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13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 13:45
   Socrate est un de mes compagnons préférés, je lui rends souvent visite, et lorsque je ne peux jouir de sa compagnie, je pense beaucoup à lui. Comme le feu de la veillée un soir de décembre, sa conversation réchauffe l'âme et jette une lumière douce alentour, qui permet à l'oeil de s'habituer à distinguer des formes, et le prépare au retour de la vraie Lumière.
    Hier, ma douce femme a sorti de son immense sac un document et me l'a donné : j'ai été plutôt surpris d'y voir les noms de Socrate et Lamartine associés, et plus encore lorsque j'ai lu ce document. Il s'agit d'un très beau poème en alexandrin, "à la française", dont le sujet est la mort de Socrate.
    Lamartine, comme Moïse Mendelssohn, a réécrit le Phédon, dialogue sur l'immortalité de l'âme!

    Permettez-moi en ces temps difficiles de vous offrir ce baume. Bonne lecture.


Lamartine - Méditations poétiques - La Mort de Socrate (1823) 

La vérité, c'est Dieu.

Le soleil, se levant aux sommets de l'Hymette,
Du temple de Thésée illuminait le faîte,
Et, frappant de ses feux les murs du Parthénon,
Comme un furtif adieu, glissait dans la prison.
On voyait sur les mers une poupe dorée,
Au bruit des hymnes saints, voguer vers le Pirée,
Et c'était ce vaisseau dont le fatal retour
Devait aux condamnés marquer leur dernier jour ;
Mais la loi défendait qu'on leur ôtât la vie
Tant que le doux soleil éclairait l'Ionie,
De peur que ses rayons, aux vivants destinés,
Par des yeux sans regard ne fussent profanés,
Ou que le malheureux, en fermant sa paupière,
N'eût à pleurer deux fois la vie et la lumière !
Ainsi l'homme exilé du champ de ses aïeux
Part avant que l'aurore ait éclairé les cieux.

Attendant le réveil du fils de Sophronique,
Quelques amis en deuil erraient sous le portique
Et sa femme, portant son fils sur ses genoux,
Tendre enfant dont la main joue avec les verrous,
Accusant la lenteur des geôliers insensibles,
Frappait du front l'airain des portes inflexibles.
La foule, inattentive au cri de ses douleurs,
Demandait en passant le sujet de ses pleurs,
Et, reprenant bientôt sa course suspendue,
Et dans les longs parvis par groupes répandue,
Recueillait ces vains bruits dans le peuple semés,
Parlait d'autels détruits et des dieux blasphémés,
Et d'un culte nouveau corrompant la jeunesse,
Et de ce Dieu sans nom, étranger dans la Grèce !
C'était quelque insensé, quelque monstre odieux,
Quelque nouvel Oreste aveuglé par les dieux,
Qu'atteignait à la fin la tardive justice,
Et que la terre au ciel devait en sacrifice ;
Socrate ! et c'était toi qui, dans les fers jeté,
Mourais pour la justice et pour la vérité !

Enfin de la prison les gonds bruyants roulèrent ;
A pas lents, l'oeil baissé, les amis s'écoulèrent.
Mais Socrate, jetant un regard sur les flots,
Et leur montrant du doigt la voile vers Délos :
«Regardez ! sur les mers cette poupe fleurie,
C'est le vaisseau sacré, l'heureuse Théorie ;
Saluons-la, dit-il : cette voile est la mort !
Mon âme, aussitôt qu'elle, entrera dans le port !
Et cependant parlez ! et que ce jour suprême
Dans nos doux entretiens s'écoule encor de même !
Ne jetons point aux vents les restes du festin ;
Des dons sacrés des dieux usons jusqu'à la fin :
L'heureux vaisseau qui touche au terme du voyage
Ne suspend pas sa course à l'aspect du rivage ;
Mais, couronné de rieurs, et les voiles aux vents,
Dans le port qui l'appelle il entre avec des chants !

Les poètes ont dit qu'avant sa dernière heure
En sons harmonieux le doux cygne se pleure ;
Amis, n'en croyez rien : l'oiseau mélodieux
D'un plus sublime instinct fut doué par les dieux.
Du riant Eurotas près de quitter la rive,
L'âme, de ce beau corps à demi fugitive,
S'avançant pas à pas vers un monde enchanté,
Voit poindre le jour pur de l'immortalité,
Et, dans la douce extase où ce regard la noie,
Sur la terre en mourant elle exhale sa joie.
Vous qui près du tombeau venez pour m'écouter,
Je suis un cygne aussi : je meurs, je puis chanter !»

Sous la voûte, à ces mots, des sanglots éclatèrent ;
D'un cercle plus étroit ses amis l'entourèrent :
«Puisque tu vas mourir, ami trop tôt quitté,
Parle-nous d'espérance et d'immortalité !
- Je le veux bien, dit-il : mais éloignons les femmes ;
Leurs soupirs étouffés amolliraient nos âmes ;
Or, il faut, dédaignant les terreurs du tombeau,
Entrer d'un pas hardi dans un monde nouveau !

