, Histoire de la Conquête de la Syrie) de cette Nation rapporte le trait suivant : KHALED, Général Arabe, étant venu comme Ambassadeur à l’Armée de l’Empereur HERACLIUS, parloit insolemment au Général : Sur quoi celui-ci lui dit, que la Loi reçuë chez toutes les Nations mettoit les Ambassadeurs à couvert de toute violence, & que c'étoit-là apparemment ce qui l’avoit enhardi à lui parler d'une manière si indécente (c(c) Histoire des Sarrasins, par OCKLEY, Tom.I p.294.   de la Traduction Françoise).   Il seroit fort inutile d'accumuler ici les exemples, que pourroit fournir l’Histoire des Nations Européanes ; ils sont innombrables & les usages de l’Europe sont assez connus à cet égard.   ST.   Louis étant à Acre, donna un exemple remarquable de la sûreté, qui est dûe aux Ministres Publics.   Un Ambassadeur du Vieil de la Montagne, Prince des Assassins, lui parlant avec insolence, les Grands-Maîtres du Temple & de l’Hospital dirent à ce Ministre, que sans le respect de son Caractère, ils le feroient jetter à la mer (a(a) CHOISY, Histoire de St.   LOUIS).   Le Roi le renvoya, sans permettre qu'il lui fût fait aucun mal.   Cependant le Prince des Assassins violant lui-même les Droits les plus sacrés des Nations, il sembleroit qu’on ne devoit aucune sûreté à son Ambassadeur, si l’on ne faisoit réflexion, que cette sûreté étant fondée sur la nécessité de conserver aux Souverains des moyens sûrs de se faire faire des propositions réciproques, et de traiter ensemble, en paix & en Guerre, elle doit s'étendre jusqu'aux Envoyés des Princes, qui, violant eux-mêmes le Droit des Gens, ne mériteroient d'ailleurs aucun égard.

 

§.104     Du libre exercice de la Religion

            Il est des Droits d'une autre nature, qui ne sont point si nécessairement attachés au Caractère de Ministre Public, mais que la Coûtume lui attribuë presque par-tout.   L’un des principaux est le libre exercice de sa Religion.   Il est à la vérité, très-convenable que le Ministre, & sur-tout le Ministre résident, puisse exercer librement sa Religion dans son Hôtel, pour lui & les gens de sa suite : Mais on ne peut pas dire, que ce Droit soit, comme l’indépendance & l’inviolabilité, absolument nécessaire au juste succès de sa Commission ; particulièrement pour un Ministre non-résident, le seul que les Nations soient obligées d'admettre (§.66).   Le Ministre fera, à cet égard, ce qu'il voudra, dans le secret de sa Maison, où personne n'est en droit de pénétrer.   Mais si le Souverain du pays où il réside, fondé sur de bonnes raisons, ne vouloit pas lui permettre d'exercer sa Religion d'une manière qui transpirât dans le public ; on ne sçauroit condamner ce Souverain, bien moins l’accuser de blesser le Droit des Gens.   Aujourd’hui ce libre exercice n’est refusé aux Ambassadeurs dans aucun pays civilisé : Un Privilège fondé en raison, ne peut être refusé, quand il n'entraine point d'inconvénient.

 

§.105     Si l’Ambassadeur est exempt de tous impôts

            Parmi ces Droits non nécessaires au succès des Ambassades, il en est qui ne sont pas fondés non-plus sur un Consentement aussi général des Nations, mais que l’usage attribuë cependant au Caractère, en plusieurs pays.   Telle est l’exemption des Droits d'entrée & de sortie, pour les choses, qu'un Ministre étranger fait venir dans le pays, ou qu'il envoie déhors.   Il n’y a nulle nécessité qu'il soit distingué à cet égard ; puisqu'en payant ces Droits, il n'en sera pas moins en état de remplir ses fonctions.   Si le Souverain veut bien l’en exempter, c’est une civilité, à laquelle le Ministre ne pouvoit prétendre de droit, non-plus qu'à soustraire ses bagages, ou les caisses qu'il fait venir de déhors, à la visite des Commis de la Douane ; cette visite étant nécessairement liée avec le droit de lever un impôt sur les marchandises qui entrent dans le pays.   THOMAS CHALONER Ambassadeur d'Angleterre en Espagne se plaignit amèrement à la Reine Elisabeth sa Maîtresse, de ce que les Commis de la Douane avoient ouvert ses coffres, pour les visiter.   Mais la Reine lui répondit, que l’Ambassadeur étoit obligé de dissimuler tout ce qui n'offensoit pas directement la Dignité de son Souverain (a(a) WICQUEFORT, Ambass.   Liv.I Sect.XXVIII vers la fin).

