Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Travaux


Etude sur la nature
des mouvements écologistes
et leurs véritables objectifs



L'héritage de
Franklin Delano Roosevelt


boris 

La révolution Roosevelt 

Georges Boris


Moulin.jpgL'héritage du
Conseil National
de la Résistance

Quelques textes de
Vladimir I. Vernadski

henry charles carey
Principes de la science sociale
de Henry Charles Carey

Friedrich List
Le Système national
d'économie politique
de Friedrich List

Friedrich Von Schiller

Le Droit des Gens
d'Emerich De Vattel

 

Recherche

Page d'accueil
- Cliquez ici -

Fusion,
enfin les archives !
24 janvier 2007 3 24 /01 /janvier /2007 07:38

Vers 1800, les heureuses conditions de vie de
Beethoven sont compromises par des douleurs auditives qui deviennent de plus en plus inquiétantes. 1815 sera l'année de la surdité totale, qui forcera le compositeur à communiquer par l'intermédiaire de carnets (les carnets de conversation). 130 subsistent sur les 400 utilisés.

Dans son testament de Heiligenstadt (1802), Beethoven y montre tout son désespoir. Ce document poignant révèle surtout un homme qui garde espoir en l'art et en la foi.



A mes frères Carl et [Johann] Beethoven

Oh ! Vous autres qui me croyez hostile, rébarbatif ou misanthrope, ou me déclarez tel, comme vous me faites tort, car vous ne savez rien de la cause secrète de ce qui vous semble tel. Dès l'enfance mon coeur et mes sens étaient faits pour les tendres sentiments de bienveillance ; j'étais même toujours prêt à faire de grandes actions. Considérez donc que, depuis six ans, je suis dans un état désastreux, empiré par des médecins stupides, d'année en année, trompé par l'espoir d'aller mieux et, finalement, forcé d'envisager un mal interminable, dont la guérison durerait des années ou serait même impossible.
Né avec un tempérament fougueux, sensible même aux plaisirs de la société, je dus très vite m'isoler, passer ma vie dans la solitude. Si, de temps en temps, je voulais échapper à tout cela, comme j'étais durement repoussé par la triste expérience, doublée de mon ouïe si mauvaise. Il ne m'était cependant pas possible de dire aux gens : parlez plus haut, criez, car je suis sourd.
Comment me serait-il possible d'admettre la faiblesse d'un sens qui chez moi devrait être d'un degré plus parfait que chez les autres, un sens que je possédais autrefois à un tel degré de perfection que peu de gens de ma profession l'ont, ou l'ont eu.
Oh ! Je ne le puis, c'est pourquoi vous devrez me pardonner, lorsque vous verrez que je me retire quand j'aimerais tant me mêler à vous. Mon malheur me fait doublement mal, car à cause de lui, je suis méconnu. Pour moi il n'y a ni récréation en société, ni fines conversations, ni épanchements mutuels. Il ne m'est permis de me mêler à la société que lorsque la plus haute nécessité l'exige. Il me faut vivre comme un proscrit - quand je m'approche d'une société, une peur poignante d'être obligé de laisser voir mon état me saisit.
Il en fut ainsi pendant les six mois que je passai à la campagne, ayant suivi le conseil de mon raisonnable médecin, de ménager, autant que possible, mon ouïe, qui déjà correspondait presque à mon actuelle disposition naturelle. Quelquefois, poussé par mon besoin de compagnie, je me laissais tout de même tenter ; mais quelle humiliation quand quelqu'un, à côté de moi, entendait une flûte, et que moi je n'entendais rien ; ou que quelqu'un entendait chanter le berger et que je n'entendais rien non plus.
De tels incidents me portaient presque au désespoir et il s'en fallut de peu que je ne misse fin à ma vie, mais seul, lui, l'art m'en retint. Oh ! Il me semblait impossible de quitter ce monde avant d'avoir accompli ce à quoi je me sentais disposé et, ainsi je prolongeai cette vie misérable, vraiment misérable, cette nature si fragile qu'un assez rapide changement me fit passer du meilleur état dans le pire.
Patience, c'est vous que désormais je dois choisir comme guide, comme on me le dit ; c'est fait - j'espère que ma décision de persévérer sera durable, jusqu'à ce qu'il plaise aux inexorables Parques de rompre le fil. Peut-être les choses iront-elles mieux, peut-être que non, je suis prêt à subir mon sort, forcé que je fus, dès ma vingt-huitième année, à être philosophe. Ce n'est pas facile, et pour un artiste c'est plus difficile que pour tout autre.
Divinité, du haut tu vois sur mon âme, tu la connais, tu sais que l'amour du prochain et le besoin de faire le bien l'habitent. Oh ! Humains, quand vous lirez ceci, pensez que vous m'avez fait du tort, que les malheureux se consolent d'avoir trouvé un de leurs semblables qui, malgré tous les obstacles de la nature, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour être recueilli dans le rang des artistes et des hommes dignes.
Vous, mes frères, Carl et Johann, dès que je serai mort, si le professeur Schmidt vit encore, priez-le, en mon nom, de faire une description de ma maladie et ajoutez cette feuille à l'histoire de ma maladie, afin qu'au moins, après ma mort, le monde se réconcilie avec moi autant que possible.
En même temps, je vous déclare ici, tous deux, héritiers de ma petite fortune (si l'on peut dire ainsi). Partagez-là honnêtement, entendez-vous, et aidez-vous mutuellement. Ce que vous m'avez fait de mal, vous le savez, vous est depuis longtemps pardonné. Toi, cher frère Carl, je te remercie en particulier de l'attachement que tu m'as prouvé ces derniers temps. Mon voeux est que vous ayez une vie meilleure que la mienne, exempte de soucis. Recommandez la vertu à vos enfants, elle seule, et non l'argent, peut les rendre heureux. J'en parle par expérience, c'est elle qui m'a soutenu, même dans le malheur, c'est à elle ainsi qu'à mon art que je dois de n'avoir pas mis fin à mes jours par un suicide. Adieu, aimez-vous ! Je remercie tous mes amis, en particulier le prince Lichnowski et le professeur Schmidt. Je désirerais que les instruments du prince L. soient gardés chez l'un de vous deux, mais qu'aucune dispute ne s'élève entre vous à cause d'eux. Dès qu'ils pourront vous être d'un plus grand profit, vendez-les.
Combien je serai heureux, si même sous la tombe, je puis vous être encore utile. Alors, ce serait fini, joyeux, je cours à la rencontre de la mort. Si elle vient avant que je n'aie eu l'occasion de développer toutes mes capacités artistiques, elle viendra trop tôt, malgré mon triste sort et, j'aimerais bien qu'elle vienne plus tard. Mais alors je serai aussi content ; ne me libérera-t-elle pas d'un état de souffrances sans fin ? Viens quand tu voudras, je vais à ta rencontre avec courage. Adieu, ne m'oubliez pas après ma mort, je ne l'ai pas mérité ayant dans ma vie souvent pensé à vous rendre heureux, soyez-le.