Vous le savez, amis ; souvent, dès ma jeunesse,
Un génie inconnu m'inspira la sagesse,
Et du monde futur me découvrit les lois.
Etait-ce quelque Dieu caché dans une voix ?
Une ombre m'embrassant d'une amitié secrète ?
L'écho de l'avenir ? la muse du poète ?
Je ne sais ; mais l'esprit qui me parlait tout bas,
Depuis que de ma fin je m'approche à grands pas,
En sons plus élevés me parle, me console.
Je reconnais plus tôt sa divine parole,
Soit qu'un coeur affranchi du tumulte des sens
Avec plus de silence écoute ses accents ;
Soit que, comme l'oiseau, l'invisible génie
Redouble vers le soir sa touchante harmonie ;
Soit plutôt qu'oubliant le jour qui va finir,
Mon âme, suspendue aux bords de l'avenir,
Distingue mieux le son qui part d'un autre monde,
Comme le nautonier, le soir, errant sur l'onde,
A mesure qu'il vogue et s'approche du bord,
Distingue mieux la voix qui s'élève du port.
Cet invisible ami jamais ne m'abandonne,
Toujours de son accent mon oreille résonne,
Et sa voix dans ma voix parle seule aujourd'hui ;
Amis, écoutez donc ! ce n'est plus moi, c'est lui !»

Le front calme et serein, l'oeil rayonnant d'espoir,
Socrate à ses amis fit signe de s'asseoir ;
A ce signe muet soudain ils obéirent,
Et sur les bords du lit en silence ils s'assirent :
Symmias abaissait son manteau sur ses yeux ;
Criton d'un oeil pensif interrogeait les cieux ;
Cébès penchait à terre un front mélancolique ;
Anaxagore, armé d'un rire sardonique,
Semblait, du philosophe enviant l'heureux sort,
Rire de la fortune et défier la mort !
Et le dos appuyé sur la porte de bronze,
Les bras entrelacés, le serviteur des Onze,
De doute et de pitié tour à tour combattu,
Murmurait sourdement : «Que lui sert sa vertu ?»
Mais Phédon, regrettant l'ami plus que le sage,
Sous ses cheveux épars voilant son beau visage,
Plus près du lit funèbre, aux pieds du maître assis,
Sur ses genoux pliés se penchait comme un fils,
Levait ses yeux voilés sur l'ami qu'il adore,
Rougissait de pleurer, et le pleurait encore !

Du sage cependant la terrestre douleur
N'osait point altérer les traits ni la couleur ;
Son regard élevé loin de nous semblait lire ;
Sa bouche, où reposait son gracieux sourire,
Toute prête à parler, s'entr'ouvrait à demi ;
Son oreille écoutait son invisible ami ;
Ses cheveux, effleurés du souffle de l'automne,
Dessinaient sur sa tête une pâle couronne,
Et, de l'air matinal par moments agités,
Répandaient sur son front des reflets argentés ;
Mais, à travers ce front où son âme est tracée,
On voyait rayonner sa sublime pensée,
Comme, à travers l'albâtre ou l'airain transparents,
La lampe, sur l'autel jetant ses feux mourants,
Par son éclat voilé se trahissant encore,
D'un reflet lumineux les frappe et les colore.
Comme l'oeil sur les mers suit la voile qui part,
Sur ce front solennel attachant leur regard,
A ses yeux suspendus, ne respirant qu'à peine,
Ses amis attentifs retenaient leur haleine ;
Leurs yeux le contemplaient pour la dernière fois ;
Ils allaient pour jamais emporter cette voix !
Comme la vague s'ouvre au souffle errant d'Eole,
Leur âme impatiente attendait sa parole.
Enfin du ciel sur eux son regard s'abaissa,
Et lui, comme autrefois, sourit, et commença :

«Quoi ! vous pleurez, amis ! vous pleurez quand mon âme,
Semblable au pur encens que la prêtresse enflamme,
Affranchie à jamais du vil poids de son corps,
Va s'envoler aux dieux, et, dans de saints transports,
Saluant ce jour pur, qu'elle entrevit peut-être,
Chercher la vérité, la voir et la connaître !
Pourquoi donc vivons-nous, si ce n'est pour mourir ?
Pourquoi pour la justice ai-je aimé de souffrir ?
Pourquoi dans cette mort qu'on appelle la vie,
Contre ces vils penchants luttant, quoique asservie,
Mon âme avec mes sens a-t-elle combattu !
Sans la mort, mes amis, que serait la vertu ?...
C'est le prix du combat, la céleste couronne
Qu'aux bornes de la course un saint juge nous donne ;
La voix de Jupiter qui nous rappelle à lui !
Amis, bénissons-la ! Je l'entends aujourd'hui.
Je pouvais, de mes jours disputant quelque reste,
Me faire répéter deux fois l'ordre céleste :
Me préservent les dieux d'en prolonger le cours !
En esclave attentif, ils m'appellent, j'y cours.
Et vous, si vous m'aimez, comme aux plus belles fêtes,
Amis, faites couler des parfums sur vos têtes !
Suspendez une offrande aux murs de la prison !
Et, le front couronné d'un verdoyant feston,
Ainsi qu'un jeune époux qu'une foule empressée,
Semant de chastes fleurs le seuil du gynécée,
Vers le lit nuptial conduit après le bain,
Dans les bras de la mort menez-moi par la main !...

