14 avril 2009
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Non, il faut avoir peur des économistes qui le combattent.
Quoique...lorsqu'on lit la prose "anti-protectionniste" de M. Christian Saint-Etienne, économiste et professeur à Paris-Dauphine, on en vient presque à souhaiter que lui soient accordées de nombreuses tribunes et colonnes dans la presse.
Car avec un ami pareil, le libre-échange n'a plus besoin d'ennemis. Et si tous les membres de la secte libre-échangiste voulaient bien se tirer une balle dans le pied comme ce monsieur, ce n'est plus une relance que nous pourrions espérer, mais une Renaissance !
Dans l'article, présenté plus bas, du Figaro du 10 avril, intitulé "Faut-il avoir peur du protectionnisme ?", est transcrite une discussion entre Christian Saint-Etienne (économiste, professeur à Dauphine-Paris-IX et à l’université de Tours; membre du Conseil d’analyse économique) et Guillaume Bachelay (conseiller de Laurent Fabius, secrétaire national du PS à la politique industrielle, aux entreprises et aux nouvelles technologies), où le premier des deux enfile des perles les unes après les autres, avec une morgue et une agressivité étonnante.
Par exemple : Pour le sieur Christian de Saint-Etienne, le "marxisme est en soi protectionniste", et le "protectionnisme mène toujours au national-socialisme".
Ergo, le marxisme mène au national-socialisme. C'est bien connu.
Ou : un système qui subventionne et qui protège mène au national-socialisme.
Bon. Au vu des milliers de milliards d'euros, de dollars et de livre-sterlings d'argent public versés aux banques et institutions financières en faillite à qui l'on a interdit de déposer le bilan, pourrait-on conclure que les gouvernements des pays ayant participé au G20 sont des gouvernements nationaux-socialistes ? Nazis, donc ?
Ou encore : l'empire romain et la période pré-renaissance ont été des grandes périodes de libre-échange, dit-il. Effectivement, ces deux périodes se sont conclues par des effondrements catastrophiques, ce qui est le marqueur incontestable d'une dérive libre-échangiste.
C'est un fait que la "mondialisation" du système financier des banques lombardes, vénitiennes et flamandes a effectivement mené, par son effondrement, le monde européen dans ce que les livres d'Histoire nomment de nos jours "l'âge des ténèbres", âge durant lequel la population européenne a diminué de moitié.
Quant au second, le sieur Bachelay, c'est un faux défenseur du protectionnisme, puisqu'il défend en vérité le libre-échange derrière les murailles de l'Europe, et la barrière douanière pour le reste du monde. C'est, si mes souvenirs sont bons, la thèse de Friedrich Von Hayek (photo), monétariste acharné et libre-échangiste convaincu.
Pas étonnant, dans ces conditions, que le dialogue se termine presque par un consensus autour de cette thèse. Les deux intervenants font bien sûr l'impasse sur l'état-nation, et défendent chacun une vision supra-nationale financiariste.
Enfin bref, j'ai bien ri.
Ce monsieur Saint-Etienne est donc économiste et professeur d'universités publiques, et conseille le gouvernement. Tiens, tiens... c'est vrai qu'avec de telles conceptions, il ne pouvait qu'être subventionné par l'état, comme ces institutions qui détestent l'interventionnisme étatique sauf lorsqu'il s'agit de leur intérêt. Dans le vrai monde, avec de telles idées, il ne serait pas allé loin.
Dans le vrai monde, dans le système mondial d'états-nations, héritage de la Renaissance et de la révolution du traité de Westphalie, chaque nation, en tant que personne morale, libre et souveraine, a pour devoir naturel le perfectionnement de ses qualités et de ses potentiels naturels, ce que le grand Emer de Vattel appelle "procurer la vraie félicité de la nation", et qui s'est traduit dans la Constitution des USA par ces termes mystérieux : "la recherche du bonheur".
C'est là le seul et véritable objet de la science économique !
C'est dans ce principe que se trouve le germe du protectionnisme : puisque c'est dans le développement de tous les potentiels, de toutes les connaissances, de toutes les industries possibles que se trouve "la vraie félicité de la nation", alors il faut protéger ce développement contre les excès de puissance d'industries étrangères déjà établies et l'aggressivité commerciale de certaines nations.
