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11 décembre 2004 6 11 /12 /décembre /2004 00:17

CHAPITRE XIII

De l’acquisition par Guerre, & principalement de la Conquète.

 

§.193     Comment la Guerre est un moyen d'acquérir

            S’il est permis d'enlever les choses qui appartiennent à l’Ennemi, dans la vuë de l’affoiblir, (§.160), & quelquefois dans celle de le punir (§.162) ; il ne l’est pas moins, dans une Guerre juste, de s'approprier ces choses-là, par une espèce de Compensation, que les jurisconsultes appellent expletio Juris (§.161) : on les retient en équivalent de ce qui est dû par l’Ennemi, des dépenses & des dommages qu’il a causés, & même, lorsqu'il y a sujet de le punir, pour tenir lieu de la peine qu’il a méritée.   Car lorsque je ne puis me procurer la chose même qui m'appartient, ou qui m'est due, j'ai droit à un équivalent, lequel, dans les règles de la Justice explétrice, & suivant l’estimation morale, est regardé comme la chose même.   La Guerre fondée sur la justice est donc un moyen légitime d'acquérir, suivant la Loi Naturelle, qui fait le Droit des Gens Nécessaire.

 

§.194     Mesure du droit qu'elle donne

            Mais cette Loi sacrée n'autorise l’acquisition faite par de justes armes, que dans les termes de la justice ; c’est-à-dire, jusqu'au point d'une satisfaction complette, dans la mesure nécessaire pour remplir les fins légitimes dont nous venons de parler.   Un Vainqueur équitable, rejettant les conseils de l’Ambition & de l’Avarice, fera une juste estimation de ce qui lui est dû, sçavoir de la chose même, qui a fait le sujet de la querelle, s'il ne peut l’avoir en nature, des dommages, & des fraix de la Guerre, & ne retiendra des biens de l’Ennemi, que précisément autant qu'il en faudra pour former l’équivalent.   Mais s’il a affaire à un Ennemi perfide, inquiet & dangereux ; il lui ôtera, par forme de peine, quelques-unes de ses Places, ou de ses Provinces, & les retiendra, pour s'en faire une barrière.   Rien de plus juste, que d'affoiblir un Ennemi qui s'en rendu suspect & formidable.   La fin légitime de la peine est la sûreté pour l’avenir.   Telles sont les conditions, qui rendent l’acquisition faite par les armes, juste & irréprochable devant Dieu & dans la Conscience ; le bon Droit dans la Cause, & la mesure équitable dans la satisfaction.

 

§.195     Dispositions du Droit des Gens Volontaire

            Mais les Nations ne peuvent insister entre-elles sur cette rigueur de la Justice.   Par les dispositions du Droit des Gens Volontaire, toute Guerre en forme, quant à ses effets, est regardée comme juste de part & d'autre (§.190), & personne n’est en droit de juger une Nation, sur l’excès de ses prétentions, ou sur ce qu'elle croit nécessaire à sa sûreté (Prélim. §.21).   Toute acquisition faite dans une Guerre en forme, est donc valide, suivant le Droit des Gens Volontaire, indépendamment de la justice de la Cause, & des raison, sur lesquelles le Vainqueur a pû se fonder, pour s'attribuer la propriété de ce qu’il a pris.   Aussi la Conquête a-t-elle été constamment regardée comme un titre légitime entre les Nations : Et l’on n'a guères vû contester ce titre, à moins qu'il ne fût dû à une Guerre, non-seulement injuste, mais destituée même de prétextes.

 