Qu'est-ce donc que mourir ? Briser ce noeud infâme,
Cet adultère hymen de la terre avec l'âme ;
D'un vil poids, à la tombe, enfin se décharger !
Mourir n'est pas mourir, mes amis, c'est changer !
Tant qu'il vit, accablé sous le corps qu'il enchaîne,
L'homme vers le vrai bien languissamment se traîne,
Et, par ses vils besoins dans sa course arrêté,
Suit d'un pas chancelant ou perd la vérité.
Mais celui qui, touchant au terme qu'il implore,
Voit du jour éternel étinceler l'aurore,
Comme un rayon du soir remontant dans les deux,
Exilé de leur sein, remonte au sein des dieux ;
Et, buvant à longs traits le nectar qui l'enivre,
Du jour de son trépas il commence de vivre !

- Mais mourir, c'est souffrir ; et souffrir est un mal.
- Amis, qu'en savons-nous ? Et quand l'instant fatal,
Consacré par le sang comme un grand sacrifice,
Pour ce corps immolé serait un court supplice,
N'est-ce pas par un mal que tout bien est produit ?
L'été sort de l'hiver, le jour sort de la nuit ;
Dieu lui-même a noué cette éternelle chaîne.
Nous fûmes à la vie enfantés avec peine,
Et cet heureux trépas, des faibles redouté,
N'est qu'un enfantement à l'immortalité !
Cependant de la mort qui peut sonder l'abîme ?
Les dieux ont mis leur doigt sur sa lèvre sublime :
Qui sait si dans ses mains, prêtes à la saisir,
L'âme incertaine tombe avec peine ou plaisir ?
Pour moi, qui vis encor, je ne sais, mais je pense
Qu'il est quelque mystère au fond de ce silence ;
Que des dieux indulgents la sévère bonté
A jusque dans la mort caché la volupté,
Comme, en blessant nos coeurs de ses divines armes,
L'amour cache souvent un plaisir sous des larmes !»
L'incrédule Cébès à ce discours sourit.
«Je le saurai bientôt», dit Socrate. Il reprit :

«Oui : le premier salut de l'homme à la lumière,
Quand le rayon doré vient baiser sa paupière,
L'accent de ce qu'on aime à la lyre mêlé,
Le parfum fugitif de la coupe exhalé,
La saveur du baiser, quand de sa lèvre errante
L'amant cherche, la nuit, les lèvres de l'amante,
Sont moins doux à nos sens que le premier transport
De l'homme vertueux affranchi par la mort !
Et pendant qu'ici-bas sa cendre est recueillie,
Emporté par sa course, en fuyant il oublie
De dire même au monde un éternel adieu.
Ce monde évanoui disparaît devant Dieu !

- Mais quoi ! suffit-il donc de mourir pour revivre ?
- Non ; il faut que des sens notre âme se délivre,
De ses penchants mortels triomphe avec effort ;
Que notre vie enfin soit une longue mort !
La vie est le combat, la mort est la victoire,
Et la terre est pour nous l'autel expiatoire
Où l'homme, de ses sens sur le seuil dépouillé,
Doit jeter dans les feux son vêtement souillé,
Avant d'aller offrir, sur un autel propice,
De sa vie, au Dieu pur, l'aussi pur sacrifice !

Ils iront, d'un seul trait, du tombeau dans les cieux,
Joindre, où la mort n'est plus, les héros et les dieux,
Ceux qui, vainqueurs des sens pendant leur courte vie,
Ont soumis à l'esprit la matière asservie,
Ont marché sous le joug des rites et des lois,
Du juge intérieur interrogé la voix,
Suivi les droits sentiers écartés de la foule,
Prié, servi les dieux, d'où la vertu découle,
Souffert pour la justice, aimé la vérité,
Et des enfants du ciel conquis la liberté !

