CHAPITRE VI
Des Associés de l’Ennemi ; des Sociétés de Guerre, des Auxiliaires, des Subsides.
§.78 Des Traités rélatifs à la Guerre
Nous avons assez parlé des Traités en général, & nous ne toucherons ici à cette matiére que dans ce qu’elle a de particuliérement rélatif à la Guerre. Les Traités qui se rapportent à la Guerre sont de plusieurs espèces, & varient dans leurs objets & dans leurs clauses, suivant la volonté de ceux qui les font. On doit d'abord y appliquer tout ce que nous avons dit des Traités en général (Liv.II chap.XII & suivans), & ils peuvent se diviser de même en Traités réels & personnels, égaux & inégaux &c. Mais ils ont aussi leurs différences spécifiques, celles qui se rapportent à leur objet particulier, à la Guerre.
§.79 Des Alliances Défensives & des Alliances Offensives
Sous cette rélation, les Alliances faites pour la Guerre se divisent en général en Alliances Défensives & Alliances offensives. Dans les prémières, on s’engage seulement à défendre son Allié, au cas qu'il soit attaqué : Dans les sécondes, on se joint à lui pour attaquer, pour porter ensemble la Guerre chez une autre Nation. Il est des Alliances offensives & définitives tout-ensemble ; & rarement une Alliance est-elle offensive, sans être défensive aussi. Mais il est fort ordinaire d'en voir de purement défensives ; & celles-ci sont en général les plus naturelles & les plus légitimes. Il seroit trop long, & même inutile, de parcourrir en détail toutes les variétés de ces Alliances. Les unes se font sans restriction, envers & contre tous ; en d'autres on excepte certains Etats ; de troisièmes sont formées nommément contre telle, ou telle Nation.
§.80 Différence des Sociétés de Guerre & des Traités de sécours
Mais une différence qu'il est important de bien remarquer, sur-tout dans les Alliances Défensives, est celle qui se trouve entre une Alliance intime & complette, dans laquelle on s'engage à faire Cause commune, & une autre, dans laquelle on se promet seulement un sécours déterminé. L’Alliance dans laquelle on fait Cause commune, est une Société de Guerre : Chacun y agit de toutes ses forces ; tous les Alliés deviennent Parties principales dans la Guerre ; ils ont les mêmes Amis & les mêmes Ennemis. Mais une Alliance de cette nature s'appelle plus particuliérement Société de Guerre, quand elle est offensive.
§.81 Des Troupes Auxiliaires
Lorsqu’un Souverain, sans prendre part directement à la Guerre que fait un autre Souverain, lui envoye seulement un sécours de Troupes, ou de Vaisseaux de Guerre; ces Troupes, ou ces Vaisseaux s'appellent Auxiliaires.
Les Troupes Auxiliaires servent le Prince à qui elles sont envoyées, suivant les ordres de leur Souverain. Si elles sont données purement & simplement, sans restriction, elles serviront également pour l’offensive & pour la défensive ; et elles doivent obéir, pour là direction & le détail des opérations, au Prince qu'elles viennent sécourir. Mais ce Prince n'en à point cependant la libre & entière disposition, comme de ses sujets. Elles ne lui sont accordées que pour ses propres Guerres, & il n’est pas en droit de les donner lui-même, comme Auxiliaires, à une troisième Puissance.
§.82 Des subsides
Quelquefois ce sécours d'une Puissance qui n'entre point directement dans la Guerre, consiste en argent, & alors on l’appelle Subside. Ce terme se prend souvent aujourd’hui dans un autre sens, & signifie une famine d'argent, qu'un Souverain paye chaque année à un autre Souverain, en récompense d'un Corps de Troupes, que celui-ci lui fournit dans ses Guerres, ou qu'il tient prêt pour son service. Les Traités, par lesquels on s’assure une pareille ressource, s'appellent Traités de Subsides. La France & l’Angleterre ont aujourd’hui des Traités de cette nature avec divers Princes du Nord & de l’Allemagne, & les entretiennent même en tems de paix.