 

            L’indépendance de l’Ambassadeur l’exempte, à la vérité, de toute imposition personnelle, Capitation, ou autre redevance de cette nature, & en général il est à couvert de tout impôt rélatif à la qualité de sujet de l’État.   Mais pour ce qui est des droits imposés sur quelque espèce de marchandises, ou de denrées, l’indépendance la plus absoluë n'exempte pas de les payer ; les Souverains Étrangers eux-mêmes y sont soumis.   On suit cette règle en Hollande ; les Ambassadeurs y sont exempts des droits qui se lèvent sur la consommation ; sans-doute parceque ces droits ont un rapport plus direct à la personne : Mais ils payent les droits d'entrée & de sortie.

 

            A quelque point que s'étende leur exemption, il est bien manifeste qu'elle ne regarde que les choses véritablement à leur usage.   S'ils en abusent, pour en faire un honteux trafic, en prêtant leur nom à des Marchands, le Souverain est incontestablement en droit de redresser & de prévenir la fraude, même par la suppression du Privilège.   C’est ce qui est arrivé en divers endroits : La sordide avarice de quelques Ministres, qui trafiquoient de leurs exemptions, a obligé le Souverain à les leur ôter.   Aujourd’hui les Ministres Étrangers à Pétersbourg sont soumis aux Droits d'entrée ; mais l’Impératrice a la générosité de les dédommager de la perte d'un Privilège, qui ne leur étoit pas dû, & que les abus l’ont obligée d'abolir.

 

§.106     De l’obligation fondée sur l’usage & la Coûtume

            Mais on demande à ce sujet, si une Nation peut abolir ce qui se trouve établi par l’usage, à l’égard des Ministres Étrangers ? Voyons donc quelle obligation la Coûtume, l’usage reçû, peut imposer aux Nations, non-seulement en ce qui regarde les Ministres, mais aussi en général sur tout autre sujet.   Tous les usages, toutes les Coûtumes des autres Nations ne peuvent obliger un État indépendant, sinon en-tant qu'il y a donné son consentement, exprès ou tacite.   Mais dès qu'une Coûtume indifférente en soi est une fois bien établie & reçûe, elle oblige les Nations qui l’ont tacitement ou expressément adoptée.   Cependant, si quelqu'une y découvre dans la suite des inconvéniens, elle est libre de déclarer qu'elle ne veut plus s'y soumettre : Et sa déclaration une fois donnée bien clairement, personne n’est en droit de se plaindre, si elle n'a aucun égard à la Coûtume.   Mais une pareille déclaration doit se faire d'avance, & lorsqu'elle n'intéresse personne en particulier ; il est trop tard d'y venir lorsque le cas existe.   C’est une maxime généralement reçûe, que l’on ne change pas une Loi dans le cas actuellement existant.   Ainsi, dans le sujet particulier dont nous traitons, un Souverain, en s'expliquant d'avance & ne recevant l’Ambassadeur que sur ce pied-là, peut se dispenser de le laisser jouïr de tous les Privilèges, ou de lui déférer tous les honneurs, que la Coûtume attribuoit auparavant à son Caractère ; pourvû que ces Privilèges & ces honneurs ne soient point essentiels à l’Ambassade, & nécessaires à son légitime succès.   Refuser des Privilèges de cette dernière espèce, ce seroit autant que refuser l’Ambassade même ; ce qu'un État ne peut faire généralement & toûjours (§.65), mais seulement lorsqu’il en a quelque bonne raison.   Retrancher des honneurs consacrés & devenus en quelque façon essentiels, c’est marquer du mépris & faire une injure.

 

            Il faut observer encore sur cette matière, que quand un Souverain veut se dispenser de suivre désormais une Coûtume établie, la règle doit être générale.   Refuser certains honneurs, ou certains Privilèges d'usage à l’Ambassadeur d'une Nation, dans le tems que l’on continuë à en laisser jouïr ceux des autres, c’est faire affront à cette Nation, lui témoigner du mépris, ou au moins de la mauvaise volonté.