§.196     Acquisition des choses mobiliaires

            La propriété des choses mobiliaires est acquise à l’Ennemi, du moment qu'elles sont en sa puissance ; & s'il les vend chez des Nations neutres, le prémier Propriétaire n’est point en droit de les revendiquer.   Mais il faut que ces choses-là soient véritablement au pouvoir de l’ennemi, & conduites en lieu de sûreté.   Supposez qu'un Etranger, passant dans notre pays, achette quelque partie du butin, que vient d'y faire un parti ennemi ; ceux des nôtres, qui sont à la poursuite de ce parti, reprendront avec justice le butin, que cet Etranger s’est pressé d'acheter.   Sur cette matière, GROTIUS rapporte, d'après DE THOU, l’exemple de la Ville de Lierre en Brabant, laquelle ayant été prise & reprise en un même jour, le butin fait sur les habitans leur fut rendu, parcequ'il n'avoit pas été pendant vingt-quatre heures entres les mains de l’ennemi (a(a) Droit de la G. & de la P. Liv.III Ch.VI §.III not.7).   Ce terme de vingt-quatre heures, aussi-bien que ce qui s’observe sur mer (b(b) Voyez GROTIUS, Ibid. & dans le texte), est une institution de Droit des Gens pactice, ou de la Coûtume, ou enfin une Loi Civile de quelques Etats.   La raison naturelle de ce qui fut observé en faveur des habitans de Lierre, est, que l’ennemi étant pris, pour ainsi dire, sur le fait, & avant qu'il eût emporté le butin, on ne regarda pas ce butin comme passé absolument sous sa propriété & perdu pour les habitans.   De même sur mer, un Vaisseau pris par l’ennemi, tant qu'il n'a pas été conduit dans quelque port, ou au milieu d'une Flotte, peut être repris & délivré par d’autres Vaisseaux du même parti.   Son sort n’est pas décidé, ni la propriété du maître perduë sans retour, jusqu’à ce que le Vaisseau soit en lieu de sûreté pour l’ennemi qui l’a pris, & entiérement en sa puissance.   Mais les Ordonnances de chaque Etat peuvent en disposer autrement, entre les Citoyens (a(a) GROTIUS ibid), soit pour éviter les contestations, soit pour encourager les Vaisseaux armés à reprendre les Navires Marchands, que l’ennemi a enlevés.

 

            On ne fait point ici attention à la justice, ou à l’injustice de la Cause.   Il n'y auroit rien de stable parmi les hommes, nulle sûreté à commercer avec les Nations qui sont en guerre, si l’on pouvoit distinguer entre une Guerre juste & une Guerre injuste, pour attribuer à l’une des effets de Droit, que l’on refuseroit à l’autre : Ce seroit ouvrir la porte à une infinité de discussions & de querelles.   Cette raison est si puissante, qu'elle a fait attribuer, au moins par rapport aux biens mobiliaires, les effets d'une Guerre publique à des expéditions, qui ne méritoient que le nom de brigandages, mais qui étoient faites par des Armées en forme.   Lorsque les Grandes-Compagnies, après les Guerres des Anglois en France, courroient l’Europe & la pilloient ; personne ne s’avisa de revendiquer le butin, qu'elles avoient enlevé & vendu.   Aujourd’hui on ne seroit point reçu à réclamer un Vaisseau pris par les Corsaires de Barbarie, & vendu à un tiers, ou repris sur eux, quoique les pirateries de ces Barbares ne puissent que très-improprement être considérées comme des actes d'une Guerre en forme.   Nous parlons ici du Droit externe : Le Droit interne & la Conscience obligent sans-doute à rendre à un tiers les choses, que l’on reprend sur un ennemi, qui les lui avoit ravies dans une Guerre injuste, s'il peut reconnoître ces choses-là, & s'il paye les fraix que l’on a faits pour les recouvrer.   GROTIUS (a(a) Liv.III Chap.XVI) rapporte un grand nombre d'exemples de Souverains & de Généraux, qui ont rendu généreusement un pareil butin, même sans rien exiger pour leurs fraix ou pour leurs peines.   Mais on n'en use ainsi, qu'à l’égard d'un butin nouvellement enlevé.   Il seroit peu praticable du rechercher scrupuleusement ses propriétaires de ce qui a été pris long-tems auparavant ; & d'ailleurs, ils ont sans-doute abandonné tout leur droit à des choses, qu’ils n'espéroient plus de recouvrer.   C’est la commune façon de penser, sur ce qui se perd à la Guerre ; on l’abandonne bien-tôt, comme perdu sans ressource.

 

§.197     De l’acquisition des Immeubles, ou de la Conquête

            Les Immeubles, les Terres, les Villes, les Provinces, passent sous la puissance de l’ennemi qui s'en empare; mais l’acquisition ne se consomme, la propriété ne devient stable & parfaite, que par le Traité de Paix, ou par l’entière soumission & l’extinction de l’Etat, auquel ces Villes & Provinces appartenoient.