Mais ceux qui, chérissant la chair autant que l'âme,
De l'esprit et des sens ont resserré la trame
Et prostitué l'âme aux vils baisers du corps,
Comme Léda livrée à de honteux transports,
Ceux-là, si toutefois un dieu ne les délivre,
Même après leur trépas ne cessent pas de vivre,
Et des coupables noeuds qu'eux-même ils ont serrés
Ces mânes imparfaits ne sont pas délivrés.
Comme à ses fils impurs Arachné suspendue,
Leur âme, avec leur corps mêlée et confondue,
Cherche enfin à briser ses liens flétrissants ;
L'amour qu'elle eut pour eux vit encor dans ses sens ;
De leurs bras décharnés ils la pressent encore,
Lui rappellent cent fois cet hymen qu'elle abhorre,
Et, comme un air pesant qui dort sur les marais,
Leur vil poids, loin des dieux, la retient à jamais !
Ces mânes gémissants, errant dans les ténèbres,
Avec l'oiseau de nuit jettent des cris funèbres ;
Autour des monuments, des urnes, des tombeaux,
De leur corps importun traînant d'affreux lambeaux,
Honteux de vivre encore, et fuyant la lumière,
A l'heure où l'innocence a fermé sa paupière,
De leurs antres obscurs ils s'échappent sans bruit,
Comme des criminels s'emparent de la nuit,
Imitent sur les flots le réveil de l'aurore,
Font courir sur les monts le pâle météore,
De songes effrayants assiégeant nos esprits,
Au fond des bois sacrés poussent d'horribles cris ;
Ou, tristement assis sur le bord d'une tombe,
Et dans leurs doigts sanglants cachant leur front qui tombe,
Jaloux de leur victime, ils pleurent leurs forfaits :
Mais les âmes des bons ne reviennent jamais !»

Il se tut, et Cébès rompit seul ce silence :
«Me préservent les dieux d'offenser l'Espérance,
Cette divinité qui, semblable à l'Amour,
Un bandeau sur les yeux, nous conduit au vrai jour !
Mais puisque de ces bords comme elle tu t'envoles,
Hélas ! et que voilà tes suprêmes paroles,
Pour m'instruire, ô mon maître, et non pour t'affiiger,
Permets-moi de répondre et de t'interroger».
Socrate, avec douceur, inclina son visage,
Et Cébès en ces mots interrogea le sage :

«L'âme, dis-tu, doit vivre au delà du tombeau ;
Mais si l'âme est pour nous la lueur d'un flambeau,
Quand la flamme a des sens consumé la matière,
Quand le flambeau s'éteint, que devient la lumière ?
La clarté, le flambeau, tout ensemble est détruit,
Et tout rentre à la fois dans une même nuit !
Ou si l'âme est aux sens ce qu'est à cette lyre
L'harmonieux accord que notre main en tire,
Quand le temps ou les vers en ont usé le bois,
Quand la corde rompue a crié sous nos doigts,
Et que les nerfs brisés de la lyre expirante
Sont foulés-sous les pieds de la jeune bacchante,
Qu'est devenu le bruit de ces divins accords ?
Meurt-il avec la lyre ? et l'âme avec le corps ?...»

Les sages, à ces mots, pour sonder ce mystère,
Baissant leurs fronts pensifs et regardant la terre,
Cherchaient une réponse et ne la trouvaient pas.
Se parlant l'un à l'autre, ils murmuraient tout bas :
«Quand la lyre n'est plus, où donc est l'harmonie ?»
Et Socrate semblait attendre son génie.

Sur l'une de ses mains appuyant son menton,
L'autre se promenait sur le front de Phédon,
Et, sur son cou d'ivoire errant à l'aventure,
Caressait, en passant, sa blonde chevelure ;
Puis, détachant du doigt un de ses longs rameaux
Qui pendaient jusqu'à terre en flexibles anneaux,
Faisait sur ses genoux flotter leurs molles ondes,
Ou dans ses doigts distraits roulait leurs tresses blondes,
Et parlait en jouant, comme un vieillard divin
Qui mêle la sagesse aux coupes d'un festin.

«Amis, l'âme n'est pas l'incertaine lumière
Dont le flambeau des sens ici-bas nous éclaire :
Elle est l'oeil immortel qui voit ce faible jour
Naître, grandir, baisser, renaître tour à tour,
Et qui sent hors de soi, sans en être affaiblie,
Pâlir et s'éclipser ce flambeau de la vie,
Pareille à l'oeil mortel qui dans l'obscurité
Conserve le regard en perdant la clarté !

L'âme n'est pas aux sens ce qu'est à cette lyre
L'harmonieux accord que notre main en tire ;
Elle est le doigt divin qui seul la fait frémir,
L'oreille qui l'entend ou chanter ou gémir,
L'auditeur attentif, l'invisible génie
Qui juge, enchaîne, ordonne et règle l'harmonie,
Et qui des sons discords que rendent chaque sens
Forme au plaisir des dieux des concerts ravissants.
En vain la lyre meurt et le son s'évapore :
Sur ces débris muets l'oreille écoute encore...
Es-tu content, Cébès ! - Oui, j'en crois tes adieux,
Socrate est immortel ! - Eh bien ! parlons des dieux !»