Cette "véritable félicité" ne se trouve certainement pas dans la "spécialisation" (l'avantage comparatif) et le libre marché, cela tombe sous le sens, car quid de la souveraineté des nations et de la sécurité des peuples, si tous sont dépendants pour leur survie immédiate de productions provenant d'autres pays, dont on peut difficilement croire que l'approvisionnement ne sera jamais troublé ? Il n'est que de constater l'effondrement de 95% des flux mondiaux de frets maritimes en 2008.
La protection contre les "dumping" industriels, financiers et sociaux est une conséquence marginale et logique du protectionnisme. Son véritable objet est, encore une fois, le perfectionnement de la nation dans toutes ses dimensions.
Par exemple, l'auto-suffisance dans tous les domaines doit être recherchée, toutes les sciences utiles à la nation développées, et toutes les industries nécessaires promues, en protégeant le marché national contre la puissance d'industries dominantes existantes (voyez Colbert et sa politique de développement des filatures du Nord en guise d'exemple).
Le système protectionniste implique bien sûr que la souveraineté monétaire soit entièrement établie, et qu'un crédit abondant et peu onéreux soit orienté avec constance vers le système productif agro-industriel, ce qui n'existe plus actuellement. Mais il ne faut pas désespérer, la crise actuelle a un côté providentiel, en ce qu'elle met en évidence l'inutilité et la nocivité des théories libre-échangistes.
Voici l'article à l'origine de ce petit billet :
«Avec le capitalisme nouveau, le libre-échange ne fonctionne plus», juge Guillaume Bachelay. «Il ne peut fonctionner que dans une aire dotée de règles respectées par tous», lui répond Christian Saint-Etienne.
Le Figaro Magazine - Pourquoi le protectionnisme est-il devenu une sorte de tabou?
Christian Saint-Etienne - Parce qu'il a joué un rôle clé d'accélération lors de la crise de 1929 : quatre ans plus tard, le commerce mondial en valeur avait baissé des deux tiers. La communauté économique et politique internationale est restée marquée par cet épisode, considérant que toute nouvelle flambée de protectionnisme provoquerait une crise de même nature. Un Lehman Brothers bis, une attaque israélienne sur l'Iran, un pays qui perdrait ses nerfs en élevant des barrières protectionnistes réamorceraient le cauchemar de la dépression. Sans sursaut politique en Europe, on pourrait craindre l'éclatement de l'euro avec, pour avenir, l'inconnu. Comme disent les Anglo-Saxons, uncharted territories.
Guillaume Bachelay - Depuis que le commerce se fait dans le cadre des Etats nations, le monde est protectionniste : c'est vrai de Colbert à Pascal Lamy. Les Etats-Unis financent leur appareil militaro-industriel par la commande publique. La Chine fixe des restrictions aux importations sur son territoire, tout en favorisant ses exportations par la sous-évaluation du yuan. La Russie fait le blocus sur certaines automobiles étrangères. Le Brésil soumet la moitié de ses importations à des clauses d'autorisation. L'Inde interdit les jouets chinois, etc. La question n'est donc pas de savoir s'il faut une Europe protectionniste, mais comment elle devient plus protectrice. Pour sauver nos secteurs traditionnels et développer les industries innovantes, il faut pouvoir protéger un cadre commercial de manière temporaire et communautaire. Le libre-échange a eu ses vertus de développement des nations et de dialogue entre les peuples, mais avec l'essor d'un capitalisme mondial et financier, le système se grippe. «Tous concurrents, et que le moins cher gagne!», c'est un slogan mortel ! Comment voulez-vous que nos salariés et nos entrepreneurs tirent leur épingle du jeu sans un mixte d'innovation et de protection, face à des concurrents disposant d'un réservoir de main-d'œuvre inépuisable, de salaires 40 fois inférieurs aux nôtres et qui ne respectent pas les règles du jeu international ? Si l'Europe ne se réveille pas, c'est tout son appareil industriel et, à terme, son modèle de société qui seront bazardés.
