11 novembre 2006
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Connaissez-vous Philippe Murray?
C'était un esprit libre, parfois agaçant et pessimiste, mais brillant, avec un style inimitable, féroce commentateur de l'actualité contemporaine et de la bêtise ambiante.
Un petit extrait, tiré de son livre d'entretiens, Festivus Festivus.
(...) La seule chose qui a un sens, dans toute cette affaire, c'est l'acharnement spectaculaire de Bush et des forcenés qui l'entourent. Bernanos écrivait peu après la Seconde Guerre mondiale (je sais que c'est la énième fois que je vous la cite mais je ne m'en lasse pas, excusez-moi) : « En passant de la raison à l'instinct, l'idée de justice acquiert une prodigieuse capacité de destruction. Elle n'est d'ailleurs pas plus, alors, la justice que l'instinct sexuel n'est l'amour, elle n'est même pas le désir de justice, mais la concupiscence féroce et une des formes les plus efficaces de la haine de l'homme pour l'homme. L'instinct de justice, disposant de toutes les ressources de la technique, s'apprête à ravager la Terre. » L'Empire américain gardait peut-être certains doutes sur l'authenticité de sa mission apostolique, mais le 11 septembre a transformé celle-ci en chose sacrée, ininterrogeable. Et de même que la gauche française s'est vue littéralement remontée dans sa propre estime par sa grande culbute du 21 avril, de même l'écroulement des tours de Manhattan a-t-il fait de la démocratie américaine le destin obligatoire de toute la planète. Mais je ne vois guère de raison d'assimiler les futurs tapis de bombes américains avec la démocratie. Pour comprendre Bush et sa horde de conseillers fanatiques, sans doute faudrait-il relire Flannery O'Connor, cette admirable romancière catholique thomiste américaine immergée dans sa Géorgie natale bourrée de protestants allumés, de colporteurs de bibles, de prêcheurs fous prophétisants et tonitruants dans la brousse. Bush est éminemment dangereux parce qu'il est à la fois puéril, "The game is over", et illuminé. Il ressemble à un enfant qui trépigne en croyant à ce qu'il dit (ou à ce qu'on lui souffle de dire) et non à un individu réellement souverain, c' est-à -dire quelqu'un qui commencerait par n'avoir jamais cru en rien. Il est dangereux parce qu'il veut que consiste, qu'existe Saddam en tant que danger mondial, comme tant d'autres veulent que le fascisme existe et sont prêts à aller le chercher jusqu'en enfer, et à l'y réveiller pour justifier leurs gesticulations (voir, encore une fois, le 21 avril en France). Il est dangereux parce qu'on va lui passer cette guerre, cette guerre narcissique, cette guerre d'au-delà des guerres, comme des parents fatigués, faibles, culpabilisés, passent un caprice à un enfant emmerdant et déchaîné qui augmente ainsi son pouvoir sur ses géniteurs (...)
(...) Maintenant, bien entendu, on peut toujours envisager une hypothèse heureuse: que le scénario officiel des Américains marche comme sur des roulettes; qu'après que l'Innocence intégrale aura poursuivi triomphalement le Crime démoniaque et que Saddam aura été pendu par les pieds, les Irakiens et même tous les Arabes se convertissent en sautant de joie à la démocratie, à la libre pensée, au libertinage de masse, à la parité, qu'ils épousent toutes nos pathologies, se mettent aux randos, au Prozac, à l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics, aux femmes à poil en 3D, créent Bagdad-Plage, cessent de tourner le dos au Tigre, se réapproprient l'Euphrate et trouvent tout naturel, en montant en voiture, de glisser dans leur lecteur de bord une cassette où Depardieu lit Albertine disparue. On peut rêver.
Mars 2003
C'était un esprit libre, parfois agaçant et pessimiste, mais brillant, avec un style inimitable, féroce commentateur de l'actualité contemporaine et de la bêtise ambiante.
Un petit extrait, tiré de son livre d'entretiens, Festivus Festivus.
(...) La seule chose qui a un sens, dans toute cette affaire, c'est l'acharnement spectaculaire de Bush et des forcenés qui l'entourent. Bernanos écrivait peu après la Seconde Guerre mondiale (je sais que c'est la énième fois que je vous la cite mais je ne m'en lasse pas, excusez-moi) : « En passant de la raison à l'instinct, l'idée de justice acquiert une prodigieuse capacité de destruction. Elle n'est d'ailleurs pas plus, alors, la justice que l'instinct sexuel n'est l'amour, elle n'est même pas le désir de justice, mais la concupiscence féroce et une des formes les plus efficaces de la haine de l'homme pour l'homme. L'instinct de justice, disposant de toutes les ressources de la technique, s'apprête à ravager la Terre. » L'Empire américain gardait peut-être certains doutes sur l'authenticité de sa mission apostolique, mais le 11 septembre a transformé celle-ci en chose sacrée, ininterrogeable. Et de même que la gauche française s'est vue littéralement remontée dans sa propre estime par sa grande culbute du 21 avril, de même l'écroulement des tours de Manhattan a-t-il fait de la démocratie américaine le destin obligatoire de toute la planète. Mais je ne vois guère de raison d'assimiler les futurs tapis de bombes américains avec la démocratie. Pour comprendre Bush et sa horde de conseillers fanatiques, sans doute faudrait-il relire Flannery O'Connor, cette admirable romancière catholique thomiste américaine immergée dans sa Géorgie natale bourrée de protestants allumés, de colporteurs de bibles, de prêcheurs fous prophétisants et tonitruants dans la brousse. Bush est éminemment dangereux parce qu'il est à la fois puéril, "The game is over", et illuminé. Il ressemble à un enfant qui trépigne en croyant à ce qu'il dit (ou à ce qu'on lui souffle de dire) et non à un individu réellement souverain, c' est-à -dire quelqu'un qui commencerait par n'avoir jamais cru en rien. Il est dangereux parce qu'il veut que consiste, qu'existe Saddam en tant que danger mondial, comme tant d'autres veulent que le fascisme existe et sont prêts à aller le chercher jusqu'en enfer, et à l'y réveiller pour justifier leurs gesticulations (voir, encore une fois, le 21 avril en France). Il est dangereux parce qu'on va lui passer cette guerre, cette guerre narcissique, cette guerre d'au-delà des guerres, comme des parents fatigués, faibles, culpabilisés, passent un caprice à un enfant emmerdant et déchaîné qui augmente ainsi son pouvoir sur ses géniteurs (...)
(...) Maintenant, bien entendu, on peut toujours envisager une hypothèse heureuse: que le scénario officiel des Américains marche comme sur des roulettes; qu'après que l'Innocence intégrale aura poursuivi triomphalement le Crime démoniaque et que Saddam aura été pendu par les pieds, les Irakiens et même tous les Arabes se convertissent en sautant de joie à la démocratie, à la libre pensée, au libertinage de masse, à la parité, qu'ils épousent toutes nos pathologies, se mettent aux randos, au Prozac, à l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics, aux femmes à poil en 3D, créent Bagdad-Plage, cessent de tourner le dos au Tigre, se réapproprient l'Euphrate et trouvent tout naturel, en montant en voiture, de glisser dans leur lecteur de bord une cassette où Depardieu lit Albertine disparue. On peut rêver.
Mars 2003