Et déjà le soleil était sur les montagnes,
Et, rasant d'un rayon les flots et les campagnes,
Semblait, faisant au monde un magnifique adieu,
Aller se rajeunir au sein brillant de Dieu.
Les troupeaux descendaient des sommets du Taygète ;
L'ombre dormait déjà sur les flancs de l'Hymette ;
Le Cithéron nageait dans un océan d'or ;
Le pêcheur matinal, sur l'onde errant encor,
Modérant près du bord sa course suspendue,
Repliait, en chantant, sa voile détendue ;
La flûte dans les bois, et ces chants sur les mers.
Arrivaient jusqu'à nous sur les soupirs des airs,
Et venaient se mêler à nos sanglots funèbres,
Comme un rayon du soir se fond dans les ténèbres.

«Hâtons-nous, mes amis, voici l'heure du bain.
Esclaves, versez l'eau dans le vase d'airain !
Je veux offrir aux dieux une victime pure».
Il dit : et, se plongeant dans l'urne qui murmure,
Comme fait à l'autel le sacrificateur,
Il puisa dans ses mains le flot libérateur,
Et, le versant trois fois sur son front qu'il inonde,
Trois fois sur sa poitrine en fit ruisseler l'onde ;
Puis, d'un voile de pourpre en essuyant les flots,
Parfuma ses cheveux, et reprit en ces mots :

«Nous oublions le Dieu pour adorer ses traces.
Me préserve Apollon de blasphémer les Grâces,
Hébé versant la vie aux célestes lambris,
Le carquois de l'Amour, ni l'écharpe d'Iris,
Ni surtout de Vénus la riante ceinture
Qui d'un noeud sympathique enchaîne la nature,
Ni l'éternel Saturne, ou le grand Jupiter,
Ni tous ces dieux du ciel, de la terre et de l'air !
Tous ces êtres peuplant l'Olympe ou l'Elysée
Sont l'image de Dieu par nous divinisée.
Des lettres de son nom sur la nature écrit,
Une ombre que ce Dieu jette sur notre esprit.
A ce titre divin ma raison les adore,
Comme nous saluons le soleil dans l'aurore ;
Et peut-être qu'enfin tous ces dieux inventés,
Cet enfer et ce ciel par la lyre chantés,
Ne sont pas seulement des songes du génie,
Mais les brillants degrés de l'échelle infinie
Qui, des êtres semés dans ce vaste univers,
Sépare et réunit tous les astres divers.
Peut-être qu'en effet, dans l'immense étendue,
Dans tout ce qui se meut, une âme est répandue ;
Que ces astres brillants sur nos têtes semés
Sont des soleils vivants et des feux animés ;
Que l'Océan, frappant sa rive épouvantée,
Avec ses flots grondants roule une âme irritée ;
Que notre air embaumé volant dans un ciel pur
Est un esprit flottant sur des ailes d'azur ;
Que le jour est un oeil qui répand la lumière,
La nuit, une beauté qui voile sa paupière ;
Et qu'enfin dans le ciel, sur la terre, en tout lieu,
Tout est intelligent, tout vit, tout est un dieu !

Mais, croyez-en, amis, ma voix prête à s'éteindre,
Par delà tous ces dieux que notre oeil peut atteindre,
Il est sous la nature, il est au fond des cieux,
Quelque chose d'obscur et de mystérieux
Que la nécessité, que la raison proclame,
Et que voit seulement la foi, cet oeil de l'âme !
Contemporain des jours et de l'éternité,
Grand comme l'infini, seul comme l'unité,
Impossible à nommer, à nos sens impalpable,
Son premier attribut, c'est d'être inconcevable.
Dans les lieux, dans les temps, hier, demain, aujourd'hui,
Descendons, remontons, nous arrivons à lui.
Tout ce que vous voyez est sa toute-puissance ;
Tout ce que nous pensons est sa sublime essence.
Force, amour, vérité, créateur de tout bien,
C'est le dieu de vos dieux ! c'est le seul ! c'est le mien !

- Mais le mal, dit Cébès, qui l'a créé ? - Le crime.
Des coupables mortels châtiment légitime,
Sur ce globe déchu le mal et le trépas
Sont nés le même jour : Dieu ne les connait pas !
Soit qu'un attrait fatal, une coupable flamme
Ait attiré jadis la matière vers l'âme ;
Soit plutôt que la vie, en des noeuds trop puissants
Resserrant ici-bas l'esprit avec les sens,
Les pénètre tous deux d'un amour adultère,
Ils ne sont réunis que par un grand mystère.
Cette horrible union, c'est le mal ; et la mort,
Remède et châtiment, la brise avec effort.
Mais, à l'instant suprême où cet hymen expire,
Sur les vils éléments l'âme reprend l'empire,
Et s'envole, aux rayons de l'immortalité,
Au monde du bonheur et de la vérité !