§.83 Comment il est permis à une Nation de donner du sécours à une autre
Pour juger maintenant de la moralité de ces divers Traités, ou Alliances, de leur légitimité selon le Droit des Gens, & de la manière dont ils doivent être exécutés ; il faut d'abord poser ce principe incontestable : il est permis & louable de sécourir & d’assister de toute manière une Nation, qui fait une Guerre juste ; & cette assistance est un devoir, pour toute Nation qui peut la donner sans se manquer à elle-même. Mais on ne peut aider d’aucun sécours celui qui fait une guerre injuste. Il n’y a rien là qui ne soit démontré par tout ce que nous avons dit des devoirs communs des Nations les unes envers les autres (Liv.II chap.I). Il est toûjours loüable de soutenir le bon Droit, quand on le peut : Mais aider l’injuste c’est participer à son crime, c’est être injuste comme lui.
§.84 Et de faire des Alliances pour la Guerre
Si au principe que nous venons d'établir, vous joignez la considération de ce qu'une Nation doit à sa propre sûreté, des soins qu'il lui est si naturel & si convenable de prendre, pour se mettre en état de résister à ses Ennemis ; vous sentirez d'autant plus aisément combien elle est en droit de faire des Alliances pour la Guerre, & sur-tout des Alliances défensives, qui ne tendent qu'à maintenir un chacun dans la possession de ce qui lui appartient.
Mais elle doit user d'une grande circonspection, quand il s'agit de contracter de pareilles Alliances. Des engagemens, qui peuvent l’entraîner dans la Guerre, au moment qu'elle y pensera le moins, ne doivent se prendre que pour des raisons très-importantes, & en vuë du bien de l’Etat. Nous parlons ici des Alliances qui se font en pleine paix & par précaution pour l’avenir.
§.85 Des Alliances qui se font avec une Nation actuellement en guerre
S'il est question de contracter Alliance avec une Nation déjà engagée dans la Guerre, ou prête à s'y engager, deux choses sont à considérer :
1°, La justice des armes de cette Nation ;
2°, Le bien de l’Etat. Si la Guerre, que fait, ou que va faire un Prince, est injuste ; il n’est pas permis d'entrer dans son Alliance, puisqu'on ne peut soutenir l’injustice. Est-il fondé à prendre les armes ? Il reste encore à considérer, si le bien de l’Etat vous permet, ou vous conseille, d'entrer dans sa querelle. Car le Souverain ne doit user de son Autorité que pour le bien de l’Etat ; c’est là que doivent tendre toutes ses démarches, & sur-tout les plus importantes. Quelle autre considération pourroit l’autoriser à exposer sa Nation aux calamités de la Guerre ?
§.86 Clause tacite en toute Alliance de Guerre
Puisqu'il n’est permis de donner du sécours, ou de s'allier, que pour une Guerre juste ; toute Alliance, toute Société de Guerre, tout Traité de sécours, fait d'avance en tems de paix, & lorsqu'on n'a en vuë aucune Guerre particuliére, porte nécessairement & de soi-même cette Clause tacite, que le Traité n'aura lieu que pour une Guerre juste. L’Alliance ne pourroit se contracter validement sur un autre pied (Liv.Il §§.161. & 168).
Mais il faut prendre garde de ne pas réduire par là les Traités d'Alliance à des formalités vaines & illusoires. La restriction tacite ne doit s'entendre que d'une Guerre évidemment injuste ; autrement, on ne manqueroit jamais de prétexte, pour éluder les Traités. S'agit-il de vous allier à une Puissance, qui fait actuellement la Guerre ? Vous devez peser religieusement la justice de sa Cause ; le jugement dépend de vous uniquement, parceque vous ne lui devez rien, qu'autant que ses armes seront justes, & qu'il vous conviendra de vous joindre à elle. Mais lorsque vous êtes déjà lié, l’injustice bien prouvée de sa Cause, peut seule vous dispenser de l’assister : En cas douteux, vous devez présumer que votre Allié est fondé, puisque c’est son affaire.