Heiglnstadt, le 6 octobre 1802    

Ludwig Van Beethoven

Extrait du testament
Partager cet article
Repost0
17 janvier 2007 3 17 /01 /janvier /2007 08:01
Gottfried Leibniz (1640-1716)


Présentation de Gottfried Leibniz, ici.
Voici le tout premier texte sur l'économie écrit par Leibniz, en 1671. L'académie royale des Sciences, organisée par Colbert, s'inspira de cette conception de "société".
Ce texte appartient à l'école de l'économie physique, selon laquelle la richesse des nations découle du développement des forces productives et non pas de l'échange des valeurs (genre Adam Smith). On y met l'accent sur le développement des capacités cognitives du citoyen et sur le rôle que peut jouer l'Etat dans ce processus. Cette école montre combien le développement de la science et des techniques, l'investissement dans l'éducation et l'infrastructure, permet de produire non pas de simples biens échangeables mais de développer des forces productives qui assurent la richesse ultérieure des nations.
Dans cette école de l'économie physique, nous pouvons inclure Colbert, Alexander Hamilton, les frères Carey, Friedrich List, Abraham Lincoln, Franklin Roosevelt (New-Deal) et la période de reconstruction des "trente glorieuses".
A l'heure où l'économie financière mondiale n'est plus capable d'assurer un véritable développement des pays, il est bon de se replonger dans ces écrits fondamentaux. Il y aura d'autres articles sur ce thème.

Source: la regrettée revue Fusion


" En faisant en sorte que les biens manufacturés soient produits localement plutôt qu'importés, le monopole est évité puisque notre Société est toujours encline à fournir les produits à leur juste prix, ou même dans beaucoup de cas à meilleur marché. Elle écartera particulièrement la formation de tout monopole de marchands ou corporation d'artisans et évitera l'accumulation excessive de la richesse par les marchands ou l'appauvrissement excessif des artisans - ce qui est particulièrement le cas en Hollande, où la majorité des marchands mène grand train alors que les artisans sont maintenus dans une continuelle pauvreté et soumis à un dur labeur. Ceci est nuisible à la République puisque même Aristote reconnaît que l'artisanat doit être une des activités les mieux rémunérées. «Nam Mercatura transfert tantum, Manufactura gignit» (car le marché ne peut offrir que ce que les manufactures produisent).

Et, en effet, pourquoi tant de personnes devraient-elles se trouver dans la pauvreté et la misère pour le profit d'une si petite poignée d'individus? Le fermier ne vit pas dans le besoin puisque son pain est garanti, et le marchand possède plus qu'il n'en faut.
Le restant de la population se retrouve soit sans ressources soit au service du gouvernement (État). La Société peut identiquement satisfaire tous les besoins du fermier, pourvu qu'elle lui achète toujours ses denrées à un prix suffisamment juste, qu'il soit bas ou élevé. Nous pouvons ainsi nous prévenir pour toute l'éternité des pénuries alimentaires d'origine naturelle puisque la Société peut constituer une réserve générale de céréales.
Avec l'établissement d'une telle Société, nous éliminons une source de régression profondément ancrée dans beaucoup de nos républiques, consistant à permettre à tout un chacun de subvenir à ses besoins comme bon lui semble, de devenir riche aux dépens d'une centaine d'autres, ou de faire faillite, entrainant dans sa chute la centaine de personnes qui s'était placée sous sa responsabilité. Rien n'empêche un individu de ruiner sa propre famille, comme rien ne l'empêche de dilapider son propre fonds ou celui d'autrui.
Objection: Est-ce que l'argent devrait être investi dans d'autres pays? En aucune façon. Chaque pays devra, au contraire, se doter des capacités lui permettant de produire ces biens nécessaires et produits manufacturés qui, auparavant, venaient de l'étranger, afin qu'il ne doive pas se procurer chez d'autres ce qu'il peut produire lui-même; chaque pays se verra indiqué comment adéquatement exploiter ses propres ressources. Dans un pays qui possède suffisamment de laine, on devra installer des manufactures pour la préparation du tissu; un pays ayant abondance de lin occupera sa population à la production de vêtements; et ainsi de suite. Ainsi, aucun pays parmi ceux qui offrent le degré adéquat de liberté à la Société, ne sera favorisé par rapport à un autre; plutôt, chacun se verra prospérer dans les secteurs où Dieu et la Nature lui auront permis d'exceller.
Les manufactures devront ainsi toujours être installées au point d'origine des produits; alors que le commerce, en accord avec la nature, sera situé le long des rivières et des océans - un arrangement qui ne se trouve brisé (les manufactures se retrouvant près de centres de commerce, loin des matières premières) que lorsque la nécessaire Société et la cohésion font défaut en plusieurs endroits, particulièrement là où il n'y a pas de républiques.
Une grande source de régression de beaucoup de républiques et pays est que beaucoup de régions ont plus d'étudiants (sans mentionner les sans emplois) qu'ils n'ont d'artisans. Or cette Société peut offrir une activité pour tous, et elle a besoin de ses étudiants pour leurs continuelles conférences et joyeuses découvertes. Cette Société peut laisser à d'autres le soin de subvenir aux infortunés - par exemple, de pourvoir à la détention des criminels, ce qui est d'un grand bénéfice pour la république.
On pourrait objecter que les artisans ne travaillent aujourd'hui que par nécessité; si demain tous leurs besoins étaient satisfaits, ils ne devraient plus travailler du tout.
Je maintiens, cependant, le contraire, (à savoir) qu'ils seraient heureux de produire au-delà de ce qu'ils font maintenant par simple nécessité. Car si un homme n'est pas avant tout assuré de sa subsistance, il n'a ni le coeur ni l'esprit pour quoi que ce soit, il produit seulement ce qu'il espère vendre (ce qui n'est pas une bien grande quantité, en raison de son faible nombre de clients), se préoccupe de banalités et n'a pas le coeur à entreprendre quoi que ce soit de grand et de nouveau. Il gagne donc peu, s'adonne souvent à la boisson pour tromper son propre désespoir et noyer sa tristesse, et est tourmenté par la malice de ses ouvriers. Mais là tout sera différent: chacun sera heureux de travailler parce qu'il saura ce qu'il a à faire. Jamais il ne se retrouvera involontairement sans travail, comme il l'est actuellement, puisque personne ne travaillera pour lui-même, mais plutôt en coopération; et si l'un possède trop et l'autre pas assez, alors le premier donnera au second. De l'autre côté, aucun artisan ne sera subitement obligé - comme c'est actuellement parfois le cas - de se tourmenter et de tourmenter es hommes par un labeur exagéré,  puisque la quantité de travail sera toujours maintenue plus ou moins constante. Les ouvriers travailleront ensemble, faisant à lui mieux mieux leur ouvrage dans la joie commune du travail bien fait, et les maîtres prendront soin eux-mêmes du travail qui nécessite plus de connaissances. Aucun maître ne sera contrarié par le fait qu'un ouvrier intelligent puisse désirer devenir maître lui-même, car en quoi cela pourrait lui nuire? Le logement, l'alimentation et les besoins de l'ouvrier seront pris gratuiment en charge pour tous les travailleurs. Aucun maître ne devra s'inquiéter de comment pourvoir aux besoins de ses enfants et les bien marier. L'éducation de ses enfants sera prise en charge par la Société; les parents seront soulagés de la tâche d'éduquer leurs propres enfants: tous les enfants, lorsqu'ils sont jeunes, seront systématiquement élevés par des femmes dans des établissements publics. Une attention scrupuleuse sera portée à ce qu'ils ne soient pas trop entassés les uns sur les autres, qu'ils soient tenus propres, et qu'aucune maladie ne prenne naissance. Qui pourrait vivre d'une manière plus heureuse que celle-là? Les artisans travailleront ensemble avec joie dans les grandes salles de l'entreprise, chantant et conversant, à l'exception de ceux dont le travail requiert plus de concentration.
Le gros du travail sera accompli le matin. Tous les efforts seront faits pour fournir des plaisirs autres que ceux de la boisson - par exemple, des discussions à propos du métier et le récit de toutes sortes d'histoires drôles, au moyen desquelles ils devront pouvoir trouver de quoi rassasier leur soif, comme le fait l'« acida ». II n'est de plus grand plaisir pour un homme sensé, ou pour tout homme s'y accoutumant, que de se trouver dans une assemblée où des choses agréables et utiles sont discutées et donc tout groupe, y compris les artisans, devrait avoir quelqu'un qui prenne note des remarques utiles qui pourraient être faites. Mais la plus haute règle de la Société sera d'encourager l'amour véritable et la confiance parmi ses membres, et de n'exprimer rien d'irritant, de méprisant ou d'insultant à autrui. En effet, même les chefs d'Etat devraient éviter toute insulte blessante, sauf dans le cas où rien d'autre n'est efficace, puisqu'un tel comportement empêche la confiance de s'établir. Aucun homme ne sera tourné en ridicule pour avoir commis une erreur, même si elle est grave; au contraire, il devrait être réprimandé d'une manière fraternelle et, en même temps, puni immédiatement et justement. La punition consistera en un plus grand et plus lourd travail, le maître se voyant attribuer un travail d'ouvrier, et l'ouvrier celui d'un apprenti.
Les vertus morales seront propagées à l'extrême et, autant que possible, selon le principe "Octavii Pisani per gardus" (selon Octavius Pisa, par degrés successifs). S'il est constaté que deux personnes ne peuvent pas résoudre leur différent, elles seront séparées. Les mensonges seront également punis. "Sed haec non omnia statim initio publicanda" (que ceci soit publié comme une introduction, même si elle est incomplète) ".

