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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:19

CHAPITRE XV

Du Droit des Particuliers dans la Guerre.

 

§.223     Les sujets ne peuvent commettre des hostilités sans ordre du Souverain

            Le Droit de faire la guerre, comme nous l’avons montré dans le Chapitre I de ce Livre, appartient uniquement à la Puissance souveraine.   Non-seulement c’est à elle de décider, s'il convient d'entreprendre la guerre, & de la déclarer ; il lui appartient encore d'en diriger toutes les opérations, comme des choses de la dernière importance pour le salut de l’Etat.   Les sujets ne peuvent donc agir ici d'eux-mêmes, & il ne leur est pas permis de commettre aucune hostilité, sans ordre du Souverain.   Bien entendu, que la défense de soi-même n'est pas comprise ici, sous le terme d'hostilités.   Un sujet peut bien repousser la violence même d'un concitoyen, quand le sécours du Magistrat lui manque, à plus forte raison pourra-t-il se défendre contre l’attaque inopinée des étrangers.

 

§.224     Cet ordre peut être général ou particulier

            L’ordre du Souverain, qui commande les actes d'hostilité, & qui donne le droit de les commettre, est ou général, ou particulier.   La Déclaration de guerre, qui commande à tous les sujets de courir sus aux sujets de l’Ennemi, porte un Ordre général.   Les Généraux, les Officiers, les Soldats, les Armateurs & les Partisans, qui ont des Commissions du Souverain, font la guerre, en vertu d'un ordre particulier.

 

§.225     Source de la nécessité d'un pareil ordre

            Mais si les sujets ont besoin d'un ordre du Souverain, pour faire la guerre, c'est uniquement en vertu des Loix essentielles à toute Société Politique, & non par l’effet de quelque obligation rélative à l’Ennemi.   Car dès le moment qu'une Nation prend les armes contre une autre, elle se déclare ennemie de tous les individus qui composent celle-ci, & les autorise à la traiter comme telle.   Quel droit auroit-elle de se plaindre des hostilités, que des particuliers commettroient contre elle, sans ordre de leur Supérieur ? La règle dont nous parlons se rapporte donc au Droit Public général, plûtôt qu'au Droit des Gens proprement dit, ou aux Principes des obligations réciproques des Nations.

 

§.226     Pourquoi le Droit des Gens a dû adopter cette règle

            A ne considérer que le Droit des Gens en lui-même, dès que deux Nations sont en guerre, tous les sujets de l’une peuvent agir hostilement contre l’autre, & lui faire tous les maux autorisés par l’état de Guerre.   Mais si deux Nations se choquoient ainsi de toute la masse de leurs forces, la Guerre deviendroit beaucoup plus cruelle & plus destructive, il seroit difficile qu'elle finit autrement que par la ruïne entière de l’un des partis, & l’exemple des Guerres anciennes le prouve de reste : On peut se rappeller les prémières Guerres de Rome, contre les Républiques Populaires qui l’environnoient.   C’est donc avec raison que l’usage contraire à passé en coûtume chez les Nations de l’Europe, au moins chez celles qui entretiennent des Troupes réglées, ou des Milices sur pied.   Les Troupes seules font la guerre, le reste du peuple demeure en repos.   Et la nécessité d'un ordre particulier est si bien établie, que lors même que la Guerre est déclarée entre deux Nations, si des paysans commettent d'eux-mêmes quelques hostilités, l’ennemi les traite sans ménagement, & les fait pendre, comme il feroit des voleurs ou des brigands.   Il en en de même de ceux qui vont en Course sur mer : Une Commission de leur Prince, ou de l’Amiral, peut seule les assurer, s'ils sont pris, d'être traités comme des prisonniers, faits dans une Guerre en forme.

 

§.227     A quoi se réduit l’ordre général de courrir sus

            Cependant on voit encore dans les Déclarations de Guerre, l’ancienne formule, qui ordonne à tous les sujets, non-seulement de rompre tout commerce avec les ennemis, mais de leur courrir sus.   L’usage interpréte cet ordre général.   Il autorise, à la vérité, il oblige même tous les sujets, de quelque qualité qu’ils soient à arréter les personnes & les choses appartenantes à l’Ennemi, quand elles tombent entre leurs mains ; mais il ne les invite point à entreprendre aucune expédition offensive, sans Commission, ou sans ordre particulier.