Mais si vous avez de grands doutes ; il vous est permis, & il sera très-loüable, de vous entremettre de l’accommodement. Alors vous pourrez mettre le Droit en évidence, en reconnoissant quel est celui des deux Adversaires, qui se refuse à des conditions équitables.
§.87 Refuser du sécours pour une Guerre injuste, ce n'est pas rompre l’Alliance
Toute Alliance portant la Clause tacite, dont nous venons de parler ; celui qui refuse du sécours son Allié, dans une guerre une Guerre manifestement injuste, ne rompt point l’Alliance.
§.88 Ce que c'est que le Casus Fœderis
Lorsque des Alliances ont été ainsi contractées d'avance, il s'agit, dans l’occasion, de déterminer les cas, dans lesquels on doit agir en conséquence de l’Alliance, ceux où la force des engagemens se déploye : C’est ce qu’on appelle le Cas de l’Alliance, Casus Foederis. Il se trouve dans le concours des circonstances pour lesquelles le Traité a été fait, soit que ces circonstances y soient marquées expressément, soit qu’on les ait tacitement supposées. Tout ce qu’on a promis par le Traité d'Alliance, est dû dans le Casus Foederis & non autrement.
§.89 Il n'existe jamais pour une Guerre injuste
Les Traités les plus solemnels ne pouvant obliger personne à favoriser d'injustes armes (§.86), le Casus foederis ne se trouve jamais avec l’injustice manifeste de la guerre.
§.90 Comment il existe pour une Guerre défensive
Dans une Alliance défensive, le Casus Foederis n’existe pas tout de suite dés que notre Allié est attaqué. Il faut voir encore s'il n'a point donné à son Ennemi un juste sujet de lui faire la guerre. Car on ne peut s'être engagé à le défendre, pour le mettre en état d'insulter les autres, ou de leur refuser justice. S’il est dans le tort, il faut l’engager à offrir une satisfaction raisonnable ; & si son Ennemi ne veut pas s'en contenter, le cas de le défendre arrive seulement alors.
§.91 Et dans un Traité de garentie
Que si l’Alliance défensive porte une garentie de toutes les Terres, que l’Allié posséde actuellement ; le Casus Foederis se déploye dès que ces terres sont envahies, ou menacées d'invasion. Si quelqu'un les attaque pour une juste Cause, il faut obliger l’Allié à donner satisfaction ; mais on est fondé à ne pas souffrir que ses Possessions lui soient enlevées ; car le plus souvent on en prend la Garentie pour sa propre sûreté. Au reste, ses Règles d'Interprétation, que nous avons données dans un Chapitre exprès (*(*) Liv.II chap.XVII), doivent être consultées, pour déterminer, dans les occasions particulières l’existence du Casus Foederis.
§.92 On ne doit pas le sécours, quand on est hors d'état de le fournir, ou quand le salut public seroit exposé
Si l’Etat qui a promis un sécours, ne se trouve pas en pouvoir de le fournir, il en est dispensé par son impuissance même : Et s'il ne pouvoit le donner, sans se mettre lui-même dans un danger évident, il en seroit dispensé encore. Ce seroit le cas d'un Traité pernicieux à l’Etat, lequel n'est point obligatoire (Liv.II §.160). Mais nous parlons ici d'un danger imminent, & qui menace le salut même de l’Etat. Le cas d'un pareil danger est tacitement & nécessairement réservé en tout Traité. Pour ce qui est des dangers éloignés, ou médiocres ; comme ils sont inséparables de toute Alliance dont la Guerre est l’objet, il seroit absurde de prétendre qu’ils dussent faire exception : Et le Souverain peut y exposer sa Nation, en faveur des avantages qu'elle retire de l’Alliance.