Partager cet article
Repost0
24 novembre 2006 5 24 /11 /novembre /2006 08:47
Friedrich Schiller (1759-1805)

Voici un extrait des Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, livre écrit par Friedrich Schiller (qui est Schiller? cliquez ici). Cet ouvrage compte vingt-sept lettres, voici la deuxième.
Dans cette lettre, Schiller nous demande s'il n'est pas inopportun de s'occuper d'esthétique à un moment où les circonstances (l'après révolution et la terreur) invitent le philosophe à résoudre le problème de la liberté politique. Il remarque aussi que son siècle est plus préoccupé par le besoin et l'utilité que par l'art. Hors, Schiller choisit de traiter la question de la beauté car il estime que c'est par l'esthétique
que le problème politique sera résolu. C'est par la beauté que l'homme sera conduit à la liberté. Et aujourd'hui?
Cet ouvrage est disponible aux éditions Aubier.


Deuxième lettre

Mais ne serait-il pas possible de faire de la liberté que vous m'accordez un meilleur usage que d'attirer votre attention sur le domaine des Beaux-Arts? N'est-il pas à tout le moins inopportun de songer à constituer un Code pour le monde esthétique à un moment où les questions du monde moral offrent un intérêt beaucoup plus immédiat, et où l'esprit d'investigation philosophique est si instamment requis par les circonstances actuelles de se consacrer à la plus parfaite de toutes les oeuvres de l'art, à l'édification d'une vraie liberté politique?


Je n'aimerais pas vivre à une autre époque ni avoir travaillé pour un autre siècle. On est citoyen de son temps- comme on est citoyen d'un État; et si l'on trouve inconvenant, illicite même de ne pas se conformer aux moeurs et aux habitudes du milieu dans lequel on vit, pourquoi aurait-on moins le devoir, au moment où l'on se dispose à choisir une activité, de prêter l'oreille aux besoins et aux goûts de son siècle?

Or la voix de celui-ci ne paraît nullement s'élever en faveur de l'art; à tout le moins ne se fait-elle pas entendre en faveur de celui auquel mes recherches vont exclusivement s'appliquer. Le cours des événements a donné à l'esprit du temps une orientation qui menace de l'éloigner toujours plus de l'art idéaliste. Ce dernier a pour devoir de se détacher de la réalité et de se hausser avec une convenable audace au-dessus du besoin; car l'art est fils de la liberté et il veut que sa règle lui soit prescrite par la nécessité inhérente aux esprits, non par les besoins de la matière. Or maintenant c'est le besoin qui règne en maître et qui courbe l'humanité déchue sous son joug tyrannique. L'utilité est la grande idole de l'époque; elle demande que toutes les forces lui soient asservies et que tous les talents lui rendent hommage. Sur cette balance grossière le mérite spirituel de l'art est sans poids; privé de tout encouragement, celui-ci se retire de la kermesse bruyante du siècle. L'esprit d'investigation philosophique lui-même arrache à l'imagination province après province, et les frontières de l'art se rétrécissent à mesure que la science élargit ses limites.

Le philosophe et l'homme du monde sont dans l'attente. Ils ont les yeux fixés sur le théâtre des événements politiques où le grandiose destin de l'humanité est, croit-on, en train d'être débattu. N'est-ce pas trahir une indifférence blâmable à l'égard du bien de la société que de ne pas participer à cette conversation générale? Par son contenu et par ses conséquences cet important procès regarde quiconque revendique le nom d'homme; et par la méthode, il doit intéresser quiconque est animé par une pensée personnelle. Une question à laquelle jusqu'à présent le droit aveugle du plus fort avait seul répondu, est en ce moment, à ce qu'il semble, portée devant le tribunal de la pure Raison; pour peu que l'individu soit capable de se placer au centre de l'univers et de se hausser au niveau de l'espèce humaine, il a le droit de se considérer comme assesseur de ce tribunal raisonnable, où il est également partie en sa qualité d'homme et de citoyen du monde; le résultat le concerne. Ce n'est donc pas seulement son affaire individuelle qui va se décider dans cet important procès; on y prononcera en vertu de lois que, parce qu'il est un esprit raisonnable, il est lui-même capable et qu'il a le droit de dicter.

Combien attrayant ne devrait-il pas être pour moi d'aborder l'étude d'un pareil sujet et de le débattre avec un homme qui est un penseur plein d'esprit autant que caractère libéral et citoyen du monde, et d'en confier la solution à un coeur qui se consacre avec un bel enthousiasme au bien de l'humanité! Quelle agréable surprise ne devrais-je pas éprouver à me rencontrer dans le domaine des Idées avec votre esprit libre de préjugés, et à parvenir au même résultat que vous, en dépit de la différence des lieux où nous vivons et de la distance considérable que les circonstances du monde réel créent nécessairement! Si je résiste à cette séduisante tentation et si je fais passer la Beauté avant la liberté, je crois pouvoir non seulement excuser cette méthode par une inclination personnelle, mais encore la justifier par des principes. J'espère vous persuader que cette matière est beaucoup plus étrangère au goût du siècle qu'à ses besoins, et que même pour résoudre dans l'expérience le problème politique dont j'ai parlé, la voie à suivre est de considérer d'abord le problème esthétique; car c'est par la beauté que l'on s'achemine à la liberté. C'est là une démonstration qui ne peut pas être menée sans que je vous rappelle les principes que d'une manière générale la Raison prend pour guides quand elle édicte une législation politique.

Partager cet article
Repost0
19 novembre 2006 7 19 /11 /novembre /2006 11:56


Parce que Martin Luther King n'a pas fait "qu'un rêve", voici un extrait de la magnifique lettre de la geôle de birmingham, écrite en prison le 16 avril 1963.
Elle est disponible dans l'autobiographie De Luther King, aux éditions Bayard.


(...) Nous avons douloureusement appris que la liberté n'est jamais accordée de bon gré par l'oppresseur; elle doit être exigée par l'opprimé. Franchement, je ne me suis jamais engagé dans un mouvement d'action directe à un moment jugé «opportun», d'après le calendrier de ceux qui n'ont pas indûment subi les maux de la ségrégation.

