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1 novembre 2004 1 01 /11 /novembre /2004 10:58

PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

henry_charles_carey.jpg

TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XI :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

  

    § 4. — Système colonial de l'Angleterre, tel qu'il se révèle aux Antilles.


    Depuis la conquête des diverses colonies de l'Inde occidentale, les manufactures de toute espèce furent rigoureusement prohibées, et l'interdiction fut poussée à tel point qu'il ne fut pas même permis aux habitants de raffiner leur propre sucre. Il ne resta donc plus, en conséquence, d'autre travail, même pour les enfants et les femmes, que le travail des champs. Tous les individus furent forcés de rester producteurs de denrées à l'état brut, ne pouvant entretenir aucun commerce entre eux que par l'intermédiaire d'un peuple placé à une distance de plusieurs milliers de lieues, qui employait sa puissance, non-seulement à interdire la formation des manufactures, mais encore à empêcher la diversité des travaux de l'agriculture elle-même. A la Jamaïque, on avait essayé de cultiver l'indigo ; mais il se trouva que, sur le prix auquel il se vendait en Angleterre, une part si considérable était absorbée par les armateurs, les négociants commissionnaires et le gouvernement, que la culture en fut abandonnée. Celle du café fut introduite sur une grande échelle, et, comme il croît sur des terrains plus élevés et plus salubres, elle y eût été très-avantageuse pour la société ; mais là, comme pour l'indigo, une part si faible revenait au producteur, que la production fut presque complètement abandonnée, et ne fut sauvée que grâce à une transaction qui consistait à réduire les droits du gouvernement à un schelling par livre. Le produit évalué étant d'environ 750 livres de café, pouvant être livrées au commerce, donnait environ 180 dollars par acre (6). Le résultat ultime du système fut d'anéantir tout commerce entre les individus, même celui qui avait existé antérieurement entre ceux qui produisaient le café, d'une part, et, de l'autre, ceux qui avaient du sucre à vendre, toute culture étant abandonnée, à l'exception de celle de la canne, la plus funeste de toutes pour la vie et pour la santé.

    En même temps qu'on prohibait ainsi le commerce entre ces individus, on leur interdisait toute relation avec les nations étrangères, excepté par l'intermédiaire de navires, de ports et de marchands anglais. Cependant, on sanctionna le trafic avec les Africains ; car l'Afrique fournissait des esclaves ; et ce trafic fut continué sur la plus vaste échelle, la plus grande partie de la demande, faite par les colonies espagnoles, étant fournie par les îles appartenant à l'Angleterre. Toutefois, en 1775, la législature coloniale, voulant empêcher l'excessive importation des nègres, imposa un droit de 2 liv. sterl. par tète ; mais les marchands de l'Angleterre ayant fait une pétition contre ce droit, le gouvernement de la métropole en ordonna l'abrogation (7). A cette époque, il est établi que l'exportation annuelle du sucre (8) s'est élevée à 980 346 quintaux, dont la vente en bloc, sans compter le droit, a donné en moyenne 1 liv. sterl. 14 schell. 8 pence par quintal, ce qui forme un total de 1 699 421 liv. sterl. ; dont, toutefois, une part si considérable a été absorbée par le fret, les droits de commission, l'assurance, etc., qu'il est constaté que le produit net de 775 domaines à sucre ne s'est élevé qu'à 726 992 liv. sterl., soit moins de 1 000 liv. par domaine. Si maintenant aux 973 000 liv. sterl. ainsi déduites, on ajoute la part du gouvernement (12 schell. 3 d. par quintal), et les autres frais à acquitter avant que le sucre parvint au consommateur, on verra que le producteur ne recevait qu'un quart du prix auquel il se vendait. Le colon n'était donc guère autre chose que le surveillant d'esclaves que l'on faisait travailler au profit du gouvernement de la Grande-Bretagne et non à son profit personnel. Placé, d'une part, entre l'esclave qu'il était obligé d'entretenir, et de l'autre, le créancier hypothécaire, les marchands et l'État, qu'il était obligé d'entretenir également, il ne pouvait s'attribuer que la part qui lui était laissée ; et lorsque la récolte était abondante et que les prix baissaient, il était ruiné. On peut établir les conséquences d'un pareil état de choses par ce fait, que dans les vingt années postérieures à cette époque, on ne mit pas en vente, par le ministère du shérif, moins de 177 domaines, en même temps que 92 restaient invendus entre les mains des créanciers, et que 55 autres étaient complètement abandonnés. Lorsqu'on voit de pareilles choses, il n'est pas difficile de comprendre la cause de la mortalité excessive qui sévit dans les îles appartenant à l'Angleterre. Le colon, ne pouvant accumuler les instruments à l'aide desquels il eût commandé les services de la nature, était obligé de ne compter que sur la force brutale, et il lui était plus facile d'acheter cette force, toute prête à fonctionner, sur la côte d'Afrique, que de la créer sur ses propres plantations. D'où il résultait qu'il fallait un approvisionnement constant de nègres pour maintenir le niveau de la population ; et c'est pourquoi l'on a vu que, de tous ceux qui avaient été importés, il ne s'en trouvait plus guère qu'un sur trois au jour de l'émancipation (9).