 

§.198     Comment on peut en disposer validement

            Un tiers ne peut donc acquérir avec sûreté une Place, ou une Province conquise, jusques-à-ce que le Souverain qui l’a perduë y ait renoncé par le Traité de Paix, ou que, soumis sans retour, il ait perdu sa Souveraineté.   Car, tant que la Guerre continuë, tandis que le Souverain conserve l’espérance de recouvrer ses Possessions par les armes ; un Prince neutre viendra-t-il lui en ôter la liberté, en achetant cette Place, ou cette Province, du Conquérant ? Le prémier Maître ne peut perdre ses droits, par le fait d'un tiers ; & si l’acquéreur veut conserver son acquisition, il se trouvera impliqué dans la Guerre.   C’est ainsi que le Roi de Prusse se mit au nombre des ennemis de la Suéde, en recevant Stettin des mains du Roi de Pologne & du Czar, sous le nom de séquestre (a(a) Par le Traité de Schwede du 6 Octobre 1713).   Mais aussi-tôt qu'un Souverain, par le Traité définitif de Paix, a cédé un pays au Conquérant, il a abandonné tout le droit qu'il y avoit, & il seroit absurde qu'il pût redemander ce pays à un nouveau Conquérant, qui l’arrache au prémier, ou à tout autre Prince, qui l’aura acquis à prix d'argent, par échange, & à quelque titre que ce soit.

 

§.199     Des conditions auxquelles on acquiert une Ville conquise

            Le Conquérant qui enlève une Ville ou une Province à son Ennemi, ne peut y acquérir justement que les mêmes Droits qu'y possédoit le Souverain, contre lequel il a pris les armes.   La Guerre l’autorise à s'emparer de ce qui appartient à son Ennemi : s'il lui ôte la souveraineté de cette Ville, ou de cette Province ; il l’acquiert telle qu'elle est, avec ses limitations & ses modifications quelconques.   Aussi a-t-on soin, pour l’ordinaire, soit dans les Capitulations particulières, soit dans les Traités de Paix, de stipuler, que les Villes & pays cédés conserveront tous leurs Privilèges, Libertés & Immunités.   Et pourquoi le Conquérant les en priveroit-il à cause des démêlés qu’il a avec leur Souverain ? Cependant, si les habitans se sont rendus personnellement coupables envers lui, par quelque attentat, il peut, en forme de peine, les priver de leurs droits & de leurs franchises.   Il le peut encore si ces mêmes habitans ont pris les armes contre lui, & se sont ainsi rendus directement ses ennemis.   Il ne leur doit alors autre chose que ce qu'un Vainqueur humain & équitable doit à des ennemis soumis.   S’il les unit & les incorpore purement & simplement à ses anciens Etats ils n'auront pas lieu de se plaindre.

 

            Jusques-ici, je parle, comme on voit, d'une Ville, ou d'un pays qui ne fait pas simplement Corps avec une Nation, ou qui n'appartient pas pleinement à un Souverain, mais sur lequel cette Nation, ou ce Prince ont seulement certains Droits.   Si la Ville ou la Province conquise étoit pleinement & parfaitement du Domaine d'une Nation ou d'un Souverain, elle passe sur le même pied au pouvoir du Vainqueur.   Unie désormais au nouvel Etat auquel elle appartient, si elle perd à ce changement, c’est un malheur dont elle ne doit accuser que le sort des armes.   Ainsi une Ville qui faisoit partie d'une République, ou d'une Monarchie limitée, qui avoit droit de députer au Conseil souverain, ou à l’Assemblée des Etats, si elle est justement conquise par un Monarque absolu, elle ne peut plus penser à des Droits de cette nature ; la Constitution du nouvel Etat dont elle dépend, ne le souffre pas.