 

§.107     Du Ministre dont le Caractère n’est pas public

            Quelquefois les Princes s'envoient les uns aux autres des Ministres secrets, dont le Caractère n’est point public.   Si un pareil Ministre est insulté par quelqu'un qui ne connoît pas son Caractère, le Droit des Gens n'est point violé.   Mais le Prince qui reçoit ce Ministre, & qui le connoît pour Ministre Public, est lié des mêmes obligations envers lui ; il doit le protéger & le faire jouïr, autant qu’il est en son pouvoir, de toute la sûreté & de l’indépendance, que le Droit des Gens attribuë au Caractère.   L’action de FRANÇOIS SFORCE Duc de Milan, qui fît mourir MARAVIGLIA (ou MERVEILLE) Ministre secret de FRANÇOIS I, est inexcusable.   Sforce avoit souvent traité avec cet Agent secret, il l’avoit reconnu pour le Ministre du Roi de France (a(a) Voyez les Mémoires de MARTIN DU BELLAY Liv.IV, & l’Histoire de France du P.   DANIEL, Tom.V p.300.   & suiv).

 

§.108     D’un Souverain qui se trouve en pays étranger

            Nous ne pouvons mieux placer qu'ici une Question intéressante du Droit des Gens, qui a beaucoup de rapport au Droit des Ambassades.   On demande quels sont les Droits d'un Souverain, qui se trouve en pays étranger, & de quelle façon le Maître du pays doit en user à son égard ? Si ce Prince est venu pour négocier, pour traiter de quelque affaire publique ; il doit jouïr sans contredit, & dans un dégré plus éminent encore, de tous les Droits des Ambassadeurs.   S'il est venu en Voyageur ; sa Dignité seule, & ce qui est dû à la Nation qu'il réprésente & qu'il gouverne, le met à couvert de toute insulte, lui assûre des respects & toute sorte d’égards, & l’exempte de toute Jurisdiction.   Il ne peut être traité comme sujet aux Loix communes, dès qu'il se fera connaître ; car on ne présume pas qu’il ait consenti à s'y soumettre, & si on ne veut pas le souffrir sur ce pied-là, il faut l’avertir de se retirer.   Mais si ce Prince étranger forme quelque entreprise contre la sûreté & le salut de l’État ; en un mot, s'il agit en Ennemi ; il peut très-justement être traité comme tel.   Hors ce cas-là, on lui doit toute sûreté ; puisqu'elle est dûe même à un particulier étranger.

 

            Une idée ridicule à gagné l’esprit de gens même qui ne se croient pas peuple : Ils pensent qu'un Souverain, qui entre dans un pays étranger, sans permission, peut y être arrêté (a(a) On est surpris de voir un grave Historien donner dans cette pensée : Voyez GRAMOND, Hist.   Gall.   Lib.XIII.   Le Cardinal de RICHELIEU allégua aussi cette mauvaise raison, quand il fit arrêter l’Électeur Palatin CHARLES-LOUIS, qui avoit entrepris de traverser la France incognito : Il dit, qu’il n’étoit permis à aucun Prince de passer par le Royaume sans Passeport.   Mais il ajoûta de meilleures raisons, prises des desseins du Prince Palatin sur Brisac & les autres places, laissées par le DUC BERNARD de Saxe-Weimar, & auxquelles la France prétendoit avoir plus de droit que personne, parceque ces Conquêtes avoient été faites avec son argent.   Voyez l’Histoire du Traité de WESTPHALIE par le P.   BOUGEANT Tom.II in 12° p.88).   Et sur quelle raison pourroit-on fonder une pareille violence ? Cette absurdité se réfute d'elle-même.   Il est vrai que le Souverain étranger doit avertir de sa venuë, s'il désire qu’on lui rende ce qui lui est dû.   Il est vrai de même qu'il sera prudent à lui de demander des Passeports, pour ôter à la mauvaise volonté tout prétexte, & toute espérance de couvrir l’injustice & la violence sous quelques raisons spécieuses.   Je conviens encore, que la présence d'un Souverain étranger pouvant tirer à conséquence, dans certaines occasions ; pour peu que les tems soient soupçonneux & son voyage suspect, le Prince ne doit pas l’entreprendre sans avoir l’agrément de celui, chez qui il veut aller.   PIERRE le Grand, voulant aller lui-même chercher dans les pays étrangers les Arts & les Sciences, pour en enrichir son Empire, se mit à la suite de ses Ambassadeurs.