    Le colon lui-même était esclave, presque autant que le nègre qu'il avait acheté. Toujours endetté, sa propriété se trouvait généralement entre les mains d'agents intermédiaires, représentant les individus envers lesquels il avait contracté des dettes, les facteurs résidant en Angleterre, qui amassaient des fortunes à ses dépens, et dont les agents dans les colonies s'enrichissaient aux dépens du propriétaire nominal de la terre, d'un côté, et de l'autre des esclaves qui la mettaient en culture (10). A l'époque dont nous avons parlé plus haut, des agents intermédiaires, au nombre de 193, n'étaient pas chargés de la gérance de moins de 600 ateliers, donnant un produit de 80 000 boucauts de sucre, et de 3 600 pièces de rhum dont la valeur pouvait être estimée à 4 000 000 de liv. sterl . sur lesquels ils avaient droit à 6 %. Plus l'état de détresse du planteur augmentait, plus le mandataire s'engraissait ; et c'est ainsi que nous retrouvons, en cette circonstance, un état de choses exactement semblable à celui qui existe en Irlande, où les domaines des seigneurs absents étaient régis par des intermédiaires n'ayant aucun intérêt dans la terre, ou dans les esclaves virtuels qui y résident ; et jaloux seulement de tirer, et des uns et des autres, tout ce qu'ils pourraient, en ne leur restituant à tous deux que le moins possible. Dans les deux cas, la centralisation, l'absentéisme et l'esclavage marchaient de conserve, ainsi qu'ils l'avaient fait au temps des Scipion, des Caton, des Pompée et des César.

    A quelle cause était dû cet absentéisme ? Pour quelle raison, à la Jamaïque, de même qu'en Irlande, les propriétaires terriens ne résidaient-ils pas sur leurs domaines, s'occupant personnellement de les exploiter ? Parce que la politique qui défendait que le sucre même fût raffiné dans l’île, et restreignait toute la population, jeunes gens et vieillards, hommes et femmes, à la culture unique de la canne, empêchait, en réalité, la formation d'une classe moyenne quelconque qui eût constitué la population des villes, dans lesquelles le planteur pût trouver la société nécessaire pour l'engager à regarder l’île comme sa patrie. Dans les îles françaises tout se passait différemment. Le gouvernement français n'étant jamais intervenu pour empêcher le développement du commerce parmi ses colons, les villes avaient grandi, et des individus de toute espèce étaient venus de France avec l'intention de faire des îles leur patrie ; tandis que les colons anglais ne songeaient qu'à réaliser des fortunes pour retourner les dépenser en Angleterre. Le système français tendait à développer l'individualité et à encourager le commerce, tandis que le système anglais tendait à les détruire tous deux. Les deux systèmes étaient profondément différents et les résultats le furent également ; partout les îles françaises offrant la preuve de ce fait, qu'elles sont occupées par des individus qui se sentent chez eux (at home), et les îles anglaises, pour la plupart, révélant qu'elles ont été occupées par des individus qui s'appliquent à tirer, de la terre et du travailleur, tout ce qu'on peut en obtenir, puis abandonnant l'une et enterrant l'autre. Dans le premier cas, on trouvait des magasins de toute espèce, où l'on pouvait se procurer des habits, des livres, des bijoux et d'autres produits ; tandis que dans le second, de semblables magasins n'existant pas, les individus qui avaient des achats à faire étaient obligés d'importer les produits directement de l'Angleterre. Dans l'un, il y avait association d'efforts, c'est-à-dire commerce, société ; dans l'autre, au contraire, il n'y avait que trafic (11).

