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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:21

CHAPITRE XVIII
De l’établissement d'une Nation dans un pays.


§.203       Occupation d'un pays par la Nation.

            Jusques-ici nous avons considéré la Nation purement en elle-même, sans égard au pays qu'elle occupe. Voyons-la maintenant établie dans une Contrée, qui devient son bien propre & sa demeure. La Terre appartient aux hommes en général : Destinée par le Créateur à être leur habitation commune & leur mére-nourrice, tous tiennent de la Nature le droit d'y habiter & d'en tirer les choses nécessaires à leur subsistance & convenables à leurs besoins. Mais le Genre humain s'étant extrêmement multiplié, la terre n'étoit plus capable de fournir d'elle-même & sans culture, à l’entretien de ses habitans ; & elle n'eût pu recevoir une culture convenable de peuples vagabonds, auxquels elle eût appartenu en commun. Il devint donc nécessaire que ces peuples se fixassent quelque part, & qu'ils s’appropriassent des portions de terrein, afin que n'étant point troublés dans leur travail, ni frustrés du fruit de leurs peines, ils s’appliquassent à rendre ces terres fertiles, pour en tirer leur subsistance. Voilà ce qui doit avoir donné lieu aux Droits de Propriété & de Domaine, ce qui en justifie l’établissement. Depuis leur introduction, le droit commun à tous les hommes est restreint en particulier à ce que chacun posséde légitimement. Le pays qu'une Nation habite, soit qu'elle s'y soit transportée, soit que les familles qui la composent, se trouvant répanduës dans cette Contrée, s'y soient formées en Corps de Société Politique ; ce pays, dis-je, est l’Etablissement de la Nation ; elle y a un droit propre & exclusif.


§.204       Ses droits sur le pays qu'elle occupe.

            Ce droit comprend deux choses :
1°, le Domaine, en vertu duquel la Nation peut user seule de ce pays pour ses besoins, en disposer & en tirer tout l’usage auquel il est propre.
2°, l’Empire, ou le droit du souverain Commandement, par lequel elle ordonne & dispose à sa volonté de tout ce qui se passe dans le pays.


§.205       Occupation de l’Empire dans un pays vacant.

         Lorsqu'une Nation s'empare d'un pays qui n'appartient encore a personne, elle est censée y occuper l’Empire, ou la Souveraineté, en même tems que le Domaine. Car puisqu'elle est libre & indépendante, son intention ne peut être, en s’établissant dans une contrée, d'y laisser à d'autres le droit de commander, ni aucun de ceux qui constituent la Souveraineté. Tout l’espace dans lequel une Nation étend son empire, forme le ressort de sa Jurisdiction, & s'appelle son Territoire.


§.206       Autre maniére d'occuper l’Empire dans un pays libre.

            Si plusieurs familles libres, répanduës dans un pays indépendant, viennent à s'unir, pour former Une Nation, un État ; elles occupent ensemble l’Empire sur tout le pays qu'elles habitent. Car elles en possédoient déjà, chacune pour sa part, le Domaine ; & puisqu'elles veulent former ensemble une Société Politique, & établir une Autorité publique, à laquelle chacun sera tenu d'obéir, il est bien manifeste que leur intention est d'attribuer à cette Autorité publique le droit de commander dans tout le pays.


§.207       Comment une Nation s'approprie un pays désert.

            Tous les hommes ont un droit égal aux choses qui ne sont point encore tombées dans la propriété de quelqu'un ; & ces choses-là appartiennent au prémier occupant. Lors donc qu'une Nation trouve un pays inhabité & sans maître, elle peut légitimement s'en emparer : & après qu'elle a suffisamment marqué sa volonté à cet égard, une autre ne peut l’en dépouiller. C’est ainsi que des Navigateurs, allant à la découverte, munis d'une Commission de leur Souverain, & rencontrant des Isles, ou d'autres terres désertes, en ont pris possession au nom de leur Nation : & communément ce titre a été respecté, pourvù qu'une possession réelle l’ait suivi de près.


§.208       Question à ce sujet.

            Mais c’est une Question de savoir, si une Nation peut s'approprier ainsi, par une simple prise de possession, des pays qu'elle n'occupe pas réellement, & s'en réserver de cette maniére, beaucoup plus qu'elle n'est capable de peupler & de cultiver. Il n'est pas difficile de décider, qu'une pareille prétention seroit absolument contraire au Droit Naturel, & opposée aux vûës de la Nature, qui destinant toute la terre aux besoins des hommes en général, ne donne à chaque peuple le droit de s'approprier un pays, que pour les usages qu'il en tire, & non pour empêcher que d'autres n'en profittent. Le Droit des Gens ne reconnoîtra donc la propriété & la Souveraineté d'une Nation, que sur les pays vuides, qu'elle aura occupés réellement & de fait, dans lesquels elle aura formé un Etablissement, ou dont elle tirera un usage actuel. En effet, lorsque des Navigateurs ont rencontré des pays désert, dans lesquels ceux des autres Nations avoient dressé en passant quelque Monument, pour marquer leur prise de possession ; ils ne se sont pas plus mis en peine de cette vaine Cérémonie, que de la disposition des Papes, qui partagérent une grande partie du Monde, entre les Couronnes de Castille & de Portugal (a) Ces actes si singuliers ne se trouvant guéres que dans des livres assez rares, on ne sera pas fâchés d’en voir ici un extrait.

                Bulle d’ALEXANDRE VI par laquelle il donne à FERDINAND & ELISABETH (Isabelle) Roi & Reine de Castille & d’Arragon, le nouveau Monde, découvert par CHRISTOP. COLOMB.

                Motu proprio, dit le Pape, non ad vestram, vel alterius pro vobis super hoc nobis oblatae petitionis instantiam, sed de nostra mera liberalitate, & ex certa scientia, ac de Apostolicae potestatis plenitudine, omnes insulas & terras firmas, inventas & inveniendas, detectas & detegendas versus Occidentem & Meridiem (en tirant une ligne d’un pôle à l’autre, à cent lieuës à l’ouest des Açores) Auctoritate omnipotentis Dei nobis in beato Petro concessâ, ac Vicariatûs Jesu Christi, quâ fungimur in terris, cum omnibus illarum dominiis, Civitatibus &c. vobis haeredibusque & successoribus vestris Castellae & Legionis Regibus in perpetuum tenore praesentium donamus, concedimus, assignamus, vosque & haeredes ac successores praefatos illorum Dominos cum plena, libera & omnimoda potestate, auctoritate & jurisdictione facimus, constituimus & deputamus. Le Pape excepte seulement ce qu’un autre Prince Chrétien pourroit y avoir occupé avant l’année 1493. Comme s’il eût été plus en droit de donner ce qui n’appartenoit à personne, & sur-tout ce qui étoit possédé par les peuples Américains, il poursuit ainsi : Ac quibuscunque personis cujuscunque dignitatis, etiam Imperialis & Regalis, statûs, gradûs, ordinis, vel conditionis, sub excommunicationis latae sententiae poenâ, quam eo ipso, si contra fecerint, incurrant, districtiûs inhibenrus ne ad insulas & terras firmas, inventas & inveniendas, detectas & detegendas versus Occidentem & Meridiem….. pro mercibus habendis, vel quavis alia de cansa accedere praesumant absque vestra, ac haeredum & successorum vestrorum praedictorum licentia speciali &c. Datum Romae apud S. Petrum anno 1493, IV Nonas Maji, Pontific. Nostri anno I°. LEIBNITII Codex Juris Gent. Diplomat. Diplom. 203. Voyez Ibid. Diplom. 165, l’Acte par lequel le Pae NICOLAS V donne au Roi ALPHONSE de Portugal & à l’Infant HENRI l’empire de la Guinée & le pouvoir de subjuguer les Nations barbares de ces Contrées, défendant à tout autre d’y aller sans la permission du Portugal. L’Acte est daté de Rome le VI des Ides de Janvier 1454)


§.209       S'il est permis d'occuper une partie d'un pays, dans lequel il ne se trouve que des peuples errans & en petit nombre.

            Il est une autre question célébre, à laquelle la découverte du nouveau Monde a principalement donné lieu. On demande, si une Nation peut légitimement occuper quelque partie d'une vaste contrée, dans laquelle il ne se trouve que des peuples errans, incapables, par leur petit nombre, de l’habiter toute entiére. Nous avons déjà remarqué (§.81), en établissant l’obligation de cultiver la terre, que ces peuples ne peuvent s’attribuer exclusivement plus de terrein, qu'ils n'en ont besoin & qu'ils ne sont en état d'en habiter & d'en cultiver. Leur habitation vague dans ces immenses régions, ne peut passer pour une véritable & légitime prise de possession ; & les peuples de l’Europe, trop resserrés chez eux, trouvant un terrein, dont les Sauvages n'avoient nul besoin particulier & ne faisoient aucun usage actuel & soutenu, ont pu légitimement l’occuper, & y établir des Colonies. Nous l’avons déjà dit, la Terre appartient au Genre-humain pour sa subsistance : Si chaque Nation eût voulu dès le commencement s’attribuer un vaste pays, pour n'y vivre que de chasse, de pêche & de fruits sauvages ; notre globe ne suffiroit pas à la dixième partie des hommes qui l’habitent aujourd'hui. On ne s'écarte donc point des vues de la Nature, en resserrant les Sauvages dans des bornes plus étroites. Cependant on ne peut que louer la modération des Puritains Anglois, qui les prémiers s'établirent dans la Nouvelle-Angleterre. Quoique munis d'une Charte de leur Souverain, ils achetérent des Sauvages le terrein qu'ils vouloient occuper (a) Histoire des Colonies Angloises de l’Amérique Septentrionale). Ce loüable exemple fut suivi par Guillaume Pen & la Colonie de Quackers qu'il conduisit dans la Pensilvanie.


§.210       Des Colonies.

            Lorsqu'une Nation s'empare d'un pays éloigné & y établit une Colonie ; ce pays, quoique séparé de l’Etablissement principal, fait naturellement partie de l’État, tout comme ses anciennes possessions. Toutes les fois donc que ses Loix Politiques, ou les Traités, n'y apportent point de différence, tout ce qui se dit du Territoire d'une Nation doit s'entendre aussi de ses Colonies.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:20

CHAPITRE XVII
Comment un Peuple peut se séparer de l’État dont il est membre, ou renoncer à l’obéissance de son Souverain, quand il n'en est pas protégé.


§.200       Différence entre le cas présent & ceux du Chapitre précédent.

            Nous avons dit qu'un Peuple indépendant, qui, sans devenir membre d'un autre État, s'en est rendu volontairement dépendant ou sujet, afin d'en être protégé, demeure libre de ses engagemens, Aussi-tôt que cette protection lui manque, même par l’impuissance du Protecteur. Il ne faut pas conclure qu'il en soit précisément de même de tout peuple que son Souverain naturel, ou l’État dont il est membre, ne peut protéger promptement & efficacement. Les deux cas sont fort différens. Dans le prémier, une Nation libre n’est pas soumise à un autre État pour participer à tous ses avantages & faire absolument cause commune avec lui : Si celui-ci vouloit lui faire tant de faveur, elle seroit incorporée, & non assujettie : Elle sacrifie sa Liberté, dans la seule vûë d'être protégée, sans espérer d'autre retour. Lors donc que la condition unique & nécessaire de son assujettissement vient à manquer, de quelque maniére que ce soit, elle est libre de ses engagemens, & ses devoirs envers elle-même l’obligent à pourvoir par de nouveaux moyens si sa propre sûreté. Mais les divers membres d'un même État participant tous également aux avantages qu'il procure, doivent constamment le soutenir : Ils se sont promis de demeurer unis, de faire en toute occasion cause commune. Si ceux qui sont menacés, ou attaqués, pouvoient se détacher des autres, pour éviter un danger présent, tout État serait bientôt dissipé & détruit. Il est donc essentiel au salut de la Société, & au bien même de tous ses membres, que chaque partie résiste de toutes ses forces à l’Ennemi commun, plûtôt que de se détacher des autres ; & c'est par conséquent une des conditions nécessaires de l’Association Politique. Les sujets naturels d'un Prince lui sont attachés, sans autre réserve que l’observation des Loix fondamentales ; ils doivent lui demeurer fidèles, de même qu'il doit prendre soin de les bien gouverner : leurs intérêts sont communs ; ils ne sont avec lui qu'un même tout, qu'une même Société : C'est donc encore une condition essentielle & nécessaire de la Société Politique, que les sujets restent unis à leur Prince, autant que cela est en leur pouvoir.


§.201       Devoir des membres d'un État, ou des sujets d'un Prince qui sont en danger.

            Lors donc qu'une ville, une province est menacée, ou actuellement attaquée ; elle ne peut, pour se soustraire au danger, se séparer de l’État dont elle est membre, ou abandonner son Prince naturel, même quand il n’est pas en pouvoir de lui donner un sécours présent & efficace. Son devoir, ses engagemens politiques l’obligent à faire les plus grands efforts, pour se maintenir dans son état actuel. Si elle succombe à la force ; la nécessité, cette Loi irrésistible, l’affranchit de ses prémiers engagemens, & lui donne le droit de traiter avec le vainqueur, pour faire ses Conditions les meilleures qu'il lui sera possible. S'il faut se soumettre à lui, ou périr ; qui doutera qu'elle ne puisse, qu'elle ne doive même prendre le prémier parti ? l’usage moderne est conforme à cette décision : Une Ville se soumet à l’Ennemi, quand elle ne peut attendre son salut d'une résistance vigoureuse ; elle lui prête serment de fidélité ; & son Souverain n'accuse que la Fortune.


§.202       Leur droit quand ils sont abandonnés.

            L’État est obligé de défendre & de conserver tous ses membres (§.17), & le Prince doit la même assistance à ses sujets. S'ils refusent, ou négligent de sécourir un Peuple, qui se trouve dans un danger imminent ; ce Peuple abandonné devient absolument le maître de pourvoir à sa sûreté à son salut, de la maniére qui lui conviendra le mieux, sans aucun égard pour ceux qui lui ont manqué les prémiers. Le Pays de Zug, attaqué par les Suisses en 1352, envoya au Duc d'Autriche son Souverain, pour en obtenir du sécours. Mais le Prince, occupé à parler de ses oiseaux, quand les Députés se présentèrent à lui, daigna à peine les écouter : Ce peuple abandonné, entra dans la Confédération Helvétique (a) Voyez ETTERLIN, SIMLER & M. DE WATTEVILLE, ubi suprà). La Ville de Zurich s'étoit vûë dans le même cas, une année auparavant. Attaquée par des Citoyens rebelles soutenus de la Noblesse des environs, & par la Maison d'Autriche, elle s’adressa au Chef de l’Empire : Mais CHARLES IV, pour lors Empereur, déclara à ses Députés qu'il ne pouvoit la défendre : Zurich trouva son salut dans l’Alliance des Suisses (b) Voyez les Mêmes Historiens, & BULLINGER, STUMPF, TSCHUDI, STETTLER). La même raison a autorisé les Suisses en général à se détacher entiérement de l’Empire, qui ne les protégeoit en aucune rencontre : Ils n'en connoissoient plus l’autorité dès long-tems, lorsque leur indépendance fut reconnue par l’Empereur & par tout le Corps Germanique, au Traité de Westphalie.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:19

CHAPITRE XVI
De la Protection recherchée par une Nation, & de sa soumission volontaire à une Puissance étrangère.


§.192       De la Protection.

            Lors qu'une Nation n'est pas capable de se garentir elle-même d'insulte & d’oppression, elle peut se ménager la Protection d'un État plus puissant. Si elle l’obtient en s'engageant seulement à certaines choses, même a payer un Tribut, en reconnoissance de la sûreté qu'on lui procure, à fournir des Troupes à son Protecteur, & jusqu'à faire cause commune avec lui, dans toutes ses guerres, se réservant du reste le droit de se gouverner à son gré ; c'est un simple Traité de Protection, qui ne déroge point à la Souveraineté, & qui ne s'éloigne des Traités d'Alliance ordinaires, que par la différence qu'il met dans la Dignité des Parties contractantes.


§.193       Soumission volontaire d'une Nation à une autre.

            Mais on va quelquefois plus loin, & bien qu'une Nation doive conserver précieusement la Liberté & l’indépendance qu'elle tient de la Nature ; lorsqu'elle ne se suffit pas à elle-même, & qu'elle se sent hors d'état de résister à ses ennemis, elle peut légitimement se soumettre à une Nation plus puissante, à de certaines conditions, dont elles conviendront ; & le Pacte ou Traité de soumission sera dans la suite la mesure & la règle des Droits de l’une & de l’autre. Car celle qui se soumet cédant un droit qui lui appartient, & le transportant à l’autre, elle est absolument la maîtresse de mettre à ce transport telles conditions qu'il lui plaît, & l’autre, en acceptant la soumission sur ce pied, s'engage à en observer réligieusement toutes les clauses.


§.194       Diverses espèces de Soumission.

            Cette soumission peut varier à l’infini, suivant la volonté des Contractans : Ou elle laissera subsister en partie la Souveraineté de la Nation inférieure, la restreignant seulement à certains égards ; ou elle l’anéantira totalement, ensorte que la Nation supérieure deviendra Souveraine de s'autre ; ou enfin la moindre sera incorporée dans la plus grande, pour ne former désormais avec elle qu'un seul & même État, & alors ses Citoyens auront les mêmes droits que ceux auxquels ils s'unissent. L’Histoire Romaine nous fournit des exemples de ces trois espèces de soumission :

1°, Les Alliés du Peuple Romain, tels que furent long-tems les Latins, qui dépendoient de Rome à divers égards, & du reste se gouvernoient suivant leurs Loix & par leurs propres Magistrats ;

2°, Les pays réduits en Province Romaine, comme Capoüe, dont les Habitans se soumirent absolument aux Romains ;

3°, Enfin les Peuples à qui Rome accordoit le Droit de Bourgeoisie. Les Empereurs donnérent dans la suite ce Droit à tous les peuples soumis à l’Empire, & transformérent ainsi tous les sujets en Citoyens.


§.195       Droit des Citoyens, quand la Nation se soumet à une Puissance étrangère.

            Dans le cas d'un véritable assujettissement à une Puissance étrangère, les Citoyens qui n'approuvent pas ce changement ne sont point obligés de s'y soumettre ; on doit leur permettre de vendre leurs biens & de se retirer ailleurs. Car pour être entré dans une Société, je ne suis point obligé de suivre son sort, lorsqu'elle se dissout elle-même, pour se soumettre à une Domination étrangère. Je me suis soumis à la Société telle qu'elle était, pour vivre dans cette Société, & non dans une autre, pour être membre d'un État souverain : Je dois lui obéir tant qu'elle demeure Société Politique. Lorsqu'elle se dépouille de cette qualité, pour recevoir la Loi d'un autre État, elle rompt les nœuds qui unissoient ses membres, & les délie de leurs engagemens.


§.196       Ces Pactes annullés par le défaut de protection.

            Quand une Nation s’est mise sous la protection d'une autre plus puissante, ou même s’est assujettie à elle, dans la vûë d'en être protégée ; si celle-ci ne la protège pas effectivement dans l’occasion, il est manifeste que manquant à ses engagemens, elle perd tous les droits que la Convention lui avoit acquis, & que l’autre, dégagée de l’obligation qu'elle avoit contractée, rentre dans tous ses droits, & recouvre son indépendance, ou sa Liberté. Il faut remarquer que cela a lieu même dans le cas où le Protecteur ne manque point à ses engagemens par mauvaise foi, mais par pure impuissance. Car la Nation plus foible ne s'étant soumise que pour être protégée ; si l’autre ne se trouve point en état de remplir cette condition essentielle, le pacte est anéanti ; la plus foible rentre dans ses droits, & peut, si elle le juge à propos, recourrir à une Protection plus efficace (*(*) Nous parlons ici d'une Nation qui s'est renduë sujette d'une autre, & non pas de celle qui se seroit incorporée dans un autre État, pour en faire partie. Cette derniére est dans le cas de tous les autres Citoyens. Nous en parlerons au Chapitre suivant). C'est ainsi que les Ducs d'Autriche, qui avoient acquis un Droit de Protection, & en quelque sorte de Souveraineté sur la Ville de Lucerne, ne voulant, ou ne pouvant pas la protéger efficacément ; cette Ville fit alliance avec les trois prémiers Cantons : & les Ducs ayant porté leurs plaintes à l’Empereur, les Lucernois répondirent, qu’ils avoient usé du Droit naturel & commun à tous les hommes, qui permet à un chacun de chercher sa propre Sûreté, quand il est abandonné de ceux qui sont obligés de le sécourrir (a) Voyez les Historiens de la Suisse).


§.197       Ou par l’infidélité du Protégé.

            La Loi est égale pour les deux Contractans : Si le Protégé ne remplit pas ses engagemens avec fidélité, le Protecteur est déchargé des siens ; il peut refuser la protection dans la suite, & déclarer le Traité rompu, au cas qu'il le juge à propos pour le bien de ses affaires.