Christian Saint-Etienne - Votre propos est habile et même convaincant pour qui ne connaît pas le sujet. Le libre-échange serait, selon vous, une vertu qui ne fonctionne plus, alors que toute l'histoire est une recherche d'ouverture de marché. Les Romains n'ont rien fait d'autre que de créer un empire de libre-échange. Qu'est-ce que la constitution des royaumes du Moyen Age jusqu'à la Renaissance, sinon l'extension de l'aire à l'intérieur de laquelle, de par l'action du roi, il y aura du libre-échange ? A mesure que l'on a fait sauter le blocage au commerce, le niveau de vie s'est élevé. Avant la spécialisation des pays selon leurs compétences et la division du travail rendues possibles par ce système, je dirais, pour schématiser, que l'on mangeait des racines ! Mais le libre-échange ne peut fonctionner que dans le cadre d'une aire politique et économique dotée d'un Etat de droit bien construit, avec des règles respectées par tout le monde. Or que s'est-il passé ? L'OMC, au départ, ne comprenait que des pays développés avec des valeurs et des systèmes juridiques très proches. Mais, lorsqu'elle s'est étendue à des pays n'appliquant pas le droit euro-américain, elle est devenue un marché de dupes. L'Europe en est la principale victime, dès lors qu'elle prétend à une politique d'ouverture. La question n'est donc pas la distinction entre protectionnisme et protection, ainsi que vous l'affirmez, mais la réciprocité. Si l'on était capable d'obtenir des Chinois et des Américains le même degré d'ouverture, les mêmes règles environnementales et règles du travail que les nôtres, le libre-échange serait une excellente chose au plan mondial. Le concept de libre-échange est comme l'eau : on peut y nager ou s'y noyer.
Guillaume Bachelay - Aujourd'hui, il y a trois options possibles. Soit poursuivre le libre-échange dérégulé, fondé sur le laisser-faire et l'hyper spécialisation de l'économie. Or, les pays les plus touchés par la crise - Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne - sont ceux qui ont cédé à cette double tentation. Soit édifier un protectionnisme idiot, national, permanent, généralisé : c'est celui auquel, hélas, on assiste actuellement. Le scénario que j'appelle de mes vœux vise à échapper à cette double impasse : il s'agit de mettre en place les modalités d'une protection commerciale européenne ciblée. En direction des autres grandes régions économiques, l'Union européenne et ses 450 millions de consommateurs doivent mettre en place un « juste échange ». Par exemple, il faut créer un rapport de forces avec la Chine en mettant en place des écluses sociales et écologiques. Désolé, mais on ne peut pas dire que tout se vaut, que les pays qui produisent en respectant les règles de l'Organisation internationale du travail ou le protocole de Kyoto valent ceux qui s'assoient dessus ! Il faut être pragmatiques et responsables : faute de protections européennes coopératives, ciblées, ponctuelles, nous aurons un protectionnisme xénophobe, dé sor donné et constant sous la forme de plans de relance riquiqui et rivaux aussi diplomatiquement dangereux qu'inefficaces économiquement ! Des restrictions au libre-échange à tous crins sont donc indispensables, adossées à des droits compensatoires en matière sociale et environnementale. L'autre volet d'action, c'est l'Europe vis-à-vis d'elle-même, c'est-à-dire la lutte antidumping fiscal et social. Car les délocalisations intra-européennes ne sont pas un fantasme.
Christian Saint-Etienne - Et, par le biais du protectionnisme, vous voulez compenser le fait qu'il n'y a pas de gouvernement économique européen ni de volonté politique de construire un projet fédéral commun ? Ce que vous proposez, c'est la politique du pire. Il faudrait que la France mette ses affaires en ordre, qu'elle voie les Allemands pour remettre les choses d'équerre en Europe, en reconnaissant qu'on s'est trompés lors de l'ouverture de l'Union européenne. Il fallait créer une aire intégrée sur le plan fiscal, social et environnemental au sein de l'Europe, qui aurait permis un libre-échange efficace, alors que la politique de concurrence intra-européenne est proprement suicidaire.
Guillaume Bachelay - Votre pensée, au fond, c'est une longue litanie de « et si », « et si », « et si »... Après la crise, c'est comme avant, en somme.
Christian Saint-Etienne - J'en ai autant à votre service.
Guillaume Bachelay - La politique du pire, M. Saint-Etienne, c'est la pire des politiques : celle qui nous a amenés à la crise où nous sommes. Trois décennies de dérégulation et de désindustrialisation. Vous ne pouvez pas faire comme si ce modèle n'avait pas échoué.