    Sous l'empire d'un pareil système, il ne pouvait s'élever des villes, et, conséquemment, il ne pouvait y avoir d'écoles. D'où il résultait que le colon était forcé d'envoyer ses enfants en Angleterre pour y faire leur éducation, et y contracter l'amour de la vie européenne, et l'aversion pour la vie coloniale. A sa mort, sa propriété passait, sans conteste, entre les mains d'agents, c'est-à-dire d'individus dont les profits devaient s'augmenter, par l'accroissement des cargaisons obtenues au prix d'un sacrifice quelconque de la vie humaine. Tel était le résultat naturel d'un système qui refusait aux hommes, aux femmes et aux enfants, le privilége de se consacrer à aucune occupation à l'intérieur, les ouvriers étant inutiles là où l'on ne pouvait employer de machines ; et la ville ne pouvant prendre de l'accroissement là où il n'y avait ni artisans ni écoles.

    L'exportation du rhum, en général, constituait le planteur en dette, c'est-à-dire que la somme pour laquelle ce rhum se vendait, et au-delà, était absorbée par les diverses charges dont il était grevé. Le peuple anglais payait, pour un certain produit des travailleurs de la Jamaïque, un million de livres sterling sur lesquels pas un schelling n'arrivait aux mains du colon, pour être appliqué à l'amélioration de son domaine, au progrès de son mode de culture, ou au profit des individus dont les bras exécutaient le travail (12). Le lecteur se convaincra ainsi que M. Gee n'exagérait pas, lorsqu'il présentait comme une des recommandations du système colonial ce fait : que les colons laissaient en Angleterre les trois quarts de tous leurs produits, la différence étant absorbée par les individus qui opéraient ou surveillaient les échanges. Tel était le résultat désiré par ceux qui forçaient le colon de dépendre d'un marché éloigné où il devait vendre tout ce qu'il produisait, et acheter tout ce qui était nécessaire à sa consommation. Plus il enlevait à la terre ; plus elle se trouvait épuisée et moins il obtenait en échange de ses produits, des récoltes abondantes augmentant dans une proportion considérable le montant des frets, du magasinage, des droits de commissions et des profits, en même temps qu'elles diminuaient les prix d'autant ; ainsi que nous le voyons aujourd'hui pour le coton. Plus sa terre était ruinée, et plus ses esclaves dépérissaient, moins était grand, en conséquence, son pouvoir d'acheter des machines à l'aide desquelles il aurait augmenté les facultés productives de tous deux. Esclave lui-même de ceux qui dirigeaient ses travaux, il serait injuste d'attribuer au colon l'énorme déperdition de vie résultant de ce fait, de toute une population ainsi bornée aux travaux des champs et privée de toute action pour l'entretien du commerce.

    Avec des quantités inépuisables de bois de construction, la Jamaïque ne possédait pas, même en 1850, une seule scierie, bien qu'elle offrît un marché considérable pour le bois de charpente arrivant du dehors. Produisant en abondance les plus beaux fruits, il n'existait pas encore de gens des villes, avec leurs navires, pour les transporter aux marchés de ce pays ; et faute de ces marchés, ces fruits pourrissaient au pied des arbres. « Les ressources manufacturières de l’île, dit un voyageur moderne, sont inépuisables (13) » et elles l'ont toujours été, en effet ; mais privée de la puissance d'association, la population a été forcée de dépenser en pure perte une activité qui, employée convenablement, aurait payé au centuple toutes les denrées qu'elle était contrainte d'aller demander à un marché lointain. « Pendant six ou huit mois de l'année, dit-il encore, on ne travaille pas sur les plantations de canne à sucre ou de café. » L'agriculture, dans la voie où elle est dirigée aujourd'hui, ne prend pas plus de la moitié de leur temps ; et elle ne l'a pas toujours pris ; et c'est à cette perte de travail, résultant du défaut de diversité dans les occupations, qu'il faut attribuer la pauvreté et la décadence des colons.