En vertu de ces principes, celui-là est dispensé d'envoyer du sécours à son Allié, qui se trouve lui-même embarrassé dans une Guerre, pour laquelle il a besoin de toutes ses forces. S’il est en état de faire face à ses Ennemis, & de sécourir en même-tems son Allié ; il n'a point de raison de s'en dispenser. Mais en pareil cas, c’est à chacun de juger de ce que sa situation & ses forces lui permettent de faire. Il en est de même des autres choses, que l’on peut avoir promises, des vivres, par exemple. On n’est point obligé d'en fournir à un Allié, lorsqu'on en à besoin pour soi-même.
§.93 De quelques autres cas, & de celui ou deux Confédérés de la même Alliance se font la guerre
Ne répétons point ici ce que nous avons dit de divers De quelques autres cas, en parlant des Traités en général, comme de la préférence qui est dûë au plus ancien Allié (Liv.II §.167), & à un Protecteur (Ibid. §.204), du sens que l’on doit donner au terme d'Alliés, dans un Traité où ils sont réservés (Ibid. §.309). Ajoûtons seulement sur cette dernière question, que dans une Alliance pour la Guerre, qui se fait envers & contre tout, les Alliés réservés, cette exception ne doit s'entendre que des Alliés présens. Autrement, il seroit aisé dans la suite, d'éluder l’ancien Traité, par de nouvelles Alliances ; on ne sçauroit, ni ce qu’on fait, ni ce qu’on gagne, en concluant un pareil Traité.
Voici un cas, dont nous n'avons pas parlé. Un Traité d'Alliance défensive s’est fait entre trois Puissances : Deux d'entre-elles se brouillent, & se font la guerre : Que fera la troisième ? Elle ne doit sécours ni à l’une, ni à l’autre, en vertu du Traité. Car il seroit absurde de dire, qu’elle a promis à chacune son assistance, contre l’autre ou à l’une des deux, au préjudice de l’autre. L’Alliance ne l’oblige donc à autre chose, qu'a interposer ses bons offices, pour réconcilier ses Alliés : Et si elle ne peut y réunir, elle demeure en liberté de sécourir celui des deux, qui lui paroîtra fondé en justice.
§.94 De celui qui refuse les sécours dûs en vertu d'une Alliance
Refuser à un Allié les sécours qu’on lui doit, lorsqu'on n'a aucune bonne raison de s'en dispenser c’est lui faire une injure, puisque c’est violer le droit parfait, qu’on lui a donné par un engagement formel. Je parle des cas évidens ; c’est alors seulement que le droit est parfait ; car dans les cas douteux, chacun est juge de ce qu'il est en état de faire (§.92). Mais il doit juger sainement & agir de bonne-foi. Et comme on est tenu naturellement à réparer le dommage, que l’on a causé par sa faute, & sur-tout par une injustice ; on est obligé à indemniser un Allié de toutes les pertes, qu'un injuste refus peut lui avoir causées. Combien de circonspection faut-il donc apporter à des engagemens, auxquels on ne peut manquer, sans faire une brêche notable, ou à ses affaires, ou à son honneur, & dont l’accomplissement peut avoir les suites les plus sérieuses !
§.95 Des Associés de l’Ennemi
C’est un engagement bien important que celui qui peut entraîner dans une guerre : il n'y va pas de moins, que du salut de l’Etat. Celui qui promet dans une Alliance, un Subside, ou un Corps d'Auxiliaires, pense quelquefois ne hazarder qu'une somme d'argent, ou un certain nombre de soldats ; il s'expose souvent à la guerre & à toutes ses calamités. La Nation, contre laquelle il donne du sécours, le regardera comme son Ennemi, & si le sort des armes la favorise, elle portera la guerre chez lui. Mais il nous reste à voir, si elle peut le faire avec justice, & en quelles occasions. Quelques Auteurs (a(a) Voyez WOLFF Jus Gentium §§.730 & 736) décident en général, que quiconque se joint à notre ennemi, ou l’assiste contre nous d'argent, de troupes, ou en quelque autre manière que ce soit, devient par-là notre Ennemi, & nous met en droit de lui faire la guerre. Décision cruelle, & bien funeste au repos des Nations ! Elle ne peut se soutenir par les Principes, & l’usage de l’Europe s'y trouve heureusement contraire. Il est vrai que tout Associé de mon Ennemi est lui-même mon Ennemi. Peu importe que quelqu'un me fasse la guerre directement & en son propre nom, ou qu'il me la fasse sous les auspices d'un autre. Tous les droits que la Guerre me donne contre mon Ennemi principal, elle me les donne de même contre tous ses Associés. Car ces droits me viennent de celui de Sûreté, du soin de ma propre défense ; & je suis également attaqué par les uns & par les autres. Mais la question est de sçavoir, qui sont ceux que je puis légitimement compter comme Associés de mon Ennemi, unis pour me faire la Guerre.
