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3 janvier 2005 1 03 /01 /janvier /2005 00:24

LIVRE DEUXIEME: La théorie

 

Chapitre IX : L'industrie manufacturière et les forces instrumentales ou les capitaux matériels du pays

 

-----------------

 Friedrich ListFriedrich List

 


 

 

 

 

    La nation puise son énergie productive dans les forces morales et physiques des individus, dans ses institutions civiles et politiques, dans le fonds naturel placé à sa disposition, enfin dans les instruments qui se trouvent en son pouvoir, et qui sont eux-mêmes les produits matériels d’efforts antérieurs du corps et de l’esprit, c’est-à-dire dans le capital matériel agricole, manufacturier et commercial.

    Nous avons traité dans les deux chapitres précédents de l’influence des manufactures sur les trois premières de ces sources de la puissance productive du pays ; le présent chapitre et celui qui va suivre sont consacrés à l’influence qu’elles exercent sur la dernière.

    Ce que nous entendons par l’expression des forces instrumentales, l’école l’appelle capital.

    Il est indifférent qu’on se serve de tel ou tel mot pour désigner un objet, mais il importe beaucoup que le mot qu’on a choisi désigne toujours un seul et même objet et n’ait pas un sens tantôt plus tantôt moins étendu. Chaque fois qu’il est question des différentes espèces d’une même chose, une distinction devient nécessaire. Or l’école entend par le mot de capital non-seulement les moyens matériels, mais aussi tous les moyens intellectuels et sociaux de la production. Elle devrait donc partout où il est question du capital, indiquer s’il s’agit du capital matériel, des instruments matériels de la production, ou du capital intellectuel, des forces morales et physiques, soit qu’elles tiennent à la personne, soit que les individus les trouvent dans l’état civil et politique de la société.

    L’oubli de cette distinction, dans les cas où elle doit être faite, ne peut manquer de conduire à de faux raisonnements, ou de servir à les dissimuler. Comme, du reste, nous avons moins à coeur de créer une terminologie nouvelle que de révéler les erreurs commises à la faveur d’une terminologie insuffisante, nous conserverons le mot de capital ; mais nous distinguerons entre le capital intellectuel et le capital matériel, entre le capital matériel de l’agriculture, celui des manufactures et celui du commerce, entre le capital privé et le capital national.

    Adam Smith, à l’aide de cette expression vague de capital, dirige contre le système protecteur l’argument suivant, lequel a été adopté jusqu’à ce jour par tous ses disciples :

« A la vérité il peut se faire qu’à l’aide de ces sortes de règlements un pays acquière un genre particulier de manufacture plus tôt qu’il ne l’aurait acquis sans cela, et qu’au bout d’un certain temps ce genre de manufacture se fasse dans le pays à aussi bon marché ou à meilleur marché que chez l’étranger. Mais, quoiqu’il puisse ainsi arriver que l’on porte l’industrie nationale dans un canal particulier plus tôt qu’elle ne s’y serait portée d’elle-même, il ne s’ensuit nullement que la somme totale de l’industrie ou des revenus de la société puisse jamais recevoir aucune augmentation de ces sortes de règlements. L’industrie de la société ne peut augmenter qu’autant que son capital augmente, et ce capital ne peut augmenter qu’à proportion de ce qui peut être épargné sur les revenus de la société. Or, l’effet qu’opèrent immédiatement les règlements de cette espèce, c’est de diminuer le revenu de la société, et, à coup sûr, ce qui diminue son revenu n’augmentera pas son capital plus vite qu’il ne se serait augmenté de lui-même si l’on eût laissé le capital et l’industrie chercher l’un et l’autre leurs emplois naturels (1). »

À l’appui de cet argument, le fondateur de l’école cité l’exemple connu et déjà par nous réfuté de la folie qu’il y aurait à vouloir produire du vin en Écosse.

    Dans le même chapitre il dit que le revenu annuel de la société n’est autre chose que la valeur échangeable du produit annuel de l’industrie nationale.