Depuis des années, j'entends ce mot: «Attendez!». Il résonne à mon oreille, comme à celle de chaque Noir, avec une perçante familiarité.
Il nous faut constater avec l'un de nos éminents juristes que «justice trop tardive est déni de justice ».
Nous avons attendu pendant plus de trois cent quarante ans les droits constitutionnels dont nous a dotés notre Créateur. Les nations d'Asie et d'Afrique progressent vers l'indépendance politique à la vitesse d'un avion à réaction, et nous nous traînons encore à l'allure d'une voiture à cheval vers le droit de prendre une tasse de café au comptoir. Ceux qui n'ont jamais senti le dard brûlant de la ségrégation raciale ont beau jeu de dire: «Attendez!» Mais quand vous avez vu des populaces vicieuses lyncher à volonté vos pères et mères, noyer à plaisir vos frères et soeurs; quand vous avez vu des policiers pleins de haine maudire, frapper, brutaliser et même tuer vos frères et soeurs noirs en toute impunité; quand vous voyez la grande majorité de vos vingt millions de frères noirs étouffer dans la prison fétide de la pauvreté, au sein d'une société opulente; quand vous sentez votre langue se nouer et votre voix vous manquer pour tenter d'expliquer à votre petite fille de six ans pourquoi elle ne peut aller au parc d'attractions qui vient de faire l'objet d'une publicité à la télévision; quand vous voyez les larmes affluer dans ses petits yeux parce qu'un tel parc est fermé aux enfants de couleur; quand vous voyez les nuages déprimants d'un sentiment d'infériorité se former dans son petit ciel mental; quand vous la voyez commencer à oblitérer sa petite personnalité en sécrétant inconsciemment une amertume à l'égard des Blancs; quand vous devez inventer une explication pour votre petit garçon de cinq ans qui vous demande dans son langage pathétique et torturant: «Papa, pourquoi les Blancs sont si méchants avec ceux de couleur? »; quand, au cours de vos voyages, vous devez dormir nuit après nuit sur le siège inconfortable de votre voiture parce que aucun motel ne vous acceptera; quand vous êtes humilié jour après jour par des pancartes narquoises: « Blancs », «Noirs»; quand votre prénom est «négro» et votre nom «mon garçon» (quel que soit votre âge) ou «John»; quand votre mère et votre femme ne sont jamais appelées respectueusement «madame»; quand vous êtes harcelé le jour et hanté la nuit par le fait que vous êtes un nègre, marchant toujours sur la pointe des pieds sans savoir ce qui va vous arriver l'instant d'après, accablé de peur à l'intérieur et de ressentiment à l'extérieur; quand vous combattez sans cesse le sentiment dévastateur de n'être personne; alors vous comprenez pourquoi nous trouvons si difficile d'attendre. Il vient un temps où la coupe est pleine et où les hommes ne supportent plus de se trouver plongés dans les abîmes du désespoir. J'espère, Messieurs, que vous pourrez comprendre notre légitime et inévitable impatience (...)

Vous exprimez une grande inquiétude à l'idée que nous sommes disposés à enfreindre la loi. Voilà certainement un souci légitime.
Comme nous avons si diligemment prôné l'obéissance à l'arrêt de la Cour suprême interdisant, en 1954, la ségrégation dans les écoles publiques, il peut sembler paradoxal, au premier abord, de nous voir enfreindre la loi en toute conscience. On pourrait fort bien nous demander: «Comment pouvez-vous recommander de violer certaines lois et d'en respecter certaines autres? » La réponse repose sur le fait qu'il existe deux catégories de lois: celles qui sont justes et celles qui sont injustes. Je suis le premier à prêcher l'obéissance aux lois justes. L'obéissance aux lois justes n'est pas seulement un devoir juridique, c'est aussi un devoir moral. Inversement, chacun est moralement tenu de désobéir aux lois injustes. J'abonderais dans le sens de saint Augustin pour qui «une loi injuste n'est pas une loi ».
Quelle est la différence entre les unes et les autres? Comment déterminer si une loi est juste ou injuste? Une loi juste est une prescription établie par l'homme en conformité avec la loi morale ou la loi de Dieu. Une loi injuste est une prescription qui ne se trouve pas en harmonie avec la loi morale. Pour le dire dans les termes qu'emploie saint Thomas d'Aquin, une loi injuste est une loi humaine qui ne plonge pas ses racines dans la loi naturelle et éternelle. Toute loi qui élève la personne humaine est juste. Toute loi qui la dégrade est injuste. Toute loi qui impose la ségrégation est injuste car la ségrégation déforme l'âme et endommage la personnalité. Elle donne à celui qui l'impose un fallacieux sentiment de supériorité et à celui qui la subit un fallacieux sentiment d'infériorité. Pour employer les termes de Martin Buber, le grand philosophe juif, la ségrégation substitue à la relation entre «moi et toi» une relation entre «moi et celui-là» qui finit par reléguer des personnes au rang de choses. Aussi la ségrégation n'est-elle pas seulement malsaine du point de vue politique, économique et sociologique, elle est également mauvaise du point de vue du péché. Paul Tillich a dit que le péché c'est la séparation. La ségrégation n'est-elle pas l'expression existentielle de la tragique séparation de l'homme, une expression de son épouvantable bannissement, de son terrible état de péché? Aussi puis-je pousser des hommes à respecter l'arrêt de la Cour suprême de 1954, car il est moralement juste, et d'enfreindre les ordonnances sur la ségrégation, car elles sont moralement mauvaises (...)

Nous ne pourrons jamais oublier que tous les agissements de Hitler en Allemagne étaient « légaux» et que tous les actes des combattants de la liberté en Hongrie étaient «illégaux ». Il était «illégal» d'aider et de réconforter un juif dans l'Allemagne de Hitler. Mais je suis sûr que si j'avais vécu en Allemagne à cette époque-là, j'aurais aidé et réconforté mes frères juifs même si c'était illégal. Si je vivais aujourd'hui dans un pays communiste où certains principes chers à la foi chrétienne sont abolis, je crois que je recommanderais ouvertement la désobéissance aux lois antireligieuses.
Je dois vous faire deux aveux sincères, mes frères chrétiens et juifs.
Tout d'abord je dois vous avouer que, ces dernières années, j'ai été gravement déçu par les Blancs modérés. J'en suis presque arrivé à la conclusion regrettable que le grand obstacle opposé aux Noirs en lutte pour leur liberté, ce n'est pas le membre du Conseil des citoyens blancs ni celui du Ku Klux Klan, mais le Blanc modéré qui est plus attaché à l'« ordre» qu'à la justice; qui préfère une paix négative issue d'une absence de tensions, à la paix positive issue d'une victoire de la justice; qui répète constamment: «Je suis d'accord avec vous sur les objectifs, mais je ne peux approuver vos méthodes d'action directe»; qui croit pouvoir fixer, en bon paternaliste, un calendrier pour la libération d'un autre homme; qui cultive le mythe du «temps-qui-travaille-pour-vous » et conseille constamment au Noir d'attendre «un moment plus opportun ». La compréhension superficielle des gens de bonne volonté est plus frustrante que l'incompréhension totale des gens mal intentionnés. Une acceptation tiède est plus irritante qu'un refus pur et simple (...)