§.96 Ceux qui font Cause commune sont Associés de l’Ennemi
Prémièrement je mettrai de ce nombre tous ceux qui ont avec mon Ennemi une véritable Société de Guerre, qui font Cause commune avec lui quoique la Guerre ne se fasse qu'au nom de cet Ennemi principal. Cela n'a pas besoin de preuve. Dans les Sociétés de Guerre ordinaires & ouvertes, la Guerre se fait au nom de tous les Alliés, lesquels sont également Ennemis (§.80).
§.97 Et ceux qui l’assistent sans y être obligés par des Traités
En second lieu, je regarde comme Associés de mon Ennemi ceux qui l’assistent dans sa guerre, sans y être obligés par aucun Traité. Puisqu’ils se déclarent contre moi librement & volontairement, ils veulent bien être mes Ennemis. S'ils se bornent à donner un sécours déterminé, à accorder la levée de quelques Troupes, à avancer de l’argent, gardant d'ailleurs avec moi toutes les rélations de Nations amies, ou neutres ; je puis dissimuler ce sujet de plainte, mais je suis en droit de leur en demander raison. Cette prudence, de ne pas rompre toûjours ouvertement avec ceux qui assistent ainsi un Ennemi, afin de ne les point obliger à se joindre à lui avec toutes leurs forces ; ce ménagement, dis-je, à insensiblement introduit la Coûtume, de ne pas regarder une pareille assistance, sur-tout quand elle ne consiste que dans la permission de lever des Troupes volontaires, comme un acte d'hostilité. Combien de fois les Suisses ont-ils accordé des Levées à la France, en même-tems qu’ils les refusoient à la Maison d’Autriche, quoique l’une & l’autre Puissance fût leur Alliée ? Combien de fois en ont-ils accordé à un Prince & refusé à son Ennemi, n'ayant aucune Alliance, ni avec l’un, ni avec l’autre ? Ils les accordoient, ou les refusoient, selon qu’ils le jugeoient expédient pour eux-mêmes. Jamais personne n'a osé les attaquer pour ce sujet. Mais la prudence qui empêche d’user de tout son droit, n'ôte pas le droit pour cela. On aime mieux dissimuler, que grossir sans nécessité le nombre de ses Ennemis.
§.98 Ou qui ont avec lui une Alliance offensive
En troisiéme lieu, ceux qui, liés à mon Ennemi par une Alliance offensive, l’assistent actuellement dans la Guerre qu'il me déclare ; ceux-là, dis-je, concourrent au mal qu’on veut me faire ; Ils se montrent mes Ennemis, je suis en droit de les traiter comme tels. Aussi les Suisses, dons nous venons de parler, n'accordent-ils ordinairement des Troupes, que pour la simple défensive. Ceux qui servent en France, ont toûjours eû défense de leurs Souverains, de porter les armes contre l’Empire, ou contre les Etats de la Maison d'Autriche en Allemagne. En 1644, les Capitaines du Régiment de GUY, Neufchatelois, apprenant qu’ils étoient destinés à servir sous le Maréchal de TURENNE en Allemagne, déclarèrent, qu’ils périroient plûtôt que de désobéir à leur Souverain & de violer les Alliances du Corps Helvétique. Depuis que la France est maîtresse de l’Alsace, les Suisses qui combattent dans ses Armées, ne passent point le Rhin pour attaquer l’Empire. Le brave DAXELHOFFER, Capitaine Bernois, qui servoit la France à la tête de deux-cents hommes, dont ses quatre fils formoient le prémier rang, voyant que le Général vouloit l’obliger à passer le Rhin, brisa son esponton, & ramena sa Compagnie à Berne.