Christian Saint-Etienne - Plus de un milliard de Chinois et d'Indiens sont sortis de la pauvreté grâce à cela. On ne peut pas l'oublier. Sauf à vouloir faire un retour au marxisme, qui était en soi du protectionnisme.
Guillaume Bachelay - Le cadre libre-échangiste n'est donc pas négociable !
Christian Saint-Etienne - Je vous dis l'inverse !
Guillaume Bachelay - Vous avez dit que l'on y nage ou que l'on s'y noie ! Pourquoi refusez-vous à la fois les bouées et le pont ?
Christian Saint-Etienne - Les bouées, avec vous, ce sont des subventions, et le pont ce sont des barrières. Et cela finit toujours par le régime national-socialiste. Vous faites une erreur de diagnostic majeure. La concurrence dont on crève aujourd'hui est accessoirement la chinoise, et fondamentalement le mode de construction européen, qui repose sur une concurrence fiscale et sociale frontale à l'intérieur de l'Union.
Guillaume Bachelay - Nous sommes au moins d'accord sur ce point.
Christian Saint-Etienne - C'est cela qui est hallucinant. Nous faisons un débat de sourds. Le problème n'est pas le libre-échange, mais le fait que l'Europe ne comprenne pas que ce système ne fonctionne que dans un certain cadre, et que, pour l'acquérir, il faut une stratégie de mise en œuvre.
Guillaume Bachelay - Sauf qu'il y a urgence et que c'est dès maintenant qu'il faut en tirer les conséquences...
* Christian Saint-Etienne, économiste, professeur à Dauphine-Paris-IX et
à l’université de Tours, est membre du Conseil d’analyse économique. Cofondateur d’Avenir démocrate, il est conseiller de Paris et conseiller d’arrondissement pour le Ve arrondissement.
* Guillaume Bachelay, conseiller de Laurent Fabius, est secrétaire national du PS à la politique industrielle, aux entreprises et aux nouvelles technologies. Elu local, il est adjoint au maire de Cléon et conseiller général du canton de Caudebec-lès-Elbeuf (76).
Quoique...lorsqu'on lit la prose "anti-protectionniste" de M. Christian Saint-Etienne, économiste et professeur à Paris-Dauphine, on en vient presque à souhaiter que lui soient accordées de nombreuses tribunes et colonnes dans la presse.
Car avec un ami pareil, le libre-échange n'a plus besoin d'ennemis. Et si tous les membres de la secte libre-échangiste voulaient bien se tirer une balle dans le pied comme ce monsieur, ce n'est plus une relance que nous pourrions espérer, mais une Renaissance !
Dans l'article, présenté plus bas, du Figaro du 10 avril, intitulé "Faut-il avoir peur du protectionnisme ?", est transcrite une discussion entre Christian Saint-Etienne (économiste, professeur à Dauphine-Paris-IX et à l’université de Tours; membre du Conseil d’analyse économique) et Guillaume Bachelay (conseiller de Laurent Fabius, secrétaire national du PS à la politique industrielle, aux entreprises et aux nouvelles technologies), où le premier des deux enfile des perles les unes après les autres, avec une morgue et une agressivité étonnante.
Par exemple : Pour le sieur Christian de Saint-Etienne, le "marxisme est en soi protectionniste", et le "protectionnisme mène toujours au national-socialisme".
Ergo, le marxisme mène au national-socialisme. C'est bien connu.
Ou : un système qui subventionne et qui protège mène au national-socialisme.
Bon. Au vu des milliers de milliards d'euros, de dollars et de livre-sterlings d'argent public versés aux banques et institutions financières en faillite à qui l'on a interdit de déposer le bilan, pourrait-on conclure que les gouvernements des pays ayant participé au G20 sont des gouvernements nationaux-socialistes ? Nazis, donc ?
Ou encore : l'empire romain et la période pré-renaissance ont été des grandes périodes de libre-échange, dit-il. Effectivement, ces deux périodes se sont conclues par des effondrements catastrophiques, ce qui est le marqueur incontestable d'une dérive libre-échangiste.