- Connais-tu le chemin de ce monde invisible ?
Dit Cébès ; à ton oeil est-il donc accessible ?
- Mes amis, j'en approche, et pour le découvrir...
- Que faut-il ? dit Phédon. - Etre pur et mourir.
Dans un point de l'espace inaccessible aux hommes,
Peut-être au ciel, peut-être aux lieux même où nous sommes
Il est un autre monde, un Elysée, un ciel,
Que ne parcourent pas de longs ruisseaux de miel,
Où les Ames des bons, de Dieu seul altérées,
D'un nectar éternel ne sont pas enivrées,
Mais où les mânes saints, les immortels esprits,
De leurs corps immolés vont recevoir le prix.
Ni la sombre Tempé, ni le riant Ménale
Qu'enivre de parfums l'haleine matinale,
Ni les vallons d'Hémus, ni ces riches coteaux
Qu'enchante l'Eurotas du murmure des eaux,
Ni cette terre enfin des poètes chérie
Qui fait aux voyageurs oublier leur patrie,
N'approchent pas encor du fortuné séjour
Où le regard de Dieu donne aux âmes le jour,
Où jamais dans la nuit ce jour divin n'expire,
Où la vie et l'amour sont l'air qu'elle respire,
Où des corps immortels ou toujours renaissants
Pour d'autres voluptés lui prêtent d'autres sens.

- Quoi ! des corps dans le ciel ? la mort avec la vie ?
- Oui, des corps transformés que l'âme glorifie !
L'âme, pour composer ces divins vêtements,
Cueille en tout l'univers la fleur des éléments ;
Tout ce qu'ont de plus pur la vie et la matière,
Les rayons transparents de la douce lumière,
Les reflets nuancés des plus tendres couleurs,
Les parfums que le soir enlève au sein des fleurs,
Les bruits harmonieux que l'amoureux Zéphire
Tire, au sein de la nuit, de l'onde qui soupire,
La flamme qui s'exhale en jets d'or et d'azur,
Le cristal des ruisseaux roulant dans un ciel pur,
La pourpre dont l'aurore aime à teindre ses voiles,
Et les rayons dormants des tremblantes étoiles,
Réunis et formant d'harmonieux accords,
Se mêlent sous ses doigts et composent son corps ;
Et l'âme, qui jadis esclave sur la terre
A ses sens révoltés faisait en vain la guerre,
Triomphante aujourd'hui de leurs voeux impuissants,
Règne avec majesté sur le monde des sens,
Pour des plaisirs sans fin, sans fin les multiplie,
Et joue avec l'espace et les temps et la vie !

Tantôt, pour s'envoler où l'appelle un désir,
Elle aime à parfumer les ailes d'un zéphyr,
D'un rayon de l'iris en glissant les colore
Et du ciel aux enfers, du couchant à l'aurore,
Comme une abeille errante, elle court en tout lieu
Découvrir et baiser les ouvrages de Dieu.
Tantôt au char brillant que l'aurore lui prête
Elle attelle un coursier qu'anime la tempête ;
Et, dans ces beaux déserts de feux errants semés,
Cherchant ces grands esprits qu'elle a jadis aimés,
De soleil en soleil, de système en système,
Elle vole et se perd avec l'âme qu'elle aime,
De l'espace infini suit les vastes détours,
Et dans le sein de Dieu se retrouve toujours !

L'âme, pour soutenir sa céleste nature,
N'emprunte pas des corps sa chaste nourriture ;
Ni le nectar coulant de la coupe d'Hébé,
Ni le parfum des fleurs par le vent dérobé,
Ni la libation en son honneur versée,
Ne sauraient nourrir l'âme : elle vit de pensée,
De désirs satisfaits, d'amour, de sentiments,
De son être immortel immortels aliments.
Grâce à ces fruits divins que le ciel multiplie,
Elle soutient, prolonge, éternise sa vie,
Et peut, par la vertu de l'éternel amour,
Multiplier son être, et créer à son tour !

Car, ainsi que les corps, la pensée est féconde.
Un seul désir suffit pour peupler tout un monde ;
Et, de même qu'un son par l'écho répété,
Multiplié sans fin, court dans l'immensité,
Ou comme en s'étendant l'éphémère étincelle
Allume sur l'autel une flamme immortelle,
Ainsi ces êtres purs l'un vers l'autre attirés,
De l'amour créateur constamment pénétrés,
A travers l'infini se cherchent, se confondent,
D'une éternelle étreinte, en s'aimant, se fécondent,
Et, des astres déserts peuplant les régions,
Prolongent dans le ciel leurs générations.
O célestes amours ! saints transports ! chaste flamme !
Baisers où sans retour l'âme se mêle à l'âme,
Où l'éternel désir et la pure beauté
Poussent en s'unissant un cri de volupté !
Si j'osais !...» Mais un bruit retentit sous la voûte.
Le sage interrompu tranquillement écoute ;
Et nous, vers l'occident nous tournons tous les yeux :
Hélas ! c'était le jour qui s'enfuyait des cieux !