 

§.228     De ce que les particuliers peuvent entreprendre sur présomption de la volonté du Souverain

            Cependant il est des occasions, où les sujets peuvent présumer raisonnablement la volonté de leur Souverain, & agir en conséquence de son Commandement tacite.   C’est ainsi que, malgré l’usage, qui réserve communément aux Troupes les opérations de la Guerre, si la Bourgeoisie d’une Place forte prise par l’Ennemi, ne lui a point promis ou juré la soumission, & qu'elle trouve une occasion favorable de surprendre la Garnison & de remettre la Place sous les Loix du Souverain ; elle peut hardiment présumer que le Prince approuvera cette généreuse entreprise.   Et qui osera la condamner ? Il est vrai que si cette Bourgeoisie manque son coup, l’Ennemi la traitera avec beaucoup de rigueur.   Mais cela ne prouve point que l’entreprise soit illégitime, ou contraire un Droit du la Guerre.   L’Ennemi use de son droit, du droit des armes, qui l’autorise à employer jusqu'à un certain point, la terreur, pour empêcher que les sujets du Souverain à qui il fait la guerre, ne se hazardent facilement à tenter de ces coups hardis dont le succès pourroit lui devenir funeste.   Nous avons vû dans la dernière Guerre, le peuple de Gènes prendre tout-à-coup les armes de lui-même & chasser les Autrichiens de la Ville.   La République célébre chaque année la mémoire d'un événement, qui la remit en liberté.

 

§.229     Des Armateurs

            Les Armateurs, qui équippent à leurs fraix des Vaisseaux, pour aller en course, acquiérent la propriété du butin, en récompense de leurs avances & des périls qu’ils courrent, & ils l’acquièrent par la concession du Souverain, qui leur délivre des Commissions.   Le Souverain leur céde ou le butin entier, ou une partie ; cela dépend de l’espèce de Contrat qu'il fait avec eux.

 

            Les sujets n'étant pas obligés de peser scrupuleusement la justice de la Guerre, qu’ils ne sont pas toûjours à portée de bien connoître, & sur laquelle, en cas de doute, ils doivent s'en rapporter au jugement du Souverain (§.187) ; il n’y a nul doute, qu’ils ne puissent en bonne Conscience servir leur Patrie, en armant des Vaisseaux pour la Course ; à moins que la Guerre ne soit évidemment injuste.   Mais au contraire, c’est pour des Etrangers un métier honteux, que celui de prendre des Commissions d'un Prince, pour pirater sur une Nation absolument innocente à leur égard.   La soif de l’or est le seul motif qui les y invite ; & la Commission qu’ils reçoivent, en les assurant de l’impunité, ne peut laver leur infamie.   Ceux-là seuls sont excusables, qui assistent de cette manière une Nation, dont la Cause est indubitablement juste, qui n'a pris les armes que pour se garentir de l’oppression : Ils seroient même loüables, si la haine de l’oppression, si l’amour de la justice, plûtôt que celui du gain, les excitoit à de généreux efforts, à exposer aux hazards de la Guerre leur vie, ou leur fortune.

 

§.230     Des Volontaires

            Le noble but de s'instruire dans le métier de la Guerre, & de se rendre ainsi plus capable de servir utilement la Patrie, a établi l’usage de servir comme Volontaire, même dans des Armées étrangères ; & une fin si loüable justifie sans-doute cet usage.   Les Volontaires sont traités aujourd’hui par l’ennemi qui les fait prisonniers, comme s'ils étoient attachés à l’Armée, dans laquelle ils combattent.   Rien n'en plus juste.   Ils s’unissent de fait à cette Armée, ils soutiennent la même Cause ; peu importe que ce soit en vertu de quelque obligation, ou par l’effet d'une volonté libre.

 