C'est un fait que la "mondialisation" du système financier des banques lombardes, vénitiennes et flamandes a effectivement mené, par son effondrement, le monde européen dans ce que les livres d'Histoire nomment de nos jours "l'âge des ténèbres", âge durant lequel la population européenne a diminué de moitié.
Quant au second, le sieur Bachelay, c'est un faux défenseur du protectionnisme, puisqu'il défend en vérité le libre-échange derrière les murailles de l'Europe, et la barrière douanière pour le reste du monde. C'est, si mes souvenirs sont bons, la thèse de Friedrich Von Hayek (photo), monétariste acharné et libre-échangiste convaincu.
Pas étonnant, dans ces conditions, que le dialogue se termine presque par un consensus autour de cette thèse. Les deux intervenants font bien sûr l'impasse sur l'état-nation, et défendent chacun une vision supra-nationale financiariste.
Enfin bref, j'ai bien ri.
Ce monsieur Saint-Etienne est donc économiste et professeur d'universités publiques, et conseille le gouvernement. Tiens, tiens... c'est vrai qu'avec de telles conceptions, il ne pouvait qu'être subventionné par l'état, comme ces institutions qui détestent l'interventionnisme étatique sauf lorsqu'il s'agit de leur intérêt. Dans le vrai monde, avec de telles idées, il ne serait pas allé loin.
Dans le vrai monde, dans le système mondial d'états-nations, héritage de la Renaissance et de la révolution du traité de Westphalie, chaque nation, en tant que personne morale, libre et souveraine, a pour devoir naturel le perfectionnement de ses qualités et de ses potentiels naturels, ce que le grand Emer de Vattel appelle "procurer la vraie félicité de la nation", et qui s'est traduit dans la Constitution des USA par ces termes mystérieux : "la recherche du bonheur".
C'est là le seul et véritable objet de la science économique !
C'est dans ce principe que se trouve le germe du protectionnisme : puisque c'est dans le développement de tous les potentiels, de toutes les connaissances, de toutes les industries possibles que se trouve "la vraie félicité de la nation", alors il faut protéger ce développement contre les excès de puissance d'industries étrangères déjà établies et l'aggressivité commerciale de certaines nations.
Cette "véritable félicité" ne se trouve certainement pas dans la "spécialisation" (l'avantage comparatif) et le libre marché, cela tombe sous le sens, car quid de la souveraineté des nations et de la sécurité des peuples, si tous sont dépendants pour leur survie immédiate de productions provenant d'autres pays, dont on peut difficilement croire que l'approvisionnement ne sera jamais troublé ? Il n'est que de constater l'effondrement de 95% des flux mondiaux de frets maritimes en 2008.
La protection contre les "dumping" industriels, financiers et sociaux est une conséquence marginale et logique du protectionnisme. Son véritable objet est, encore une fois, le perfectionnement de la nation dans toutes ses dimensions.
Par exemple, l'auto-suffisance dans tous les domaines doit être recherchée, toutes les sciences utiles à la nation développées, et toutes les industries nécessaires promues, en protégeant le marché national contre la puissance d'industries dominantes existantes (voyez Colbert et sa politique de développement des filatures du Nord en guise d'exemple).
Le système protectionniste implique bien sûr que la souveraineté monétaire soit entièrement établie, et qu'un crédit abondant et peu onéreux soit orienté avec constance vers le système productif agro-industriel, ce qui n'existe plus actuellement. Mais il ne faut pas désespérer, la crise actuelle a un côté providentiel, en ce qu'elle met en évidence l'inutilité et la nocivité des théories libre-échangistes.
Voici l'article à l'origine de ce petit billet :
«Avec le capitalisme nouveau, le libre-échange ne fonctionne plus», juge Guillaume Bachelay. «Il ne peut fonctionner que dans une aire dotée de règles respectées par tous», lui répond Christian Saint-Etienne.
Le Figaro Magazine - Pourquoi le protectionnisme est-il devenu une sorte de tabou?
Christian Saint-Etienne - Parce qu'il a joué un rôle clé d'accélération lors de la crise de 1929 : quatre ans plus tard, le commerce mondial en valeur avait baissé des deux tiers. La communauté économique et politique internationale est restée marquée par cet épisode, considérant que toute nouvelle flambée de protectionnisme provoquerait une crise de même nature. Un Lehman Brothers bis, une attaque israélienne sur l'Iran, un pays qui perdrait ses nerfs en élevant des barrières protectionnistes réamorceraient le cauchemar de la dépression. Sans sursaut politique en Europe, on pourrait craindre l'éclatement de l'euro avec, pour avenir, l'inconnu. Comme disent les Anglo-Saxons, uncharted territories.