§.198       & par les entreprises du Protecteur.

            En vertu du même principe, qui délie l’un des Contractans, quand l’autre manque à ses engagemens ; si la Puissance supérieure veut s'arroger sur la faible plus de droit, que le Traité de Protection, ou de soumission ne lui en donne, celle-ci peut regarder le Traité comme rompu, & pourvoir à sa sûreté suivant sa prudence. S'il en étoit autrement, la Nation inférieure trouverait sa perte dans une Convention, à laquelle elle ne s'est résolue que pour son salut ; & si elle étoit encore liée par ses engagemens, lorsque son Protecteur en abuse & viole ouvertement les siens, le Traité deviendrait un piége pour elle. Cependant comme quelques-uns prétendent, qu'en ce cas, la Nation inférieure a seulement le droit de résister & d'implorer un sécours étranger ; comme sur-tout les foibles ne peuvent prendre trop de précautions contre les puissans, habiles à colorer leurs entreprises ; le plus sûr est d'insérer dans cette espèce de Traité une Clause commissoire, qui le déclare nul, dès que la Puissance supérieure voudra s'arroger plus de droit que le Traité ne lui en donne expressément.


§.199       Comment le droit de la Nation protégée se perd par son silence.

            Mais si la Nation protégée, ou soumise à certaines conditions, ne résiste point aux entreprises de celle dont elle a recherché l’appui ; si elle n'y fait aucune opposition ; si elle garde un profond silence, quand elle devroit & pourroit parler ; sa patience, après un tems considérable, forme un consentement tacite, qui légitime le droit de l’Usurpateur. Il n'y auroit rien de stable parmi les hommes, & sur-tout entre les Nations, si une longue possession, accompagnée du silence des intéressés, ne produisoit pas un droit certain. Mais il faut bien observer, que le silence, pour marquer un consentement tacite, doit être volontaire. Si la Nation inférieure prouve, que la violence & la crainte ont étouffé les témoignages de son opposition, on ne peut rien conclure de son silence, & il ne donne aucun droit à l’Usurpateur.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:18

CHAPITRE XV
De la Gloire d'une Nation.


§.186       Combien la Gloire est avantageuse.

            La Gloire d'une Nation tient intimément à sa puissance ; elle en fait une partie très considérable. C’est ce brillant avantage qui lui attire la considération des autres peuples, qui la rend respectable à ses voisins. Une Nation dont la réputation est bien établie, & principalement celle dont la gloire est éclatante, se voit recherchée de tous les Souverains : Ils désirent son amitié, & craignent de l’offenser : Ses Amis & ceux qui souhaitent de le devenir, favorisent ses entreprises, & ses envieux n'osent manifester leur mauvaise volonté.


§.187       Devoir de la Nation. Comment la véritable gloire s'acquiert.

            Il est donc très avantageux à une Nation d'établir sa réputation & sa gloire ; & ce soin devient l’un de ses plus importans devoirs envers elle-même. La véritable Gloire consiste dans le jugement avantageux des gens sages & éclairés : Elle s'acquiert par les vertus, ou les qualités de l’esprit & du cœur, & par les belles actions, qui sont les fruits de ces vertus. Une Nation peut la mériter à double titre ;

1°, par ce qu'elle fait en qualité de Nation, par la conduite de ceux qui administrent ses affaires, qui ont en main l’Autorité & le Gouvernement ;

2°, par le mérite des particuliers qui composent la Nation.

§.188       Devoir du Prince.

            Un Prince, un Souverain quel qu'il soit, qui se doit tout entier à sa Nation, est sans doute obligé d'en étendre la Gloire, autant que cela dépend de lui. Nous avons vû que son devoir est de travailler à la perfection de l’État & du peuple qui lui est soumis : Par là, il lui fera mériter la bonne réputation & la Gloire. Il doit toûjours avoir cet objet devant les yeux, dans tout ce qu'il entreprend, & dans l’usage qu'il fait de son pouvoir. Qu'il fasse briller la justice, la modération, la grandeur d’âme dans toutes ses actions ; il se procurera à soi-même & à son peuple un nom respectable dans l’Univers, & non moins utile que glorieux. La gloire de HENRI IV sauva la France : Dans l’État déplorable où il trouva les affaires, ses vertus encouragérent les sujets fidèles, donnérent aux Etrangers la hardiesse de le sécourir, de se liguer avec lui contre l’ambitieux Espagnol. Un Prince foible & peu estimé eût été abandonné de tout le mondes ; on eût craint de s'associer à sa ruine.

Outre les vertus, qui sont la Gloire des Princes, comme celle des personnes privées, il est une dignité & des bienséances, qui appartiennent particuliérement au rang suprême, & que le Souverain doit observer avec le plus grand soin. Il ne peut les négliger sans s'avilir lui-même, & sans imprimer une tache sur l’État. Tout ce qui émane du Trône doit porter un caractère de pureté, de noblesse & de grandeur. Quelle idée prend-on d'un Peuple, quand on en voit le Souverain témoigner dans des Actes publics une bassesse de sentimens, dont un particulier se croiroit deshonoré ? Toute la Majesté de la Nation réside dans la personne du Prince ; que deviendra-t-elle s'il la prostitue, ou s'il souffre qu’elle soit prostituée par ceux qui parlent & qui agissent en son nom ? Le Ministre qui fait tenir à son Maître un langage indigne de lui, mérite d'être honteusement chassé.


§.189       Devoir des Citoyens.

            La réputation des particuliers dérive sur la Nation, par une façon de parler & de penser, également commune & naturelle. En général on attribue une vertu, ou un vice à un peuple, lorsque ce vice, ou cette vertu s'y font remarquer plus fréquemment. On dit qu'une Nation est belliqueuse, quand elle produit un grand nombre de braves Guerriers ; qu'elle est savante, quand il y a beaucoup de Savans parmi ses Citoyens ; qu'elle excelle dans les Arts, lors qu'elle a dans son sein plusieurs habiles Artistes : Au contraire, on la dit lâche, paresseuse, stupide, lorsque les gens de ces caractères y sont en plus grand nombre qu'ailleurs. Les Citoyens, obligés de travailler de tout leur pouvoir au bien & à l’avantage de la Patrie, non-seulement se doivent à eux-mêmes le soin de mériter une bonne réputation ; ils le doivent encore à la Nation, dans la gloire de laquelle la leur est capable d'influer. BACON, NEWTON, DESCARTES, LEIBNITZ, BERNOULLI, ont fait honneur à leur Patrie, & l’ont servie utilement par la gloire qu'ils ont acquise. Les grands Ministres, les grands Généraux, un OXENSTIERN, un TURENNE, un MARLBOROUGH, un RUITER servent doublement la Patrie, & par leurs actions, & par leur gloire. D'un autre côté, un bon Citoyen trouvera un nouveau motif de s’abstenir de toute action honteuse, dans la crainte du deshonneur qui pourroit en réjaillir sur sa Patrie. & le Prince ne doit point souffrir que ses sujets se livrent à des vices capables de diffamer la Nation, ou de ternir seulement l’éclat de sa gloire : Il est en droit de réprimer & de punir les éclats scandaleux, qui sont un tort réel à l’État.


§.190       Exemple des Suisses.

            L'éxemple des Suisses est bien propre à faire voir de quelle utilité la Gloire peut-être à une Nation. La haute réputation de Valeur, qu'ils se sont acquise, & qu'ils soutiennent glorieusement, les maintient en paix, depuis plus de deux Siécles, & les fait rechercher de toutes les Puissances de l’Europe. Louis XI encore Dauphin, fut témoin des prodiges de valeur qu'ils firent à la bataille de St. Jaques, auprès de Basle, & il forma dès-lors le dessein de s'attacher étroitement une Nation si intrépide (a) Voyez les Mémoires de COMMINES). Les douze-cent braves, qui attaquèrent, en cette occasion, une Armée de cinquante à soixante mille hommes aguerris, battirent d'abord l’avant-garde des Armagnacs, forte de dix-huit mille hommes, & donnant ensuite avec trop d'audace sur le gros de l’armée, ils périrent presque tous (b) De cette petite Armée, « on compta 1158 morts & 32 blessés. Il n'échapa que douze hommes, qui furent regardés par leurs Compatriotes comme des lâches, qui avoient préféré une vie honteuse à la gloire de mourir pour leur Patrie. » Hist. de la Confédération Helvétique par M. de WATTEVILLE, T.I p.250 & suiv. TSCHUDI p.425), sans pouvoir achever leur victoire. Mais outre qu'ils effrayérent l’ennemi & garentirent la Suisse d'une invasion ruïneuse, ils la servirent utilement, par la gloire éclatante qu'ils acquirent à ses armes. La réputation d'une fidélité inviolable n'est pas moins avantageuse à cette Nation. Aussi a-t-elle été de tout tems jalouse de se la conserver. Le Canton de Zug punit de mort cet indigne soldat, qui trahit la confiance du Duc de Milan, & décela ce Prince aux François, lorsque, pour leur échaper, il s'étoit mis dans les rangs des Suisses qui sortoient de Novare, habillé comme l’un d'eux (b) VOGEL. Traité Historique & politique des Alliances entre la France & les XIII Cantons, p.p.75, 76).


§.191       Attaquer la gloire d'une Nation, c'est lui faire injure.

            Puisque la gloire d'une Nation est un bien très-réel, elle est en droit de la défendre, tout comme ses autres avantages. Celui qui attaque sa gloire lui fait injure ; elle est fondée à exiger de lui, même par la force des armes, une juste réparation. On ne peut donc condamner ces mesures que prennent quelquefois les Souverains, pour maintenir ou pour venger la dignité de leur Couronne. Elles sont également justes & nécessaires. Lors qu'elles ne procédent point de prétentions trop hautes ; les attribuer à un vain orgueil, c'est ignorer grossiérement l’art de régner, & mépriser l’un des plus fermes appuis de la grandeur & de la Sûreté d'un État.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:17

CHAPITRE XIV

Troisiéme objet d'un bon Gouvernement, se fortifier contre les attaques du déhors.


§.177       Une Nation doit se fortifier contre les attaques du déhors.

            Nous nous Sommes étendus sur ce qui intéresse la vraie félicité d'une Nation : La matiére est également riche & compliquée. Venons maintenant à un troisiéme chef des devoirs d'une Nation envers elle-même, à un troisiéme objet d'un bon Gouvernement. L’une des Fins de la Société Politique est de se défendre, à forces réunies, de toute insulte ou violence du déhors (§.15). Si la Société n'est pas en état de repousser un aggresseur, elle est très-imparfaite, elle manque à sa principale destination, & ne peut subsister long-tems. La Nation doit se mettre en état de repousser & de dompter un injuste Ennemi ; c'est un devoir important, que le soin de sa perfection, de sa conservation même, lui impose, & à son Conducteur.


§.178       De la puissance d'une Nation.

            C'est par sa puissance qu'une Nation peut repousser des aggresseurs, assûrer ses droits, & se rendre partout respectable. Tout l’invite à ne rien négliger pour se mettre dans cette heureuse situation. La puissance d'un État consiste en trois choses, le nombre des Citoyens, leurs vertus militaires, & les richesses. On peut comprendre sous ce dernier article, les Forteresses, l’Artillerie, les Armes, les Chevaux, les Munitions, & généralement tout cet attirail immense, qui est aujourd'hui nécessaire à la Guerre ; puisque l’on peut se procurer tout cela à prix d'argent.


§.179       Multiplication des Citoyens.

            L’État, ou son Conducteur doit donc s'appliquer prémiérement, à multiplier le nombre des Citoyens, autant que cela est possible & convenable. Il y réussira en faisant régner l’abondance dans le pays, comme il y est obligé ; en procurant au peuple les moyens de gagner par son travail de quoi nourrir une famille ; en donnant de bons ordres pour que les sujets foibles, & sur-tout les Laboureurs, ne soient pas véxés & opprimés par la levée des impots ; en gouvernant avec douceur, & d'une maniére qui, bien loin de dégoûter & de disperser les sujets, en attire plûtôt de nouveaux ; enfin en encourageant le Mariage, à l’exemple des Romains. Nous avons déjà remarqué (§.149) que ce Peuple si attentif à tout ce qui pouvoit accroître & soutenir sa Puissance, fit de sages Loix contre les Célibataires, & accorda des privilèges & des exemptions aux gens mariés, principalement à ceux dont la famille étoit nombreuse : Loix aussi justes que sages puisqu'un Citoyen qui élève des sujets pour l’État, a droit d'en attendre plus de faveurs que celui qui ne veut y vivre que pour lui-même.

Tout ce qui est contraire à la population, est un vice dans un État qui ne regorge pas d'habitans. Nous avons déjà parlé des Couvents & du Célibat des Prêtres. Il est étrange que des Etablissemens directement contraires aux devoirs de l’homme & du Citoyen, au bien & au salut de la Société, ayent trouvé tant de faveur, & que les Princes, loin de s'y opposer, comme ils le devoient, les ayent protégés & enrichis. Une Politique, habile à profiter de la Superstition pour étendre son pouvoir, fit prendre le change aux Puissances & aux sujets sur leurs véritables devoirs ; elle sçut aveugler les Princes, même sur leurs intérêts. L’expérience semble enfin ouvrir les yeux aux Nations & à leurs Conducteurs ; le Pape même, disons-le à la gloire de BENOIT XIV Le Pape cherche à réduire peu-à-peu un abus si palpable ; par ses ordres, on n'admet plus personne, dans ses États, à faire des vœux, avant l’âge de vingt-cinq ans. Ce savant Pontife donne aux Souverains de sa Communion un exemple salutaire ; il les invite à se réveiller enfin sur le salut de leurs États, à resserrer au moins les avenues du gouffre qui les épuise, s'ils ne peuvent les fermer entiérement. Parcourrez l’Allemagne ; & dans des Contrées d'ailleurs parfaitement semblables, vous verrez les États Protestans deux fois plus peuplés que les États Catholiques : Comparez I'Espagne déserte, à l’Angleterre regorgeante d'habitans : Voyez de belles Provinces, même en France, manquant de Cultivateurs ; & dites-nous si les milliers de reclus & de recluses ne serviroient pas infiniment mieux & Dieu & la Patrie, en donnant des Laboureurs à ces riches Campagnes ? Il est vrai que la Suisse Catholique ne laisse pas d'être très-peuplée : Mais c'est qu'une paix profonde, c'est sur-tout que la nature du Gouvernement répare abondamment les pertes causées par les Couvents. La Liberté est capable de remédier aux plus grands maux ; elle est l’âme d'un État, & c'est avec grand sujet que les Romains l’appelloient alma Libertas.


§.180       De la Valeur.

            Une multitude lâche & sans Discipline est incapable de repousser un Ennemi aguerri : La force de l’État consiste moins dans le nombre, que dans les vertus militaires des Citoyens. La Valeur, cette vertu héroïque, qui brave les dangers pour le salut de la Patrie, est le plus ferme appui de l’État : Elle le rend formidable à ses Ennemis, & lui épargne jusqu'à la peine de se défendre. Un Peuple dont la réputation à cet égard est une fois bien établie, sera rarement attaqué, s'il ne provoque personne par ses entreprises. Depuis plus de deux siécles, les Suisses joüissent d'une paix profonde, tandis que le bruit des armes retentit autour d'eux, & que la Guerre désole tout le reste de l’Europe. La nature donne le fonds de la Valeur ; mais diverses causes peuvent l’échauffer, ou l’affoiblir, & même la détruire. Une Nation doit donc rechercher & cultiver cette Vertu si utile, & le Souverain prudent mettra tout en œuvre pour l’inspirer à ses sujets. La sagesse lui en marquera les moyens. C'est le beau feu qui anime la Noblesse Françoise : Enflammée pour la Gloire & pour la Patrie, elle vole aux combats, & répand gaiement son sang dans le Champ d'honneur. Où n’iroient point ses Conquêtes, si le Royaume étoit environné de Peuples moins belliqueux ? l’Anglois généreux & intrépide, est un Lion dans les Combats, & en général les Nations de l’Europe surpassent en bravoure tous les peuples du Monde.


§.181       Des autres vertus militaires.

            Mais la Valeur seule ne réussit point toûjours à la Guerre ; les succès constans ne sont dûs qu'à l’assemblage de toutes les vertus militaires. L’Histoire nous apprend de quelle importance sont les lumiéres des Généraux, la Discipline militaire, la frugalité, la force du corps, l’adresse, l’endurcissement aux fatigues & au travail. Ce sont-là tout autant de parties, qu'une Nation doit cultiver avec soin. Voilà ce qui porta si haut la Gloire des Romains, & les rendit maîtres du Monde. Ce seroit une erreur de croire, que la Valeur seule ait produit ces actions éclatantes des anciens Suisses, ces Victoires de Morgarten, de Sempach, de Laupen, de Morat, & tant d'autres : Non-seulement les Suisses combattoient avec intrépidité ; ils étudioient la Guerre, ils s'endurcissoient à ses travaux, ils se formoient à l’exécution de toutes les manœuvres, & l’amour même de la Liberté les soumettoit à une Discipline, qui pouvoit seule leur assûrer ce trésor & sauver la Patrie. Leurs Troupes n'étoient pas moins célébres par leur discipline que par leur bravoure. MEZERAY, après avoir rapporté ce que firent les Suisses à la bataille de Dreux, ajoûte ces paroles remarquables : « Au jugement de tous les Capitaines d'une part & d'autre qui se trouvérent là, les Suisses gagnérent en cette journée, par toutes sortes d'épreuves, contre l’infanterie & la cavalerie, contre les François & les Allemands, le prix de la discipline militaire, & la réputation d'être les meilleurs fantassins du monde (a) Histoire de France Tom.II p.888) «.


§.182       Des richesses.

            Enfin les richesses d'une Nation font une partie considérable de sa puissance, aujourd'hui principalement, que la Guerre exige des dépenses immenses. Ce ne sont pas seulement les revenus du Souverain, ou le Trésor public, qui font la richesse d'une Nation ; son opulence s'estime aussi par les richesses des particuliers. On appelle communément une Nation riche, celle où il se trouve un grand nombre de Citoyens aisés & puissans. Les biens des particuliers augmentent réellement les forces de l’État ; puisque ces particuliers sont capables de contribuer de grosses sommes pour les besoins publics & même que, dans une extrémité, le Souverain peut employer toutes les richesses des sujets à la défense & au salut de l’État, en vertu du Domaine éminent qui lui appartient, comme nous le ferons voir dans la suite. La Nation doit donc s'appliquer à acquérir ces richesses publiques & particuliéres, qui lui sont si utiles : & c'est ici une nouvelle raison de cultiver le Commerce extérieur, qui en est la source ; un nouveau motif pour le Souverain, d'avoir l’œil ouvert sur tous les Commerces étrangers que son peuple peut exercer, afin de soutenir, de protéger les branches profitables, & de couper celles qui font sortir l’or & l’argent.


§.183       Revenus de l’État & Impôts.

            Il est nécessaire que l’État ait des revenus proportionnés aux dépenses qu'il est obligé de faire. On peut lui former ces revenus de plusieurs maniéres, par le Domaine que la Nation lui réserve, par des Contributions, par divers Impôts &c. Nous traiterons ailleurs cette matiére.


§.184       La Nation ne doit pas augmenter sa puissance par des moyens illicites.

            Voilà en quoi consiste cette Puissance, que la Nation doit augmenter & accroître. Est-il nécessaire d'observer qu'elle ne peut y travailler que par des voies justes & innocentes ? Une fin loüable ne suffit pas pour légitimer les moyens : Ceux-ci doivent être légitimes en eux-mêmes. Car la Loi Naturelle ne peut se contredire ; si elle proscrit une action, comme injuste ou deshonête en elle-même, elle ne la permet jamais, pour quelque vûë que ce soit. & dans les cas où on ne peut atteindre à une fin bonne & loüable, sans employer des moyens illégitimes ; on doit tenir cette fin pour impossible, & l’abandonner. Ainsi nous ferons voir, en traitant des justes Causes de la Guerre, qu'il n'est point permis à une Nation d'en attaquer une autre, dans la vûë de s'agrandir en la soumettant à ses Loix. C'est comme si un particulier vouloit s'enrichir en ravissant le bien d'autrui.


§.185       La puissance est rélative à celle d'autrui.

            La puissance d'une Nation est rélative ; on doit la mesurer sur celle de ses voisins, ou de tous les peuples dont elle peut avoir quelque chose à craindre. L’État est assez puissant, lorsqu'il est capable de se faire respecter & de repousser quiconque voudroit l’attaquer. Il peut se procurer cette heureuse situation, soit par ses propres forces, en les tenant au niveau, ou même au-dessus des forces de ses voisins, soit en empêchant que ceux-ci ne s'élèvent à une puissance prédominante & formidable. Mais nous ne pouvons marquer ici en quels cas & par quels moyens un État peut avec justice mettre des bornes & puissance d'un autre État : Il faut auparavant expliquer les devoirs d'une Nation envers les autres, pour les combiner ensuite avec ses devoirs envers elle-même. Disons seulement pour le présent, qu'en suivant à cet égard les règles de la prudence & d'une sage politique, elle ne doit jamais perdre de vûë celles de la justice.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:16

CHAPITRE XIII

De la Justice & de la Police.