Dans votre déclaration, vous affirmez que nos actions, bien que pacifiques, doivent être condamnées car elles précipitent la violence.
Mais peut-on procéder à une telle assertion en bonne logique? Cela ne revient-il pas à condamner la victime d'un vol sous prétexte qu'en ayant de l'argent elle a poussé le coupable à commettre un acte de malhonnêteté répréhensible? Cela ne revient-il pas à condamner Socrate sous prétexte que son inébranlable attachement à la vérité et ses réflexions philosophiques ont poussé une opinion publique dévoyée à lui faire boire la ciguë? Cela ne revient-il pas à condamner Jésus, sous prétexte que son souci sans pareil de Dieu et sa soumission incessante à la volonté de celui-ci ont précipité le geste pervers de ceux qui l'ont crucifïé? Comme les juges fédéraux l'ont sans cesse affirmé et comme nous devons l'admettre: il est immoral de demander à un individu qu'il renonce à s'efforcer d'obtenir ses droits constitutionnels fondamentaux sous prétexte que sa quête précipite la violence. La société doit protéger la victime et châtier le voleur.
J'avais également espéré que les Blancs modérés rejetteraient le mythe du «temps-qui-travaille-pour-vous ». J'ai reçu ce matin une lettre d'un de nos frères blancs au Texas. Il me dit: «Tous les chrétiens savent que les personnes de couleur obtiendront un jour l'égalité des droits, mais il est possible que votre hâte religieuse soit trop grande. Il a fallu près de deux mille ans à la chrétienté pour accomplir ce qu'elle a accompli. Il faut du temps pour que l'enseignement du Christ s'impose ici-bas.» Tout ce que dit mon correspondant résulte d'une conception tragiquement erronée de l'action du temps. Prétendre que le temps, à lui seul, guérira inéluctablement tous les maux, voilà une idée étrangement irrationnelle. En réalité, le temps est neutre; il peut être utilisé pour construire ou pour détruire. J'en suis venu à penser que les hommes de mauvaise volonté l'ont mis à profit bien plus efficacement que les hommes de bonne volonté. Notre génération ne doit pas se reprocher seulement les actes et les paroles au vitriol des méchants, mais aussi l'effrayant silence des justes. Nous devons admettre que le progrès de l'humanité ne roule jamais sur les roues de l'inéluctabilité. Il n'est amené que par les efforts inlassables et persistants des hommes qui ont la volonté de collaborer à l'oeuvre de Dieu. Sans ce dur labeur, le temps lui-même devient l'allié des forces de stagnation sociale. Il nous faut user du temps dans un esprit créateur et bien comprendre que le temps est toujours venu d'agir dans le bon sens. C'est maintenant qu'il faut honorer les promesses de la démocratie et transformer notre sempiternelle élégie nationale en un psaume à la fraternité. Le moment est venu de tirer notre politique nationale des sables mouvants de l'injustice raciale pour la hisser sur le roc solide de la dignité humaine.

Vous qualifiez d'extrémiste l'action que nous avons menée à Birmingham. Au début, j'étais assez déçu de voir certains de mes confrères pasteurs considérer notre effort de non-violence comme une initiative émanant de milieux extrémistes  (...)
Les opprimés ne peuvent demeurer dans l'oppression à jamais. Le moment vient toujours où ils proclament leur besoin de liberté. Et c'est ce qui se produit actuellement pour le Noir américain. Quelque chose, au-dedans de lui-même, lui a rappelé son droit naturel à la liberté et quelque chose en dehors de lui-même lui a rappelé que cette liberté, il pouvait la conquérir. Consciemment ou inconsciemment, il a été saisi par ce que les Allemands appellent le Zeitgeist et, avec ses frères noirs d'Afrique, ses frères bruns ou jaunes d'Asie, d'Amérique du Sud et des Antilles, il avance avec un sentiment d'urgence cosmique vers la Terre promise de la justice raciale. En observant cet élan vital qui s'est emparé de la communauté noire, chacun devrait aisément s'expliquer les manifestations qui ont lieu sur la voie publique. Il y a chez le Noir beaucoup de ressentiments accumulés et de frustrations latentes; il a bien besoin de leur donner libre cours. Qu'il manifeste donc; qu'il aille en pèlerinage prier devant l'hôtel de ville; qu'il se mue en « Voyageur de la Liberté» et qu'il comprenne pourquoi il doit le faire. S'il ne défoule pas, par des voies non violentes, ses émotions réprimées, celles-ci s'exprimeront par la violence; ce n'est pas une menace mais un fait historique. Je n'ai pas demandé à mon peuple: «Oublie tes sujets de mécontentement.» J'ai tenté de lui dire, tout au contraire, que son mécontentement était sain, normal, et qu'il pouvait être canalisé vers l'expression créatrice d'une action directe non violente. Cette attitude est dénoncée aujourd'hui comme extrémiste.
Je dois admettre que j'ai tout d'abord été déçu de la voir ainsi qualifiée. Mais en continuant de réfléchir à la question, j'ai progressivement ressenti une certaine satisfaction d'être considéré comme un extrémiste. Jésus n'était-il pas un extrémiste de l'amour - «Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous maltraitent »? Amos n'était-il pas un extrémiste de la justice - « Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable  »? Paul n'était-il pas un extrémiste de l'Évangile de Jésus Christ - «.Je porte en mon corps les marques de Jésus »? Martin Luther n'était-il pas un extrémiste - «Me voici, je ne peux faire autrement, et que Dieu me vienne en aide»? John Bunyan n'était-il pas un extrémiste - «Je resterai en prison jusqu'à la fin de mes jours plutôt que d'assassiner ma conscience  »? Abraham Lincoln n'était-il pas un extrémiste - «Notre nation ne peut survivre mi-libre, mi-esclave  »? Thomas Jefferson n'était-il pas un extrémiste - «Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes: tous les hommes ont été créés égaux  »? Aussi la question n'est-elle pas de savoir si nous voulons être des extrémistes, mais de savoir quelle sorte d'extrémistes nous voulons être. Serons-nous des extrémistes pour l'amour ou pour la haine? Serons-nous des extrémistes pour la préservation de l'injustice ou pour la cause de la justice? Au cours d'une scène dramatique, sur la colline du Calvaire, trois hommes ont été crucifiés.
Nous ne devons pas oublier que tous trois ont été crucifiés pour le même crime - le crime d'extrémisme. Deux d'entre eux étaient des extrémistes de l'immoralité et s'étaient ainsi rabaissés au-dessous de leur entourage. L'autre, Jésus Christ, était un extrémiste de l'amour, de la vérité et du bien, et s'était ainsi élevé au-dessus de son entourage (...)

Partager cet article
Repost0
29 octobre 2006 7 29 /10 /octobre /2006 10:51

Rembrandt, La Pièce aux cent florins


Corinthien 1-13


Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit.

Et quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien.

Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sers à rien.

L'amour est patient, il est plein de bonté ; l'amour n'est point envieux, l'amour ne se vante point, il ne s'enfle point d'orgueil,

Il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche point son intérêt, il ne s'irrite point, il ne soupçonne point le mal,

Il ne se réjouit point de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité ;

Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout.

L'amour ne périt jamais. Les prophéties seront abolies, les langues cesseront, la connaissance sera abolie.

Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie,

Mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera aboli.

Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant.

Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu.

Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance, l'amour ; mais la plus grande de ces choses, c'est l'amour.


Ici, l'amour doit être entendu dans le sens de l'Agapè (voir plus bas). A la fin de sa vie, Johannes Brahms (1833-1897) a mis en musique ce magnifique passage de la bible, dans "Les quatre chants sérieux" ("Vier ernste Gesänge"). Je vous conseille la version chantée par Fischer-Dieskau ou par Alexander Kipnis.