Guillaume Bachelay - Depuis que le commerce se fait dans le cadre des Etats nations, le monde est protectionniste : c'est vrai de Colbert à Pascal Lamy. Les Etats-Unis financent leur appareil militaro-industriel par la commande publique. La Chine fixe des restrictions aux importations sur son territoire, tout en favorisant ses exportations par la sous-évaluation du yuan. La Russie fait le blocus sur certaines automobiles étrangères. Le Brésil soumet la moitié de ses importations à des clauses d'autorisation. L'Inde interdit les jouets chinois, etc. La question n'est donc pas de savoir s'il faut une Europe protectionniste, mais comment elle devient plus protectrice. Pour sauver nos secteurs traditionnels et développer les industries innovantes, il faut pouvoir protéger un cadre commercial de manière temporaire et communautaire. Le libre-échange a eu ses vertus de développement des nations et de dialogue entre les peuples, mais avec l'essor d'un capitalisme mondial et financier, le système se grippe. «Tous concurrents, et que le moins cher gagne!», c'est un slogan mortel ! Comment voulez-vous que nos salariés et nos entrepreneurs tirent leur épingle du jeu sans un mixte d'innovation et de protection, face à des concurrents disposant d'un réservoir de main-d'œuvre inépuisable, de salaires 40 fois inférieurs aux nôtres et qui ne respectent pas les règles du jeu international ? Si l'Europe ne se réveille pas, c'est tout son appareil industriel et, à terme, son modèle de société qui seront bazardés.
Christian Saint-Etienne - Votre propos est habile et même convaincant pour qui ne connaît pas le sujet. Le libre-échange serait, selon vous, une vertu qui ne fonctionne plus, alors que toute l'histoire est une recherche d'ouverture de marché. Les Romains n'ont rien fait d'autre que de créer un empire de libre-échange. Qu'est-ce que la constitution des royaumes du Moyen Age jusqu'à la Renaissance, sinon l'extension de l'aire à l'intérieur de laquelle, de par l'action du roi, il y aura du libre-échange ? A mesure que l'on a fait sauter le blocage au commerce, le niveau de vie s'est élevé. Avant la spécialisation des pays selon leurs compétences et la division du travail rendues possibles par ce système, je dirais, pour schématiser, que l'on mangeait des racines ! Mais le libre-échange ne peut fonctionner que dans le cadre d'une aire politique et économique dotée d'un Etat de droit bien construit, avec des règles respectées par tout le monde. Or que s'est-il passé ? L'OMC, au départ, ne comprenait que des pays développés avec des valeurs et des systèmes juridiques très proches. Mais, lorsqu'elle s'est étendue à des pays n'appliquant pas le droit euro-américain, elle est devenue un marché de dupes. L'Europe en est la principale victime, dès lors qu'elle prétend à une politique d'ouverture. La question n'est donc pas la distinction entre protectionnisme et protection, ainsi que vous l'affirmez, mais la réciprocité. Si l'on était capable d'obtenir des Chinois et des Américains le même degré d'ouverture, les mêmes règles environnementales et règles du travail que les nôtres, le libre-échange serait une excellente chose au plan mondial. Le concept de libre-échange est comme l'eau : on peut y nager ou s'y noyer.