    C’est là le principal argument de l’école contre le système protecteur. Elle accorde que, au moyen de mesures protectrices, des fabriques peuvent être établies et mises en état de produire des articles à aussi bas et même à plus bas prix que ceux qu’on tire de l’étranger ; mais elle soutient que l’effet immédiat de ces mesures est de diminuer les revenus de la société ou la valeur échangeable du produit annuel de l’industrie nationale. La société affaiblirait ainsi en elle la faculté d’acquérir des capitaux, car les capitaux ne peuvent être formés qu’au moyen des épargnes réalisées par la nation sur ses revenus annuels ; or, le développement de l’industrie nationale dépend de la quantité de ces capitaux, et c’est seulement dans la proportion de ceux-ci qu’elle peut grandir. La société affaiblit donc sa puissance industrielle, lorsque, par ces mesures, elle fait naître une industrie qui fût venue d’elle-même, si l’on eût laissé aux choses leur libre cours.

    Remarquons, en premier lieu, que, dans ce raisonnement, Adam Smith emploie le mot capital dans le même sens où les rentiers et les négociants ont l’habitude de le prendre pour leur tenue de livres et pour l’établissement de leur balance, à savoir comme le total de leurs valeurs échangeables en opposition aux revenus qu’ils en retirent.

    Il oublie que lui-même, dans sa définition du capital, comprend sous ce terme les facultés morales et physiques des producteurs (2).

    Il soutient à tort que les revenus d’une nation dépendent uniquement de la quantité de ses capitaux matériels. Son ouvrage prouve, en mille endroits, que ces revenus dépendent principalement de la masse des forces intellectuelles et corporelles de la nation, ainsi que de ses progrès sociaux et politiques, surtout de ceux qui résultent d’une division plus parfaite du travail et de l’association des forces productives du pays, et que, si des mesures de protection entraînent pour quelque temps un sacrifice de richesses matérielles, on en est dédommagé au centuple en forces productives, en moyens d’acquérir des valeurs échangeables, et que, par conséquent, ce sacrifice n’est qu’une dépense reproductive de la nation.

    Il oublie que le moyen pour une nation d’augmenter la masse de ses capitaux matériels consiste principalement dans la faculté de transformer les forces inemployées de la nature en un capital matériel, en instruments doués de valeur et productifs de revenus, et que, chez la nation purement agricole, une quantité considérable de forces naturelles, qui ne peuvent être vivifiées que par les manufactures, demeurent oisives ou mortes. Il ne se préoccupe pas de l’influence des manufactures sur le commerce extérieur et intérieur, sur la civilisation, sur la puissance de la nation, et sur le maintien de son indépendance, ni des facilités qui en résultent pour l’acquisition de la richesse matérielle.

    Il ne tient pas compte, par exemple, de la masse de capitaux que les Anglais ont acquise par leurs colonisations ; Martin en évalue le total à plus de deux milliards et demi de liv. st. (62 milliards 1/2 de francs.)

Lui, qui montre ailleurs avec tant de clarté que les capitaux employés dans le commerce intermédiaire ne doivent pas être considérés comme la propriété d’une nation en particulier, tant qu’ils n’ont pas élé, pour ainsi dire, incorporés dans son sol, ne prend pas garde que l’incorporation de ces capitaux ne peut mieux se réaliser que par la protection des manufactures indigènes.

    Il ne réfléchit pas que l’appât de cette protection attire dans le pays une quantité considérable de capitaux étrangers, intellectuels aussi bien que matériels.

    Il soutient à tort que ces manufactures auraient surgi d’elles-mêmes dans le cours naturel des choses, lorsqu’on voit dans chaque nation la puissance politique intervenir pour donner à ce cours naturel une direction artificielle dans son intérêt particulier.

    Cet argument, qui repose sur une équivoque et qui, par conséquent, est essentiellement vicieux, il l’a expliqué par un exemple tout aussi vicieux, quand, par la folie qu’il y aurait à vouloir produire artificiellement du vin en Écosse, il essaie de prouver qu’il serait insensé de créer artificiellement des manufactures.

    Il réduit l’oeuvre de la formation des capitaux dans la nation à l’opération d’un rentier, dont le revenu se règle d’après la valeur de ses capitaux matériels, et qui ne peut l’augmenter que par des épargnes qu’il ajoute à ces capitaux.

    Il ne réfléchit pas que cette théorie de l’épargne, bonne pour le comptoir d’un négociant, mènerait une nation à la pauvreté, à la barbarie, à l’impuissance, à la dissolution. Là où chacun épargne et se prive le plus qu’il peut, il n’y à point de stimulant à produire. Là où chacun ne pense qu’à l’accumulation de valeurs échangeables, la force intellectuelle que demande la production disparaît. Une nation composée de ces avares extravagants renoncerait à se défendre pour éviter les frais de la guerre ; quand tout son avoir serait devenu la proie de l’étranger, elle comprendrait que la richesse des nations s’acquiert tout autrement que celle des rentiers.