En détournant les yeux, le serviteur des Onze
Lui tendait le poison dans la coupe de bronze ;
Socrate la reçut d'un front toujours serein,
Et, comme un don sacré l'élevant dans sa main,
Sans suspendre un moment sa phrase commencée,
Avant de la vider, acheva sa pensée.
Sur les flancs arrondis du vase au large bord,
Qui jamais de son sein ne versait que la mort,
L'artiste avait fondu sous un souffle de flamme
L'histoire de Psyché, ce symbole de l'âme ;
Et, symbole plus doux de l'immortalité,
Un léger papillon en ivoire sculpté,
Plongeant sa trompe avide en ces ondes mortelles,
Formait l'anse du vase en déployant ses ailes.
Psyché, par ses parents dévouée à l'Amour,
Quittant avant l'aurore un superbe séjour,
D'une pompe funèbre allait environnée
Tenter comme la mort ce divin hyménée ;
Puis, seule, assise, en pleurs, le front sur ses genoux,
Dans un désert affreux attendait son époux.
Mais, sensible à ses maux, le volage Zéphire,
Comme un désir divin que le ciel nous inspire,
Essuyant d'un soupir les larmes de ses yeux,
Dormante sur son sein l'enlevait dans les cieux :
On voyait son beau front penché sur son épaule
Livrer ses longs cheveux aux doux baisers d'Eole ;
Et Zéphyr, succombant sous son charmant fardeau,
Lui former de ses bras un amoureux berceau,
Effleurer ses longs cils de sa brûlante haleine,
Et, jaloux de l'Amour, la lui rendre avec peine.

Ici, le tendre Amour sur des roses couché
Pressait entre ses bras la tremblante Psyché,
Qui, d'un secret effroi ne pouvant se défendre,
Recevait ses baisers sans oser les lui rendre ;
Car le céleste époux, trompant son tendre amour,
Toujours du lit sacré fuyait avec le jour.
Plus loin, par le désir en secret éveillée
Et du voile nocturne à demi dépouillée,
Sa lampe d'une main et de l'autre un poignard,
Psyché, risquant l'amour, hélas ! contre un regard,
De son époux qui dort tremblant d'être entendue,
Se pencbait vers le lit, sur un pied suspendue,
Reconnaissait l'Amour, jetait un cri soudain,
Et l'on voyait trembler la lampe dans sa main.

Mais de l'huile brûlante une goutte épanchée,
S'échappant par malheur de la lampe penchée,
Tombait sur le sein nu de l'amant endormi ;
L'Amour impatient, s'éveillant à demi,
Contemplait tour à tour ce poignard, cette goutte...
Et fuyait indigné vers la céleste voûte !
Emblème menaçant des désirs indiscrets
Qui profanent les dieux, pour les voir de trop près !
La vierge cette fois errante sur la terre
Pleurait son jeune amant, et non plus sa misère :
Mais l'Amour à la fin, de ses larmes touché,
Pardonnait à sa faute ; et l'heureuse Psyché,
Par son céleste époux dans l'Olympe ravie,
Sur les lèvres du dieu buvant des flots de vie,
S'avançait dans le ciel avec timidité ;
Et l'on voyait Vénus sourire à sa beauté !
Ainsi par la vertu l'âme divinisée
Revient, égale aux dieux, régner dans l'Elysée !

Mais Socrate, élevant la coupe dans ses mains :
«Offrons, offrons d'abord aux maîtres des humains
De l'immortalité cette heureuse prémice !»
Il dit ; et vers la terre inclinant le calice,
Comme pour épargner un nectar précieux,
En versa seulement deux gouttes pour les dieux,
Et, de sa lèvre avide approchant le breuvage,
Le vida lentement sans changer de visage,
Comme un convive avant de sortir d'un festin
Qui dans sa coupe d'or verse un reste de vin,
Et, pour mieux savourer le dernier jus qu'il goûte,
L'incline lentement et le boit goutte à goutte.
Puis, sur son lit de mort doucement étendu,
Il reprit aussitôt son discours suspendu.