§.158       Une Nation doit faire règner la Justice.

Après le soin de la Religion, un des principaux devoirs d'une Nation concerne la Justice. Elle doit mettre tous ses soins à la faire régner dans l’État, prendre de justes mesures pour qu'elle soit rendue à tout le monde, de la maniére la plus sûre, la plus prompte & la moins onéreuse. Cette obligation découle de la Fin & du Pacte même de la Société Civile. Nous avons vû (§.15) que les hommes ne se sont liés par les engagemens de la Société, & n'ont consenti à se dépouiller en sa faveur d'une partie de leur Liberté naturelle, que dans la vûë de joüir tranquillement de ce qui leur appartient & d'obtenir justice avec sûreté. La Nation se manqueroit donc à elle-même, & tromperoit les particuliers, si elle ne s'appliquoit pas sérieusement à faire régner une exacte Justice. Elle doit cette attention à son bonheur, à son repos & à sa prospérité. La confusion, le désordre, le découragement naissent bientôt dans l’État, lorsque les Citoyens ne sont pas assurés d'obtenir promptement & facilement Justice, dans tous leurs différends ; les vertus civiles s'éteignent, & la Société s'affoiblit.


§.159       Etablir de bonnes Loix.

            La Justice rêgne par deux moyens ; par de bonnes Loix, & par l’attention des Supérieurs à les faire observer. Lorsque nous traitions de la Constitution de l’État (Chap.III), nous avons déjà fait voir que la Nation doit établir des Loix justes & sages, & nous avons aussi indiqué les raisons pour lesquelles nous ne pouvons entrer ici dans le détail de ces Loix. Si les hommes étoient toujours également justes, équitables, éclairés ; les Loix Naturelles suffiroient sans doute à la Société. Mais l’ignorance, les illusions de l’Amour propre, les passions, rendent trop souvent impuissantes ces Loix sacrées. Aussi Voyons-nous que tous les Peuples policés ont senti la nécessité de faire des Loix positives. Il est besoin de Règles générales & formelles, pour que chacun connoisse clairement son droit, sans se faire illusion ; il faut même quelquefois s'écarter de l’équité naturelle, pour prévenir l’abus & la fraude, pour s'accommoder aux Circonstances ; & puisque le sentiment du Devoir est si souvent impuissant dans le cœur de l’homme, il est nécessaire qu'une sanction pénale donne aux Loix toute leur efficace. Voilà comment la Loi Naturelle se change en Loi Civile (a) Voyez une Dissertation sur cette matière, dans le Loisir Philosophique, p.71 & suiv). Il seroit dangereux de commettre les intérêts des Citoyens au pur arbitre de ceux qui doivent rendre la Justice ; le Législateur doit aider l’Entendement des juges, forcer leurs préjugés & leurs penchans, assujettir leur Volonté, par des Règles simples, fixes & certaines : & voilà encore les Loix Civiles.


§.160       Les faire observer.

            Les meilleures Loix sont inutiles, si on ne les observe pas. La Nation doit donc s'attacher à les maintenir, à les faire respecter & exécuter ponctuellement, elle ne sçauroit prendre à cet égard des mesures trop justes, trop étendues & trop efficaces. De là dépendent en grande partie, son bonheur, sa gloire & sa tranquillité.

§.161       Fonctions & Devoirs du Prince en cette matiére.

            Nous avons déjà observé (§.41) que le Souverain, le Conducteur qui réprésente une Nation, qui est revêtu de son Autorité, est aussi chargé de ses devoirs. Le soin de faire régner la justice sera donc l’une des principales fonctions du Prince. Rien n'est plus digne de sa Majesté souveraine. L’Empereur JUSTINIEN commence ainsi le Livre des Institutes : Imperatoriam Majestatem non solùm armis decoratam, sed etiam legibus oportet esse armatam : ut utrumque tempus, & bellorum, & pacis, rectè possit gubernari. Le dégré de Puissance, confié par la Nation au Chef de l’État, sera aussi la règle de ses devoirs & de ses fonctions, dans l’administration de la justice. De même que la Nation peut se réserver le Pouvoir Législatif, ou le confier à un Corps choisi elle est ainsi en droit d'établir, si elle le juge à-propos, un Tribunal suprême, pour juger de toutes les Contestations, indépendamment du Prince. Mais le Conducteur de l’État doit naturellement avoir une part considérable à la Législation ; il peut même en être seul dépositaire. En ce dernier cas, ce sera à lui d'établir des Loix salutaires, dictées par la sagesse & l’équité. Dans tous les cas, il doit protéger les Loix, veiller sur ceux qui sont revêtus d'Autorité, & contenir chacun dans le devoir.


§.162       Comment il doit rendre la Justice.

            La Puissance éxécutrice appartient naturellement au Souverain, à tout Conducteur de la Société ; & il en est revêtu dans toute son étendue, quand les Loix fondamentales ne la restreignent pas. Lors donc que les Loix sont établies, c’est au Prince de les faire éxécuter : les maintenir en vigueur, en faire une juste application à tous les cas qui se présentent ; c'est ce qu'on appelle, rendre la Justice : C’est le devoir du Souverain ; il est naturellement le juge de son peuple. On a vû les Chefs de quelques petits États en faire eux-mêmes les fonctions : Mais cet usage devient peu convenable, impossible même, dans un grand Royaume.

§.163       Il doit établir des Juges intègres & éclairés.

            Le meilleur & le plus sûr moyen de distribuer la Justice, c’est d'établir des juges intégres & éclairés, pour connoître de tous les différends qui peuvent s'élever entre les Citoyens. Il est impossible que le Prince se charge lui-même de ce pénible travail ; il n'auroit ni le tems nécessaire, pour s'instruire à fond de toutes les Causes, ni même les Connoissances requises, pour en juger. Le Souverain ne pouvant s'acquitter en personne de toutes les fonctions du Gouvernement, il doit retenir à lui, avec un juste discernement, celles qu'il peut remplir avec succès & qui sont les plus importantes, & confier les autres à des Officiers, à des Magistrats, qui les exercent sous son Autorité. Il n'y a aucun inconvénient à confier le jugement des Procès à une Compagnie de gens sages, intégres & éclairés ; au contraire, c'est tout ce que le Prince peut faire de mieux ; & il a rempli à cet égard tout ce qu'il doit à son peuple, quand il lui a donné des Juges ornés de toutes les qualités convenables aux Ministres de la Justice : Il ne lui reste qu'à veiller sur leur conduite, afin qu'ils ne se relâchent point.


§.164       Les Tribunaux ordinaires doivent juger des Causes du Fisc.

            L’établissement des Tribunaux de Justice est particuliérement nécessaire pour juger les Causes du Fisc, c’est-à-dire toutes les questions qui peuvent s'élever entre ceux qui exercent les Droits utiles du Prince, & les sujets. Il serait mal-séant & peu convenable qu'un Prince voulût être Juge dans la propre Cause ; il ne sçauroit être trop en garde contre les illusions de l’intérêt & de l’amour propre, & quand il pourrait s'en garentir, il ne doit pas exposer sa Gloire aux sinistres jugemens de la multitude. Ces raisons importantes doivent même l’empêcher d'attribuer le jugement des Causes qui l’intéressent, aux Ministres & aux Conseillers particuliérement attachés à sa personne. Dans tous les États bien réglés, dans les pays qui sont un État véritable, & non le Domaine d'un Despote, les Tribunaux ordinaires jugent les Procès du Prince, avec autant de liberté que ceux des particuliers.


§.165       On doit établir des Tribunaux Souverains qui jugent définitivement.

            Le but des jugemens est de terminer avec Justice les différends qui s'élèvent entre les Citoyens. Si donc les Causes s’instruisent devant un juge de prémiére Instance, qui en approfondit tous les détails, & vérifie les preuves ; Il est bien convenable, pour plus grande sûreté, que la Partie condamnée parce prémier Juge, puisse en appeller à un Tribunal supérieur, qui examine la sentence, & qui la réforme s'il la trouve mal fondée : Mais il faut que ce Tribunal suprême ait l’Autorité de prononcer définitivement & sans retour ; autrement toute la Procédure sera vaine, & le différend ne pourra se terminer.


La pratique de recourrir au Prince même, en portant sa plainte au pied du Trône, quand la Cause a été jugée en dernier ressort, paroît sujette à de grands inconvéniens. Il est plus aisé de surprendre le Prince, par des raisons spécieuses, qu'une Compagnie de Magistrats versés dans la Connoissance du Droit ; & l’expérience ne montre que trop, quelles sont, dans une Cour, les ressources de la faveur & de l’intrigue. Si cette pratique est autorisée par les Loix de l’État, le Prince doit toûjours craindre que les plaintes ne soient formées dans la vûë de traîner un Procès en longueurs & d'éloigner une juste condamnation. Un Souverain juste & sage ne les admettra qu'avec de grandes précautions ; & s'il casse l’Arrêt dont on se plaint, il ne doit point juger lui-même la Cause, mais, comme il se pratique en France, en commettre la connoissance à un autre Tribunal. Les longueurs ruïneuses de cette procédure, nous autorisent à dire, qu'il est plus convenable & plus avantageux à l’État, d'établir un Tribunal souverain, dont les Arrêts définitifs ne puissent être infirmés par le Prince lui-même. C'est pour la sûreté de la Justice, que le Souverain veille sur la conduite des Juges & des Magistrats, comme il doit veiller sur celle de tous les Officiers de l’État, & qu'il ait le pouvoir de rechercher & de punir les prévaricateurs.


§.166       Le Prince doit garder les formes de la Justice.

            Dès que ce Tribunal Souverain est établi, le Prince ne peut toucher à ses Arrêts, & en général il est absolument obligé de garder & maintenir les Formes de la Justice. Entreprendre de les violer, c’est tomber dans la Domination arbitraire, à laquelle on ne peut jamais présumer qu'aucune Nation ait voulu se soumettre.

Lorsque les Formes sont vicieuses, il appartient au Législateur de les réformer. Cette opération, faite ou procurée suivant les Loix fondamentales, sera l’un des plus salutaires bienfaits que le Souverain puisse répandre sur son peuple. Garantir les Citoyens du danger de se ruiner pour la défense de leurs droits, réprimer, étouffer le Monstre de la Chicane, c'est une action plus glorieuse aux yeux du Sage, que tous les exploits d'un Conquérant.


§.167       Le Prince doit maintenir l’Autorité dès Juges, & faire exécuter leurs sentences.

            La Justice se rend au nom du Souverain : Le Prince s'en rapporte au jugement des Tribunaux, & il prend avec raison ce qu'ils ont prononcé, pour le droit & la justice. Sa partie, dans cette branche du Gouvernement, est donc de maintenir l’Autorité des Juges, & de faire exécuter leurs sentences ; sans quoi elles seroient vaines & illusoires ; la justice ne seroit point renduë aux Citoyens.


§.168       De la Justice attributive. Distribution des Emplois & des récompenses.

            Il est une autre espèce de justice, que l’on nomme attributive, ou distributive. Elle consiste en général à traiter un chacun suivant ses mérites. Cette vertu doit régler dans un État la distribution des Emplois publics, des honneurs & des récompenses. Une Nation se doit prémiérement à elle-même d'encourager les bons Citoyens, d'exciter tout le monde à la vertu, par les honneurs & les récompenses, & de ne confier les Emplois qu'à des sujets capables de les bien desservir. Elle doit aussi aux particuliers la juste attention de récompenser & d'honorer le mérite. Bien qu'un Souverain soit le maître de distribuer ses grâces & les Emplois à qui il lui plaît, & que personne n'ait un droit parfait à aucune Charge ou Dignité ; cependant, un homme qui par une grande application s’est mis en état de servir utilement la Patrie, celui qui a rendu quelque service signalé à l’État, de pareils Citoyens, dis je, peuvent se plaindre avec justice, si le Prince les laisse dans l’oubli, pour avancer des gens inutiles & sans mérite. C'est user envers eux d'une ingratitude condamnable & bien propre à éteindre l’émulation. Il n’est guéres de faute plus pernicieuse, à la longue, dans un État : Elle y introduit un relâchement général, & les affaires, conduites par des mains malhabiles, ne peuvent manquer d'avoir un mauvais succès. Un État puissant se soûtient quelque tems par son propre poids ; mais enfin il tombe dans la décadence, & c'est peut être ici l’une des principales Causes de ces révolutions, que l’on remarque dans les grands Empires. Le Souverain est attentif au choix de ceux qu'il emploie, tant qu'il se sent obligé de veiller à sa conservation & d'être sur ses gardes : Dès qu'il se croit élevé à un point de grandeur & de puissance, qui ne lui laisse plus rien à craindre, il se livre à son caprice, & la faveur distribuë toutes les Places.


§.169       Punition des coupables ; fondement du droit de punir.

            La punition des Coupables se rapporte ordinairement à la Justice attributive, dont elle est en effet une branche, entant que le bon ordre demande que l’on inflige aux malfaiteurs les peines qu'ils ont méritées. Mais si on veut l’établir avec évidence, sur ses vrais fondemens, il faut remonter aux principes. Le Droit de punir, qui, dans l’État de Nature, appartient à chaque particulier, est fondé sur le droit de sûreté. Tout homme a le droit de se garentir d'injure, & de pourvoir à sa sûreté par la force, contre ceux qui l’attaquent injustement. Pour cet effet, il peut infliger une peine à celui qui lui fait injure, tant pour le mettre hors d'état de nuire dans la suite, ou pour le corriger que pour contenir, par son exemple, ceux qui seroient tentés de l’imiter. Or quand les hommes s’unissent en Société, comme la Société est désormais chargée de pourvoir à la sûreté de ses membres, tous se dépouillent en sa faveur de leur droit de punir. C’est donc à elle de venger les injures particuliéres, en protégeant les Citoyens. & comme elle est une personne morale, à qui on peut aussi faire injure ; elle est en droit de maintenir sa sûreté, en punissant ceux qui l’offensent ; c'est à dire qu'elle a le droit de punir les délits publics. Voilà d'où vient le droit de Glaive, qui appartient à une Nation, ou à son Conducteur. Quand elle en use contre une autre Nation, elle fait la Guerre ; lorsqu'elle s'en sert à punir un particulier, elle exerce la Justice vindicative. Deux choses sont à considérer, dans cette partie du Gouvernement ; les Loix, & leur exécution.


§.170       Des Loix Criminelles.

            Il seroit dangereux d'abandonner entiérement la punition des coupables à la discrétion de ceux qui ont l’autorité en main : les passions pourroient se mêler d'une chose, que la justice & la sagesse doivent seules régler. La peine assignée d'avance à une mauvaise action, retient plus efficacément les méchans, qu'une crainte vague, sur laquelle ils peuvent se faire illusion. Enfin les peuples, ordinairement émus la vûë d'un misérable, sont mieux convaincus de la justice de son supplice, quand c'est la Loi elle-même qui l’ordonne. Tout État policé doit donc avoir ses Loix Criminelles. C’est au Législateur, quel qu’il soit, de les établir avec justice & avec sagesse. Mais ce n’est point ici le lieu d'en donner la théorie générale : Bornons-nous à dire, que chaque Nation doit choisir, en cette matiére comme en toute autre, les Loix qui conviennent le mieux aux Circonstances.


§.171       De la mesure des peines.

            Nous ferons seulement une observation, qui est de notre sujet ; elle regarde la mesure des peines. C’est par le fondement même du droit de punir, par la fin légitime des peines, qu'il faut les retenir dans leurs justes bornes. Puisqu'elles sont destinées à procurer la sûreté de l’État & des Citoyens ; elles ne doivent jamais s'étendre au-delà de ce qu'exige cette sûreté. Dire que toute peine est juste, quand le coupable a connu d'avance le châtiment auquel il s’exposoit, c'est tenir un langage barbare, contraire à l’humanité. & à la Loi Naturelle, qui nous défend de faire aucun mal aux autres, à moins qu'ils ne nous mettent dans la nécessité de le leur infliger, pour notre défense & notre sûreté. Toutes les fois donc qu'une espèce de délit n’est pas fort à craindre dans la Société, lorsque les occasions de le commettre sont rares, que les sujets n'y sont pas enclins &c. Il ne convient pas de le réprimer par des peines trop sévères. On doit encore faire attention à la nature du délit, & le punir à-proportion de ce qu'il intéresse la tranquillité publique, le salut de la Société, & de ce qu'il annonce de méchanceté dans le Coupable.

Non-seulement la Justice & l’Equité dictent ces Maximes ; la prudence & l’art de régner ne les recommandent pas moins fortement. L’expérience nous fait voir que l’imagination se familiarise avec les objets qu'on lui présente fréquemment. Si vous multipliez les supplices terribles, les peuples en seront de jour en jour moins frappés ; ils contracteront enfin, comme les Japonnois, un caractère d'atrocité indomptable : Ces spectacles sanglans ne produiront plus l’effet auquel ils sont destinés, ils n'épouvanteront plus les méchans. Il en est de ces exemples comme des honneurs ; un Prince qui multiplie à l’excès les titres & les distinctions, les avilit bien-tôt ; il use mal-habilement l’un des plus puissants & des plus commodes ressorts du Gouvernement. Quand on réfléchit sur la pratique Criminelle des anciens Romains, quand on se rappelle leur attention scrupuleuse à épargner le sang des Citoyens, on ne peut manquer d'être frappé de la facilité avec laquelle il se verse aujourd'hui dans la plûpart des États. La République Romaine étoit-elle donc mal policée ? Voyons-nous plus d'ordre, plus de sûreté parmi nous ? C'est moins l’atrocité des peines, que l’exactitude à les exiger, qui retient tout le monde dans le devoir. & si l’on punit de mort le simple vol, que réservera-t-on pour mettre la vie des Citoyens en sûreté ?


§.172       De l’exécution des Loix.

            L'exécution des Loix appartient au Conducteur de la Société. Il est chargé de ce soin, & indispensablement obligé de s'en acquitter avec sagesse. Le Prince veillera donc à faire observer les Loix Criminelles ; mais il n'entreprendra point de juger lui-même les coupables. Outre toutes les raisons, que nous avons alléguées, en parlant des jugemens Civils, qui ont plus de force encore à l’égard des Causes Criminelles ; le personnage de Juge contre un misérable, ne convient point à la Majesté du Souverain, qui doit paroître en tout le Pére de son peuple. C'est une maxime très-sage, & communément reçuë en France, que le Prince doit se réserver toutes les matiéres de grâce, & abandonner aux Magistrats les rigueurs de la justice. Mais cette justice doit s'exercer en son nom & sous son Autorité. Un bon Prince veillera attentivement sur la conduite des Magistrats ; il les obligera à observer scrupuleusement les Formes établies. Il se gardera bien lui-même d'y donner jamais atteinte. Tout Souverain, qui néglige, ou qui viole les formes de la justice, dans la recherche des coupables, marche à grands pas à la Tyrannie : Il n'y a plus de Liberté pour les Citoyens, dès qu'ils ne sont pas assûrés de ne pouvoir être condamnés que suivant les Loix, dans les formes établies, & par leurs Juges ordinaires. L’usage de donner à un accusé des Commissaires, choisis au gré de la Cour, est une invention tyrannique de quelques Ministres, qui abusoient du Pouvoir de leur Maître. C'est par ce moyen irrégulier & odieux, qu'un fameux Ministre réussissoit toûjours à faire périr ses ennemis. Un bon Prince n'y donnera jamais les mains, s'il est assez éclairé pour prévoir l’horrible abus que ses Ministres pourroient en Faire. Si le Prince ne doit pas juger lui-même ; par la même raison, il ne peut aggraver la sentence prononcée par les Juges.


§.173       Du droit de faire grâce.

            La nature même du Gouvernement exige que l’exécuteur des Loix ait le pouvoir d'en dispenser, lorsqu'il le peut faire sans faire tort à personne, & en certains cas particuliers, où le bien de l’État exige une exception. De-là vient que le Droit de faire Grâce est un attribut de la Souveraineté. Mais le Souverain dans toute sa conduite, dans ses rigueurs comme dans sa miséricorde ne doit avoir en vûë que le plus grand avantage de la Société : Un Prince sage sçaura concilier la Justice & la Clémence, le soin de la sûreté publique & la charité que l’on doit aux malheureux.


§.174       De la Police.