    Le rentier lui-même doit, comme père de famille, pratiquer une tout autre théorie que cette théorie de comptoir des valeurs matérielles échangeables que je viens d’exposer.

    Tout au moins est-il tenu de dépenser pour l’éducation de ses héritiers les valeurs échangeables nécessaires pour les mettre en état d’administrer les propriétés qu’il doit leur laisser.

    La formation des capitaux matériels pour la nation ne s’opère pas uniquement par l’épargne, comme pour le rentier (3) ; de même que celle des forces productives en général, elle résulte de l’action réciproque des capitaux intellectuels et matériels du pays, des capitaux de l’agriculture, de ceux des manufactures et de ceux du commerce les uns sur les autres.

    L’accroissement des capitaux matériels de la nation dépend de l’accroissement de ses capitaux intellectuels et réciproquement.

    La création des capitaux matériels de l’agriculture dépend de la création des capitaux matériels des manufactures et réciproquement.

    Les capitaux matériels du commerce apparaissent partout comme intermédiaires et comme auxiliaires entre les deux autres.

    Dans l’état primitif, chez les chasseurs et chez les pasteurs, la nature fournit presque tout ; le capital est à peu près nul. Le commerce extérieur accroît celui-ci ; mais par là même, en provoquant l’emploi d’armes à feu, de poudre, de plomb, il détruit entièrement la productivité de celle-là. La théorie de l’épargne ne saurait convenir au chasseur, il faut qu’il périsse ou qu’il devienne pasteur.

    Dans l’état pastoral, le capital matériel croit rapidement, mais seulement autant que la nature offre spontanément de la nourriture au bétail. Mais l’accroissement de la population suit de près celui du bétail et des moyens d’alimentation. D’une part, le bétail et les pâturages se distribuent en portions toujours plus petites, et de l’autre, le commerce étranger excite à la consommation. Inutilement essaierait-on de prêcher au peuple pasteur la théorie de l’épargne ; il faut qu’il tombe dans la misère ou qu’il passe à l’état d’agriculteur.

    Au peuple agriculteur s’ouvre, par l’emploi des forces mortes de la nature, un champ vaste, mais limité toutefois.

    Le cultivateur peut obtenir des denrées alimentaires pour ses besoins personnels et au de là, améliorer ses champs, augmenter son bétail ; mais l’accroissement des subsistances est partout suivi de l’accroissement de la population. Les capitaux matériels, et, notamment, le sol et le bétail, à mesure que le premier devient plus fertile et le second plus nombreux, se partagent entre un plus grand nombre d’individus. Mais comme la superficie des terres ne peut pas être étendue par le travail, que, faute de voies de communication, voies qui, ainsi que nous l’avons vu dans un chapitre précédent, ne peuvent être que fort imparfaites à cause du manque de commerce, que chaque terrain ne peut recevoir l’emploi qui lui convient le mieux, et qu’un peuple purement agriculteur manque en grande partie de ces instruments, de ces connaissances, de ces stimulants, de cette énergie et de cette culture sociale que donnent les manufactures et le commerce qui en est la suite ; le peuple purement agriculteur arrive bientôt à ce point où l’accroissement du capital matériel agricole ne peut plus marcher du même pas que l’accroissement de la population, et, par conséquent, où la pauvreté des individus s’accroit de jour en jour, bien que le capital collectif de la nation ne cesse de s’accroître.

    Dans un pareil état de choses, le produit le plus important de la nation consiste en hommes, qui, ne pouvant trouver dans le pays une existence suffisante, passent à l’étranger. Ce sera pour un tel pays une très-médiocre consolation de savoir que l’école considère l’homme comme un capital accumulé ; car l’exportation des hommes n’entraîne point de retour, mais un écoulement improductif de valeurs matérielles considérables sous la forme de meubles, de monnaies, etc.

    Il est évident que, dans un pareil état de choses, où la division nationale du travail n’est qu’imparfaitement développée, ni labeurs, ni épargnes ne peuvent accroître le capital matériel, ou enrichir matériellement les individus.