Guillaume Bachelay - Aujourd'hui, il y a trois options possibles. Soit poursuivre le libre-échange dérégulé, fondé sur le laisser-faire et l'hyper spécialisation de l'économie. Or, les pays les plus touchés par la crise - Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne - sont ceux qui ont cédé à cette double tentation. Soit édifier un protectionnisme idiot, national, permanent, généralisé : c'est celui auquel, hélas, on assiste actuellement. Le scénario que j'appelle de mes vœux vise à échapper à cette double impasse : il s'agit de mettre en place les modalités d'une protection commerciale européenne ciblée. En direction des autres grandes régions économiques, l'Union européenne et ses 450 millions de consommateurs doivent mettre en place un « juste échange ». Par exemple, il faut créer un rapport de forces avec la Chine en mettant en place des écluses sociales et écologiques. Désolé, mais on ne peut pas dire que tout se vaut, que les pays qui produisent en respectant les règles de l'Organisation internationale du travail ou le protocole de Kyoto valent ceux qui s'assoient dessus ! Il faut être pragmatiques et responsables : faute de protections européennes coopératives, ciblées, ponctuelles, nous aurons un protectionnisme xénophobe, dé sor donné et constant sous la forme de plans de relance riquiqui et rivaux aussi diplomatiquement dangereux qu'inefficaces économiquement ! Des restrictions au libre-échange à tous crins sont donc indispensables, adossées à des droits compensatoires en matière sociale et environnementale. L'autre volet d'action, c'est l'Europe vis-à-vis d'elle-même, c'est-à-dire la lutte antidumping fiscal et social. Car les délocalisations intra-européennes ne sont pas un fantasme.
Christian Saint-Etienne - Et, par le biais du protectionnisme, vous voulez compenser le fait qu'il n'y a pas de gouvernement économique européen ni de volonté politique de construire un projet fédéral commun ? Ce que vous proposez, c'est la politique du pire. Il faudrait que la France mette ses affaires en ordre, qu'elle voie les Allemands pour remettre les choses d'équerre en Europe, en reconnaissant qu'on s'est trompés lors de l'ouverture de l'Union européenne. Il fallait créer une aire intégrée sur le plan fiscal, social et environnemental au sein de l'Europe, qui aurait permis un libre-échange efficace, alors que la politique de concurrence intra-européenne est proprement suicidaire.
Guillaume Bachelay - Votre pensée, au fond, c'est une longue litanie de « et si », « et si », « et si »... Après la crise, c'est comme avant, en somme.
Christian Saint-Etienne - J'en ai autant à votre service.
Guillaume Bachelay - La politique du pire, M. Saint-Etienne, c'est la pire des politiques : celle qui nous a amenés à la crise où nous sommes. Trois décennies de dérégulation et de désindustrialisation. Vous ne pouvez pas faire comme si ce modèle n'avait pas échoué.
Christian Saint-Etienne - Plus de un milliard de Chinois et d'Indiens sont sortis de la pauvreté grâce à cela. On ne peut pas l'oublier. Sauf à vouloir faire un retour au marxisme, qui était en soi du protectionnisme.
Guillaume Bachelay - Le cadre libre-échangiste n'est donc pas négociable !
Christian Saint-Etienne - Je vous dis l'inverse !
Guillaume Bachelay - Vous avez dit que l'on y nage ou que l'on s'y noie ! Pourquoi refusez-vous à la fois les bouées et le pont ?
Christian Saint-Etienne - Les bouées, avec vous, ce sont des subventions, et le pont ce sont des barrières. Et cela finit toujours par le régime national-socialiste. Vous faites une erreur de diagnostic majeure. La concurrence dont on crève aujourd'hui est accessoirement la chinoise, et fondamentalement le mode de construction européen, qui repose sur une concurrence fiscale et sociale frontale à l'intérieur de l'Union.
Guillaume Bachelay - Nous sommes au moins d'accord sur ce point.
Christian Saint-Etienne - C'est cela qui est hallucinant. Nous faisons un débat de sourds. Le problème n'est pas le libre-échange, mais le fait que l'Europe ne comprenne pas que ce système ne fonctionne que dans un certain cadre, et que, pour l'acquérir, il faut une stratégie de mise en œuvre.
Guillaume Bachelay - Sauf qu'il y a urgence et que c'est dès maintenant qu'il faut en tirer les conséquences...
Patrice de Méritens
* Christian Saint-Etienne, économiste, professeur à Dauphine-Paris-IX et
à l’université de Tours, est membre du Conseil d’analyse économique. Cofondateur d’Avenir démocrate, il est conseiller de Paris et conseiller d’arrondissement pour le Ve arrondissement.
* Guillaume Bachelay, conseiller de Laurent Fabius, est secrétaire national du PS à la politique industrielle, aux entreprises et aux nouvelles technologies. Elu local, il est adjoint au maire de Cléon et conseiller général du canton de Caudebec-lès-Elbeuf (76).