            La Police consiste dans l’attention du Prince & des Magistrats à maintenir tout en ordre. De sages Réglemens doivent prescrire tout ce qui convient le mieux à la sûreté, à l’utilité & à la commodité publique ; & ceux qui ont l’Autorité en mains ne sçauroient être trop attentifs à les faire observer. Le Souverain, par une sage police, accoûtume les peuples à l’ordre & à l’obéissance, il conserve la tranquillité, la paix & la concorde parmi les Citoyens : On attribué aux Magistrats Hollandois des talens singuliers pour la Police leurs Villes & jusqu'à leurs Etablissemens dans les Indes, sont généralement, de tous les pays du Monde, ceux où on la voit le mieux exercée.


§.175       Du Duel, ou des Combats Singuliers.

            Les Loix & l’autorité des Magistrats ayant été substituées à la guerre privée, le Conducteur de la Nation ne doit point souffrir que des particuliers entreprennent de se faire justice eux mêmes, lorsqu'ils peuvent recourrir aux Magistrats. Le Duel, ce Combat dans lequel on s'engage pour une querelle particuliére, est un désordre, manifestement contraire au but de la Société. Cette fureur étoit inconnue aux anciens Grecs & Romains, qui ont porté si loin la gloire de leurs armes ; nous la devons à des peuples barbares, qui ne connoissoient d'autre Droit que leur épée. LOUIS XIV mérite les plus grandes louanges, par les efforts qu'il a faits pour abolir un usage si féroce.


§.176       Moyens d'arrêter ce désordre.

            Mais comment ne fit-on point observer à ce Prince, que les peines les plus sévères étoient insuffisantes pour guérir la manie du Duel ? Elles n'alloient point à la source du mal : & puisqu'un préjugé ridicule avoit persuadé à toute la Noblesse & aux Gens de Guerre, que l’honneur oblige un homme d'épée à venger par ses mains la moindre injure qu'il aura reçuë ; voilà le principe sur lequel il faudroit travailler. Détruisez ce préjugé, ou enchaînez-le par un motif de la même nature. Pendant qu'un Gentilhomme, en obéissant à sa Loi, se fera regarder de ses égaux comme un lâche, comme un homme deshonoré ; qu'un Officier, dans le même cas, sera forcé de quitter le service ; l’empêcherez vous de se battre, en le menaçant de la mort ? Il mettra, au contraire, une partie de sa bravoure à exposer doublement sa vie, pour se laver d'un affront. & certes, tandis que le préjugé subsiste, tandis qu'un Gentilhomme, ou un Officier, ne peut le heurter sans répandre l’amertume sur le reste de ses jours ; je ne sçai si on peut avec justice punir celui qui est forcé de se soumettre à sa tyrannie, ni s'il est bien coupable en bonne Morale. Cet honneur du monde, faux & chimérique tant qu'il vous plaira, est pour lui un bien très-réel & très nécessaire ; puisque, sans cet honneur, il ne peut vivre avec ses pareils, ni exercer une profession, qui fait souvent son unique ressource. Lors donc qu'un brutal veut lui ravir injustement cette chimère accréditée & si nécessaire ; pourquoi ne pourroit-il pas la défendre, comme il défendroit son bien & sa vie contre un voleur ? De même que l’État ne permet point à un particulier, de chasser, les armes à la main, l’usurpateur de son bien, parceque le Magistrat peut lui en faire justice ; si le Souverain ne veut pas que ce particulier tire l’épée contre celui qui lui fait une insulte, il doit nécessairement faire ensorte, que la patience & l’obéissance du Citoyen insulté ne lui portent point de préjudice. La Société ne peut ôter à l’homme son droit naturel de Guerre contre un aggresseur, qu'en lui fournissant un autre moyen de se garentir du mal qu'on veut lui faire. Dans toutes les occasions où l’Autorité publique ne peut venir à notre sécours, nous rentrons dans nos droits primitifs de défense naturelle. Ainsi un Voyageur peut tuer, sans difficulté, le voleur qui l’attaque dans le grand-Chemin ; parce qu'il implorerait en vain, dans ce moment, la protection des Loix & du Magistrat. Ainsi une fille chaste sera louée, si elle ôte la vie à un brutal, qui voudrait lui faire violence.

En attendant que les hommes se soient défais de cette idée Gothique, que l’honneur les oblige à venger par leurs mains leurs injures personnelles, au mépris même de la Loi ; le moyen le plus sûr d'arrêter les effets de ce préjugé, seroit peut-être de faire une distinction entiére de l’Offensé & de Contribuer ; d'accorder sans difficulté la grâce du prémier, quand il paraîtrait qu'il a été véritablement attaqué en son honneur, & de punir sans miséricorde celui qui l’a outragé. & ceux qui tirent l’épée pour des bagatelles, pour des pointilleries, des piques, ou des railleries qui n’intéressent point l’honneur ; je voudrais qu'ils fussent sévèrement punis. De cette maniére, on retiendrait ces gens hargneux & brutaux, qui souvent mettent les plus sages dans la nécessité de les réprimer. Chacun seroit sur ses gardes, pour éviter d'être considéré comme aggresseur ; & voulant se ménager l’avantage de se battre, s'il le faut, sans encourir les peines portées par la Loi, on se modérerait de part & d'autre, la querelle tomberait d'elle-même & n'aurait point de suites. Souvent un brutal est lâche au fond du cœur ; il fait le rogue, il insulte, dans l’espérance que la rigueur des Loix obligera à souffrir son insolence : Qu’arrive-t-il ? Un homme de cœur s'expose à tout plûtôt que de se laisser insulter ; l’aggresseur n'ose reculer ; & voilà un Combat, qui n'eût jamais eû lieu, si ce dernier eût pu penser, que la même Loi qui le condamne absolvant l’offensé, rien n'empêcherait celui-ci de punir son audace.

A cette prémiére Loi, dont je ne doute point que l’expérience ne montrât bien-tôt l’efficace, il serait bon de joindre les Réglemens suivans :

1°, Puisque la coûtume veut que la Noblesse & les Gens de Guerre marchent toûjours armés, en pleine paix, il faudroit au moins tenir exactement la main à l’observation des Loix qui ne permettent qu'à ces deux Ordres de porter l’épée.

2°, Il seroit à propos d'établir un Tribunal particulier, pour juger sommairement de toutes les affaires d'honneur, entre les personnes de ces deux Ordres. Le Tribunal des Maréchaux de France est déjà en possession de ces fonctions : On pourroit les lui attribuer plus formellement & avec plus d’étenduë. Les Gouverneurs de Province & de Place, avec leur Etat-Major ; les Colonels & Capitaines de chaque Régiment, seroient, pour ce fait, subdélégués de Mess. Les Maréchaux. Ces Tribunaux conféreroient seuls, chacun dans son Département, le droit de porter l’épée : Tout Gentilhomme, à l’âge de 16 ou 18 ans, tout homme de Guerre, à son entrée au Régiment, seroit obligé de paroître devant le Tribunal, pour recevoir l’épée.

3°, Là, en lui remettant l’épée, on lui feroit connoître qu’elle ne lui est confiée que pour la défense de la Patrie, & on pourroit lui donner des idées saines sur l’honneur.

4°, Il me paroît très-important d'ordonner des peines de nature différente, pour les cas différens. On pourroit dégrader de Noblesse & des Armes & punir corporellement quiconque s'oublieroit jusqu'à injurier, de fait ou de paroles, un homme d'épée ; décerner même la peine de mort, suivant l’atrocité de l’injure ; &, selon ma prémiére observation, ne lui faire aucune grâce, si le Duel s'en est ensuivi, en même tems que son Adversaire sera absous de toute peine. Ceux qui se battroient pour des sujets légers, je ne voudrois point les condamner à mort, si ce n'est dans le seul cas où l’auteur de la querelle, j'entens celui qui l’a poussée jusqu'à tirer l’épée ou jusqu'à faire un appel, auroit tué son adversaire. On espére d'échaper à la peine, quand elle est trop sévére ; & d'ailleurs, la peine de mort, en pareil cas, n’est pas regardée comme une flétrissure. Qu'ils soient honteusement dégradés de Noblesse & des armes, privés à jamais, & sans espérance de pardon, du droit de porter l’épée : c’est la peine la plus propre à contenir des gens de cœur. Bien entendu que l’on auroit soin de mettre de la distinction entre les coupables, suivant le dégré de leur faute. Pour ce qui est des roturiers qui ne sont point gens de guerre, leurs querelles entr'eux doivent être abandonnées à l’animadversion des Tribunaux ordinaires, & le sang qu'ils répandront, vengé suivant les Loix communes contre la violence & le meurtre. Il en seroit de même des querelles qui pourroient s'élever entre un roturier & un homme d'épée C'est au Magistrat ordinaire à maintenir l’ordre & la paix entre gens qui ne pourroient point avoir ensemble des Affaires d'honneur. Protéger le peuple contre la violence des gens d'épée ; & le châtier sévèrement, s'il osoit les insulter : Ce seroit encore, comme ce l’est aujourd'hui, la charge du Magistrat.

J’ose croire que ces réglemens & cet ordre, bien observés, étoufferoient un Monstre, que les Loix les plus sévéres n'ont pu contenir. Ils vont à la source du mal, en prévenant les querelles, & ils opposent le vif sentiment d'un honneur véritable & réel, au faux & pointilleux honneur qui fait couler tant de sang. Il seroit digne d'un grand Monarque que d'en faire l’essai : Le succès immortaliseroit son nom ; & la seule tentative lui mériteroit l’amour & la reconnoissance de son peuple.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:15

EmerichDeVattel-LawOfNation.pngCHAPITRE XII
De la Piété & de la Religion.

 

§.125 De la Piété.  

            La Piété & la Religion influent essentiellement sur le bonheur d'une Nation, & méritent par leur importance, un Chapitre particulier. Rien n'est si propre que la Piété à fortifier la Vertu, & à lui donner toute l’étendue qu'elle doit avoir. J'entens par ce terme de Piété, une disposition de l’âme, en vertu de laquelle on rapporte à Dieu toutes ses actions, & on se propose, dans tout ce qu'on fait, de plaire à l’Être suprême. Cette vertu est d'une obligation indispensable pour tous les hommes ; c'est la plus pure source de leur félicité : & ceux qui s'unifient en Société Civile, n'en sont que plus obligés à la pratiquer. Une Nation doit donc être pieuse. Que les Supérieurs, chargés des affaires publiques, se proposent constamment de mériter l’approbation de leur divin Maître : Tout ce qu'ils font au nom de l’État doit être réglé sur cette grande vûë. Le soin de former tout le peuple à la piété, sera toujours l’un des principaux objets de leur vigilance, & l’État en recevra de très-grands avantages. Une sérieuse attention à mériter, dans toutes ses actions, l’approbation d'un Être infiniment sage, ne peut manquer de produire d'excellens Citoyens. La piété éclairée, dans les peuples, est le plus ferme appui d'une Autorité légitime : Dans le cœur du Souverain, elle est le gage de la sûreté du peuple, & produit sa confiance. Maîtres de la Terre, vous ne reconnoissez point de supérieur ici bas ; quelle assurance aura-t-on de vos intentions, si l’on ne vous croit pénétrés de respect pour le Pére & le commun Seigneur des hommes, & animés du désir de lui plaire ?


§.126       Elle doit être éclairée.

            Nous avons déjà insinué que la Piété doit être éclairée. C'est en vain que l’on se propose de plaire à Dieu, si l’on n'en connaît pas les moyens. Mais quel déluge de maux, si des gens échauffés par un motif si puissant, viennent à prendre des moyens également faux & pernicieux ! La piété aveugle ne fait que des Superstitieux, des Fanatiques & des Persécuteurs, plus dangereux mille fois, plus funestes à la Société, que les Libertins. On a vû de barbares Tyrans ne parler que de la Gloire de Dieu, tandis qu'ils écrasoient les peuples & fouloient aux pieds les plus saintes Loix de la Nature. C'était par un raffinement de piété, que les Anabaptistes du XVI siécle refusoient toute obéissance aux Puissances de la terre. Jaques Clement & Ravaillac, ces parricides exécrables, se crurent animés de la plus sublime dévotion.


§.127       De la Religion ; intérieure, extérieure.

            La Religion consiste dans la Doctrine touchant la Divinité & les choses de l’autre vie, & dans le Culte destiné à honorer l’Être suprême. Entant qu'elle est dans le cœur, C’est une affaire de Conscience, dans laquelle chacun doit suivre ses propres lumiéres : Entant qu'elle est extérieure & publiquement établie, c’est une affaire d’État.


§.128       Droits des particuliers, liberté des Consciences.

            Tout homme est obligé de travailler à se faire de justes idées de la Divinité, à connaître ses Loix, ses vûës sur ses créatures, le sort qu'elle leur destine : Il doit sans doute l’amour le plus pur, le respect le plus profond à son Créateur ; & pour se maintenir dans ces dispositions & agir en conséquence, il faut qu'il honore Dieu dans toutes ses actions, qu'il témoigne, par les moyens les plus convenables, les sentimens dont il est pénétré. Ce court exposé suffit pour faire voir que l’homme est essentiellement & nécessairement libre, dans la Religion qu'il doit suivre. La Créance ne se commande pas ; & quel Culte, que celui qui est forcé ! Le Culte consiste dans certaines actions, que l’on fait directement en vûë d'honorer Dieu ; il ne peut donc y avoir de Culte pour chaque homme, que celui qu'il croira propre à cette fin. L’obligation de travailler sincèrement à connoître Dieu, de le servir, de l’honorer du fond du cœur, étant imposée à l’homme par sa nature même ; il est impossible que, par ses engagemens envers sa Société, il se soit déchargé de ce devoir, ou privé de la liberté qui lui est absolument nécessaire pour le remplir. Concluons donc que la liberté des Consciences est de Droit Naturel & inviolable. Il est honteux pour l’humanité, qu'une vérité de cette nature ait besoin d'être prouvée.


§.129       Établissement public de la Religion, Devoirs & Droits de la Nation.

            Mais il faut bien prendre garde de ne point étendre cette liberté au-delà de ses justes bornes. Un Citoyen a seulement le droit de n'être jamais contraint à rien, en matiére de Religion, & nullement celui de faire au déhors tout ce qu'il lui plaira, quoiqu'il en puisse résulter à l’égard de la Société. L’établissement de la Religion par les Loix, & son exercice public, sont matiéres d’État, & ressortissent nécessairement à l’Autorité Politique. Si tous les hommes doivent servir Dieu, la Nation entiére en tant que Nation, est sans doute obligée de le servir & de l’honorer (Prélim. §.5) & comme elle doit s'acquitter de ce Devoir important de la maniére qui lui paroît la meilleure ; c’est à elle de déterminer la Religion qu'elle veut suivre, & le Culte public qu'elle trouve à-propos d'établir.


§.130       Lorsqu'il n'y a point encore de Religion autorisée.

            S'il n'y a point encore de Religion reçuë par Autorité publique, la Nation doit apporter tous ses soins, pour connoître & établir la meilleure. Celle qui aura l’approbation du plus grand nombre, sera reçuë, & publiquement établie par les Loix ; elle deviendra la Religion de l’État. Mais si une partie considérable de la Nation s’obstinoit à en suivre une autre ; on demande ce que le Droit des Gens prescrit en pareil cas ? Souvenons-nous d'abord que la liberté des Consciences est de Droit Naturel ; point de contrainte à cet égard. Il ne reste donc que deux partis à prendre ; ou de permettre à cette partie des Citoyens l’exercice de la Religion qu'ils veulent professer, ou de les séparer de la Société, en leur laissant leurs biens & leur part des pays communs à la Nation, & de former ainsi deux États nouveaux, au lieu d'un. Le dernier parti ne paroît nullement convenable ; il affoibliroit la Nation, & par là, il seroit contraire au soin qu'elle doit avoir de sa conservation. Il est donc plus avantageux de prendre le prémier parti, & d'établir ainsi deux Religions dans l’État. Que si ces deux Religions sont trop peu compatibles ; s'il est à craindre qu'elles ne jettent la division parmi les Citoyens & le trouble dans les affaires ; il est un troisiéme parti, un sage tempéramment entre les deux prémiers, dont la Suisse nous fournit des exemples. Les Cantons de Glaris & d'Appenzel se divisérent l’un & l’autre en deux parties, dans le XVI Siécle ; l’une resta dans l’Église Romaine, l’autre embrassa la Réformation : Chaque partie a son Gouvernement à part, pour l’intérieur ; mais elles se réunissent pour les affaires du déhors, & ne forment qu'une même République, un même Canton.

            Enfin si le nombre des Citoyens qui veulent professer une Religion différente de celle que la Nation établit, si ce nombre, dis-je, est peu considérable, & que pour de bonnes & justes raisons, on ne trouve pas à propos de souffrir l’exercice de plusieurs Religions dans l’État ; ces Citoyens sont en droit de vendre leurs terres, & de se retirer avec leurs familles, en emportant tous leurs biens. Car leurs engagemens envers la Société, & leur soumission à l’Autorité publique, ne peuvent jamais valoir au préjudice de leur Conscience. Si la Société ne me permet pas de faire ce à quoi je me crois lié par une obligation indispensable, il faut qu'elle m'accorde mon congé.


§.131 Lorsqu'il y en a une établie par les Loix.     

            Lorsque le choix d'une Religion se trouve tout fait, lorsqu'il y en a une établie par les Loix, la Nation doit protéger & maintenir cette Religion, la conserver comme un Établissement de la plus grande importance ; toutefois sans rejetter aveuglément les changemens que l’on pourroit proposer, pour la rendre plus pure & plus utile ; car il faut tendre en toutes choses à la perfection (§.21) Mais comme toute innovation, en pareille matiére, est pleine de dangers, & ne peut guére s'opérer sans troubles, on ne doit point l’entreprendre légérement, sans nécessité, ou sans des raisons très graves. C'est à la Société, à l’État, à la Nation entière, de prononcer sur la nécessité, ou la convenance de ces changemens, & il n'appartient à aucun particulier de les entreprendre de son chef, ni par conséquent de prêcher au peuple une Doctrine nouvelle. Qu'il propose ses idées aux Conducteurs de la Nation, & qu'il se soumette aux ordres qu'il en recevra.

            Mais si une Religion nouvelle se répand, & s'établit dans l’esprit des peuples, comme il arrive ordinairement, indépendamment de l’Autorité publique, & sans aucune délibération commune ; il faudra raisonner alors comme nous venons de faire, au paragraphe précédent, pour le cas où il s'agit de choisir une Religion ; faire attention au nombre de ceux qui suivent les opinions nouvelles, se souvenir que nulle puissance parmi les hommes n'a empire sur les Consciences, & allier les maximes de la saine Politique avec celles de la Justice & de l’Équité.


§.132 Des Devoirs & des Droits du Souverain à l’égard de la Religion.

            Voilà en abrégé quels sont les devoirs & les droits d'une Nation à l’égard de la Religion. Venons maintenant à ceux du Souverain. Ils ne peuvent être, en cette matiére, précisément les mêmes que ceux de la Nation, que le souverain réprésente : La nature du sujet s'y oppose ; la Religion étant une chose, sur laquelle personne ne peut engager sa liberté. Pour exposer avec netteté ces devoirs & ces droits du Prince, & pour les établir solidement, il faut rappeller ici la distinction, que nous avons faite dans les deux paragraphes précédens : S'il est question de donner une Religion à un État qui n'en a point encore, le Souverain peut sans doute favoriser celle qui lui paroit la véritable, ou la meilleure, la faire annoncer, & travailler, par des moyens doux & convenables, à l’établir : Il doit même le faire ; par la raison qu'il est obligé de veiller à tout ce qui intéresse le bonheur de la Nation. Mais il n'a aucun droit d'user en ceci d'autorité & de contrainte. Puisqu'il n'y avoit point de Religion établie dans la Société, quand il a reçu l’Empire, on ne lui a conféré aucun pouvoir à cet égard ; le maintien des Loix touchant la Religion n'entre point dans les fonctions, dans l’Autorité, qui lui ont été confiées. NUMA fut le fondateur de la Religion chés les Romains : Mais il persuada au peuple de la recevoir. S'il eût pû commander, il n’auroit pas eû recours aux révélations de la Nymphe Égérie. Quoique le Souverain ne puisse point user d'autorité, pour établir une Religion là où il n'y en a point ; il est en droit, & même obligé, d'employer toute sa puissance, pour empêcher que l’on n'en annonce une, qu'il juge pernicieuse aux mœurs & dangereuse à l’État. Car il doit éloigner de son peuple tout ce qui pourroit lui nuire ; & loin qu'une Doctrine nouvelle soit exceptée de la règle, elle en est un des plus importans objets. Nous allons voir, dans les paragraphes suivans, quels sont les devoirs & les droits du Prince, à l’égard de la Religion publiquement établie.


§.133       Dans le cas où il y a une Religion établie par les Loix.