 

            Le Prince étranger conserve sans-doute tous ses Droits sur son État & ses sujets, & il peut les exercer, en tout ce qui n'intéresse point la Souveraineté du Territoire dans lequel il se trouve.   C’est pourquoi il paroît que l’on fut trop ombrageux en France, lorsqu'on ne voulut pas souffrir que l’Empereur SIGISMOND étant à Lyon, y créât Duc le Comte de Savoye, Vassal de l’Empire (voyez ci-dessus Liv.II §.40).   On n'eût pas été si difficile à l’égard d'un autre Prince ; mais on étoit en garde Jusqu'au scrupule contre les vieilles prétentions des Empereurs.   Au contraire, ce fut avec beaucoup de raison, que l’on trouva mauvais, dans le même Royaume, que la Reine CHRISTINE y eût fait exécuter, dans son Hôtel, un de ses Domestiques ; car une exécution de cette nature est un acte de Jurisdiction Territoriale.   Et d'ailleurs Christine avoit abdiqué la Couronne : Toutes ses réserves, sa naissance, sa Dignité, pouvoient bien lui assûrer de grands honneurs, & tout au plus une entière indépendance ; mais non pas tous les droits d'un Souverain actuel.   Le fameux exemple de MARIE Reine d'Écosse, que l’on voit si souvent allégué en cette matière, n'y vient pas fort à propos : Cette Princesse ne possédoit plus la Couronne ; quand elle vint en Angleterre, & qu'elle y fut arrêtée, jugée & condamnée.

 

§.109     Des Députés des Etats

            Les Députés aux Assemblées des États d'un Royaume, ou d'une République, ne sont point des Ministres Publics, comme ceux dont nous venons de parler, n'étant pas envoyés aux Étrangers : Mais ils sont Personnes publiques ; & en cette qualité, ils ont des Privilèges, que nous devons établir en peu de mots, avant que de quitter cette matière.   Les États qui ont droit de s'assembler par Députés, pour délibérer sur les Affaires publiques, sont fondés, par-cela même, à exiger une entière sûreté pour leurs Réprésentans, & toutes les exemptions nécessaires à la liberté de leurs fonctions.   Si la personne des Députés n'est pas inviolable, ceux qui les délèguent ne pourront s'assûrer de leur fidélité à maintenir les Droits de la Nation, à défendre courageusement le Bien public : Et comment ces Réprésentans pourront-ils s'acquitter dignement de leurs fonctions, s'il est permis de les inquiéter, en les traînant en Justice, soit pour dettes, soit pour délits communs ? Il y a ici, de la Nation au Souverain, les mêmes raisons, qui établissent, d'État à État, les Immunités des Ambassadeurs.   Disons donc, que les Droits de la Nation & la Foi publique mettent ces Députés à couvert de toute violence, & même de toute poursuite judiciaire, pendant le tems de leur Ministère.   C’est aussi ce qui s'observe en tout pays, & particulièrement aux Diettes de l’Empire, aux Parlements d'Angleterre, & aux Cortes d'Espagne.   HENRI III Roi de France, fît tuer aux États de Blois, le Duc & le Cardinal de Guise.   La sûreté des États fut sans-doute violée, par cette action.   Mais ces Princes étoient des factieux & des rebelles, qui portoient leurs vuës audacieuses jusqu'à dépouiller leur Souverain de sa Couronne : Et s'il étoit également certain que Henri ne fût plus en état de les faire arrêter & punir suivant les Loix ; la nécessité d'une juste défense faisoit le droit du Roi & son apologie.   C’est le malheur des Princes foibles & malhabiles, qu’ils se laissent réduire à des extrémités, d'où ils ne peuvent sortir sans violer toutes les règles.   On dit que le Pape SIXTE V, apprenant la mort du Duc de Guise, loua cet acte de vigueur, comme un coup d'État nécessaire.   Mais il entra en fureur, quand on lui dit que le Cardinal avoit été aussi tué (a(a) Voyez les Historiens de France).   C'étoit pousser bien loin d'orgueilleuses prétentions.   Le Pontife convenoit que la nécessité pressante avoit autorisé Henri à violer la sûreté des États & toutes les formes de la Justice ; prétendoit-il que ce Prince mit au hazard sa Couronne & sa vie, plûtôt que de manquer de respect pour la Pourpre Romaine?


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