Franklin Delano ROOSEVELT
Président des États-Unis
SUR
LA BONNE VOIE
(ON OUR WAY)
Traduit de l'Anglais par
PIERRE DUTRAY
1934
Les Éditions
DENOËL ET STEELE
19, rue Amélie, 19
PARIS
CHAPITRE III
Dès ce moment, nous avions donné l'essor à notre politique de redressement et de reconstruction, spécialement dans le domaine de l'agriculture.
La deuxième étape fut de prendre une mesure pour protéger les épargnants contre les informations erronées sur la vente des titres. Durant toute ma vie, j'avais vu tant de misère humaine accabler des familles honorables qui s'étaient laissées persuader de placer leurs économies dans des valeurs spéculatives, pompeusement dissimulées sous le titre d' « investissements » et dont la vente s'effectuait selon des méthodes de « haute pression », que j'en étais venu à croire à la nécessité de mesures législatives, nationales. Les lois d'Etat « bleu ciel » (Lois contre la spéculation) n'avaient été efficaces que jusqu'à un certain degré. Je me persuadai que le public candide — et au moins quatre-vingt-quinze pour cent du public est candide lorsqu'il opère des placements — avait le droit de connaître la vérité tout entière, à chaque émission de nouvelles valeurs. Mon parti l'avait promis dans son programme, et cela avait été un point important de ma campagne de 1932. Le 29 mars 1933, je déclarai au Congrès :
« Je recommande au Congrès de prendre des mesures qui donneront au Gouvernement fédéral le droit de contrôle sur le placement des valeurs à l'intérieur des états.
« En dépit des nombreux statuts d'Etat, le public a subi jadis de lourdes pertes du fait des agissements déshonnêtes et contraires à la morale d'un grand nombre de personnes et de sociétés qui vendaient des valeurs.
« Evidemment le Gouvernement fédéral ne peut et ne devrait prendre aucune mesure que l'on puisse interpréter comme une marque d'approbation ou de garantie de nouvelles actions qu'il déclarerait saines, dans ce sens que leur valeur sera maintenue ou que les capitaux qu'elles représentent produiront des bénéfices.
« C'est notre devoir pressant, toutefois, de veiller à ce que toute émission de nouveaux titres à l'intérieur des Etats soit accompagnée d'une publicité complète et qui donne tous les renseignements désirables de telle sorte que le public acheteur connaisse clairement tous les éléments d'une importance essentielle à l'émission.
« L'ancienne règle enjoignait à l'acheteur de faire attention. Cette nouvelle réglementation oblige le vendeur à prendre garde lui aussi. Au vendeur incombe le devoir de dire toute la vérité. Cette proposition donnerait l'élan à un trafic honnête des titres et par là ramènerait la confiance publique.
« Le but des mesures législatives que je vous soumets est de protéger le public sans y mêler, dans la mesure du possible, les affaires honorables.
« Ce n'est qu'une étape dans notre vaste programme de protection de l'épargne. Elle sera suivie de mesures législatives destinées à contrôler d'une manière plus rationnelle l'achat et la vente de tous capitaux qui prêtent à des transactions, et, en outre, de remédier aux agissements malhonnêtes et dangereux des directeurs et des administrateurs de banques et d'autres sociétés.
« Ce que nous envisageons c'est de revenir à une compréhension plus exacte de l'ancienne vérité: ceux qui dirigent des banques, des corporations et autres bureaux qui gèrent et mettent en valeur l'argent d'autrui, doivent agir en dépositaires d'autrui. »
Chaque jour qui s'écoula me montra, ainsi qu'au Cabinet et au Congrès, la nécessité immédiate de nouvelles mesures pour remédier à l'état de crise; en même temps, nous eûmes l'occasion de découvrir les situations les plus angoissantes et de partir ainsi résolument à l'attaque.
Un an ou deux avant mon départ d'Albany, j'avais reçu, en nombre sans cesse croissant, des lettres de petits propriétaires à qui la forclusion allait faire perdre leurs habitations. Bien que cette situation, dans le domaine agricole remontât à l'année 1920, le problème du prêt aux propriétaires n'avait pas encore été agité sérieusement avant le krach de 1929. C'est pourquoi le public ne perçut pas leur détresse croissante.
Durant le premier mois de l'entrée en charge, M. Henri Morgenthau Jr., en sa qualité de Président du Conseil Fédéral Agricole, avait commencé à grouper les nombreux services gouvernementaux qui prêtaient de l'argent aux fermiers sur leurs récoltes, sur leurs semences, sur leurs biens meubles et sur leurs fermes. Nous nous préparions à demander l'octroi de fonds considérables pour couvrir la forclusion qu'entraîneraient les dettes de toutes sortes des fermiers, et nous étions presque prêts à étendre le même principe aux propriétaires.
En conséquence, le 3 avril, je déclarai au Congrès:
« Dans mon programme général je me propose de mettre fin à la liquidation forcée de la propriété, d'accroître le pouvoir d'achat et d'élargir le système du crédit au profit des éléments producteurs et consommateurs de notre population. Je demande aujourd'hui au Congrès comme une partie de ce programme une législation spéciale au sujet des hypothèques et d'autres formes d'endettement des fermiers de la nation. Vous savez tous que des milliers de fermiers dans toutes les parties du pays ne peuvent faire face aux dettes qu'ils ont contractées lorsque les prix de leurs récoltes avaient une valeur monétaire toute différente. La législation actuelle qui cherche à relever les prix des produits agricoles, est une mesure précise qui permettra aux fermiers endettés de payer leurs dettes dans des proportions qui se rapprocheront davantage du montant de celles qu'ils ont contractées. Mais cela ne suffit pas.