    La population diminua parce qu'il ne pouvait y avoir d'amélioration dans la condition du travailleur qui, borné ainsi dans l'emploi de son temps, était forcé d'entretenir non-seulement lui-même et son maître, mais l'agent, le négociant-commissionnaire, l'armateur, le créancier hypothécaire, le marchand en détail et le gouvernement ; et tout cela sous l'empire d'un système qui enlevait tout à la terre et ne lui rendait rien. Sur la somme payée, en 1831, par le peuple anglais, en échange des produits du travail de 320 000 ouvriers noirs de la Jamaïque, le gouvernement de la métropole ne perçut pas moins de 3 736 113 liv. sterl. 10 schell. 6 pence (14), soit environ 18 millions de dollars, ce qui donne presque 60 dollars par tête ; et cela uniquement pour surveiller les échanges. Si l'on n'eût exigé une somme aussi considérable sur le produit du travail de ces pauvres gens, le consommateur — ayant son sucre à meilleur marché, — en eût absorbé une quantité double, et eût permis ainsi aux producteurs de sucre de devenir pour lui-même des acheteurs, dans une proportion plus considérable.

    La part contributive de chaque nègre, jeune et vieux, du sexe masculin et féminin, à l'entretien du gouvernement anglais, ne s'éleva pas cette année à moins de 5 liv. sterl. ou 24 dollars, somme considérable à payer pour un peuple borné complètement aux travaux agricoles, et privé des instruments nécessaires pour rendre ceux-ci mêmes productifs. Si, maintenant, à cette charge si lourde, nous ajoutons les droits de commissions, le fret, les assurances, les intérêts et frais divers, on se convaincra facilement qu'un système d'impôts aussi écrasant ne pouvait aboutir qu'à la ruine, ainsi qu'il y aboutit en effet. On put constater que les choses tendaient à ce résultat par la constante diminution de la production. Dans les trois années expirant à la fin de 1802, la moyenne des exportations donna les chiffres suivants :

    Sucre         113 000 boucauts.
    Rhum         44 000 pièces.
    Café.         14 000 000 balles.

    Tandis que la moyenne des exportations des trois années expirant à la fin de 1829 n'était que de :

    Sucre        92 000 boucauts.
    Rhum         34 000 pièces.
    Café.         17 000 000 balles.

    Le système qui avait pour but de priver le cultivateur de l'avantage d'un marché placé à sa proximité, pour y vendre ses produits, et d'où il pût rapporter chez lui de l'engrais, entretenant ainsi les forces productives de la terre, ce système, disons-nous, engendrait ici ses résultats naturels, en augmentant chaque jour l'état de barbarie de l'esclave ; et ce qui démontra qu'il en était ainsi, ce fut la prédominance exorbitante des décès sur les naissances. La preuve de l'épuisement de la terre se révèle donc en tout ce qui se rattachait à la Jamaïque. Le travail et la terre baissèrent de valeur, et les garanties pour le paiement des dettes contractées en Angleterre devinrent moindres d'année en année, à mesure que la population des autres pays était contrainte de se livrer aux travaux agricoles, à raison de son impuissance à lutter avec l'Angleterre pour les manufactures. Le sucre ayant baissé jusqu'à ne plus guère valoir qu'une guinée le quintal, et le rhum un peu moins que 2 schell. le gallon (15), presque toute la récolte fut absorbée en droits de commissions et intérêts. Sous l'empire de semblables circonstances, la mortalité était inévitable, et c'est pourquoi nous avons vu des milliers d'hommes, importés sur cette terre, ne laissant après eux aucune trace de leur existence. Sur qui cependant doit peser la responsabilité d'un état de choses aussi révoltant que celui qui se manifeste ici ? Ce n'est pas assurément sur le colon ; car sa volonté n'y participait en aucune manière. Il lui était interdit d'employer le surplus de son activité à raffiner son propre sucre, et il ne pouvait, légalement, introduire dans l’île un fuseau ou un métier de tisserand. Il ne pouvait exploiter la houille, ou soumettre à la fusion le minerai de cuivre. Hors d'état de rembourser les emprunts qu'il faisait à la terre, il voyait diminuer la quantité des prêts qu'il pouvait en obtenir ; et ces prêts mêmes, quelque faibles qu'ils fussent, étaient absorbés par les individus intervenant dans les échanges, et ceux qui les surveillent, exerçant les droits du gouvernement. N'étant plus lui-même qu'un pur instrument entre leurs mains, pour détruire chez le nègre la moralité, l'intelligence et la vie, c'est sur ces hommes et non sur le colon que pèse la responsabilité de ce fait, que sur la masse totale des esclaves importés à la Jamaïque, il n'en restait plus que les deux cinquièmes, à l'heure de l'émancipation.