            Le Prince, le Conducteur, à qui la Nation a confié le soin du Gouvernement & l’exercice du souverain Pouvoir, est obligé de veiller à la conservation de la Religion reçuë du Culte établi par les Loix, & en droit de réprimer ceux qui entreprennent de les détruire, ou de les troubler. Mais pour s'acquitter de ce devoir d'une maniére également juste & sage, il ne doit jamais perdre de vûë la qualité qui l’y appelle, & la raison qui le lui impose. La Religion est d'une extrême importance pour le bien & la tranquillité de la Société, & le Prince est obligé de veiller à tout ce qui intéresse l’État : Voilà toute sa vocation à se mêler de la Religion, à la protéger & à la défendre. Il ne peut donc y intervenir que sur ce pied-là ; & par conséquent, il ne doit user de son pouvoir que contre ceux dont la conduite, en fait de Religion, est nuisible ou dangereuse à l’État, & non pour punir de prétenduës fautes contre Dieu, dont la vengeance n'appartient qu'à ce souverain Juge, Scrutateur des Cœurs. Souvenons-nous que la Religion n'est affaire d’État, qu'autant qu'elle est extérieure & publiquement établie : Dans le cœur, elle ne peut dépendre que de la Conscience. Le Prince n’est en droit de punir que ceux qui troublent la Société, & ce seroit très-injustement qu'il infligeroit des peines à quelqu'un pour ses opinions particuliéres, lorsque celui-ci ne cherche ni à les divulguer, ni à se faire des Sectateurs. C'est un principe fanatique, une source de maux & d'injustices criantes, de s'imaginer que de faibles mortels doivent se charger de la Cause de Dieu, soutenir sa Gloire par la force, & le venger de ses ennemis. Donnons seulement aux Souverains, dit un grand homme d’État & un excellent Citoyen (a)Le Duc de SULLY ; voyez ses mémoires rédigés par M. de l’Écluse, Tome V p.135 & 136), donnons leur pour l’utilité commune, le pouvoir de punir ce qui blesse la charité dans la Société. Il n’est point du ressort de la justice humaine, de s’ériger en vengeurs de ce qui appartient à la Cause de Dieu. CICERON aussi habile, aussi grand dans les affaires d’État, que dans la Philosophie & dans l’Éloquence, pensoit comme le Duc de SULLY. Dans les Loix qu'il propose touchant la Religion, il dit au sujet de la Piété & de la Religion intérieure : Si quelqu'un y fait faute, Dieu en sera le vengeur. Mais il déclare capital le Crime que l’on pourroit commettre contre les Cérémonies religieuses, établies pour les affaires publiques, & qui intéressent tout l’État. Les sages Romains étoient bien éloignés de persécuter un homme pour sa Créance ; ils exigeoient seulement qu'on ne troublât point ce qui touche à l’ordre public.


§.134       Objet de ses soins, & moyens qu'il doit employer.

            La Créance, ou les Opinions des particuliers, leurs sentimens envers la Divinité, la Religion intérieure, en un mot, sera, de même que la Piété, l’objet des attentions du Prince : Il ne négligera rien pour faire connoître la vérité à ses sujets, & pour les remplir de bons sentimens ; mais il n'employera à cette fin que des moyens doux & paternels. Ici il ne peut commander (§.128). C’est à l’égard de la Religion extérieure & publiquement exercée, que son Autorité pourra se déployer. Sa tâche est de la conserver, de prévenir les désordres & les troubles qu'elle pourroit causer. Pour conserver la Religion, il doit la maintenir dans la pureté de son institution, tenir la main à ce qu'elle soit fidèlement observée dans tous ses actes publics & ses Cérémonies, punir ceux qui oseroient l’attaquer ouvertement. Mais il ne peut exiger par force que le silence, & ne doit jamais contraindre personne à prendre part aux Cérémonies extérieures : Il ne produiroit par la contrainte, que le trouble, ou l’hypocrisie.

            La diversité dans les Opinions & dans le Culte a causé souvent des désordres & de funestes dissentions dans un État & pour cette raison, plusieurs ne veulent souffrir qu'une seule & même Religion. Un Souverain prudent & équitable verra dans les conjonctures, s'il convient de tolérer, ou de proscrire l’exercice de plusieurs Cultes différens.


§.135       De la Tolérance.

            Mais en général, on peut affirmer hardiment que le moyen le plus sûr & le plus équitable de prévenir les troubles, que la diversité de Religion peut causer, est une Tolérance universelle de toutes les Religions qui n'ont rien de dangereux, soit pour les mœurs, soit pour l’État. Laissons déclamer des Prêtres intéressés ; ils ne fouleroient pas aux pieds les Loix de l’humanité, & celles de Dieu même, pour faire triompher leur Doctrine, si elle n'étoit le fonds de leur opulence, de leur faste & de leur puissance. Écrasez seulement l’esprit persécuteur, punissez sévérement quiconque osera troubler les autres pour leur Créance, vous verrez toutes les sectes vivre en paix dans le sein de la commune Patrie, & fournir à l’envi de bons Citoyens. La Hollande, & les États du Roi de Prusse en fournissent la preuve : Réformés, Luthériens, Catholiques, Piétistes, Sociniens, Juifs ; tous y vivent en paix, parcequ'ils sont tous également protégés du Souverain : On n'y punit que les perturbateurs de la tranquillité d'autrui.


§.136       Ce que doit faire le Prince, quand la Nation veut changer la Religion.

            Si malgré les soins du Prince pour conserver la Religion établie, la Nation entiére, ou la plus grande partie, s’en dégoûte, & veut la changer ; le Souverain ne peut faire violence à son peuple, ni le contraindre en pareille matiére. La Religion publique est établie pour l’avantage & le salut de la Nation. Outre qu'elle est sans efficace, lorsqu'elle ne rêgne pas dans les cœurs ; le Souverain n'a à cet égard d'autres droits que ceux qui résultent des soins que la Nation lui a confiés : & elle lui a seulement commis celui de protéger la Religion qu'elle trouvera bon de professer.


§.137       La différence de Religion ne dépouille point le Prince de sa Couronne.

            Mais il est très juste aussi que le Prince soit libre de rester dans sa Religion, sans perdre sa Couronne. Pourvù qu'il protége la Religion de l’État, c'est tout ce que l’on peut exiger de lui en général, la diversité de Religion ne peut faire perdre à aucun Prince ses droits à la Souveraineté, à moins qu'une Loi fondamentale n'en dispose autrement. Les Romains payens ne cessérent pas d'obéir à CONSTANTIN, lorsqu'il embrassa le Christianisme ; & les Chrêtiens ne se révoltèrent point contre JULIEN après qu'il les eût quittés.


§.138       Conciliation des droits & des devoirs du Souverain avec ceux des sujets.

            Nous avons établi la Liberté de Conscience pour les particuliers (§.128). Cependant nous avons fait voir aussi, que le Souverain est en droit, & même dans l’obligation de protéger & de maintenir la Religion de l’État, de ne point souffrir que personne entreprenne de l’altérer, ou de la détruire ; qu'il peut même, suivant les Circonstances, ne permettre dans tout le pays qu'un seul Culte public. Concilions ces devoirs & ces droits divers, entre lesquels il pourroit arriver que l’on croiroit remarquer quelque répugnance ; & s’il se peut, ne laissons rien à désirer sur une matiére délicate & si importante.

            Si le Souverain ne veut permettre que l’exercice public d'une même Religion ; qu'il n'oblige personne à rien faire contre sa Conscience, qu'aucun ne soit forcé de prendre part à un Culte qu'il désapprouve, de professer une Religion qu'il croit faussé ; mais que le particulier, de son côté, se contente de ne point tomber dans une honteuse hypocrisie ; qu'il serve Dieu suivant ses lumiéres, en sécret & dans sa maison, persuadé que la Providence ne l’appelle point à un Culte public, puisqu'elle l’a placé dans des circonstances, où il ne pourroit s'en acquitter sans troubler l’État. Dieu veut que nous obéissions à nôtre Souverain, que nous évitions tout ce qui pourroit être pernicieux à la Société : Ce sont là des préceptes immuables de la Loi Naturelle. Celui du Culte public est conditionnel, dépendant des effets que ce Culte peut produire. Le Culte intérieur est nécessaire par lui-même ; & l’on doit s'y borner, dans tous les cas où il est plus convenable. Le Culte public est destiné à l’édification des hommes, en glorifiant Dieu. Il va contre cette fin, & cesse d'être loüable, dans les occasions où il ne produit que le trouble & le scandale. Si quelqu'un le croit d'une absoluë nécessité ; qu'il quitte le pays où l’on ne veut pas lui permettre de s'en acquitter suivant les lumiéres de sa Conscience, & qu'il aille se joindre à ceux qui professent la même Religion que lui.


§.139       Le Souverain doit avoir inspection sur les affaires de la Religion & autorité sur ceux qui l’enseignent.

            L'extrême influence de la Religion sur le bien & la tranquillité de la Société prouve invinciblement, que le Conducteur de l’État doit avoir inspection sur les matiéres qui la concernent, & autorité sur ceux qui l’enseignent, sur ses Ministres. La fin de la Société & du Gouvernement Civil exige nécessairement, que celui qui exerce l’Empire soit revêtu de tous les droits, sans lesquels il ne peut l’exercer de la maniére la plus avantageuse à l’État : Ce sont les Droits de Majesté (§.45), dont aucun Souverain ne peut se départir sans l’aveu certain de la Nation. L’inspection sur les matiéres de la Religion, & l’Autorité sur ses Ministres forment donc l’un des plus importans de ces Droits ; puisque sans ce pouvoir, le Souverain ne sera jamais en état de prévenir les troubles, que la Religion peut occasioner dans l’État, ni d'appliquer ce puissant ressort au bien & au salut de la Société. Certes il seroit bien étrange qu'une Nation, qu'une multitude d'hommes, qui s'unissent en Société Civile pour leur commun avantage, pour que chacun puisse tranquillement pourvoir à ses besoins, travailler à sa perfection & à son bonheur, & vivre comme il convient à un Être raisonnable ; qu'une pareille Société, dis-je, n'eût pas le droit de suivre ses lumiéres, dans l’objet le plus important ; de déterminer ce qu'elle croit le plus convenable à l’égard de la Religion, & de veiller à ce qu'on n'y mêle rien de dangereux ou de nuisible. Qui osera disputer à une Nation indépendante le droit de se régler à cet égard, comme à tout autre, sur les lumiéres de sa Conscience ? & quand une fois elle a fait choix d'une Religion & d'un Culte ; tout le pouvoir qui lui appartient pour les maintenir, pour les régler, les diriger & les faire observer, n'a-t-elle pas pû le conférer à son Conducteur ?

            Qu'on ne nous dire point que le soin des choses sacrées n'appartient pas à une main profane : Ce discours n’est qu'une vaine déclamation, au Tribunal de la Raison. Il n’est rien sur la terre de plus auguste & de plus sacré qu'un Souverain. & pourquoi Dieu, qui l’appelle par sa Providence à veiller au salut & au bonheur de tout un peuple, lui ôteroit-il la direction du plus puissant ressort qui fasse mouvoir les hommes ? La Loi Naturelle lui assûre ce Droit, avec tous ceux qui sont essentiels à un bon Gouvernement ; & on ne voit rien dans l’Écriture, qui change cette disposition. Chez les Juifs, ni le Roi, ni personne, ne pouvoit rien innover dans la Loi de MOISE ; mais le Souverain veilloit à sa conservation, & sçavoit réprimer le Grand Sacrificateur, quand il s'écartoit de son devoir. Où trouvera-t-on dans le Nouveau Testament, qu'un Prince Chrétien n'ait rien à dire en matiére de Religion ? La soumission & l’obéissance aux Puissances supérieures y est clairement & formellement prescrite. En vain opposeroit-on l’exemple des Apôtres, qui annoncérent l’Évangile malgré les Souverains : Quiconque veut s'écarter des règles ordinaires, a besoin d'une Mission divine, & il faut qu'il établisse ses pouvoirs par des Miracles.

            On ne peut contester au Souverain le droit de veiller ce qu'on ne mêle point dans la Religion des choses contraires au bien & au salut de l’État ; & dès lors, il lui appartient d'examiner la Doctrine, & de marquer ce qui doit être enseigné & ce qui doit être tû.


§.140       Il doit empêcher que l’on n'abuse de la Religion reçuë.

            Le Souverain doit encore veiller attentivement à ce qu'on n'abuse point de la Religion établie, soit en se servant de la Discipline pour satisfaire sa haine, son avarice, ou ses passions, soit en présentant la Doctrine sous une face préjudiciable à l’État. Imaginations creuses, Dévotion séraphique, sublimes spéculations, quels fruits produiriez-vous dans la Société, si vous n'y trouviez que des esprits foibles & des cœurs dociles ? Renoncement au Monde, abandon général des affaires, du travail même : Cette Société de prétendus Saints deviendroit la proie facile & assurée du prémier voisin ambitieux ; ou si on la laissoit en paix, elle ne survivroit point à la prémiére génération ; les deux séxes, consacrant à Dieu leur virginité, se refuseroient aux vûës du Créateur, à la Nature & à l’État. Il est fâcheux pour les Missionnaires, qu'il paroisse évidemment, par l’Histoire même de la Nouvelle France du P. CHARLEVOIX, que leurs travaux furent la principale Cause de la ruine des Hurons. L’Auteur dit expressément, que grand nombre de ces Néophytes ne vouloient plus penser qu'aux choses de la Foy, qu'ils oubliérent leur activité & leur valeur, que la division se mit entre eux & le reste de la Nation &c. Ce Peuple fut bientôt détruit par les Iroquois, qu'il avoit accoûtumé de battre auparavant (a) Voyez l’Histoire de la Nouvelle France, Liv.V, VI, & VII).

 

§.141       Autorité du Souverain sur les Ministres de la Religion.

            À l’inspection du Prince sur les affaires & les matiéres de la Religion, nous avons joint l’Autorité sur ses Ministres. Sans ce dernier droit, le prémier est vain & fort inutile : l’un & l’autre découlent des mêmes principes. Il est absurde, & contraire aux prémiers fondemens de la Société, que des Citoyens se prétendent indépendans de l’Autorité souveraine, dans des fonctions si importantes au repos, au bonheur & au salut de l’État. C'est établir deux Puissances indépendantes, dans une même Société : Principe certain de division, de trouble & de ruïne. Il n'est qu'un Pouvoir suprême dans l’État ; les fonctions des subalternes varient, suivant leur objet : Ecclésiastiques, Magistrats, Commandans des Troupes, tous sont des Officiers de la République, chacun dans son département ; tous sont également comptables au Souverain.


§.142       Nature de cette Autorité.

            À la vérité le Prince ne pourroit avec Justice obliger un Ecclésiastique à prêcher une Doctrine, à suivre un Rit, que celui-ci ne croiroit pas agréable à Dieu. Mais si le Ministre de la Religion ne peut se conformer à cet égard à la volonté du Souverain, il doit quitter sa place, & se considérer comme un homme qui n'est pas appellé à la remplir ; deux choses y étant nécessaires, enseigner & se comporter avec sincérité, suivant sa Conscience & se conformer aux intentions du Prince & aux Loix de l’État. Qui ne seroit indigné de voir un Évêque résister audacieusement aux Ordres du Souverain, aux Arrêts des Tribunaux suprêmes, & déclarer solennellement, qu'il ne se croit comptable qu'à Dieu seul du Pouvoir qui lui est confié ?


§.143       Règle à observer à l’égard des Ecclésiastiques.

            D'un autre côté, si le Clergé est avili, il sera hors d'état de produire les fruits, auxquels son ministère est destiné. La règle que l’on doit suivre à son égard, peut être conçue en peu de mots ; beaucoup de considération, point d'empire, encore moins d'indépendance. 1°, Que le Clergé, que tout autre Ordre, soit soumis, dans ses fonctions comme dans tout le reste, à la Puissance publique, & comptable de sa conduite au Souverain. 2°, Que le Prince ait soin de rendre les Ministres de la Religion respectables au peuple ; qu'il leur confie le dégré d'autorité nécessaire pour s'aquitter de leurs fonctions avec succès, & qu'il les soutienne, au besoin, par le pouvoir qu'il a en main. Tout homme en place doit être muni d'une autorité qui réponde à ses fonctions ; autrement il ne pourra les remplir convenablement. Je ne vois aucune raison d'excepter le Clergé de cette règle générale ; Seulement le Prince veillera plus particuliérement à ce qu'il n'abuse point de son Autorité ; la matiére étant tout ensemble plus délicate & plus féconde en dangers. S'il rend le caractère des Gens d'Église respectable, il aura soin que le respect n'aille point jusqu'à une superstitieuse vénération, jusqu'à mettre dans la main d'un Prêtre ambitieux des rènes puissantes, pour entraîner à son gré tous les esprits foibles. Dès que le Clergé fait un Corps à-part, il est formidable. Les Romains (nous les citerons souvent) les sages Romains prenoient dans le Sénat le Grand Pontife & les principaux Ministres des Autels : Ils ignorèrent la distinction d’Ecclésiastiques & de Laïques ; tous les Citoyens étoient de la même robe.


§.144       Récapitulation des raisons qui établissent les droits du Souverain en fait de Religion, avec des autorités & des exemples.

            Ôtez au Souverain ce pouvoir en matiére de Religion, & cette Autorité sur le Clergé ; comment veillera-t-il à ce qu'on ne mêle rien dans la Religion de contraire au bien de l’État ? Comment fera-t-il ensorte qu'on l’enseigne & qu'on la pratique toûjours de la maniére la plus convenable au bien public ? & sur tout, comment préviendra-t-il les troubles, qu'elle peut occasionner, soit par les Dogmes, soit par la maniére dont la Discipline sera exercée ? Ce sont là tout autant de soins & de devoirs qui ne peuvent convenir qu'au Souverain, & desquels rien ne sçauroit le dispenser.

            Aussi Voyons-nous que les Droits de la Couronne, dans les matiéres Ecclésiastiques, ont été fidèlement & constamment défendus par les Parlemens de France. Les Magistrats sages & éclairés, qui composent ces illustres Compagnies, sont pénétrés des Maximes que la saine raison dicte sur cette question. Ils sçavent de quelle conséquence il est de ne pas souffrir, que l’on soustraise à l’Autorité Publique une matiére si délicate, si étendue dans ses liaisons & ses influences, & si importante dans ses suites. Quoi ! des Ecclésiastiques s'aviseront de proposer à la Foi des peuples quelque point obscur, inutile, qui ne fait point partie essentielle de la Religion reçuë ; ils sépareront de l’Église, ils diffameront ceux qui ne montreront pas une aveugle docilité, ils leur refuseront les Sacremens, la Sépulture même ; & le Prince ne pourra protéger ses sujets, & garantir le Royaume d'un Schisme dangereux !

 

            Les Rois d'Angleterre ont assûré les Droits de leur Couronne ; ils se sont fait reconnoître Chefs de la Religion ; & ce réglement n'est pas moins approuvé de la raison, que de la saine Politique. Il est encore conforme à l’ancien usage. Les prémiers Empereurs Chrêtiens exerçoient toutes les fonctions de Chefs de l’Église : Ils faisoient des Loix sur les matiéres qui la concernent (a) Voyez le Code Théodosien) ; ils assembloient les Conciles, ils y présidoient ; ils mettoient en place & destituoient les Évêques &c. Il est en Suisse de sages Républiques, dont les Souverains connoissant toute l’étendue de l’Autorité suprême, ont sçû y assujettir les Ministres de la Religion, sans gêner leur Conscience. Ils ont fait dresser un Formulaire de la Doctrine qui doit être prêchée, & publié les Loix de la Discipline Ecclésiastique, telle qu'ils veulent la voir exercée dans les pays de leur obéissance ; afin que ceux qui ne voudront pas se conformer à ces Etablissemens, s’abstiennent de se vouer au service de l’Église. Ils tiennent tous les Ministres de la Religion dans une légitime dépendance, & la Discipline ne s'exerce que sous leur Autorité. Il n'y a pas d'apparence que l’on voie jamais dans ces Républiques, des troubles occasionnés par la Religion.


§.145       Pernicieuses conséquences du sentiment contraire.