§.99 Commuent l’Alliance défensive associe à l’Ennemi
Une Alliance même défensive, faite nommêment contre moi, ou, ce qui revient à la même chose, concluë avec mon Ennemi pendant la Guerre, ou lorsqu'on la voit sur le point de se déclarer, est un acte d’association contre moi ; & si elle est suivie des effets, je suis en droit de regarder celui qui l’a contractée, comme mon ennemi. C’est le cas de celui, qui assiste mon Ennemi, sans y être obligé, & qui veut bien être lui-même mon Ennemi (voyez le §.97).
§.100 Autre Cas
L’Alliance défensive, quoique générale & faite avant qu'il fût question de la Guerre présente, produit encore le même effet, si elle porte une assistance de toutes les forces des Alliés. Car alors, c’est une vraie Ligue, ou Société de Guerre. Et puis, il seroit absurde que je ne pusse porter la Guerre chez une Nation, qui s'oppose à moi de toutes ses forces, & tarir la source des sécours qu'elle donne à mon Ennemi. Qu’est-ce qu'un Auxiliaire, qui vient me faire la Guerre, à la tête de toutes ses forces ? Il se jouë, s'il prétend n'être pas mon Ennemi. Que feroit-il de plus, s'il en prenoit hautement la qualité ? Il ne me ménage donc point ; il voudroit se ménager lui-même. Souffrirai-je qu'il conserve ses Provinces en paix, à couvert de tout danger, tandis qu'il me fera tout le mal qu'il est capable de me faire ? Non ; la Loi de la Nature, le Droit des Gens, nous oblige à la justice, & ne nous condamne point à être dupes.
§.101 En quel cas elle ne produit point le même effet
Mais si une Alliance défensive n'a point été faite particulièrement contre moi, ni concluë dans le tems que je me préparois ouvertement à la Guerre, ou que je l’avois déja commencée, & si les Alliés y ont simplement stipulé, que chacun d'eux fournira un sécours déterminé à celui qui sera attaqué ; je ne puis exiger qu’ils manquent à un Traité solemnel, que l’on a sans-doute pû conclure sans me faire injure : Les sécours qu’ils fournissent à mon Ennemi, sont une dette, qu’ils payent ; ils ne me font point injure en l’acquittant, & par conséquent, ils ne me donnent aucun juste sujet de leur faire la Guerre (§.26). Je ne puis pas dire non-plus, que ma sûreté m'oblige à les attaquer. Car je ne ferais par là qu'augmenter le nombre de mes Ennemis, & m'attirer toutes les forces de ces Nations sur les bras, au lieu d'un sécours modique, qu'elles donnent contre moi. Les Auxiliaires seuls qu'elles envoyent, sont donc mes Ennemis. Ceux-là sont véritablement joints à mes Ennemis & combattent contre moi.
Les principes contraires iroient à multiplier les Guerres, à les étendre sans mesure, à la ruïne commune des Nations. Il est heureux pour l’Europe, que l’usage s'y trouve, en ceci, conforme aux vrais principes. Il est rare qu'un Prince ose se plaindre de ce qu’on fournit pour la défense d'un Allié, des sécours, promis par d'anciens Traités, par des Traités qui n'ont pas été faits contre lui. Les Provinces-Unies ont long-tems fourni des Subsides, & même des Troupes, à la Reine de Hongrie, dans la dernière Guerre : La France ne s'en est plainte que quand ces Troupes ont marché en Alsace, pour attaquer sa frontière. Les Suisses donnent à la France de nombreux Corps de Troupes, en vertu de leur Alliance avec cette Couronne ; & ils vivent en paix avec toute l’Europe.