 

§.200     Des terres des particuliers

            Autrefois les particuliers mêmes perdoient leurs terres, par la Conquête.   Et il n’est point surprenant que telle fût la Coûtume, dans les prémiers siécles de Rome.   C'étoit des Républiques populaires, des Communautés, qui se faisoient la guerre ; l’Etat possédoit peu de chose, & la querelle étoit véritablement la Cause commune de tous les Citoyens.   Mais aujourd’hui la Guerre est moins terrible pour les sujets ; les choses se passent avec plus d'humanité : Un souverain fait la guerre à un autre Souverain, & non point au peuple désarmé.   Le Vainqueur s'empare des Biens de l’Etat, des Biens publics, & les particuliers conservent les leurs.   Ils ne souffrent de la Guerre qu'indirectement ; & la Conquête les fait seulement changer de Maître.

 

§.201     De la Conquête de l’Etat entier

            Mais si l’Etat entier est conquis, si la Nation est subjuguée ; quel traitement pourra lui faire le Vainqueur, sans sortir des bornes de la Justice ? Quels seront ses Droits sur sa Conquête ? Quelques-uns ont osé avancer ce principe monstrueux, que le Conquérant est maître absolu de sa Conquête, qu'il peut en disposer, comme de son propre, la traiter comme il lui plaît, suivant l’expression commune, traiter un Etat en pays conquis : Et de-là ils tirent l’une des sources du Gouvernement Despotique.   Laissons des gens, qui traitent les hommes comme des effets commerçables, ou comme des bêtes de charge, qui les livrent à la propriété, au domaine d'un autre homme ; raisonnons sur des principes avoués de la Raison & convenables à l’humanité.

 

            Tout le droit du Conquérant vient de la juste défense de soi-même (§§.3, 26 & 28), laquelle comprend le maintien & la poursuite de ses droits.   Lors donc qu’il a entièrement vaincu une Nation ennemie, il peut sans-doute, prémièrement se faire justice sur ce qui a donné lieu à la Guerre & se payer des dépenses & des dommages qu’elle lui a causés ; il peut, selon l’exigence du cas, lui imposer des peines, pour l’exemple ; il peut même, si la prudence l’y oblige, la mettre hors d'état de nuire si aisément dans la suite.   Mais pour remplir toutes ces vuës, il doit préférer les moyens les plus doux, & se souvenir que la Loi Naturelle ne permet les maux que l’on fait à un ennemi, que précisément dans la mesure nécessaire à une juste défense & à une sûreté raisonnable pour l’avenir.   Quelques Princes se sont contentés d'imposer un Tribut à la Nation vaincue ; d'autres, de la priver de quelques Droits, de lui ôter une Province, ou de la brider par des Forteresses.   D'autres, n'en voulant qu'au Souverain seul, ont laissé la Nation dans tous ses droits, se bornant à lui donner un Maître de leur main.

 

            Mais si le Vainqueur juge à propos de retenir la souveraineté de l’Etat conquis, & se trouve en droit de le Faire ; la manière dont il doit traiter cet Etat, découle encore des mêmes principes.   S’il n'a à se plaindre que du Souverain ; la raison nous démontre qu'il n'acquiert, par sa Conquête, que les Droits qui appartenoient réellement à ce Souverain dépossédé ; & aussi-tôt que le peuple se soumet, il doit le gouverner suivant les Loix de l’Etat.   Si le peuple ne se soumet pas volontairement ; l’état de Guerre subsiste.

 

            Un Conquérant qui a pris les armes, non pas seulement contre le Souverain, mais contre la Nation elle-même ; qui a voulu dompter un peuple féroce, & réduire une fois pour toutes un Ennemi opiniâtre ; ce Conquérant peut avec justice, imposer des charges aux vaincus, pour se dédommager des fraix de la Guerre, & pour les punir ; il peut, selon le dégré de leur indocilité, les régir avec un sceptre plus ferme & capable de les matter, les tenir quelque tems, s'il est nécessaire, dans une espèce de servitude.   Mais cet état forcé doit finir dès que le danger cesse, dès que les vaincus sont devenus Citoyens.   Car alors, le droit du Vainqueur expire, quant à ces voies de rigueur ; puisque sa défense & sa sûreté n'exigent plus de précautions extraordinaires.   Tout doit être enfin ramené aux règles d'un sage Gouvernement, aux Devoirs d'un bon Prince.