            Si CONSTANTIN & ses Successeur s s'étoient fait reconnoître formellement comme Chefs de la Religion, si les Rois & les Princes Chrêtiens avoient sçu maintenir à cet égard les droits de la Souveraineté ; Eût-on vû jamais ces désordres horribles, qu'enfantérent l’orgueil & l’ambition de quelques Papes & des Ecclésiastiques, enhardis par la foiblesse des Princes, & soutenus par la superstition des peuples ? Des ruisseaux de sang, verrés pour des querelles de Moines, pour des Questions spéculatives, souvent inintelligibles, & presque toûjours aussi inutiles au salut des âmes, qu'indifférentes, en elles mêmes, au bien de la Société : Des Citoyens, des fréres, armés les uns contre les autres : les sujets excités à la révolte ; des Empereurs & des Rois renversés de leur Trône : Tantum Religio potuit fuadere malorum ! On connoit l’histoire des Empereurs HENRI IV, FRIDERIC I, FRIDERIC II, LOUIS DE BAVIERE. N'est-ce pas l’indépendance des Ecclésiastiques, & ce systême dans lequel on soumet les affaires de la Religion à une Puissance Étrangère, qui plongea la France dans les horreurs de la Ligue, & pensa la priver du meilleur & du plus grand de ses Rois ? Sans cet étrange & dangereux systême, Eût-on vû un Étranger, le Pape SIXTE V, entreprendre de violer la Loi fondamentale du Royaume, déclarer le légitime Héritier inhabile à porter la Couronne ? Eût-on vû, en d'autres tems & en d'autres lieux (a) En Angleterre, sous Henri VIII) la succession au Trône renduë incertaine, par le défaut d'une formalité, d’une dispense, dont on contestoit la validité, & qu'un Prélat étranger se prétendoit seul en droit de donner ? Eût-on vû ce même Étranger s'arroger le pouvoir de prononcer sur la Légitimité des Enfans d'un Roi ? Eût-on vû des Rois assassinés par les suites d'une Doctrine détestable (b) Henri III & Henri IV, assassinés par des fanatiques, qui croyoient servir Dieu & l’Église, en poignardant leur Roi) : Une partie de la France n'osant reconnaître le meilleur de ses Rois (c) Henri IV Quoique rentré dans l’Église Romaine, grand nombre de catholiques n'osoient le reconnoître avant qu’il eût reçu l’absolution du Pape), avant que Rome l’eût absous ; & plusieurs autres Princes, hors d'état de donner une paix solide à leur peuple, parce qu'on ne pouvoit rien décider dans le Royaume, sur des Conditions, qui intéressoient la Religion (d) plusieurs Rois de France, dans les Guerres civiles de Religion) ?


§.146 Détail des abus. 1°, La puissance des Papes.

            Tout ce que nous avons établi ci-dessus, découle si évidemment des notions d'indépendance & de souveraineté, qu'il ne sera jamais contesté par un homme de bonne-foi & qui voudra raisonner conséquemment. Si l’on ne peut régler définitivement dans un État tout ce qui concerne la Religion ; la Nation n'est pas libre, & le Prince n'est Souverain qu'à-demi. Il n'y a pas de milieu ; ou chaque État doit être maître chez soi, à cet égard comme à tout autre, ou il faudra recevoir le systême de BONIFACE VIII & regarder toute la Chrétienté Catholique-Romaine comme un seul État, dont le Pape sera le Chef suprême, & les Rois Administrateurs subordonnés du temporel, chacun dans sa Province ; à-peu-prés comme furent d'abord les Sultans, sous l’Empire des Khalifes. On sçait que ce Pape osa écrire au Roi de France PHILIPPE LE BEL, Scire te volumus, quod in spiritualibus & temporalibus nobis suhes (a) TURRETIN. Hist. Ecclesiast. Compendium, p.182, où l’on pourra voir aussi la Réponse vigoureuse du Roi de France): Sçachez que vous nous êtes soumis, aussi bien pour le temporel que pour le spirituel. & l’on peut voir dans le Droit Canon (b) Extravag. Commun. Lib.I Tit.De Majoritate & Obendientia) sa fameuse Bulle Unam Sanctam, dans laquelle il attribue à l’Église deux Épées, ou une double Puissance, spirituelle & temporelle, & condamne ceux qui pensent autrement, comme gens, qui, à l’exemple des Manichéens, établissent deux Principes ; déclarant enfin, que c’est un Article de Foi, nécessaire à salut, de croire que toute Créature humaine est soumise au Pontife de Rome.

            Nous compterons l’énorme Puissance des Papes, pour le premier abus enfanté par ce systême, qui dépouille les Souverains de leur Autorité, en matière de Religion. Cette Puissance d'une Cour étrangère est absolument contraire à l’indépendance des Nations & à la Souveraineté des Princes. Elle est capable de bouleverser un État ; & par-tout où elle est reconnue, il est impossible que le Souverain exerce l’Empire de la manière la plus salutaire à la Nation. Nous en avons déjà fourni la preuve, dans plusieurs traités remarquables (§. précédent) ; l’Histoire en présente sans nombre. Le Sénat de Suède ayant condamné TROLLE Archévêque d'Upsal, pour crime de rébellion, à donner sa démission & à finir ses jours dans un Monastère ; le Pape LEON X eut l’audace d'excommunier l’Administrateur STENON & tout le Sénat, & de les condamner à rebâtir à leurs fraix une Forteresse de l’Archevêché, qu’ils avoient fait démolir, & à une amende de cent mille Ducats envers le Prélat déposé (a) Histoire des Révolutions de Suéde). Le barbare CHRISTIERNE, Roi de Dannemarck, s'autorisa de ce Décret, pour désoler la Suède, & pour verser le sang de sa plus illustre Noblesse. PAUL V fulmina un Interdit contre Venise, pour des Loix de Police très-sages, mais qui déplaisoient au Pontife, & mit la République dans un embarras, dont toute la sagesse & la fermeté du Sénat eut peine à la tirer. PIE V dans sa Bulle in Coena Domini de l’an 1567 déclare, que tous les Princes, qui mettent dans leurs États de nouvelles impositions de quelque nature qu'elles soient, ou qui augmentent les anciennes, à moins qu'ils n'ayent obtenu l’approbation du Saint Siége, sont excommuniés Ipso facto. N'est ce point là attaquer l’indépendance des Nations, & ruiner l’Autorité des Souverains ?

            Dans les tems malheureux, dans les siécles de ténébres, qui précédérent la renaissance des Lettres & la Réformation, les Papes prétendoient régler les démarches des Souverains, sous prétexte qu'elles intéressent la Conscience, juger de la validité de leurs Traités, rompre leurs Alliances & les déclarer nulles. Mais ces entreprises éprouvérent une vigoureuse résistance, dans un pays même, où l’on s'imagine communément qu'il n'y avoit alors que de la bravoure, & bien peu de Lumiéres. Le Nonce du Pape, pour détacher les Suisses de la France, publia un Monitoire contre tous ceux des Cantons, qui favorisoient CHARLES VIII, les déclarant excommuniés si dans l’espace de quinze jours, ils ne se détachoient des intérêts de ce Prince, pour entrer dans la Confédération qui c'étoit formée contre lui : Mais les Suisses opposérent à cet Acte une Protestation, qui le déclaroit abusif, & la firent afficher dans tous les lieux de leur obéissance ; se moquant ainsi d'une procédure également absurde & contraire aux Droits des Souverains (a) Vogel, Traité historique & politique des Alliances entre la France & les XIII Cantons, p.35 & 36). Nous rapporterons plusieurs entreprises semblables, quand nous parlerons de la foi des Traités.


§.147       2°, Des Emplois importans conférés par une Puissance étrangère.

            Cette Puissance des Papes a fait naître un nouvel abus, qui mérite toute l’attention d'un sage Gouvernement. Nous voyons divers pays, dans lesquels les Dignités Ecclésiastiques, les grands Bénéfices sont distribués par une Puissance étrangère, par le Pape, qui en gratifie ses Créatures, & fort souvent des gens, qui ne sont point sujets de l’État. Cet usage est également contraire aux Droits d'une Nation & aux principes de la plus commune Politique. Un Peuple ne doit point recevoir la Loi des Étrangers, ni souffrir qu'ils se mêlent de ses affaires, qu'ils lui enlèvent ses avantages : & comment se trouve-t-il des États capables de permettre, qu'un Étranger dispose de Places très-importantes à leur bonheur & à leur repos ? Les Princes qui ont donné les mains à l’introduction d'un abus si énorme, ont manqué également à eux-mêmes & à leur peuple. De nos jours la Cour d'Espagne s'est vûë obligée à sacrifier des sommes immenses, pour rentrer paisiblement & sans danger, dans l’exercice d'un Droit, qui appartenoit essentiellement à la Nation, ou à son Chef.


§.148       3°, Sujets puissans dépendans d'une Cour étrangère.

            Dans les États même, dont les Souverains ont sçû retenir un droit de la Couronne si important, l’abus subsiste en grande partie. Le Souverain nomme, il est vrai, aux Évêchés, aux grands Bénéfices ; mais son Autorité ne suffit pas au Titulaire, pour le mettre dans l’exercice de ses fonctions, il lui faut encore des Bulles de Rome (a) On peut voir dans les Lettres du cardinal d'OSSAT, quelles peines eut HENRI IV, quelles oppositions, quelles longueurs à essuyer, lorsqu'il voulut faire passer à l’Archevêché de Sens, RENAULD DE BAUNE contribuer de Bourges, qui avoit sauvé la France en recevant ce grand Roi dans le Sein de l’Église Romaine). Par là, & par mille autres attaches, tout le Clergé y dépend encore de la Cour Romaine : Il en espére des Dignités, une Pourpre, qui, suivant les fastueuses prétentions de ceux qui en sont revêtus, les égale aux Souverains ; il a tout à craindre de son courroux. Aussi le voit on presque toujours disposé à lui complaire. De son côté, la Cour de Rome soutient ce Clergé de tout son pouvoir ; elle l’aide de sa Politique & de son Crédit ; elle le protége contre ses ennemis, contre ceux qui voudroient borner sa puissance, souvent même contre la juste indignation du Souverain ; & par-là elle se l’attache de plus en plus. Souffrir qu'un grand nombre de sujets, & de sujets en place, dépendent d'une puissance étrangère & lui soient dévoués, n'en ce pas blesser les droits de la Société, & choquer les prémiers élémens de l’art de régner ? Un Souverain prudent recevra-t-il des gens, qui prêchent de pareilles maximes ? Il n'en fallut pas d'avantage, pour faire chasser tous les Missionnaires de la Chine.


§.149       4°, Célibat des Prêtres ; Couvents.

            C’est pour s'assûrer d'autant mieux le dévouement du Clergé, que le célibat des Gens d'Église a été inventé. Un Prêtre, un Prélat, déjà lié au Siége de Rome par ses fonctions & par les espérances, se trouve encore détaché de sa Patrie, par le célibat qu'il est forcé de garder. Il ne tient point à la Société Civile par une famille : Ses grands intérêts sont dans l’Église ; Pourvù qu'il ait la faveur de son Chef, il n'est en peine de rien : En quelque pays qu'il soit né, Rome est son refuge, le centre de sa Patrie d'élection. Chacun fait, que les Ordres Religieux sont comme autant de Milices Papales, répandües sur la face de la Terre, pour soutenir & avancer les Intérêts de leur Monarque. Voilà sans doute un abus étrange, un renversement des prémiéres Loix de la Société. Ce n’est pas tout : Si les Prélats étoient mariés, ils pourroient enrichir l’État d'un grand nombre de bons Citoyens ; de riches Bénéfices leur fournissant les moyens de donner à leurs enfans légitimes une éducation convenable. Mais quelle multitude d'hommes, dans les Couvents, consacrés à l’oisiveté, sous le manteau de sa Dévotion ! Également inutiles à la Société & en paix & en guerre, ils ne la servent ni par leur travail, dans les Professions nécessaires, ni par leur courage, dans les armées ; & cependant ils joüissent de revenus immenses : Il faut que les sueurs du peuple fournissent à l’entretien de ces essains de fainéans. Que diroit-on d'un Colon, qui protégeroit d'inutiles frelons, pour leur faire dévorer le miel de ses abeilles (*(*) Cette réflexion ne regarde point les Maisons Religieuses dans lesquelles on cultive les Lettres. Des Etablissemens qui offrent aux savans une retraite paisible, tout le loisir & toute la tranquillité que demande l’étude profonde des sciences, sont toûjours loüables, & ils peuvent être fort utiles à l’État) ? Ce n’est pas la faute des fanatiques Prédicateurs d'une Sainteté toute céleste, si tous leurs Dévots n'imitent pas le célibat des Moines. Comment les Princes ont-ils pû souffrir que l’on exaltât publiquement comme une vertu sublime, un usage, également contraire à la Nature, & pernicieux à la Société ? Chez les Romains, les Loix tendoient à diminuer le nombre des Célibataires, & à favoriser le Mariage (a) La Loi Papia-Poppaea) : La superstition ne tarda pas à attaquer des dispositions si justes & si sages ; persuadés par les Gens d'Église, les Empereurs Chrêtiens se crurent obligés de les abroger (b) Dans le Code Théodosien). Divers Péres de l’Église ont censuré ces Loix d'AUGUSTE ; Sans-doute, dit un Grand-homme (c) M. Le Président de MONTESQUIEU, dans l’Esprit des Loix), avec un zèle loüable pour les choses de l’autre vie, mais avec très-peu de connoissance des affaires de celle-ci. Ce Grand homme vivoit dans l’Église Romaine ; il n'a pas osé dire nettement, que le Célibat volontaire est condamnable même rélativement à la Conscience & aux intérêts d'une autre vie. Se conformer à la Nature, remplir les vûës du Créateur, travailler au bien de la Société ; voilà certainement une conduite digne de la vraie Piété. Si quelqu'un est en état d'élever une famille ; Qu’il se marie, qu'il s'applique à donner une bonne éducation à ses Enfans ; il fera son devoir, & sera véritablement dans le chemin du salut.


§.150       5°, Prétentions énormes du Clergé ; Prééminence.

            Les énormes & dangereuses prétentions du Clergé, sont encore une suite de ce systême, qui soustrait à la Puissance Civile tout ce qui touche la Religion. Prémiérernent les Ecclésiastiques, sous prétexte de la sainteté de leurs fonctions, ont voulu s'élever au dessus de tous les autres Citoyens, même des principaux Magistrats, & contre la défense expresse de leur Maître, qui disoit à ses Apôtres, ne cherchez point les prémiéres places dans les festins, ils se sont arrogé presque par tout le prémier rang. Leur Chef, dans l’Église Romaine, fait baiser ses pieds aux Souverains ; des Empereurs ont tenu la bride de son Cheval : & si des Évêques, ou même de simples Prêtres, n'osent pas aujourd'hui s'élever au-dessus de leur Prince, c'est que les tems leur sont trop contraires : Ils n'ont pas toûjours été si modestes, & un de leurs Écrivains a bien osé dire, qu'un Prêtre est autant au-dessus d'un Roi, que l’homme est au-dessus de la bête. Combien d'Auteurs, plus connus & plus estimés que celui-là, se sont plu à relever & à louer ce mot imbécille, que l’on attribue à l’Empereur THEODOSE I, Ambroise m'a appris la grande distance qu'il y a, de l’Empire au Sacerdoce !

 

            Nous l’avons déjà dit, les Ecclésiastiques doivent être honorés : Mais la modestie, l’humilité même leur convient ; & leur sied-il de l’oublier pour eux-mêmes, tandis qu'ils la prêchent aux autres ? Je ne parlerois pas d'un vain Cérémonial, s'il n’avoit des suites trop réelles, par l’orgueil qu'il inspire à bien des Prêtres, & par les impressions qu'il peut faire sur l’esprit des peuples. Il est essentiel au bon ordre, que les sujets ne voient rien dans la Société de si respectable que leur Souverain, & après-lui, ceux à qui il confie une partie de son autorité.


§.151       6°, Indépendance, Immunités.

            Les Gens d'Église ne se sont pas arrêtés en si beau chemin. Non contens de se rendre indépendans quant à leurs fonctions ; aidés de la Cour de Rome, ils ont même entrepris de se soustraire entièrement, & à tous égards, à l’Autorité Politique. On a vû des tems, ou l’on ne pouvoit faire paraître un Ecclésiastique devant un Tribunal séculier, pour quelque cause que ce fût. Le Droit Canon le décide formellement ainsi : il est indécent, dit il, que des Laïques jugent un homme d’Église. Les Papes PAUL III, PIE V, URBAIN VIII, dans leurs Bulles in Coena Domini, excommunient les Juges Laïques qui oseront entreprendre de juger des Ecclésiastiques. Les Évêques même de France n'ont pas craint de dire en plusieurs occasions, qu'ils ne dépendoient d'aucun Prince temporel. & voici les termes dont osa se servir l’Assemblée générale du Clergé de France en 1656 : l’Arrêt du Conseil ayant été lû, fut improuvé par la Compagnie, d'autant qu'il laissoit le Roi juge des Évêques, & semble soumettre leurs Immunités à ses juges (b) Voyez Tradition des faits sur le systême d'indépendance des Évêques). Il y a des Décrets des Papes, qui excommunient quiconque aura mis en prison un Évêque. Suivant les principes de Rome, un Prince n'est pas en pouvoir de punir de mort un homme d'Église, rebelle, ou malfaiteur ; il faut qu'il s'adresse à la Puissance Ecclésiastique, & celle-ci le livrera, s'il lui plaît, au bras séculier, après l’avoir dégradé. On voit dans l’Histoire mille exemples d'Évêques, qui sont demeurés impunis, ou qui ont été châtiés légérement, pour des Crimes, qui coûtoient la vie aux plus grands Seigneurs. JEAN DE BRAGANCE Roi de Portugal, fit subir de justes supplices aux Seigneurs qui avoient conjuré sa perte ; il n'osa faire mourir l’Archevêque de Brague auteur de ce détestable Complot (a) Révolutions de Portugal).

            Tout un Ordre nombreux & puissant, soustrait à l’Autorité Publique, & rendu dépendant d'une Cour étrangère, est un renversement d'ordre dans la République, & une diminution manifeste de la Souveraineté. C'est une atteinte mortelle donnée à la Société, dont l’essence est, que tout Citoyen soit soumis à l’Autorité publique. L’immunité que le Clergé s'arroge à cet égard, est tellement contraire au droit naturel & nécessaire de la Nation, que le Roi même n'est pas en pouvoir de l’accorder. Mais les Ecclésiastiques nous diront, qu'ils tiennent cette Immunité de Dieu lui-même. En attendant qu'ils en fournissent la preuve, nous nous en tiendrons à ce principe certain, que Dieu veut le salut des États, & non point ce qui doit y porter le trouble & la destruction.


§.152       7°, Immunité des biens d'Église.

            La même Immunité est prétenduë pour les Biens de l’Église. L’État a pû sans-doute éxempter ces Biens de toutes charges, dans les tems où ils suffisoient à peine à l’entretien des Ecclésiastiques. Mais ceux-ci ne doivent tenir cette faveur que de l’Autorité Publique, qui est toûjours en droit de la révoquer, quand le bien de l’État l’exige. L’une des Loix fondamentales & essentielles de toute Société étant, que dans les cas de Nécessité, les biens de tous les membres doivent contribuer proportionnellement aux besoins communs ; le Prince lui-même ne peut, de son Autorité, accorder une exemption totale à un Corps très-nombreux & très-riche, sans faire une extrême injustice au reste des sujets, sur qui, par cette exemption, le fardeau retombe tout entier.

            Loin que l’exemption appartienne aux Biens d'Église parcequ'ils sont consacrés à Dieu ; c'est au contraire par cette raison même, qu'ils doivent être pris les prémiers pour le salut de l’État. Car il n'y a rien de plus agréable au Pére commun des hommes, que de garentir une Nation de sa ruine. Dieu n'ayant besoin de rien, lui consacrer des biens, c'est les destiner à des usages qui lui soient agréables. De plus, les Biens de l’Église, de l’aveu du Clergé lui-même, sont en grande partie destinés aux pauvres. Quand l’État est dans le besoin, il est sans doute le prémier pauvre, & le plus digne de sécours. Étendons même cela aux cas les plus ordinaires, & disons, que prendre une partie des dépenses courrantes sur les Biens d'Église, pour soulager d'autant le peuple, c’est réellement donner de ces biens aux pauvres, suivant leur destination. Une chose véritablement contraire à la Religion & à l’intention des Fondateurs, c'est de destiner au luxe, au faste & à la bonne chére, des biens, qui devroient être consacrés au soulagement des pauvres (a) Voyez Lettres sur les prétentions du Clergé).


§.153       8°, Excommunication des gens en place.

            C'étoit peu de se rendre indépendans ; les Ecclésiastiques entreprirent de soumettre tout le monde à leur domination. Véritablement, ils avoient droit de mépriser des stupides, qui les laissoient faire. L’excommunication étoit une arme redoutable, parmi des ignorants superstitieux, qui ne sçavoient ni la réduire dans les justes bornes, ni distinguer l’usage de l’abus. De là nâquit un désordre, que l’on a vû régner même dans quelques pays Protestans. Les Ecclésiastiques ont osé, de leur pure autorité, excommunier des gens en place, des Magistrats utiles à la Société, & prétendre, que frappés des foudres de l’Église, ces Officiers de l’État ne pouvoient plus exercer leur Charge. Quel renversement d'ordre & de raison ! Quoi !, une Nation ne sera plus la maîtresse de confier le soin de ses affaires, son bonheur, son repos & sa sûreté, dans les mains qui lui paroitrons ses plus habiles & ses plus dignes ? Une Puissance Ecclésiastique privera l’État, quand il lui plaira, de ses plus sages Conducteurs, de son plus ferme appui, & le Prince, de ses plus fidèles serviteurs ! Une prétention si absurde a été condamnée par des Princes, & même par des Prélats judicieux & respectables. On lit dans la Lettre 171 d'Ives de Chartres, à l’Archevêque de Sens, que les Capitulaires Royaux, conformément au troisiéme Canon du douziéme Concile de Tolède (tenu l’an 681), enjoignent aux Prélats de recevoir en leur Conversation, ceux que la Majesté Royale auroit reçus en sa grâce, ou à sa table, quoiqu'ils eussent été excommuniés par eux, ou par autres, afin que l’Église ne parût pas rejetter ou condamner ceux dont il plaît au Roi de se servir.