Le bon Samaritain, Rembrandt


Pour continuer sur le thème de l'Agapè, un extrait du discours de Martin luther king, "aimer vos ennemis":

(...) En dernière analyse, l'amour n'est pas cet élément sentimental dont nous parlons, cette simple émotion. L'amour est une bonne volonté créatrice, compréhensive à l'égard de tous. Il est le refus de dominer quiconque. Parvenu au niveau de l'amour, de sa beauté et de son pouvoir, vous ne cherchez plus qu'à combattre les mauvais systèmes. Quant aux individus, qui peut-être sont pris dans un tel système, vous les aimez, tout en cherchant à vaincre ce système.
Le grec, comme je l'ai souvent dit, est une langue très forte à ce sujet. Il nous aide magnifiquement en précisant le sens et la profondeur de toute la philosophie de l'amour. Et, à mes yeux, il est approprié et très intéressant, voyez-vous, que le grec possède trois mots pour désigner l'amour. Le premier terme est erôs, qui désigne une sorte d'amour esthétique auquel Platon consacre de longs développements dans ses dialogues, désir de l'âme pour le bien. Et il nous est parvenu comme une forme d'amour romantique, bien que très beau. Chacun l'a expérimenté dans toute sa beauté dans l'attraction qu'il ressent à l'égard d'un individu pour lequel il déborde d'amour. C'est que l'erôs, voyez-vous, est un amour puissant, magnifique, dont parle abondamment la littérature; nous en avons entendu parler.
Le grec emploie également le terme philia, qui désigne un autre type d'amour, très beau lui aussi. C'est une sorte d'affection intime entre des amis proches. Le genre d'amour que vous éprouvez pour vos amis, vos proches amis, ou les gens à qui vous téléphonez pour les inviter à dîner, votre camarade de chambrée au lycée, ce genre de choses. C'est une sorte d'amour réciproque. À ce niveau, vous appréciez quelqu'un qui vous apprécie, vous aimez quelqu'un qui vous le rend bien. À ce niveau, vous aimez parce qu'il y a quelque chose en l'autre qui vous paraît aimable. C'est un bel amour. Il permet la communication, d'avoir certaines choses en commun, de partager des activités. C'est philia.
Le grec emploie encore un autre mot, agapè. Agapè est plus qu'erôs et plus que philia; dans l'agapè il y a une bonne volonté pour tous les hommes, compréhensive, créatrice, rédemptrice. C'est un amour qui n'attend rien en retour. Un amour débordant, que les théologiens appelleraient l'amour de Dieu travaillant au coeur des hommes. Atteindre ce niveau permet d'aimer les hommes, non en raison de leur caractère aimable, mais parce que Dieu les aime. Voir tout homme et l'aimer parce que Dieu l'aime. Même si c'est la pire personne que vous ayez connue (...)

Sainte-Anne, De Vinci

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2006 3 18 /10 /octobre /2006 17:40

lecnrlalibrationPremière réunion du CNR le 27 mai 1943, rue du Four à Paris

De gauche à droite, au fond : Jacques Debû-Bridel (Fédération républicaine), Pierre Villon (FN), Robert Chambeiron (secrétaire), Pascal Copeau (Libération Sud), Jacques Lecompte-Boinet (CDLR), André Mutter (CDLL), Jean-Pierre Levy (Franc-Tireur), Pierre Meunier (secrétaire) ; sur le devant : Gaston Tessier (CFTC), Joseph Laniel (Alliance démocratique), Georges Bidault (président, démocrate-chrétien), Henri Ribière (Libération-Nord), Daniel Mayer (CAS), Paul Bastid (Parti radical), Auguste Gillot (PC), Louis Saillant (CGT).

 

 

Les membres du C.N.R., de 1943 à la Libération :

 

D’Astier de La Vigerie Emmanuel 1900-1969 Libération Sud

Avinin Antoine 1902-1962 Franc Tireur

Bastid Paul 1892- 1974 Parti Républicain Radical et Radical-socialiste


Bidault Georges 1889-1983 Parti Démocrate Populaire (PDP) et démocrates-chrétiens
Elu président du CNR après la disparition de Jean Moulin, Georges Bidault démissionne de la présidence du CNR le 9 septembre 1944.


Blocq-Mascart Maxime 1894-1965 Organisation Civile et Militaire.
Après avoir refusé dans un premier temps de siéger au CNR, il remplace Jacques Henri Simon et fait partie du bureau créé en décembre 1943

Bourdet Claude 1909-1996 Combat
Déporté, remplacé par Marcel Degliame.

Colin André 1910-1978 Parti Démocrate Populaire (PDP) et démocrates-chrétiens
Succède en 1943 à Georges Bidault comme représentant du courant démocrate chrétien lorsque ce dernier accède à la présidence du CNR.

Copeau Pascal 1908-1982 Libération Sud

Coquoin Roger 1897-1943 Ceux de la Libération (CDLL)
Fusillé, remplacé par André Mutter.

Debû-Bridel Jacques 1902-1993 Fédération Républicaine et républicains nationaux

Degliame Marcel 1912-1989 Combat

Frachon Benoît 1893-1975 CGT

Hervé Pierre 1913-1993 Libération sud
Il siège à partir de 1944 au CNR, suppléant de Pascal Copeau.

Laniel Joseph 1889-1975 Alliance Démocratique (AD)

Laurent Charles 1901-1989 Libération Nord
Membre de l’assemblée d’Alger, remplacé par Henri Ribière.

Lecompte-Boinet Jacques 1905-1974 Ceux de la Résistance CDLR

Le Troquer André 1883-1963 Parti Socialiste SFIO.
Membre de l’assemblée d’Alger, remplacé par Daniel Mayer.

Lévy Jean-Pierre 1911-1996 Franc Tireur
Il représente son mouvement au CNR après la Libération..

Mayer Daniel 1909-1996 Parti Socialiste SFIO

Mercier André 1901-1970 Parti Communiste Français (PCF)
Membre de l’assemblée d’Alger, remplacé par Auguste Gillot

Moulin Jean 1899-1943 Président du CNR.

Mutter André 1901-1973 Ceux de la Libération.

Petit «Claudius » Eugène 1907-1989 Franc Tireur.

Ribière Henri 1897-1956 Libération Nord.

Rucart Marc 1893-1964 Parti Républicain Radical et Radical-socialiste
membre de l’assemblée d’Alger remplacé par Paul Bastid.

Saillant Louis 1910-1974 Confédération Générale du Travail (CGT)
Louis Saillant remplace Georges Bidault à la présidence du CNR

Simon Jacques-Henri 1909-1944 Organisation Civile et Militaire (OCM)
Déporté, remplacé par Maxime Blocq-Masquart.

Tessier Gaston 1887-1960 Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC)
Biographie dictionnaire historique de la Résistance.

Villon Pierre 1901-1981 Front National de Lutte pour la Libération et l'Indépendance de la France.

 

Le secrétariat du CNR :

 

Secrétaire général du CNR : Pierre Meunier (1908-1996)

Secrétaire général adjoint : Robert Chambeiron né en 1915.
Aujourd’hui membre de la direction nationale de l’ANACR.


 

Le programme du Conseil National de la Résistance :

 

Les Jours Heureux

 

 

Travaux du Conseil National de la Résistance :

 

La Haute Trahison des Trusts, été 1943, 1ère partie

La Haute Trahison des Trusts, été 1943, 2nde partie

La Haute Trahison des Trusts, été 1943, 3ème partie

 

"Pourquoi je suis républicain", Marc Bloch,  

dans le billet "Identité Nationale" de ce blog

 

 

Articles de ce blog citant le Conseil National de la Résistance :

 

Conseil National de la Resistance : reprendre le flambeau

Qui veut la mort du Conseil National de la Résistance ?

Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei  

Sicherungsverwahrung : anecdotique ou systémique ?  