« Le Gouvernement Fédéral devrait prendre, en outre, des mesures pour financer le payement des hypothèques et des autres dettes de manière à établir une répartition plus équitable du montant de la dette, une réduction des taux d'intérêt qui très souvent sont déraisonnablement élevés et contraires aux vrais intérêts publics; en plus, il devrait, par un réajustement temporaire de l'amortissement, laisser aux fermiers suffisamment de temps pour qu'ils puissent espérer voir leur propre terre libérée définitivement de toute hypothèque. Je cherche à mettre fin à la situation de centaines de milliers de familles agricoles américaines que menace la perte de leurs demeures et de leur capacité de production.
« La législation que je propose n'imposera pas un fardeau considérable au trésor national. Au contraire. Grâce à elle, par l'intermédiaire des services existants du Gouvernement, les propriétaires de fermes pourront rentrer dans leur argent à des conditions raisonnables, alléger leurs charges écrasantes: elle leur donnera ainsi une excellente occasion de revenir à une situation saine.
« Je demanderai bientôt de nouvelles mesures législatives rentrant dans le cadre du programme général; elles étendront l'application de ce principe salutaire aux petits propriétaires de la nation en butte à la même menace. »
Jusqu'ici, on a pu croire que nous négligions l'industrie dans notre plan général de reconstruction. La vérité est tout autre. Bien avant l'Inauguration, beaucoup d'entre nous avaient trié et étudié, sans crainte de se tromper, des centaines de suggestions et de plans pour le redressement de notre industrie.
La production du pétrole et l'industrie de l'affinage s'étaient placées d'elles-mêmes au premier plan de nos préoccupations, puisqu'elles dépendaient avant tout des ressources naturelles; mais en outre, la loi les faisait enfants du Ministère de l'Intérieur. II a fallu beaucoup de courage au Secrétaire de l'Intérieur Ickes pour me dire au milieu du mois de mars qu'il était prêt à se mesurer avec la tâche contre laquelle s'étaient brisés les efforts de tant d'autres qui avaient cherché à limiter la production du pétrole aux besoins du consommateur. Ils voulaient obtenir pour les détenteurs de puits de pétrole un prix raisonnable et empêcher que les usagers du pétrole et de l'essence eussent à payer des prix exorbitants. M. Ickes tint une conférence avec les délégués des Gouverneurs de dix-sept des Etats producteurs de pétrole, et, chose merveilleuse, ils s'entendirent sur un plan. Dans une lettre adressée aux Gouverneurs le 3 avril, je sollicitais leur aide. II ne s'agissait pas, dans cette première tentative, de procéder à une refonte de l'organisation pétrolière, et bien qu'à peine un an se soit écoulé, je crois qu'il est bon de noter que du chaos est sorti un ordre solidement établi et qu'en même temps les trois objectifs ont été atteints en grande partie. Voici ce que je disais dans cette lettre:
« Je vous envoie par la présente, aux fins d'examen, un rapport soumis au Secrétaire de l'Intérieur, à la suite d'une conférence de trois jours tenue à Washington au début de cette semaine sur la situation pétrolière, conférence à laquelle participèrent des délégués des Gouverneurs de dix-sept des Etats producteurs de pétrole. Assistaient également à la conférence des délégués des compagnies indépendantes comme d'ailleurs les représentants des grosses firmes productrices d'essence et de pétrole. Les grandes lignes du rapport furent rédigées et adoptées à l'unanimité par un comité de quinze personnes, composé en nombre égal des délégués des Gouverneurs, des industries du pétrole et de l'essence et des compagnies indépendantes. Quand ce rapport fut enfin soumis à tous les membres de la conférence, il fut approuvé par le vote de tous les délégués des Gouverneurs et de ces délégués de l'industrie du pétrole.
« C'est, semble-t-il, le sentiment général qu'un état de crise règne dans l'industrie du pétrole, et cet état réclame une action du Gouvernement. II est à espérer que les Gouverneurs des Etats éprouvés, après avoir délibéré entre eux, prendront toute mesure qu'exige la situation.
« Le comité des quinze recommande au Gouvernement fédéral de prendre part à cette action. J'approuve pleinement l'idée que le Congrès vote les mesures législatives destinées à empêcher le transport à l'intérieur des Etats ou de l'étranger de tout pétrole ou produits dérivés ou qui sort fabriqués dans un Etat en violation des lois susdites. Je suis prêt à recommander au Congrès cette législation comme la contribution du Gouvernement national à la solution des difficultés dans lesquelles se trouve l'industrie pétrolière. »
Ce fut, si je m'en souviens bien, à peu près au moment de la perte de l'Akron — époque à laquelle les mesures de redressement se suivaient à un rythme rapide — que se manifesta pour la première fois le rapport de ces mesures avec la politique économique des autres nations. Des conversations officieuses eurent lieu avec les représentants des autres nations. J'invitai également plusieurs de leurs chefs à venir à Washington avant l'ouverture de la conférence économique internationale qui devait se tenir à Londres au mois de juin. Pour l'ordre chronologique des faits, il me sera plus facile de raconter les débuts de notre nouvelle politique extérieure dans un chapitre particulier.
Au milieu d'avril les choses prenaient une forme substantielle. Le pays comprenait que, sous les proclamations les messages et les mesures législatives prises depuis le 4 mars, il y avait un dessein clair et que toutes les mesures s'enchaînaient les unes aux autres. L'industrie se relevait; les fermiers apercevaient une lueur à l'horizon; les banques reprenaient leur activité.