    Sans doute, un pays agricole est rarement dépourvu de tout commerce extérieur, et le commerce extérieur remplace, jusqu’à un certain point, les manufactures indigènes quant à l’accroissement du capital, en ce qu’il met les manufacturiers du dehors en relation avec les cultivateurs du dedans. Mais ces rapports sont partiels et très-insuffisants ; d’abord parce qu’ils ne portent que sur quelques produits spéciaux et ne s’étendent guère qu’au littoral de la mer et aux rives des fleuves navigables ; en second lieu parce qu’ils sont dans tous les cas très-irréguliers, et se trouvent fréquemment interrompus par la guerre, par les fluctuations du commerce, par les mesures de douane, par des récoltes abondantes ou par des importations d’un autre pays.

    Le capital matériel de l’agriculteur ne s’accroit sur une grande échelle, régulièrement et indéfiniment, que du jour où une industrie manufacturière armée de toutes pièces apparaît au milieu des cultivateurs.

    La plus vaste partie du capital matériel d’une nation est fixée dans le sol. En tout pays la valeur des fonds de terre, des propriétés bâties dans les campagnes et dans les villes, des ateliers, des fabriques, des ouvrages hydrauliques, des mines, etc. compose des deux tiers aux neuf dixièmes de toutes les valeurs que la nation possède ; on doit donc admettre en principe que tout ce qui augmente ou diminue la valeur de la propriété foncière accroît, ou amoindrit la masse de capitaux matériels de la nation. Or, nous voyons que la valeur des terres d’une même fertilité naturelle est incomparablement plus grande dans le voisinage d’une petite ville que dans une région écartée, près d’une grande ville que près d’une petite, dans un pays manufacturier que dans un pays purement agricole. Nous voyons d’un autre côté que la valeur des maisons d’habitation ou des fabriques ainsi que des terrains à bâtir dans les villes s’abaisse ou s’élève, en général, suivant que les relations de la ville avec les agriculteurs s’étendent ou se restreignent, ou suivant que les agriculteurs prospèrent ou s’appauvrissent. Il s’ensuit que l’accroissement du capital agricole dépend de l’accroissement du capital manufacturier et réciproquement.

    Mais, dans le passage de l’état purement agricole à l’état manufacturier, cette influence réciproque agit avec beaucoup plus de force du côté de l’industrie manufacturière que du côté de l’agriculture ; car, de même que, dans la transition de la vie du chasseur à celle du pasteur, l’accroissement du capital résulte principalement de l’augmentation rapide des troupeaux, et, dans le passage de la vie pastorale à l’agriculture, principalement de la rapide acquisition de nouvelles terres fertiles et d’un excédant de denrées ; de même, lorsqu’on s’élève de la simple agriculture à l’industrie manufacturière, l’accroissement du capital matériel de la nation est dû principalement aux valeurs et aux forces employées dans les manufactures, parce qu’une quantité considérable de forces naturelles et intellectuelles, jusque-là inutiles, sont transformées ainsi en capitaux matériels et intellectuels. Bien loin de faire obstacle à l’épargne matérielle, la création des manufactures fournit à la nation le moyen de placer avantageusement ses économies agricoles, c’est pour elle un stimulant à ces économies.

    Dans les assemblées législatives de l’Amérique du Nord, on a fréquemment répété que, faute de débouché, le blé pourrit sur sa tige, parce qu’il ne vaut pas les frais de la moisson. On assure qu’en Hongrie l’agriculteur étouffe, pour ainsi dire, dans l’abondance, tandis que les articles manufacturés y coûtent trois ou quatre fois plus qu’en Angleterre. L’Allemagne elle-même peut se rappeler un pareil état de choses.

    Dans les pays purement agriculteurs, tou t excédant des produits ruraux ne constitue donc pas un capital matériel. Ce n’est qu’à l’aide des manufactures qu’il devient, par l’accumulation dans les magasins, un capital commercial, et, par la vente à la population manufacturière, un capital manufacturier. Ce qui, entre les mains des agriculteurs, serait une provision inutile, dévient un capital productif entre celles des manufacturiers et réciproquement.

    La production rend la consommation possible, et le désir de consommer excite à produire. Le pays purement agricole dépend, pour sa consommation, de la situation des pays étrangers, et, quand cette situation ne lui est pas favorable, la production qu’avait provoquée le désir de consommer est anéantie. Mais, dans la nation qui réunit sur son territoire l’industrie manufacturière et l’agriculture, l’excitation réciproque ne cesse d’exister, et ainsi l’accroissement de la production continue des deux côtés ainsi que celui des capitaux.