 

            Lorsqu’un Souverain, se prétendant le maître absolu de la destinée d'un Peuple qu’il a vaincu, veut le réduire en esclavage ; il fait subsister l’état de Guerre, entre ce Peuple & lui.   Les Scythes disoient à ALEXANDRE le Grand : « il n'y a jamais d'amitié entre le Maître & l’Esclave : au milieu de la paix, le droit de la guerre subsiste toûjours (a(a) QUINT. Curt. Lib.VII cap.VIII). » Si quelqu’un dit, qu'il peut y avoir paix dans ce cas-là, & une espéce de Contrat par lequel le Vainqueur accorde la vie, à condition que l’on se reconnoisse pour ses Esclaves : il ignore que la Guerre ne donne point le droit d'ôter la vie à un ennemi désarmé & soumis (§.140).   Mais ne contestons point : Qu'il prenne pour lui cette Jurisprudence ; il est digne de s'y soumettre.   Les gens de cœur, qui comptent la vie pour rien, & pour moins que rien, si elle n’est accompagnée de la Liberté, se croiront toûjours en guerre avec cet Oppresseur, quoique de leur part, les actes en soient suspendus par impuissance.   Disons donc encore, que si la Conquête doit être véritablement soumise au Conquérant, comme à son Souverain légitime, il faut qu'il la gouverne selon les vuës, pour lesquelles le Gouvernement Civil a été établi.   Le Prince seul, pour l’ordinaire, donne lieu à la Guerre, & par conséquent à la Conquête.   C'est bien assez qu'un peuple innocent souffre les calamités de la guerre ; faudra-t-il que la Paix même lui devienne funeste ? Un Vainqueur généreux s'appliquera à soulager ses nouveaux sujets, à adoucir leur sort ; il s'y croira indispensablement obligé : La Conquête, suivant l’expression d'un excellent homme, laisse toûjours à payer une dette immense, pour s'acquitter envers la nature humaine (a(a) M. le Président de MONTESQUIEU, dans l’Esprit des Loix).

 

            Heureusement la bonne Politique se trouve ici, & par-tout ailleurs, parfaitement d'accord avec l’humanité.   Quelle fidélité, quels sécours pouvez-vous attendre d'un peuple opprimé ? Voulez-vous que votre Conquête augmente véritablement vos forces, qu'elle vous soit attachée ? Traitez-la en Père, en véritable Souverain.   J'admire la généreuse réponse de cet Ambassadeur de Privernes.   Introduit devant le Sénat Romain, & le Consul lui disant : « Si nous usons de clémence, quel fonds pourrons-nous faire sur la paix, que vous venez nous demander ? » l’Ambassadeur répondit : « Si vous nous l’accordez à des conditions raisonnables, elle sera sûre & éternelle ; si non, elle ne durera pas long tems. » Quelques-uns s'offensoient d'un discours si hardi : Mais la plus saine partie du Sénat trouva que le Privernate avoit parlé en homme, & en homme libre.   « Peut-on espérer, » disoient ces sages Sénateurs, « qu'aucun peuple, ou aucun homme demeure dans une Condition dont il n’est pas content, dès que la nécessité qui l’y retenoit viendra à cesser ? Comptez sur la paix, quand ceux à qui vous la donnez la reçoivent volontiers.   Quelle fidélité pouvez-vous attendre de ceux que vous voulez réduire à l’esclavage (a(a) TIT. LIV. Lib.VIII, cap.XXI) ? » « La Domination la plus assûrée, » disoit CAMILLE, « est celle qui est agréable à ceux-là même sur qui on l’exerce (b(b) TIT. LIV. Lib.VIII, cap.XIII). »

 

            Tels sont les droits que la Loi Naturelle assigne au Conquérant & les Devoirs qu'elle lui impose.   La manière de faire valoir les uns & de remplir les autres varie selon les circonstances.   En général, il doit consulter les véritables intérêts de son Etat, & par une sage Politique, les concilier autant qu'il est possible avec ceux de sa Conquête.   Il peut, à l’exemple des Rois de France, l’unir & l’incorporer à son Etat.   C’est ainsi qu'en usoient les Romains.   Mais ils y procédèrent différemment, selon les cas & les conjonctures.   Dans un tems où Rome avoit besoin d'accroissement, elle détruisit la Ville d'Albe, qu'elle craignoit d'avoir pour rivale, mais elle en reçut les habitans dans son sein, & s'en fit autant de Citoyens.   Dans la suite, en laissant subsister les Villes conquises, elle donna le Droit de Bourgeoisie Romaine aux vaincus.   La Victoire n'eût pas été autant avantageuse à ces peuples, que le fut leur défaite.