§.231     De ce que peuvent faire les soldats & les subalternes

            Les soldats ne peuvent rien entreprendre sans le commandement, exprès ou tacite, de leurs Officiers ; car ils sont faits pour obéir, & exécuter, & non pour agir de leur chef ; ils ne sont que des instruments dans la main de leurs Commandans.   On se rappellera ici ce que nous entendons par un ordre tacite ; c'est celui qui est nécessairement compris dans un ordre exprès, ou dans les fonctions commises par un Supérieur.   Ce qui est dit des soldats doit s'entendre à proportion des Officiers & de tous ceux qui ont quelque Commandement subalterne.   On peut donc, à l’égard des choses dont le soin ne leur est point commis, comparer les uns & les autres aux simples particuliers, qui ne doivent rien entreprendre sans ordre.   L’obligation des Gens de guerre est même beaucoup plus étroite ; car les Loix Militaires défendent expressément d'agir sans ordre : Et cette Discipline est si nécessaire, qu'elle ne laisse presque aucun lieu à la présomption.   A la Guerre, une entreprise, qui paroîtra fort avantageuse, & d'un succès presque certain, peut avoir des suites funestes ; il seroit dangereux de s'en rapporter au jugement des subalternes qui ne connoissent pas toutes les vûës du Général, & qui n'ont pas ses lumières ; il n’est pas à présumer que son intention soit de les laisser agir d'eux-mêmes.   Combattre sans ordre, c’est presque toûjours, pour un homme de Guerre, combattre contre l’ordre exprès, ou contre la défense.   Il ne reste donc guères que le cas de la défense de soi-même, où les soldats & Subalternes puissent agir sans ordre.   Dans ce cas, l’ordre se présume avec sûreté ; ou plûtôt le droit de défendre sa personne de toute violence, appartient naturellement à chacun, & n'a besoin d'aucune permission.   Pendant le siège de Prague, dans la dernière Guerre, des Grenadiers François, sans ordre & sans Officiers, firent une sortie, s'emparèrent d'une batterie, enclouèrent une partie du Canon & emmenèrent l’autre dans la Place.   La sévérité Romaine les eût punis de mort.   On connoit le fameux exemple du Consul MANLIUS (a(a) TIT. LIV.Lib.VIII cap.VII), qui fit mourir son propre fils victorieux parce qu'il avoit combattu sans ordre.   Mais la différence des tems & des mœurs oblige un Général à tempérer cette sévérité.   M. le Maréchal de BELLE-ISLE réprimanda en public ces braves Grenadiers ; mais il leur fit distribuer sous-main de l’argent, en récompense de leur courage & de leur bonne volonté.   Dans un autre siège fameux de la même Guerre, au siège de Coni, les soldats de quelques Bataillons logés dans les fossés, firent d'eux-mêmes, en l’absence des Officiers, une sortie vigoureuse, qui leur réussit.   M. le Baron de LEUTRUM fut obligé de pardonner cette faute, pour ne pas éteindre une ardeur, qui faisoit toute la sûreté de la Place.   Cependant il faut, autant qu'il est possible, réprimer cette impétuosité désordonnée ; elle peut devenir funeste.   AVIDIUS -CASSIUS punit de mort quelques Officiers de son Armée, qui étoient allés sans ordre, avec une poignée de monde, surprendre un Corps de 3000 hommes, & l’avoient taillé en pièces.   Il justifia cette rigueur, en disant, qu’il pouvoit se faire qu'il y eût une embuscade : Dicens evenire potuisse ut essent insidiae &c. (b(b) VULCATIUS GALLICAN, Cité par GROTIUS, Liv.III Ch.XVIII §.I not.6).

 

§.232     Si l’Etat doit dédommager les sujets des pertes qu’ils ont souffertes par la Guerre

            L’Etat doit-il dédommager les particuliers, des pertes qu’ils ont souffertes dans la Guerre ? On peut voir dans GROTIUS (c(c) Liv.III Chap.XX §.VIII) que les Auteurs se sont partagés sur cette question.   Il faut distinguer ici deux sortes de dommages ; ceux que cause l’Etat, ou le Souverain lui-même, & ceux que fait l’Ennemi.   De la prémière espèce, les uns sont causés librement & par précaution, comme quand on prend le Champ, la Maison, ou le Jardin d'un particulier, pour y construire le rempart d'une Ville, ou quelque autre pièce de fortification ; quand on détruit ses moissons, ou ses magasins, dans la crainte que l’ennemi n'en profitte.   L’Etat doit payer ces sortes de dommages au particulier, qui n'en doit supporter que sa quote-part.   Mais d'autres dommages sont causés par une nécessité inévitable ; tels sont, par exemple, les ravages de l’Artillerie, dans une Ville, que l’on reprend sur l’Ennemi.   Ceux-ci sont des accidens, des maux de la fortune pour les propriétaires sur qui ils tombent.   Le Souverain doit équitablement y avoir égard, si l’état de ses affaires le lui permet ; mais on n'a point d'action contre l’Etat, pour des malheurs de cette nature, pour des pertes, qu'il n'a point causées librement, mais par nécessité & par accident, en usant de ses droits.   J'en dis autant des dommages causés par l’Ennemi.   Tous les sujets sont exposés à ces dommages : malheur à celui sur qui ils tombent.   On peut bien, dans une société, courrir ce risque pour les biens, puisqu'on le court pour la vie.   Si l’Etat devoit à rigueur dédommager tous ceux qui perdent de cette manière, les finances publiques seroient bientôt épuisées ; il faudroit que chacun contribuât du sien, dans une juste proportion ; ce qui seroit impraticable.   D'ailleurs ces dédommagemens seroient sujets à mille abus, & d'un détail effrayant.   Il est donc à présumer que ce n'a jamais été l’intention de ceux qui se sont unis en Société.

 

            Mais il est très-conforme aux devoirs de l’Etat & du Souverain & très-équitable par conséquent, très-juste même, de soulager autant qu’il se peut les infortunés, que les ravages de la Guerre ont ruïnés, de même que de prendre soin d'une famille, dont le Chef & le soutien a perdu la vie pour le service de l’Etat.   Il est bien des Dettes sacrées, pour qui connoît ses devoirs, quoiqu'elles ne donnent point d’action contre lui.


  

 

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