    Néanmoins, ce fut le colon qui fut stigmatisé comme le tyran et le destructeur de la moralité et de la vie ; et l'opinion publique, l'opinion publique des mêmes gens qui avaient absorbé une si large part des produits du travail des nègres, — poussa le gouvernement à prendre cette mesure qui consistait à affranchir l'esclave du service forcé, puis à appliquer une certaine somme, d'abord au paiement des dettes hypothécaires contractées en Angleterre, laissant le propriétaire, la plupart du temps, sans un schelling pour continuer à exploiter sa plantation. On peut constater les conséquences de ce fait par l'abandon de la terre sur un espace très-étendu, et par l'abaissement de sa valeur. On peut en acheter une quantité quelconque, aussi fertile qu'il soit possible de la trouver dans aucune partie de l’île, et la préparer pour la culture, à raison de 5 dollars par acre ; tandis qu'une autre terre, bien plus riche naturellement qu'aucune autre dans la Nouvelle-Angleterre, se vend de cinquante cents à un dollar. En même temps que se manifeste la diminution dans la valeur de la terre, le travailleur tend à l'état de barbarie, et l'on peut en trouver la raison dans ce fait, que la puissance d'association n'existe pas, — c'est-à-dire qu'il n'y a pas de diversité dans les occupations, —et, qu'après des siècles de relation avec une société qui se vante de la perfection de ses machines, on ne trouve pas dans l'île même une hache d'une qualité passable (16).

    A chaque page de l'histoire du monde, on peut voir que l'artisan a toujours été l'allié de l'agriculteur, dans sa lutte contre le trafiquant et contre l'État. Le premier de ceux-ci désire le taxer en achetant bon marché et vendant cher. Le second le taxe pour lui faire payer le privilége d'entretenir le commerce ; et plus le lieu d'échange est éloigné, plus est considérable la puissance de taxation. Lorsque l'artisan se rapproche de l'agriculteur, les matières premières sont transformées sur place, et ne se trouvent soumises à aucune taxe pour l'entretien des armateurs, des négociants-commissionnaires ou des boutiquiers, et, dans ce cas, le commerce se développe avec une grande rapidité.

    Dans une pièce de drap, dit Adam Smith, pesant 80 livres, il y a non-seulement plus de 80 livres de laine, mais encore « plusieurs milliers pesant de blé, qui ont servi à entretenir les ouvriers ; » et ce sont la laine et le blé qui voyagent à bon marché sous la forme de drap. Que devient donc finalement le blé ? Bien que consommé, il n'est pas anéanti ; comme il est restitué à la terre, et qu'il rembourse la dette de l'individu dont le travail l'avait produit, la terre elle-même s'enrichit, les récoltes deviennent plus abondantes, et le fermier peut plus souvent avoir recours aux services de l'artisan. La récompense des efforts de l'homme, augmentant avec la valeur de la terre, tous deviennent à la fois riches et libres ; et c'est pourquoi les intérêts de tous les membres d'une société sont aussi étroitement liés à l'adoption d'un système ayant pour but d'accroître le commerce et la valeur de la terre. Plus est complète la puissance d'association entre les individus, plus sera considérable le développement des facultés individuelles ; moins le sera la puissance du trafiquant, et plus s'accroîtra la liberté de l'homme.