Un seul cas pourroit former ici une exception ; c’est celui d'une défensive manifestement injuste. Car alors on n’est plus obligé d’assister un Allié (§§.86, 87, & 89). Si l’on s'y porte sans nécessité, & contre son devoir, on fait injure à l’Ennemi, & on se déclare de gaieté de cœur contre lui. Mais ce cas est très-rare entre les Nations. Il est peu de Guerres défensives, dont la justice, ou la nécessité ne se puisse fonder au moins sur quelque raison apparente : Or en toute occasion douteuse, c’est à chaque Etat de juger de la justice de les armes, & la présomption est en faveur de l’Allié (§.86). Ajoûtez, que c’est à vous de juger de ce que vous avez à faire conformément à vos devoirs & à vos engagemens, & que par conséquent l’évidence la plus palpable peut seule autoriser l’Ennemi de votre Allié, à vous accuser de soutenir une Cause injuste, contre les lumières de votre Conscience. Enfin le Droit des Gens Volontaire ordonne, qu'en toute Cause susceptible de doute, les armes des deux partis soient regardées, quant aux effets extérieurs, comme également légitimes (§.40).
§.102 S'il est besoin de déclarer la Guerre aux Associés de l’Ennemi
Les vrais Associés de mon Ennemi étant mes Ennemis ; j'ai contre eux les mêmes droits que contre l’Ennemi principal (§.95). Et puisqu’ils se déclarent tels eux-mêmes, qu’ils prennent les prémiers les armes contre moi ; je puis leur faire la guerre sans la leur déclarer ; elle est assez déclarée par leur propre fait. C’est le cas principalement de ceux qui concourrent en quelque manière que ce soit à me faire une guerre offensive, & c’est aussi celui de tous ceux dont nous venons de parler, dans les paragraphes 96, 97, 98, 99 & 100.
Mais il n'en est pas ainsi des Nations, qui assistent mon Ennemi dans sa guerre défensive, sans que je puisse les regarder comme ses Associés (§.101). Si j'ai à me plaindre des sécours qu'elles lui donnent ; c’est un nouveau différend de moi à elles. Je puis leur demander raison, & si elles ne me satisfont pas, poursuivre mon droit & leur faire la guerre. Mais alors, il faut la déclarer (§.51). L’exemple de MANLIUS, qui fit la guerre aux Galates parce qu’ils avoient fourni des Troupes à ANTIOCHUS, ne convient point au cas. GROTIUS (a(a) Droit de la G. & de la P. Liv.III chap.III §.X) blâme le Général Romain d'avoir commencé cette Guerre sans Déclaration. Les Galates, en fournissant des Troupes pour une Guerre offensive contre les Romaine, s'étoient eux-mêmes déclarés Ennemis de Rome. Il est vrai que la paix étant faite avec Antiochus, il semble que Manlius devoit attendre les ordres de Rome, pour attaquer les Galates. Et alors, si on envisageoit cette expédition comme une Guerre nouvelle, il falloit, non-seulement la déclarer, mais demander satisfaction, avant que d'en venir aux armes (§.51). Mais le Traité avec le Roi de Syrie n'étoit pas encore consommé, & il ne regardoit que lui, sans faire mention de ses Adhérens. Manlius entreprit donc l’expédition contre les Galates, comme une suite, ou un reste de la Guerre d'Antiochus. C’est ce qu'il explique fort bien lui-même, dans son Discours au Sénat (b(b) TIT. LIV. Lib.XXXVIII) ; & même il ajoûte, qu'il débuta par tenter s'il pourroit engager les Galates à se mettre à la raison. GROTIUS allégue plus à propos l’exemple d'Ulisse & de ses Compagnons, les blâmant d'avoir attaqué sans Déclaration de Guerre les Ciconiens, qui, pendant le siége de Troie, avoient envoyé du sécours à PRIAM (c(c) GROTIUS ubi supra. not.3).