§.154       9°, Et des Souverains eux-mêmes.

            Les Excommunications lancées contre les Souverains eux-mêmes, & accompagnées de l’absolution du serment que ses sujets leur avoient prêté, mettent le comble à cet abus énorme ; & il est presque incroyable que les Nations ayent pu souffrir des attentats si odieux. Nous en avons touché quelque chose dans les §§.145 & 146. Le XIIIème siécle en vit des exemples frappans. Pour avoir voulu soutenir les Droits de l’Empire sur diverses Provinces de l’Italie, OTHON IV se vit excommunié, dépouillé de l’Empire par le Pape INNOCENT III, & ses sujets déliés du serment de fidélité. Abandonné des Princes, cet Empereur infortuné fut contraint de céder sa Couronne à FRIDERIC II. JEAN Sans-terre, Roi d'Angleterre, voulant maintenir les droits de son Royaume, dans l’élection d'un Archévêque de Cantorbéry, se vit exposé aux entreprises audacieuses du même Pape. Innocent excommunie le Roi, jette un interdit sur tout le Royaume, ose déclarer Jean indigne du Trône, & délier ses sujets de la fidélité qu'ils lui avoient jurée ; il soulève contre lui le Clergé, excite le peuple à la révolte ; il sollicite le Roi de France à prendre les armes, pour détrôner ce Prince, publiant même une Croisade contre lui, comme il eût pu faire contre les Sarrasins. Le Roi d'Angleterre parut d'abord vouloir se soutenir avec vigueur : Mais bien tôt, perdant courage, il se laissa amener jusqu'à cet excès d’infamie, de résigner ses Royaumes entre les mains du Pape, pour les reprendre de lui & les tenir c

omme un Fief de l’Église, sous la condition d'un Tribut (a) MATTHIEU PARIS ; TURRETIN. Compend. Hist. Eccles. Saecul. XIII).

                Les Papes n'ont pas été seuls coupables de ces attentats. Il s'est trouvé des Conciles, qui y ont pris part. Celui de Lyon, convoqué par INNOCENT IV l’an 1244, eut l’audace de citer l’Empereur FRIDERIC II à comparaître pour se purger des accusations portées contre lui, le menaçant des foudres de l’Église, s'il y manquoit. Ce grand Prince ne se mit pas fort en peine d'une procédure si irréguliére. Il disoit, « que le Pape vouloit s'ériger en juge & en Souverain ; au lieu que de toute ancienneté, les Empereurs avoient eux-mêmes convoqué les Conciles, où les Papes & les Prélats leur rendoient, comme à leurs Souverains, le respect & l’obéissance qu'ils leur doivent (b) HEISS, Histoire de l’Empire, Liv.II Chap.XVII). » Cependant l’Empereur, donnant quelque chose à la superstition des tems, daigna envoyer ses Ambassadeurs au Concile, pour y défendre sa Cause ; ce qui n'empêcha pas le Pape de l’excommunier, & de le déclarer déchu de l’Empire. FRIDERIC se moqua, en homme supérieur, de ces foudres vaines ; & il sçut conserver sa Couronne, malgré l’élection de HENRI Landgrave de Thuringe, que les Électeurs Ecclésiastiques & plusieurs Évêques osèrent déclarer Roi des Romains ; mais à qui cette élection ne valut guéres autre chose que le titre ridicule de Roi des Prêtres.

            Je ne finirois point, si je voulois accumuler les exemples. Mais en voilà trop pour l’honneur de l’humanité. Il est humiliant de voir à quel excès de sottise la superstition avoit réduit les Nations de l’Europe, dans ces tems malheureux.


§.155       10°, Le Clergé tirant tout à lui, & troublant l’ordre de la Justice.

            Par le moyen de mêmes armes spirituelles, le Clergé attiroit tout à lui, usurpoit l’Autorité des Tribunaux, troubloit l’ordre de la Justice. Il prétendoit prendre connoissance de tous les Procès, à raison du péché, dont personne de bon sens, disoit le Pape INNOCENT III (in cap. Novit. de Judiciis) ne peut ignorer que la connoissance appartient à notre Ministère. L’an 1329, les Prélats de France osoient dire au Roi PHILIPPE DE VALOIS, qu'empêcher qu'on ne portât toute sorte de Causes devant les Tribunaux Ecclésiastiques, c'étoit ôter tous les droits des Églises, omnia Ecclesiarum jura tollere (a) Voyez LEIBNITZ Codex Juris Gent. Diplomat, Dipl. LXVII §.9). Aussi vouloient ils juger de toutes les Contestations. Ils choquoient hardiment l’Autorité Civile, & se faisoient craindre, en procédant par voie d'excommunication. Il arrivoit même, que ses Diocèses ne se trouvant pas toûjours mesurés sur le Territoire Politique, un Évêque citoit des Étrangers à son Tribunal, pour des Causes purement Civiles, & entreprenoit de les juger, par un attentat manifeste au Droit des Nations. Le désordre alloit si loin, il y a trois ou quatre siécles, que nos sages Ancêtres se crurent obligés de prendre les plus sérieuses mesures pour l’arrêter : ils stipulérent dans leurs Traités, que nul des Confédérés ne feroit convenir par devant les Justices Spirituelles, pour dettes d'argent, puisqu'un chacun se doit contenter de la Justice du lieu (a) Ibid. Alliance de Zurich avec les Cantons d’Uri, de Schweitz & d’Undervald, du 1. Mai 1351, §.7). On voit dans l’Histoire que les Suisses réprimérent, en plusieurs occasions, les entreprises des Évêques & de leurs Officiaux.

            Il n'est rien dans toutes les affaires de la vie, sur quoi ils n’étendissent leur autorité, sous prétexte que la Conscience s'y trouve intéressée : Ils faisoient acheter aux nouveaux mariés la permission de coucher avec leurs femmes, les trois prémieres nuits après le mariage (b) Voyez Réglement du Parlement, Arrêt du 19 Mars 1409, Esprit des Loix. « C'étoit bien, dit M. de Montesquieu, les nuits qu’il falloit choisir ; on n’auroit pas tiré grand argent des autres. »).


§.156       11°, Argent attiré à Rome.

            Cette burlesque invention nous conduit à marquer un autre abus, manifestement contraire aux règles d'une sage Politique & à ce qu'une Nation se doit à elle-même. Je veux parler des sommes immenses, que l’expédition des Bulles, les Dispenses &c, attirent chaque année à Rome, de tous les pays de sa Communion. & le Commerce scandaleux des Indulgences, que n'en pourrions-nous pas dire ? Mais il devient enfin ruineux à la Cour de Rome : Pour avoir voulu trop gagner, elle fit des pertes irréparables.


§.157       12°, Loix & pratiques contraires au bien de l’État.

            Enfin cette Autorité indépendante, confiée à des Ecclésiastiques, souvent peu capables de connoître les vraies maximes du Gouvernement, ou peu soigneux de s'en instruire, & livrés à des visions fanatiques, aux spéculations creuses d'une pureté chimérique & outrée ; cette Autorité, dis je, a enfanté, sous prétexte de sainteté, des Loix & des pratiques pernicieuses à l’État. Nous en avons touché quelques-unes. GROTIUS en rapporte un exemple bien remarquable. « Dans l’ancienne Église Grecque, » dit-il, « on observa pendant long-tems un Canon, par lequel ceux qui avoient tué quelque Ennemi, dans quelque guerre que ce fût, étoient excommuniés pour trois ans (a) Droit de la Guerre & de la Paix, Liv.II Chap.XXIV, à la fin. Il cite Basil. ad Amphiloch. X.13. Zouar. in Niceph. Phoc. Tom.III). » Belle récompense décernée à des Héros, Défenseurs de la Patrie, au lieu des Couronnes & des Triomphes, dont Rome payenne les décoroit ! Rome payenne devint la maîtresse du Mondes ; elle couronnoit ses plus braves Guerriers. L’Empire, devenu Chrétien, fut bientôt la proie des Barbares ; ses sujets gagnoient, en le défendant, une humiliante excommunication : En se vouant à une vie oisive, ils crurent tenir le chemin du Ciel, & se virent en effet dans celui des grandeurs & des richesses.

 

 

 

Table des matières

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:14

CHAPITRE XI
Sécond objet d'un bon Gouvernement, procurer la vraie félicité de la Nation.


§.110       Une Nation doit travailler à sa propre félicité.

            Continuons à exposer les principaux objets d'un bon Gouvernement. Ce que nous avons dit dans les cinq Chapitres précédens, se rapporte au soin de pourvoir aux besoins du peuple & de procurer l’abondance dans l’État : C'est un point de Nécessité ; mais il ne suffit pas au bonheur d'une Nation. L’expérience montre qu'un peuple peut être malheureux au milieu de tous les biens de la terre & dans le sein des richesses. Tout ce qui peut faire joüir l’homme d'une vraie & solide félicité forme un sécond objet, qui mérite la plus sérieuse attention du Gouvernement. Le bonheur est le centre où tendent tous les devoirs d'un homme, & d'un Peuple, envers soi même : C'est la grande fin de la Loi Naturelle. Le désir d'être heureux est le puissant ressort qui fait mouvoir les hommes ; la félicité est le but où ils tendent tous, & elle doit être le grand objet de la volonté publique (Prélim. §.5). C’est donc à ceux qui forment cette volonté publique, ou à ceux qui la réprésentent, aux Conducteurs de la Nation, de travailler à sa félicité, d'y veiller continuellement, & de l’avancer de tout leur pouvoir.


§.111       Instruction.

            Pour y réussir, il faut instruire la Nation à chercher la félicité là où elle se trouve, c'est-à-dire dans la perfection, & lui enseigner les moyens de se la procurer. Le Conducteur de l’État ne sçauroit donc apporter trop de soins à instruire son peuple, à l’éclairer, à le former aux bonnes connoissances & aux sages Disciplines. Laissons aux Despôtes de l’Orient leur haine pour les sciences : Ils craignent que l’on n'instruise leurs peuples, parce qu'ils veulent dominer sur des esclaves. Mais s'ils jouïssent des excès de la soumission, ils éprouvent souvent ceux de la désobéïssance & de la révolte. Un Prince juste & sage ne redoute point la lumiére ; il sçait qu’elle est toûjours avantageuse à un bon Gouvernement. Si les gens éclairés sçavent que la Liberté est le partage naturel de l’homme, ils connoissent mieux que personne, combien il est nécessaire, pour leur propre avantage, que cette Liberté soit soumise à une Autorité légitime : Incapables d'être Esclaves, ils sont sujets fidèles.


§.112       Éducation de la jeunesse.

            Les prémiéres impressions sont d'une extrême conséquence pour toute la vie. Dans les tendres années de l’enfance & de la jeunesse, l’esprit & le cœur de l’homme reçoivent avec facilité la semence du bien, ou celle du mal. L’éducation de la Jeunesse est une des matiéres les plus importantes, qui méritent l’attention du Gouvernement. Il ne doit point s'en reposer entiérement sur les Péres. Fonder de bons Etablissemens pour l’Éducation publique, les pourvoir de Maîtres habiles, les diriger avec sagesse, & faire ensorte, par des moyens doux & convenables, que les sujets ne négligent pas d'en profitter ; c'est une voye sûre pour se former d’excellens Citoyens. L’admirable éducation que celle des Romains, dans leurs beaux siécles, & qu'il étoit naturel qu'on lui vît former de grands hommes ! Les jeunes gens s'attachoient à un personnage illustre, ils se rendoient chés lui, ils l’accompagnoient par tout, & profittoient également de ses instructions & de ses exemples : leurs jeux, leurs amusemens étoient des exercices propres à former des soldats. On vit la même chose à Lacédémone, & ce fut une des plus Sages institutions de l’incomparable Lycurgue. Ce Législateur Philosophe entra dans le plus grand détail sur l’éducation de la Jeunesse (a) Voïez Xénophont, Lacedemon. Respublica), persuadé que de là dépendait la prospérité & la Gloire de sa République.


§.113       Des Sciences & des Arts.

            Qui doutera qu'un Souverain, que la Nation entiére, ne doive favoriser les sciences & les Arts ? Sans parler de tant d'inventions utiles, qui frappent les yeux de tout le monde, les Lettres & les Beaux-Arts éclairent l’esprit, adoucissent les mœurs, & si l’étude n'inspire pas toûjours l’amour de la vertu, c'est que malheureusement elle rencontre quelquefois, & trop souvent, un cœur désespérément vicieux. La Nation & ses Conducteurs doivent donc protéger les Savans & les grands Artistes, exciter les Talens par les honneurs & les récompenses. Que les partisans de la Barbarie déclament contre les sciences & les Beaux-Arts ; sans daigner répondre à leurs vains raisonnemens, contentons-nous d'en appeller à l’expérience. Comparons l’Angleterre, la France, la Hollande, plusieurs Villes de Suisse & d'Allemagne, à tant de régions livrées à l’ignorance, & voyons où il se trouve le plus d'honnêtes gens & de bons Citoyens. Ce seroit errer grossiérement que de nous opposer l’exemple de Sparte, & celui de l’ancienne Rome. Il est vrai qu'on y négligeoit les spéculations curieuses, les connoissances & les arts de pur agrément : Mais les Sciences solides & pratiques, la Morale, la Jurisprudence, la Politique, la Guerre, y étoient cultivées, à Rome principalement, avec plus de soin que parmi nous.

            On reconnoit assés généralement aujourd'hui l’utilité des Lettres & des Beaux-Arts, & la nécessité de les encourager. L’immortel PIERRE I ne crut point pouvoir sans leur sécours civiliser entiérement la Russie, la rendre florissante. En Angleterre la science & les talens conduisent aux honneurs & aux richesses. Newton fut honoré, protégé, récompensé pendant sa vie, & placé aprés sa mort dans le Tombeau des Rois. La France mérite aussi à cet égard des louanges particuliéres : Elle doit à la magnificence de ses Rois plusieurs Etablissemens non moins utiles que glorieux. L’Académie Royale des Sciences répand de tous côtés la Lumiére & le désir de s'instruire. LOUIS XV lui a fourni les moyens d'envoyer chercher sous l’Équateur & sous le Cercle Polaire, la preuve d'une vérité importante : On sçait maintenant, ce que l’on croyoit auparavant sur la foi des calculs de Newton. Heureux ce Royaume, si le goût trop général du siécle ne lui fait point négliger les Connoissances solides, pour se livrer à celles de pur agrément, & si ceux qui craignent la Lumiére n'y réussissent pas à étouffer le germe de la science !

 

§.114       De la liberté de Philosopher.

            Je parle de la Liberté de philosopher. C’est l’âme de la République des Lettres. Que peut produire, un Génie rétréci par la crainte ? & le plus grand homme éclairera-t-il beaucoup ses Concitoyens, s'il se voit toûjours en but à des chicaneurs ignorants & bigots ; s'il est obligé de se tenir continuellement sur ses gardes, pour n'être pas accusé par les tireurs de conséquences de choquer indirectement les opinions reçûës ? Je sçai que cette Liberté a ses justes bornes ; qu'une sage Police doit veiller sur les Presses, & ne point souffrir que l’on publie des Ouvrages scandaleux, qui attaquent les mœurs, le Gouvernement, ou la Religion établie par ses Loix. Mais il faut bien se garder aussi d'éteindre une Lumiére, dont l’État peut recueillir les plus précieux avantages. Peu de gens sçavent tenir un juste milieu, & les fonctions de Censeur Littéraire ne devroient être confiées qu'à des hommes également sages & éclairés. Pourquoi chercher dans un Livre, ce qu'il ne paroit pas que l’Auteur y ait voulu mettre ; & lorsqu'un Écrivain ne s'occupe & ne parle que de Philosophie, devroit on écouter de malins Adversaires, qui veulent le mettre aux prises avec la Religion ? Bien-loin d'inquiéter un Philosophe sur opinions, le Magistrat devroit châtier ceux qui l’accusent publiquement d'impiété, lorsqu'il a respecté dans ses Écrits la Religion de l’État. Les Romains semblent faits pour donner des exemples à l’Univers : Ce Peuple sage maintenoit avec soin le Culte & les Cérémonies religieuses, établies par les Loix, & il laissoit le champ libre aux spéculations des Philosophes. CICERON, Sénateur, Consul, Augure, se moque de la Superstition, il l’attaque, il la met en poudre dans les Écrits Philosophiques : Il croit travailler par là à son propre bien & à celui de ses Concitoyens : Mais il observe, « que détruire la superstition, ce n’est point ruiner la Religion ; car, dit-il, il est d'un homme sage de respecter les Institutions, les Cérémonies religieuses des Ancêtres ; & il suffit de considérer la beauté du Monde & l’ordre admirable des Astres, pour reconnoître l’existence d'un Être éternel & tout-parfait, qui mérite la vénération du Genre humain. » & dans ses Entretiens sur la nature des Dieux, il introduit l’Académicien Cotta, qui étoit Pontife, lequel attaquant librement les Opinions des Stoïciens, déclare qu'il sera toûjours prêt à défendre la Religion établie, dont il voit que la République a reçû de grands avantages ; que ni savant, ni ignorant ne pourra la lui faire abandonner : Surquoi il dit à son Adversaire : « Voilà ce que je pense, & comme Pontife, & comme Cotta. Mais vous, en qualité de Philosophe, amenez-moi à votre sentiment par la force de vos raisons. Car un Philosophe doit me prouver la religion, qu'il veut que j'embrasse ; au lieu que j'en dois croire là-dessus nos Ancêtres, même sans preuves. »

            Joignons l’expérience à ces exemples & à ces autorités. Jamais Philosophe n'a troublé l’État, ou la Religion, par ses Opinions. Elles ne feroient aucun bruit parmi le peuple, & ne scandaliseroient pas les foibles si la malignité, ou un zèle imprudent ne s'efforçait à en découvrir le prétendu venin. Celui-là trouble l’État, & met la Religion en péril, qui travaille à mettre les opinions d'un grand-homme en opposition avec la Doctrine & le Culte établis par les Loix.


§.115       On doit inspirer l’amour de la vertu & l’horreur du vice.

            Ce n'est point assés d'instruire la Nation ; il est plus nécessaire encore, pour la conduire au bonheur, de lui inspirer l’amour de la Vertu & l’horreur du Vice. Ceux qui ont approfondi la Morale sont convaincus, que la Vertu est le véritable & le seul chemin qui conduit au bonheur ; en sorte que ses maximes ne sont autre chose que l’art de vivre heureux ; & il faudrait être bien ignorant dans la Politique, pour ne pas sentir combien une Nation vertueuse sera plus capable qu'une autre, de former un État heureux, tranquille, florissant, solide, respectable à tous ses voisins & formidable à ses ennemis. L’intérêt du Prince doit donc concourrir avec ses devoirs & les mouvemens de sa Conscience, pour l’engager à veiller attentivement sur une matiére si importante. Qu'il employe toute son Autorité à faire régner la Vertu & à réprimer le vice ; qu'il destine à cette fin les Etablissemens publics ; qu'il y dirige sa conduite, son exemple, la distribution des grâces, des Emplois & des Dignités. Qu'il porte son attention jusques sur la vie privée des Citoyens, & qu'il bannisse de l’État tout ce qui n’est propre qu'à corrompre les mœurs. C’est à la Politique de lui enseigner en détail tous les moyens de parvenir à ce but désirable, de lui montrer ceux qu'il doit préférer, & ceux qu'il doit éviter, à-cause des dangers qui les accompagnent dans l’exécution, & des abus qui pourroient s'y glisser. Observons seulement en général, que le vice peut être réprimé par les châtimens, mais que les moyens doux sont seuls capables d'élever les hommes jusqu'à la Vertu : Elle s'inspire, & ne se commande pas.


§.116       La Nation connoîtra en cela l’intention de ceux qui la gouvernent.

            Il est incontestable que les vertus des Citoyens sont les dispositions les plus heureuses que puisse désirer un juste & sage Gouvernement. Voici donc un indice certain, auquel la Nation reconnoîtra les intentions de ceux qui la gouvernent : S'ils travaillent à rendre les Grands & le peuple vertueux ; leurs vûës sont droites & pures ; tenez-vous assûrés qu'ils visent uniquement à la grande Fin du Gouvernement, au bonheur & à la gloire de la Nation. Mais s'ils corrompent les mœurs, s'ils répandent l’amour du luxe, la mollesse, la fureur des plaisirs déréglés, s'ils excitent les Grands à un faste ruineux ; peuples gardez-vous de ces Corrupteurs ; ils cherchent à acheter des Esclaves, pour dominer arbitrairement sur eux.