    Le système colonial que nous avons retracé plus haut, — visant à produire des résultats directement opposés à ceux-ci, empêchait l'association, parce qu'il confinait toute la population dans un travail unique. Il empêchait l'immigration des artisans, l'accroissement des villes ou l'établissement d'écoles ; et, conséquemment, il empêchait le développement de l'intelligence parmi les travailleurs ou leurs maîtres. Il empêchait l'accroissement de la population, en contraignant les femmes et les enfants de cultiver la canne à sucre, au milieu des terrains à la fois les plus riches et les plus insalubres de l’île. Il appauvrissait ainsi et la terre et les propriétaires, faisait périr l'esclave et affaiblissait la société —devenue un pur instrument entre les mains de ceux qui effectuaient et surveillaient les échanges, — de cette classe d'individus, qui, dans tous les siècles, s'est enrichie aux dépens des cultivateurs de la terre. En isolant le consommateur du producteur, ils purent, ainsi qu'on l’a vu, s'approprier les trois quarts de la totalité du produit, n'abandonnant qu'un quart à partager entre la terre et le travail, qui avait créé ce produit. Ils devinrent, conséquemment, forts ; tandis que le propriétaire de la terre et le travailleur s'affaiblirent : et plus le dernier devint faible, moins il fut nécessaire d'avoir égard à ses droits d'individualité et de propriété.

    C'est dans cette situation que le maître fut requis d'accepter une somme d'argent déterminée, comme compensation pour l'abandon de son droit de demander à l'esclave l'accomplissement de la tâche à laquelle il avait été accoutumé. Malheureusement, le système suivi avait contrarié efficacement ce progrès, dans les sentiments et les goûts, nécessaire pour produire chez cet esclave le désir d'une chose quelconque, au-delà de ce qui était indispensable au soutien de l'existence. Les villes et les magasins n'ayant pas pris d'accroissements, il n'avait pas été habitué à voir les denrées qui stimulaient l'activité de ses frères de travail, dans les colonies françaises. Comme il ne s'était point établi d'écoles, même pour les Blancs, il n'avait point désiré de livres pour lui-même ou pour l'instruction de ses enfants. Sa femme, toujours parquée dans les travaux des champs, n'avait pas acquis le goût de la toilette. Émancipé tout à coup, on le vit satisfaire le seul goût qu'on eût laissé se développer chez lui, l'amour d'une oisiveté complète, dans toute l'étendue compatible avec la nécessité de se procurer le peu de subsistances et de vêtements indispensables à l'entretien de son existence.

    Les choses se fussent passées bien différemment si on leur eût permis de faire leurs échanges chez eux, de donner du coton et du sucre pour du drap et du fer produits par le travail, et provenant du sol, de l’île. Le producteur de sucre aurait eu alors tout le drap donné en échange de ce sucre par le consommateur, au lieu de n'en obtenir qu'un quart ; et dès lors la terre eût augmenté de valeur, le planteur serait devenu riche, et le travailleur libre ; et ce résultat aurait eu lieu en vertu d'une grande loi naturelle, qui veut : que plus la richesse s'accroît rapidement, plus doit être considérable la demande du travail, plus doit l'être également la quantité des denrées produites par le travailleur, plus doit être considérable sa part proportionnelle du produit, et plus doit être-grande la tendance à ce qu'il devienne un homme libre, et lui-même un capitaliste.

    Plus est complète la puissance d'association, moins l'homme a besoin des instruments nécessaires pour effectuer les changements de lieu, par la raison que ses échanges se font principalement à l'intérieur ; mais son pouvoir augmente, par la raison que l'association lui permet de s'assurer l'empire sur les grandes forces naturelles qui lui ont été données pour ses besoins. Moins est développé son pouvoir d'entretenir le commerce, plus augmente sa dépendance des instruments de transport, et diminue son pouvoir de les obtenir ; et ce qui démontre que les choses se sont passées ainsi dans les Antilles, c'est ce fait, que dans la riche capitale de la Jamaïque, Sant-Iago de la Vega (Spanishtown) qui renferme une population de 5 000 individus, on ne trouvait, il y a cinq ans, ni un seul magasin, ni un hôtel respectable, ni même un camion (17) et dans toute l'étendue de l’île il n'y avait ni diligence, ni aucun autre moyen régulier de transport par terre ou par mer, excepté sur le petit chemin de fer, d'un parcours de 15 milles, qui conduit de Kingston à la capitale (18). Comme conséquence nécessaire de cet état de choses, il fallait une proportion si considérable du travail de la société pour accomplir l'oeuvre du transport, dans les limites et hors des limites de l’île, qu'on n'en pouvait consacrer qu'une proportion très-faible à tout autre objet (19).

 

 

 


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