PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE XVIII :
CONTINUATION DU MÊME SUJET.
§ 9. — Toute mesure qui tend à produire une interruption dans le mouvement sociétaire au dehors, tend également à produire un effet identique à l'intérieur.
L'action et la réaction sont égales et opposées l'une à l'autre ; la balle qui en arrête une autre dans sa course se trouve retardée, sinon complètement arrêtée, dans son propre mouvement vers le point où elle avait été dirigée. Il en est de même à l'égard des Sociétés. Tout mouvement de la France qui tend à arrêter la circulation de l'Allemagne et de l'Italie tend également à produire le même effet a l'intérieur ; et les Français souffrent, lorsque les armées de la France détruisent le commerce de ses voisins. Il en est de même à l'égard de l'Angleterre, relativement à l'Irlande, à l'Inde, aux Antilles, à l'Espagne et à tous les autres pays. Les intérêts réels de toute société doivent être favorisés par l'adoption de mesures tendant à produire l'accroissement du commerce au sein de chacune d'elles et par ce moyen, accroissant la valeur de l'homme, diminuant la valeur de toutes les denrées nécessaires à ses besoins, facilitant le développement de l'intelligence, et permettant ainsi, de plus en plus, aux individus d'associer leurs efforts à ceux de leurs voisins, pour conquérir sur la nature ce pouvoir qui constitue la richesse ; et conséquemment c'est alors qu'on verrait un intérêt personnel éclairé pousser tous les hommes à apporter, dans le maniement des affaires publiques, le même esprit qui devrait animer tout chrétien dans ses rapports avec ses semblables.
Tel n'a pas été, et très malheureusement, l'esprit dans lequel a été dirigée la politique anglaise. Purement égoïste elle a cherché à anéantir partout le commerce, et à lui substituer partout le trafic ; par ce moyen, diminuant la valeur de l'homme, augmentant la valeur de toutes les denrées dont il avait besoin pour ses desseins, arrêtant le développement de son intelligence, l'empêchant d'obtenir le pouvoir sur les forces de la nature, et le maintenant ainsi dans cet état de pauvreté qui en fait un simple instrument entre les mains du soldat et du trafiquant. C'est pour accomplir ces desseins que le monde entier a été entouré d'une ceinture de colonies, que des alliances ont été conclues et brisées, que des milliards de liv. sterl. ont été dépensés en guerres ruineuses (18), que des milliards d'existences humaines ont été sacrifiés ; et le résultat peut se constater dans ce fait, qu'aujourd'hui elle reste seule debout sur les ruines, qu'elle a faites elle-même.
Comme elle a arrêté le mouvement de la Société en Portugal, son ancien et fidèle allié, lui est maintenant à charge et devient inutile même pour les besoins du trafic anglais. Il en est de même à l'égard de la Turquie et des Indes orientales et occidentales qui toutes deux sont des sources d'inquiétude et non de profit. Si nous nous rapprochons de l'Angleterre elle-même, l'Irlande — pays qui possède en abondance tous les éléments de richesse — offre aux regards, et pour la première fois dans l'histoire, une nation qui peu à peu disparaît de la surface du globe au sein de la paix la plus profonde. Si nous jetons les regards sur l'Écosse, nous y voyons la terre immobilisée et ceux qui l'occupaient partout expulsés pour faire place aux moutons, tandis que pour ainsi dire des millions d'individus aux alentours sont constamment en danger de mourir de faim (19). Si nous passons de la campagne à cette immense cité commerciale de Glasgow, nous y rencontrons les individus qui ont été expulsés, vivant dans un état de misère complète qui n'a pas été surpassé même en Irlande (20). Arrivés dans l'Angleterre même nous trouvons une métropole qui a pris un développement excessif et une grande ville de commerce, et c'est entre ces divers points que l'on constate presque toute la circulation de l'empire. Telles sont les conséquences funestes d'un trafic mal entendu toujours faisant la guerre et épuisant le pays, et se substituant au commerce toujours pacifique et fortifiant.