            Pour peu qu'un Prince soit modéré, i1 n'aura point recours à ces moyens odieux. Satisfait du Rang suprême, & de la Puissance qu'il tient des Loix, il se propose de régner avec gloire & sûreté ; il aime son peuple, & il désire de le rendre heureux. Mais ses Ministres, d'ordinaire, ne peuvent souffrir la résistance, la moindre opposition ; s'il leur abandonne l’Autorité, ils sont plus fiers & plus intraitables que leur Maître ; ils n'ont point pour son peuple le même amour que lui : que la Nation soit corrompue, Pourvù qu'elle obéïsse ! Ils redoutent le courage & la fermeté, qu'inspire la Vertu, & ils sçavent que le Distributeur des grâces domine à son gré sur les hommes dont le cœur est ouvert à la convoitise. Ainsi une misérable, qui éxerce le plus infâme de tous les métiers, pervertit les inclinations d'une jeune victime de son odieux trafic ; elle la pousse au luxe, à la gourmandise, elle la remplit de mollesse & de vanité, pour la livrer plus sûrement à un riche séducteur. Cette indigne Créature est quelquefois châtiée par la Police ; & le Ministre, infiniment plus coupable, nage dans l’opulence est revêtu d'honneurs & d'autorité. La postérité fera justice ; elle détestera le Corrupteur d'une Nation respectable.


§.117       L’État, ou la personne publique, doit en particulier perfectionner son entendement & sa volonté.

            Si ceux qui gouvernent s'attachoient à remplir l’obligation, que la Loi Naturelle leur impose envers eux-mêmes dans leur qualité de Conducteurs de l’État, ils seroient incapables de donner jamais dans l’odieux abus, dont nous venons de parler. Jusques-ici nous avons considéré l’obligation où se trouve une Nation d'acquérir des lumiéres & des vertus, ou de perfectionner son entendement & sa volonté ; nous avons, dis-je, considéré cette obligation rélativément aux particuliers qui composent la Nation : Elle tombe aussi, & d'une maniére propre & singuliére, sur les Conducteurs de l’État. Une Nation, entant qu'elle agit en commun, ou en Corps, est une Personne morale (Prélim. §.2) qui a son entendement & sa volonté propre, & qui n'est pas moins obligée que tout homme en particulier d'obéir aux Loix Naturelles (Prélim. §.5) & de perfectionner ses facultés (Liv.I §.21) Cette personne morale réside dans ceux qui sont revêtus de l’Autorité publique & qui réprésentent la Nation entiére. Que ce soit le commun Conseil de la Nation, ou un Corps Aristocratique, ou un Monarque ; ce Conducteur & Réprésentant de la Nation, ce Souverain, quel qu'il puisse être, est donc indispensablement obligé de se procurer toutes les lumiéres, toutes les connoissances nécessaires pour bien gouverner, & de se former à la pratique de toutes les vertus convenables à un Souverain.

            Et comme c'est en vûë du bien public que cette obligation lui est imposée, il doit diriger toutes ses lumiéres & toutes ses vertus au salut de l’État, au but de la Société Civile.


§.118       Et diriger au bien de sa Société ses lumiéres & les vertus des Citoyens.

            Il doit même diriger, autant qu'il lui est possible, à cette grande fin toutes les facultés, les lumiéres & les vertus des Citoyens ; ensorte qu'elles ne soient pas utiles seulement aux particuliers qui les possèdent, mais encore à l’État. C’est ici l’un des plus grands sécrets de l’Art de régner. L’État sera puissant & heureux, si les bonnes qualités des sujets passant la sphére étroite des vertus de particuliers, deviennent des vertus de Citoyens. Cette heureuse disposition éleva la République Romaine au plus haut point de puissance & de gloire.


§.119       Amour de la Patrie.

            Le grand sécret pour donner aux Vertus des particuliers une tournure si avantageuse à l’État, est d'inspirer aux Citoyens un vif amour pour la Patrie. Il arrive alors tout naturellement, que chacun s'éforce à servir l’État, à tourner à l’avantage & à la gloire de la Nation, ce qu'il possède de forces & de talens. Cet amour de la Patrie est naturel à tous les hommes. Le bon & sage Auteur de la Nature a pris soin de les attacher, par une espèce d’instinct, aux lieux qui les ont vûs naître, & ils aiment leur Nation, comme une chose à laquelle ils tiennent intimément. Mais souvent des causes malheureuses affoiblissent, ou détruisent cette impression naturelle. L’injustice, la dureté du Gouvernement l’effacent trop aisément du cœur des sujets : l’amour de soi-même attachera-t-il un particulier aux affaires d'un pays, où tout se fait en vûë d'un seul homme ? L’on voit, au contraire, toutes les Nations libres passionnées pour la gloire & le bonheur de la Patrie. Rappelons-nous les Citoyens de Rome, dans les beaux jours de la République, considérons aujourd'hui les Anglois & les Suisses.


§.120       Dans les Particuliers.

            L'Amour & l’affection d'un homme pour l’État dont il est membre, est une suite nécessaire de l’amour éclairé & raisonnable qu'il se doit à soi-même ; puisque son propre bonheur est lié à celui de sa Patrie. Ce sentiment doit résulter aussi des engagemens qu'il a pris envers la Société. Il a promis d'en procurer le salut & l’avantage, autant qu’il sera en son pouvoir : Comment la servira-t-il avec zèle, avec fidélité, avec courage, s'il ne l’aime pas véritablement ?


§.121       Dans la Nation ou l’État lui-même, & dans le Souverain.

            La Nation en Corps, entant que Nation, doit sans doute s'aimer elle-même & désirer son propre bien. Elle ne peut manquer à cette obligation ; le sentiment est trop naturel. Mais ce devoir regarde très-particuliérement le Conducteur, le Souverain, qui réprésente la Nation, qui agit en son nom. Il doit l’aimer, comme ce qu'il a de plus cher, la préférer à tout ; car elle est le seul objet légitime de ses soins & de ses actions, dans tout ce qu'il fait en vertu de l’Autorité publique. Le Monstre qui n'aimeroit pas son peuple, ne seroit plus qu'un Usurpateur odieux ; il mériteroit sans-doute d'être précipité du Trône. Il n’est point de Royaume qui ne dût avoir devant le Palais du Souverain, la statüe de CODRUS. Ce magnanime Roi d'Athènes donna sa vie pour son peuple. Son pays étant attaqué par les Héraclides il consulta l’Oracle d'Apollon, & ayant eû pour réponse, que le peuple, dont le Chef seroit tué, demeureroit victorieux, CODRUS se déguisa & se fit tuer par un soldat ennemi. HENRI IV Roi de France exposoit sa vie avec joie, pour le salut de son peuple. Ce grand Prince, & Louis XII sont d'illustres modèles du tendre amour qu'un Souverain doit à ses sujets.


§.122       Définition du mot Patrie.

            Le terme de Patrie est, ce semble, assés connu de tout le monde. Cependant, comme on le prend en différens sens, il ne sera pas inutile de le définir ici exactement. Il signifie communément l’État dont on est membre : C'est en ce sens que nous l’avons employé dans les paragraphes précédens, & qu'il doit être pris dans le Droit des Gens.

            Dans un sens plus resserré plus dépendant de l’étymologie, ce terme désigne l’État, ou même plus particuliérement la Ville, le lieu, où nos Parens avoient leur Domicile, au moment de notre naissance. En ce sens, on dit avec raison, que la Patrie ne se peut changer, & demeure toûjours la même, en quelque lieu que l’on se transporte dans la suite. Un homme doit conserver de la reconnoissance & de l’affection pour l’État auquel il doit son éducation, dont ses Parens étoient membres lorsqu'ils lui donnèrent la vie. Mais comme diverses raisons légitimes peuvent l’obliger à se choisir une autre Patrie, c’est-à-dire, à devenir membre d'une autre Société ; quand nous parlons en général des devoirs envers la Patrie, on doit entendre ce terme de l’État dont un homme est membre actuel ; puisque c'est celui auquel il se doit tout entier & par préférence.


§.123       Combien il est honteux & criminel de nuire à sa Patrie.

            Si tout homme est obligé d'aimer sincèrement sa Patrie, & d'en procurer le bonheur autant qu'il dépend de lui ; c'est un crime honteux & détestable de nuire à cette même Patrie. Celui qui s'en rend coupable, viole ses engagemens les plus sacrés & tombe dans une lâche ingratitude : il se déshonore par la plus noire perfidie, puisqu'il abuse de la confiance de ses Concitoyens & traite en ennemis ceux qui étoient fondés à n'attendre de lui que des sécours & des services. On ne voit des traitres à la Patrie que parmi ces hommes uniquement sensibles à un grossier intérêt, qui ne cherchent qu'eux-mêmes immédiatement, & dont le cœur est incapable de tout sentiment d'affection pour les autres. Aussi sont-ils justement détestés de tout le monde, comme les plus infâmes de tous les scélérats.


§.124 Gloire des bons Citoyens ; Exemples.

                        Au contraire, on comble d'honneur & de loüanges ces Citoyens généreux, qui, non contens de ne point manquer à la Patrie, se portent en sa faveur à de nobles efforts, & sont capables de lui faire les plus grands sacrifices. Les noms de BRUTUS, de CURTIUS, des deux DECIUS vivront autant que celui de Rome. Les Suisses n'oublieront jamais ARNOLD DE WINKELRIED, ce Héros, dont l’action eût mérité d'être transmise à la postérité par un TITE -LIVE. Il se dévoüa véritablement pour la Patrie ; mais il se dévoüa en Capitaine, en soldat intrépide, & non pas en superstitieux. Ce Gentilhomme, du pays d’Undervald, voyant à la Bataille de Sempach, que ses Compatriotes ne pouvoient enfoncer les Autrichiens, parceque ceux-ci, armés de toutes piéces, ayant mis pied à terre, & formant un bataillon serré, présentoient un front couvert de fer, hérissé de lances & de piques ; il forma le généreux dessein de se sacrifier pour sa Patrie. « Mes Amis, dit-il aux Suisses, qui commençoient à se rebuter, je vais aujourd'hui donner ma vie, pour vous procurer la victoire ; je vous recommande seulement ma famille : Suivez-moi, & agissez en conséquence de ce que vous me verrez faire. » A ces mots, il les range en cette forme, que les Romains appelloient cuneus : Il occupe la pointe du triangle, il marche au centre des ennemis, & embrassant le plus de piques qu'il put saisir, il se jette à terre, ouvrant ainsi à ceux qui le suivoient un chemin pour pénétrer dans cet épais bataillon. Les Autrichiens une fois entamés, furent vaincus, la pesanteur de leurs armes leur devenant funeste, & les Suisses remportérent une victoire complette. (a) l’an 1386. L’Armée Autrichienne était de 4000 hommes choisis, parmi lesquels se trouvoient grand nombre de Princes, de Comtes, & une Noblesse distinguée, tous armés de pied-en-cap. Les Suisses n'étoient pas plus de 1300 hommes, mal armés. Le Duc d'Autriche périt à cette Bataille, avec 2000 des siens, & dans ce nombre 676 Gentilshommes des prémiéres Maisons d'Allemagne. Histoire de la Confédération Helvétique par M. DE WATTEVILLE, Tom. I p.183 & suiv).

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:13

CHAPITRE X.
De la Monnoie & du Change.

 

§.105       Établissement de la Monnoie.

            Dans les premiers tems, depuis l’introduction de la propriété, les hommes échangeoient leurs denrées & effets superflus, contre ceux dont ils avoient besoin. L’or & l’argent devinrent ensuite la commune mesure du prix de toutes choses ; & afin que le peuple n'y fût pas trompé, on imagina d'imprimer au nom de l’État sur des piéces d'or & d'argent, ou l’Image du Prince, ou quelqu'autre empreinte, qui fût comme le sçeau & le garent de sa valeur. Cette institution est d'un grand usage & d'une commodité infinie. Il est aisé de voir combien elle facilite le Commerce. Les Nations ou leurs Conducteurs ne sçauroient donner trop d'attention à une matiére si importante.


§.106       Devoirs de la Nation, ou du Prince, à l’égard de la Monnoie.

            L'empreinte qui se voit sur la Monnoie, devant être le sçeau de son titre & de son poids ; on sent d'abord qu'il ne peut être permis indifféremment à tout le monde d'en fabriquer. Les fraudes y deviendroient trop communes ; elle perdroit bien-tôt la confiance publique : Ce seroit anéantir une institution utile. La Monnoie se fabrique par l’Autorité & au nom de l’État, ou du Prince, qui en est garent. Il doit donc avoir soin d'en faire fabriquer en quantité suffisante pour les besoins du pays, & veiller à ce qu'on la fasse bonne, c’est-à-dire que sa valeur intrinséque soit proportionnée à sa valeur extrinsèque, ou numéraire.

            Il est vrai que dans une Nécessité pressante, l’État seroit en droit d'ordonner aux Citoyens de recevoir la monnoie à un prix supérieur à sa valeur réelle. Mais comme les Étrangers ne la recevront point à ce prix-là, la Nation ne gagne rien à cette manœuvre : C'est farder pour un moment la plaie, sans la guérir. Cet excédent de valeur, ajoûté arbitrairement à la monnoie, est une vraie dette, que le Souverain contracte envers les particuliers : & pour observer une exacte justice, la crise passée, on doit racheter toute cette Monnoie aux dépens de l’État, en la payant en d'autres espèces, au cours naturel ; autrement cette espèce de charge, impôsée dans la nécessité, retombe sur ceux-là seulement qui ont reçu en payement une Monnoie arbitraire ; ce qui est injuste. D'ailleurs, l’expérience a montré qu'une pareille ressource est ruineuse pour le commerce, en ce qu'elle détruit la confiance de l’étranger & du citoyen, fait hausser à-proportion le prix de toutes choses, & engageant tout le monde à resserrer, ou à envoyer au-déhors les bonnes espèces anciennes, suspend la circulation de l’argent. En sorte qu'il est du devoir de toute Nation & de tout Souverain, de s'abstenir, autant qu'il est possible, d'une opération si dangereuse, & de recourrir plûtôt à des impôts & à des contributions extraordinaires, pour subvenir aux besoins pressans de l’État.


§.107       De ses Droits à cet égard.

            Puisque l’État est garent de la bonté de la Monnoie & de son cours, c'est à l’Autorité publique seule qu'il appartient de la faire fabriquer. Ceux qui la contrefont violent les droits du Souverain, soit qu'ils la fassent au même titre, soit qu'ils l’altèrent. On les appelle Faux-Monnayeurs, & leur crime passe avec raison pour l’un des plus graves. Car s'ils fabriquent une Monnoye de mauvais alloi, ils volent le public & le Prince ; & s'ils la sont bonne, ils usurpent le droit du Souverain. Ils ne se porteront pas à la faire bonne, à moins qu'il n'y ait un profit sur la fabrique ; & alors, ils dérobent à l’État un gain qui lui appartient. Dans tous les cas, ils sont une injure au Souverain ; car la foi publique étant garente de la Monnoie, le Souverain seul peut la faire fabriquer. Aussi met-on le droit de battre Monnoie au nombre des Droits de Majesté, & BODIN (a) De la République, Liv.I Chap.X) rapporte, que Sigismond-Auguste Roi de Pologne ayant donné ce Privilège au Duc de Prusse en 1543, les États du pays firent un Décret où il fut inséré, que le Roi n’avoit pû donner ce droit, comme étant inséparable de la Couronne. Le même Auteur observe, que bien qu'autrefois plusieurs Seigneurs & Évêques de France eussent le Privilège de faire battre Monnoie, elle étoit toûjours censée se fabriquer par l’autorité du Roi, qui a enfin retiré tous ces Privilèges, à cause des abus.


§.108       Injure qu'une Nation peut faire à l’autre, au sujet de la Monnoie.

            Des principes que nous venons d'établir, il est aisé de conclure, que si une Nation contrefait la Monnoie d'une autre, ou si elle souffre & protège les faux Monnoyeurs qui osent l’entreprendre, elle lui fait injure. Mais ordinairement les Criminels de cet ordre ne trouvent asyle nulle part ; tous les Princes étant également intéressés à les exterminer.


§.109       Du Change, & des Loix du Commerce.

            Il est un autre usage plus moderne, & non moins utile au Commerce que l’établissement de la Monnoie ; c’est le Change, ou le négoce des Banquiers, par le moyen duquel un Marchand remet d'un bout du Monde à l’autre des sommes immenses, presque sans fraix & s'il le veut, sans péril. Par la même raison que les Souverains doivent protéger le Commerce, ils sont obligés de soutenir cet usage par de bonnes Loix, dans lesquelles tout Marchand, étranger ou citoyen, puisse trouver sa sûreté. En général, il est également de l’intérêt & du devoir de toute Nation, d'établir chés elle de sages & justes Loix de Commerce.

 

 

 

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2 janvier 2005 7 02 /01 /janvier /2005 00:12

CHAPITRE IX.
Du soin des Chemins publics, & des Droits de Péage.


§.100       Utilité des grands-chemins, des canaux &c.

            L'Utilité des grands-chemins, des ponts, des canaux, en un mot de toutes les voyes de communication sûres & commodes, ne peut être douteuse. Elles facilitent le Commerce d'un lieu à l’autre, & rendent le transport des marchandises moins coûteux, plus sûr & plus aisé. Les Marchands se trouvent en état de vendre à meilleur prix, & d'obtenir la préférence ; on attire les Étrangers, leurs marchandises prennent leur route dans le pays, & répandent de l’argent dans tous les lieux où elles passent. La France & la Hollande en font tous les jours l’heureuse expérience.


§.101       Devoirs du Gouvernement à cet égard.

            L'un des principaux soins que le Gouvernement doit au bien public, au Commerce en particulier, regardera donc les grands-chemins, canaux &c. Il ne doit rien négliger pour les rendre également sûrs & commodes. La France est l’un des États du Monde où l’on s'acquitte de ce devoir public avec le plus d'attention & de magnificence. Par-tout de nombreuses Maréchaussées veillent à la sûreté des voyageurs, des chaussées magnifiques, des ponts, des canaux, facilitent la communication d'une Province à l’autre : Louis XIV a joint les deux Mers, par un Ouvrage digne des Romains.


§.102       De ses Droits à ce -même égard.

            La Nation entiére doit contribuer sans doute à des choses qui lui sont si utiles. Lors donc que la construction & la réparation des grands-chemins, des ponts, des canaux, chargeroit trop les revenus ordinaires de l’État, le Gouvernement peut obliger les peuples d'y travailler, ou de subvenir aux dépenses. On a vû les paysans de quelques Provinces de France murmurer des travaux qu'on leur imposoit pour la construction des chaussées ; mais ils n'ont pas tardé à bénir les auteurs de l’entreprise, dès que l’expérience les a éclairés sur leurs véritables intérêts.


§.103       Fondement du Droit de Péage.

            La construction & l’entretien de tous ces Ouvrages exigeant de grandes dépenses, une Nation peut très-justement y faire contribuer tous ceux qui participent à leur utilité : C'est la source légitime du Droit de Péage. Il est juste qu'un Voyageur, & surtout un Marchand, qui profitte d'un canal, d'un pont, ou d'une chaussée, pour faire sa route, pour transporter plus commodément ses marchandises, entre dans les fraix de ces établissemens utiles, par une modique contribution ; & si un État juge à-propos d'en exempter les Citoyens, rien ne l’oblige à en gratifier les Étrangers.


§.104       Abus de ce Droit.

            Mais un droit si légitime dans son origine, dégénère souvent en de grands abus. Il est des pays, où l’on ne prend aucun soin des chemins, & où on ne laisse pas d'exiger des péages considérables. Tel Seigneur, qui aura une langue de terre aboutissante à un fleuve, y établit un Péage, quoiqu'il ne dépense pas un denier à l’entretien du fleuve & à la commodité de la navigation. C’est une extorsion manifeste & contraire au Droit des Gens naturel. Car le partage & la propriété des terres n'a pû ôter à personne le droit de passage, lorsque l’on ne nuit en aucune façon à celui sur le territoire de qui on passe : Tout homme tient ce droit de la Nature, & on ne peut avec Justice le lui faire acheter.

            Mais le Droit des Gens Arbitraire, ou la Coûtume des Nations, tolère aujourd'hui cet abus, tant qu'il ne va pas à un excès capable de détruire le Commerce. Cependant on ne s'y soumet sans difficulté, que pour les droits établis par un ancien usage : l’imposition de nouveaux Péage est souvent une source de quérelles. Les Suisses ont fait autrefois la guerre aux Ducs de Milan, pour des véxations de cette nature. On abuse encore du Droit de Péages, lorsqu'on exige des passans une contribution trop forte, & peu proportionnée à ce que coûte l’entretien des chemins publics.

            Aujourd'hui les Nations s'arrangent là-dessus par des Traités, pour éviter toute véxation & toute difficulté.

 

 

 

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