    La nation à la fois agricole et manufacturière étant tou jours, par des causes déjà exposées, beaucoup plus riche en capitaux matériels que la nation purement agricole, ce qui, du reste, frappe les yeux, le taux de l’intérêt y est toujours beaucoup plus bas, les entrepreneurs y ont à leur disposition des capitaux plus considérables et à des conditions plus douces. De là avantage dans la lutte avec les fabriques récentes de la nation agricole ; de là inondation constante de produits manufacturés chez celle-ci ; de là ses dettes permanentes envers la nation manufacturière, et, sur ses marchés, ces constantes fluctuations dans la valeur des denrées, des articles fabriqués et des monnaies, qui arrêtent chez elle l’accumulation des capitaux matériels, en même temps qu’elles portent atteinte a sa moralité et à son économie intérieure.

    L’école distingue le capital fixe du capital circulant, et comprend de la façon la plus étrange sous la première dénomination une multitude de choses qui circulent, sans faire de cette distinction aucune application pratique. Elle passe sous silence le seul cas dans lequel celle distinction puisse avoir de l’utilité. Ainsi, le capital matériel, comme le capital intellectuel, est en grande partie attaché à l’agriculture ou à l’industrie manufacturière ou au commerce, ou à une branche particulière de l’une de ces trois industries, souvent même il l’est à certaines localités. Les arbres fruitiers qui ont été abattus ont évidemment, pour le manufacturier qui en fait des ouvrages en bois, une autre valeur que pour l’agriculteur qui les emploie à la production des fruits. Des troupeaux de moutons tués en masse, comme cela se voit quelquefois en Allemagne et dans l’Amérique du Nord, ne possèdent plus la valeur qu’ils avaient comme instruments pour la production de la laine.

    Des vignobles ont comme tels une valeur qu’ils perdent si l’on en fait des terres labourables. Les navires employés comme bois à construire ou à brûler ont une valeur beaucoup moindre que lorsqu’ils servent aux transports. À quoi serviraient les manufactures, les chutes d’eau et les machines, si la fabrication des fils venait à périr ? Pareillement, les individus perdent d’ordinaire en se déplaçant la plus grande partie de leur force productive en tant qu’elle se compose d’expérience, d’habitudes et de talents acquis. L’école donne à toutes ces choses, à toutes ces qualités, le nom général de capital, et, en vertu de cette terminologie, elle les transporte à son gré d’une branche de travail à une autre. Ainsi Say conseille aux Anglais de consacrer à l’agriculture leur capital manufacturier. Il n’a pas expliqué comment pouvait s’opérer ce miracle, et, jusqu’à ce jour, c’est encore un secret pour les hommes d’État de l’Angleterre.

    Évidemment Say a confondu ici le capital privé avec le capital national. Un manufacturier ou un négociant peut retirer ses capitaux de l’industrie manufacturière ou du commerce, en vendant sa fabrique ou ses navires et en achetant avec le prix de vente une propriété foncière ; mais une nation tout entière ne saurait exécuter cette opération que par le sacrifice d’une grande partie de ses capitaux matériels et intellectuels. La raison pour laquelle l’école a obscurci ce qui était si clair est manifeste. Quand on appelle les choses par leur véritable nom, on comprend sans peine que le déplacement des forces productives d’une branche de travail à une autre est soumis à des difficultés qui, loin d’appuyer toujours la liberté du commerce, fournissent souvent des arguments en faveur de la protection. (3)

 

 

 

 

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1 - Richesse des nations, liv. IV, chap. ii

2 - On ne saurait désigner sous le nom de capital les facultés morales et physiques. Outre que c’est dégrader l’homme que de l’assimiler à une machine, ces facultés se rattachent naturellement à un autre des trois grands facteurs de la production, le travail. Ce n’est que par métaphore qu’on a pu dire que l’homme est un capital accumulé. (H. R.)