 

            Le Vainqueur peut encore se mettre simplement à la place du Souverain, qu’il a dépossédé.   C’est ainsi qu'en ont usé les Tartares à la Chine : l’Empire a subsisté tel qu'il étoit, il a seulement été gouverné par une nouvelle Race de Souverains.

 

            Enfin le Conquérant peut gouverner sa Conquête comme un Etat à part, en y laissant subsister la forme du Gouvernement.   Mais cette méthode est dangereuse, elle ne produit pas une véritable union de forces : Elle affoiblit la Conquête, sans fortifier beaucoup l’Etat Conquérant.

 

§.202     A qui appartient la Conquête

            On demande, à qui appartient la Conquéte ; au Prince qui l’a faite, ou à son Etat ? C’est une Question qui n'auroit jamais dû naître.   Le Souverain peut-il agir, en cette qualité, pour quelqu'autre fin que pour le bien de l’Etat ? A qui sont les forces, qu'il employa dans ses guerres ? Quand il auroit fait la Conquéte à ses propres fraix, des deniers de son épargne, de ses biens particuliers & patrimoniaux ; n'y employe-t-il pas le bras de ses sujets, n'y verse-t-il pas leur sang ? Mais supposez encore qu'il se fût servi de Troupes étrangères & mercénaires ; n'expose-t-il pas sa Nation au ressentiment de l’Ennemi, ne l’entraîne-t-il pas dans la guerre? Et le fruit en sera pour lui seul ! N'est-ce pas pour la Cause de l’Etat, de la Nation, qu'il prend les armes ? Tous les droits qui en naîssent sont donc pour la Nation.

 

            Si le Souverain fait la guerre pour un sujet qui lui est personnel, pour faire valoir, par exemple, un droit de succession à une Souveraineté étrangère ; la question change.   Cette affaire n’est plus celle de l’Etat.   Mais alors la Nation doit être en liberté de ne s'en point mêler, si elle veut, ou de sécourir son Prince.   Que s'il a le pouvoir d'employer les forces de la Nation à soutenir ses Droits personnels ; il ne doit plus distinguer ces Droits de ceux de l’Etat.   La Loi de France, qui réunit à la Couronne toutes les acquisitions des Rois, devroit être la Loi de tous les Royaumes.

 

§.203     Si l’on doit remettre en Liberté un Peuple, que l’Ennemi avoit injustement conquis

            Nous avons vû (§.196) comment on peut être obligé, non extérieurement, mais en Conscience & par les Loix de l’Equité, à rendre à un tiers le butin repris sur l’ennemi, qui le lui avoit enlevé dans une Guerre injuste.   L’obligation est plus certaine & plus étenduë, à l’égard d'un Peuple, que notre Ennemi avoit injustement opprimé.   Car un Peuple ainsi dépouillé de sa Liberté, ne renonce jamais à l’espérance de la recouvrer.   S’il ne s’est pas volontairement incorporé dans l’Etat qui l’a conquis, s'il ne l’a pas librement aidé contre nous dans la Guerre ; nous devons certainement user de notre Victoire, non pour lui faire changer seulement de Maître, mais pour rompre ses fers.   C’est un beau fruit de la Victoire, que de délivrer un Peuple opprimé ; & c’est un grand gain que de s'acquérir ainsi un Ami fidèle.   Le Canton de Schweitz ayant enlevé le pays de Glaris à la Maison d'Autriche, rendit aux habitant leur prémiére Liberté, & Glaris, reçu dans la Confédération Helvétique, forma le sixième Canton (a(a) Histoires de la Confédération Helvétique par M. DE WATTEVILLE, Liv.III).


  

 

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