PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE XIX :
CONTINUATION DU MÊME SUJET.
§ 6. — La doctrine Ricardo-Malthusienne a une tendance inévitable, celle de faire de l'esclavage, la condition finale du travailleur.
Il en est de même à l'égard de la loi Ricardo-Malthusienne, relative à l'occupation de la terre, en vertu de laquelle l'homme commence par cultiver les terrains fertiles et obtient alors abondamment les subsistances, mais, avec le temps, se trouve forcé de s'adresser à des terrains récompensant, de moins en moins, son travail, et permettant au propriétaire de la terre de réclamer une proportion constamment croissante sous le nom de rente. Telle étant la loi, le travailleur devient nécessairement l'esclave, le fendeur de bois et le tireur d'eau, de l'individu qui revendique la possession de la terre. Que tel soit le résultat inévitable, c'est ce, qui ne peut être un instant mis en doute par quiconque croit avec M. Mac Culloch : « que par suite de l'action de causes fixes et permanentes, la stérilité croissante du sol doit infailliblement, à la longue, triompher des perfectionnements introduits dans les machines et l'agriculture, » l'homme devenant ainsi, de plus en plus l'esclave de la nature, dont le représentant, — le propriétaire du sol, — tient la clef, à l'aide de laquelle seulement on peul obtenir ses dons.
L'homme devient plus libre, à mesure que le travail du présent acquiert du pouvoir sur les accumulations du passé, et moins libre à mesure que celles-ci acquièrent du pouvoir sur lui. Si la théorie de Ricardo est vraie, alors l'esclavage a été prévu par les lois divines, et conséquemment tout effort pour affranchir l'homme, n'a dû aboutir qu'à des efforts stériles.
Cette théorie implique nécessairement que les hommes soient séparés de leurs semblables pour chercher des terres lointaines et fertiles ; et cependant séparés ainsi qu'ils peuvent l'être, la malédiction primitive les suit encore, « la stérilité croissante du sol doit l'emporter infailliblement » sur tout perfectionnement qu'ils peuvent accomplir. L'utilité des matières dont la terre se compose doit diminuer, la valeur des denrées nécessaires à l'homme doit augmenter, et la valeur de l'homme lui-même doit baisser, en même temps que la nécessité d'avoir recours aux services du trafiquant et du voiturier, doit devenir constamment croissante. Plus leurs services sont nécessaires, plus doivent être considérables les différences entre les prix des matières premières et ceux des produits terminés, et plus doit être grande la tendance à un état de choses où la force constitue le droit, où la barbarie remplace la civilisation. Considérez la doctrine d'un point de vue quelconque, elle entraîne l'homme si infailliblement à l'esclavage, que si elle était vraie, il y aurait folie à entreprendre de lutter contre elle.