Monsieur le député Georges Fenech et le Sicherungsverwahrung

Partager cet article
Repost0
9 octobre 2006 1 09 /10 /octobre /2006 21:11
Moïse Mendelssohn (1729-1786), surnomé le "troisième Moïse" (après Moïse le legislateur et Moïse Maïmonide) est un philosophe allemand de tout premier ordre. Admirateur de Leibniz, admiré de Lessing et inspirateur de Schiller, il fait partie de cette belle tradition classique humaniste allemande un peu oubliée aujourd'hui.
Dans le domaine de la philosophie religieuse, Mendelssohn a écrit  "de l’évidence en métaphysique " (1763), "Phédon ou l’immortalité de l’âme" (1767), "Matinées"(1785) et "Jerusalem" (1783).
Cet extrait, tiré du phédon ou entretiens sur l'immortalité de l'âme, s'inspire du célèbre dialogue du même nom écrit par Platon. Ce sont les derniers entretiens de Socrate avec ses disciples alors qu’il est condamné à mort par la justice d’Athènes. Ces trois entretiens portent sur le concept de l’immortalité de l’âme.
Mendelssohn fut surnomé, après l'immense succès de cette oeuvre, "le socrate de Berlin".

"Ma véritable félicité consiste dans la beauté et la perfection de mon âme. Sobriété, justice, liberté, amour, bienveillance, connaissance de Dieu, avancement dans ses vues et soumission à sa sainte volonté, telles sont les félicités qui m'attendent, et je n'ai pas besoin d'en savoir davantage pour entreprendre avec assurance la route qui m'y conduit" (les derniers mots de socrate dans le phédon de Mendelssohn).


Phédon, extraits

"(...) C'est ainsi que l'homme acquiert insensiblement toutes les vertus sociales. Ces vertus le rendent sensible aux charmes de l'amitié, intrépide dans le péril, infatigable  dans la recherche de la vérité, et répandent une alternative de gravité et d'enjouement, de mélancolie et de joie sur toute la vie humaine: délices qui surpassent en douceur toutes les voluptés dont on pourrait jouir dans la retraite. Et voilà pourquoi la possession de tous les biens de la terre, la jouissance des plaisirs les plus exquis nous flatteraient peu, s'il fallait que nous les possédasions dans la solitude, et qu'il nous fût impossible de pouvoir les faire partager; et c'est encore pourquoi les objets les plus sublimes de la nature ne font pas sur l'homme une impression aussi agréable que la présence d'un de ses semblables.

(...) Mais nous avons de bonnes raisons d’assumer que cette poursuite continuelle de la perfection, cet accroissement, cette croissance de l’excellence intérieure est réellement le destin d’êtres de raison, de même que l’objectif final le plus élevé de la Création. Nous pouvons dire que le vaste système cosmique incommensurable a été créé pour qu’il y ait des êtres doués de raison qui progressent, étape par étape, se perfectionnent et trouvent dans cet accroissement leur bonheur.

Qu’ils restent immobiles au milieu du chemin ou, plus encore, qu’ils soient soudainement précipités dans l’abîme et que tous les fruits de leurs efforts soient perdus, il n’est pas possible que l’Etre suprême s’en réjouisse ou qu’Il l’ait intégré dans son projet d’univers qu’Il a trouvé si bon.

En tant qu’êtres simples, ils sont éternels, leur perfectionnement est continuel et a des conséquences illimitées ; en tant qu’êtres de raison, ils aspirent à une croissance sans fin et à un plus grand perfectionnement. En tant qu’objectif final de la Création, on ne peut leur imposer d’autre but et on ne peut les gêner intentionnellement dans la recherche ou la possession du perfectionnement.
Le but de la Création dure aussi longtemps que la création elle-même, les admirateurs des perfections divines aussi longtemps que l’oeuvre dans laquelle ces perfections sont visibles."



Partager cet article
Repost0
6 octobre 2006 5 06 /10 /octobre /2006 10:13
"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait"

Partager cet article
Repost0
25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 07:48
Un extrait de la prédication "Rester éveillé au sein d'une révolution", prononcée en mars 1968 par Martin Luther King. Et maintenant, sommes-nous éveillés?


(...) Je suis sûr que la plupart d'entre vous avez lu cette petite histoire saisissante due à la plume de Washington Irving et intitulée Rip Van Winkle. Un élément dont on se souvient habituellement à ce sujet, c'est que Rip Van Winkle dormit vingt ans. Mais il y a un autre point dans cette petite histoire qui passe presque totalement inaperçu. C'est l'enseigne, à la fin, à partir de laquelle Rip gravit la montagne pour son long sommeil.
Lorsque Rip Van Winkle gravit les montagnes, l'enseigne était un portrait du roi georges III d'angleterre. Quand il redescendit vingt ans plus tard, l'enseigne était un portrait de George Washington, premier président des Etats-unis. Et, le regardant, il fut surpris et complètement perdu. Il ne savait pas qui c'était.
Et cela nous révèle que l'élément le plus intéressant de l'histoire de Rip Van Winkle ne tient pas à son sommeil de vingt ans, mais au fait qu'il a dormi pendant une révolution. Pendant qu'il ronflait paisiblement dans la montagne, se déroulait une révolution qui allait changer le cours de l'histoire - et Rip Van Winkle n'en savait rien. Il s'était endormi. Oui, il dormit comme une souche pendant une révolution. Et l'une des grandes responsabilité de l'existence tient au fait que trop de gens vivent des périodes de grand changement sociaux sans parvenir à développer de nouvelles attitudes, à réfléchir et à offrir de nouvelles réponses exigées par des situations inédites. Ils finissent par s'endormir au milieu d'une révolution (...)

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 10:39
shelleyengrave.jpg
Peut-être un début de réponse à la fameuse question "qu'est-ce que l'art?", soulevée dans l'article sur la Dame de Brassempouy. A lire aussi cet article sur l'art et la beauté (ici).

Percy Bysshe Shelley (1792-1822), grand poète anglais, a écrit Défense de la poésie en 1821 (il avait 29 ans) pour répondre à une polémique sur le rôle de l'art. L'art est-il utile? Est-il nécessaire au bon fonctionnement de la société? A quoi sert l'art?
Dans cet essai, Shelley fait souvent référence à certains poètes ou textes qu'il considère comme majeurs et incontournables: le livre de Job, Homère, Platon, Eschyle, les évangiles du nouveau testament, Boccace, Dante, Milton, Shakespeare...
A lire aussi ce poème de Shelley (ici).
Voici donc quelques extraits de ce magnifique essai de 45 pages, disponible aux éditions La Délirante.