3 - On a l’habitude d’énoncer comme un axiome que le capital est le produit de l’épargne, et en cela on exagère singulièrement le rôle de cette dernière.
    En présence du passage ci-dessus de List, et aussi, à ce qu’il paraît, des Recherches économiques de son compatriote, M. de Hermann, M. Roscher, dans ses Principes d’économie politique, a écrit ce qui suit : « Même sans épargne, il peut se former de nouveaux capitaux, notamment par suite de progrès de la civilisation, qui augmentent la valeur des capitaux déjà existants. Une maison, par exemple, peut doubler comme capital, lorsqu’on ouvre dans son voisinage une voie fréquentée. L’invention de la boussole a augmenté dans une proportion incalculable la valeur de tous les capitaux employés dans la navigation.
    Un autre économiste allemand, M. L. J. Gerster, dans une brochure publiée, en 1857, sous ce titre : Essai sur la théorie du capital, a combattu, au moyen d’une analyse ingénieuse, la proposition d’Adam Smith que l’épargne, et non le travail, est la cause directe de l’accroissement des capitaux.
    « L’épargne, dit M. Gerster, suppose des produits déjà créés, elle ne les crée pas, mais les conserve simplement. On ne doit donc considérer comme cause directe de la création et de l’accroissement des capitaux que le travail et l’activité de l’homme. Le travail est le principe positif et créateur ; l’épargne, le principe négatif et conservateur. Elle n’est par conséquent que la cause indirecte.
    « Son caractère est indéterminé. Elle sert à la consommation tout comme à la production, puisque les produits qu’elle accumule peuvent être employés comme objets de consommation aussi bien que comme moyens de production.
    « Il y a des produits qui peuvent être regardés comme des capitaux, et à l’existence desquels l’épargne n’a pas eu la moindre part.
    « Chez les tribus grossières de chasseurs et de pasteurs (et ici M. Gerster se réfère au Système national de List), l’épargne ne saurait exister ; elle les conduirait au dénuement plutôt qu’à l’abondance. Ce qui ne se corromprait pas naturellement deviendrait la proie de voisins pillards, et cependant ces tribus possèdent des capitaux, ne fût-ce qu’une pierre, un bâton ou une hache, pour tuer le gibier dont elles se nourrissent. Ces objets constituent pour elles des moyens de production ; l’existence et l’accroissement de ces capitaux ne supposent rien de plus qu’un faible travail d’appropriation.
    « A tous les degrés de civilisation, il y a nombre de produits que leur nature propre destine à la production, par exemple les instruments et les machines. L’épargne n’a pas besoin de les conserver pour qu’ils deviennent du capital.
    « Ou pourra objecter que ces produits n’auraient pas existé, si l’épargne n’avait préalablement rassemblé les matériaux et les ressources nécessaires cet effet. Cela est exact, on le reconnaît, dans beaucoup de cas ; mais il s’agit de la cause directe, immédiate de l’existence des produits, et le travail nous apparaît seul avec ce caractère.
    « Mais les matériaux nécessaires, au lieu de consister en économies accumulées, peuvent être, et sont fréquemment, le résultat d’une heureuse découverte. Quel est le rôle de l’épargne, lorsque la sagacité de l’homme, en découvrant de nouvelles utilités dans des objets jusque-là sans valeur, accroît la masse des capitaux du pays ?
« Enfin, l’épargne est sans influence sur la création de la plupart des capitaux immatériels. Sert-elle à former une clientèle, à acquérir des débouchés ? Non, ces avantages sont dus souvent à des circonstances favorables, ce sont des présents de la fortune dans la véritable acception du mot. » (H. R.)

3 - Il n’est pas seulement difficile pour une nation de passer d’une industrie à une autre, et de déplacer son capital. c’est absolument impossible. Un manufacturier peut vendre sa fabrique pour s’adonner à l’agriculture ; cent ou mille individus peuvent le faire et changer ainsi d’occupation, mais l’industrie du pays n’aura pas pour cela éprouvé de changements. Le capital manufacturier consiste principalement en vastes édifices, entourés de logements pour les ouvriers, en machines et instruments ayant un emploi tout spécial, il ne saurait être appliqué à l’agriculture. Quand une nation a été mise hors d’état de fabriquer, les ouvriers peuvent trouver quelque autre occupation, quoique l’expérience enseigne qu’en pareil cas ils succombent par milliers : mais le capital placé dans les édifices et dans les machines est entièrement perdu, et lorsque des hommes exercés au travail du fer et du coton, de la laine et de la soie sont obligés de gagner leur vie dans d’autres métiers, il s’est fait une perte énorme de puissance productive, leur habileté et leur expérience étant devenues inutiles. (S. COLWELL.)

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