Défense de la poésie, extraits

(...)Dans la jeunesse du monde, les hommes dansent et chantent, et imitent les objets naturels, en observant dans ces actions, comme dans toutes les autres, un certain rythme ou ordre(...)Dans l'enfance de la société, tout auteur est nécessairement poète, parce que le langage est lui-même poésie; et être poète, c'est percevoir le vrai et le beau, en un mot, le bien qui existe dans la relation établie, premièrement entre existence et perception, et deuxièmement, entre perception et expression. Toute langue primitive près de sa source est en elle-même le chaos d'un poème cyclique(...)
Mais les poètes, ou ceux qui imaginent et expriment cet ordre indestructible, ne sont pas seulement les auteurs de la langue et de la musique, de la danse et de l'architecture, de la statuaire et de la peinture: ils sont aussi les créateurs des lois et les fondateurs de la société civile, les inventeurs des arts de la vie et les maîtres qui rapprochent quelque peu du beau et du bien cette appréhension partielle des lois du monde invisible qu'on appelle religion(...)Car non seulement le poète voit intensément le présent tel qu'il est, et découvre les lois selon lesquelles les choses présentes devraient être ordonnées, mais il voit également l'avenir dans le présent, et ses pensées sont les germes de la fleur et du fruit des temps derniers(...)
Un poème est l'image même de la vie exprimée dans sa vérité éternelle(..)Le temps, qui détruit la beauté et l'utilité de l'histoire des faits particuliers, dépouillés de la poésie qui devrait les habiter, accroît celles de la poésie, et ne cesse de développer de nouvelles et merveilleuses applications de la vérité éternelle qu'elle contient(...)Une histoire des faits particuliers est comme un miroir qui obscurcit et déforme ce qui devrait être beau; la poésie est un miroir qui embellit ce qui est déformé(...)
La poésie éveille et élargit l'esprit lui-même en en faisant le siège de mille combinaisons nouvelles de pensées. La poésie soulève le voile de la beauté cachée du monde, et fait que les objets familiers semblent n'être plus familiers; elle recrée tout ce qu'elle représente, et les personnifications vêtues de sa lumière élyséenne s'impriment à tout jamais dans l'esprit de ceux qui les ont une fois contemplées, comme des images de cet aimable et chaleureux contentement qui s'étend à toutes les pensées, et à toutes les actions avec lesquelles il coexiste. Le grand secret de la morale est l'amour, cette saillie hors de nous-même, et notre identification à la beauté d'une pensée, d'une action, ou d'une personne qui n'est pas nous. Pour être vraiment bon, un homme doit imaginer avec force et étendue; il doit se mettre à la place d'un autre, et de bien d'autres; les peines et les plaisirs de ses semblables doivent devenir les siens. Le grand instrument du bien moral est l'imagination; et la poésie concourt à l'effet en agissant sur la cause. La poésie élargit le cercle de l'imagination et la nourrit de pensées, fertiles en joies nouvelles, qui ont le pouvoir d'attirer et d'assimiler dans leur essence propre toutes les autres pensées, et constituent de nouveaux intervalles ou interstices, dont le vide appellera toujours de nouvelles nourritures(...)
Toute haute poésie est infinie; elle est comme le premier gland qui contenait en puissance tous les chênes. Voile après voile pourraient être levés, sans jamais mettre à nu la beauté plus secrète de ce qu'elle veut dire. Un grand poème est une fontaine débordant à jamais de sagesse et d'enchantement(...)
Nous avons plus de sagesse morale, politique et historique, que nous ne savons en mettre en pratique; de connaissances scientifiques et économiques, que nous ne pouvons en appliquer à la juste distribution du produit qu'elles multiplient. La poésie, dans ces systèmes de pensée, est masquée par l'accumulation des faits et des calculs. Nous n'ignorons rien de ce qui est le plus sage et meilleur en fait de morale, de gouvernement et d'économie politique, ou, tout au moins, de ce qui est plus sage et meilleur que ce que les hommes pratiquent et endurent aujourd'hui. Mais nous laissons "je n'ose pas suivre je voudrais bien, comme le pauvre chat de l'adage." Il nous manque la faculté créatrice pour imaginer ce que nous savons; il nous manque l'élan de générosité pour réaliser ce que nous imaginons; il nous manque la poésie de la vie: nos calculs ont dépassé la conception; nous avons mangé plus que nous ne pouvons digérer(...)
La fonction poétique est double: d'une part, elle crée de nouveaux matériaux de connaissance, d'énergie et de plaisir; de l'autre, elle fait naître dans l'esprit un désir de les reproduire et de les agencer selon un certain rythme et un certain ordre, que l'on peut appeler le beau et le bien. La culture de la poésie n'est jamais plus désirable qu'aux époques pendant lesquelles, par suite d'excès d'égoïsme et de calcul, l'accumulation des matériaux de la vie extérieure dépasse le pouvoir que nous avons de les assimiler aux lois intérieures de la nature humaine. Ainsi le corps devient-il trop pesant pour l'esprit qui l'anime.
La poésie est en effet une chose divine. Elle est tout à la fois le centre et la circonférence du savoir; elle englobe toute science, et toute science doit se reporter à elle. Elle est en même temps la racine et la fleur de tout autre système de pensée; elle est la source de toute chose, et ce qui embellit tout; et si elle est flétrie, elle ne donne plus ni semence ni fruit, et refuse au monde stérile sa sève et les greffons successifs de l'arbre de vie. Elle est la forme et la fleur parfaites et accomplies de toute chose, elle est ce que l'odeur et la couleur de la rose sont à la texture des éléments qui la composent, ce que la forme et la splendeur de la beauté  épanouie sont aux secrets de l'anatomie et de la corruption. Que seraient la vertu, l'amour, le patriotisme, l'amitié -que serait le spectacle de ce bel univers dans lequel nous vivons; que seraient nos consolations de ce côté de la tombe- et nos aspirations de l'autre, si la poésie ne s'élevait pour nous porter lumière et feu de ces régions éternelles où le calcul aux ailes de hibou n'ose jamais mener son vol?(...)
Les poètes peuvent également imprégner tout ce qu'ils composent des nuances fugitives de ce monde éthéré; un mot, un trait dans la représentation d'un paysage ou d'une passion, touchera la corde enchantée et ranimera, chez ceux qui ont déjà éprouvé ces émotions, l'image endormie, froide et ensevelie du passé. Ainsi la poésie rend immortel tout ce qu'il y a de meilleur et de plus beau dans le monde: elle retient les apparitions fugitives qui hantent les nuits sans lune de la vie, et, les voilant de langage ou de forme, les envoie à travers l'humanité, porter les douces nouvelles d'une joie semblable à ceux dont les pensées restent obscures, parce qu'elles ne trouvent pas les portes de l'expression pour s'échapper, des cavernes de l'esprit qu'elles habitent, dans l'univers des choses. La poésie sauve du déclin les visitations de la divinité dans l'homme.
La poésie transforme toute chose en beauté; elle exalte la beauté de ce qu'il y a de plus beau, et en ajoute à ce qu'il y a de plus déformé; elle marie l'allégresse et l'horreur, la douleur et le plaisir, l'éternité et le changement; elle tient unies, sous son joug aérien, toutes les choses inconciliables. Elle transmue tout ce qu'elle touche, et toute forme qui passe dans le rayonnement de sa présence devient, par merveilleuse sympathie, une incarnation de l'esprit qu'elle exhale: son alchimie secrète transforme en élixir les eaux empoisonnées qui coulent de la mort dans la vie; elle arrache du monde le voile de la familiarité, et découvre la beauté nue et endormie qui est l'esprit des formes(...)
Le plus infaillible héraut, compagnon, partisan de l'éveil d'un grand peuple à l'accomplissement d'un changement bénéfique dans l'opinion ou les institutions, c'est la poésie. A de telles époques s'accumule le pouvoir de donner et de recevoir des conceptions intenses et exaltées touchant l'homme et la nature(...)Il est impossible de lire les oeuvres des écrivains les plus célèbres d'aujourd'hui sans être saisi par la vie électrique qui crépite dans leurs mots. Ils mesurent la circonférence, et sondent la profondeur de la nature humaine de leur esprit compréhensif et pénétrant, et peut-être sont-ils eux-mêmes les plus sincèrement surpris par ses manifestations; car c'est moins leur esprit que l'esprit de leur siècle. Les poètes sont les hiérophantes d'une inspiration imprévue; les miroirs des ombres gigantesques que l'avenir projette sur le présent; les mots qui expriment ce qu'ils ne comprennent pas; les trompettes qui sonnent la bataille et ne sentent pas ce qu'elles inspirent; l'influence qui n'est pas mue mais qui meut. Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde.

Partager cet article
Repost0