«Espérons dans les dieux, et croyons en notre âme !
De l'amour dans nos coeurs alimentons la flamme !
L'amour est le lien des dieux et des mortels ;
La crainte ou la douleur profanent leurs autels.
Quand vient l'heureux signal de notre délivrance,
Amis, prenons vers eux le vol de l'espérance !
Point de funèbre adieu ! point de cris ! point de pleurs !
On couronne ici-bas la victime de fleurs ;
Que de joie et d'amour notre âme couronnée
S'avance au-devant d'eux comme à son hyménée !
Ce sont là les festons, les parfums précieux,
Les voix, les instruments, les chants mélodieux,
Dont l'âme convoquée à ce banquet suprême,
Avant d'aller aux dieux, doit s'enchanter soi-même.

Relevez donc ces fronts que l'effroi fait pâlir !
Ne me demandez plus s'il faut m'ensevelir,
Sur ce corps qui fut moi quelle huile on doit répandre,
Dans quel lieu, dans quelle urne il faut garder ma cendre.
Qu'importe à vous, à moi, que ce vil vêtement
De la flamme ou des vers devienne l'aliment ?
Qu'une froide poussière, à moi jadis unie,
Soit balayée aux flots ou bien aux gémonies ?
Ce corps vil, composé des éléments divers,
Ne sera pas plus moi qu'une vague des mers,
Qu'une feuille des bois que l'aquilon promène,
Qu'un atonie flottant qui fut argile humaine,
Que le feu du bûcher dans les airs exhalé,
Ou le sable mouvant de vos chemins foulé !
Mais je laisse en partant à cette terre ingrate
Un plus noble débris de ce que fut Socrate :
Mon génie à Platon, à vous tous mes vertus,
Mon âme aux justes dieux, ma vie à Mélitus,
Comme au chien dévorant qui sur le seuil aboie,
En quittant le festin, on jette aussi sa proie !...»

Tel qu'un triste soupir de la rame et des flots
Se mêle sur les mers aux chants des matelots,
Pendant cet entretien une funèbre plainte
Accompagnait sa voix sur le seuil de l'enceinte ;
Hélas ! c'était Myrto demandant son époux,
Que l'heure des adieux ramenait parmi nous.
L'égarement troublait sa démarche incertaine ;
Et, suspendus aux plis de sa robe qui traîne,
Deux enfants, les pieds nus, marchant à ses côtés,
Suivaient en chancelant ses pas précipités.
Avec ses longs cheveux elle essuyait ses larmes ;
Mais leur trace profonde avait flétri ses charmes ;
Et la mort sur ses traits répandait sa pâleur :
On eût dit qu'en passant l'impuissante douleur,
Ne pouvant de Socrate atteindre la grande âme,
Avait respecté l'homme et profané la femme !
De terreur et d'amour saisie à son aspect,
Elle pleurait sur lui dans un tendre respect.
Telle, aux fêtes du dieu pleuré par Cythérée,
Sur le corps d'Adonis la bacchante éplorée,
Partageant de Vénus les divines douleurs,
Réchauffe tendrement le marbre de ses pleurs,
De sa bouche muette avec respect l'effleure,
Et paraît adorer le beau dieu qu'elle pleure !

Socrate, en recevant ses enfants dans ses bras,
Baisa sa joue humide et lui parla tout bas :
Nous vîmes une larme, et ce fut la dernière,
Sous ses cils abaissés rouler dans sa paupière.
Puis d'un bras défaillant offrant ses fils aux dieux :
«Je fus leur père ici, vous l'êtes dans les cieux !
Je meurs, mais vous vivez ! Veillez sur leur enfance !
Je les lègue, ô dieux bons, à votre providence !...»

Mais déjà le poison dans ses veines versé
Enchaînait dans son cours le flot du sang glacé :
On voyait vers le coeur, comme une onde tarie,
Remonter pas à pas la chaleur et la vie,
Et ses membres roidis, sans force et sans couleur,
Du marbre de Paros imitaient la pâleur.
En vain Phédon, penché sur ses pieds qu'il embrasse,
Sous sa brûlante haleine en réchauffait la glace ;
Son front, ses mains, ses pieds se glaçaient sous nos doigts :
Il ne nous restait plus que son âme et sa voix !
Semblable au bloc divin d'où sortit Galatée
Quand une âme immortelle à l'Olympe empruntée,
Descendant dans le marbre à la voix d'un amant,
Fait palpiter son coeur d'un premier sentiment,
Et qu'ouvrant sa paupière au jour qui vient d'éclore,
Elle n'est plus un marbre, et n'est pas femme encore.

Etait-ce de la mort la pâle majesté,
Ou le premier rayon de l'immortalité ?
Mais son front rayonnant d'une beauté sublime
Brillait comme l'aurore aux sommets de Didyme,
Et nos yeux, qui cherchaient à saisir son adieu,
Se détournaient de crainte et croyaient voir un dieu !
Quelquefois, l'oeil au ciel, il rêvait en silence ;
Puis, déroulant les flots de sa sainte éloquence,
Comme un homme enivré du doux jus du raisin,
Brisant cent fois le fil de ses discours sans fin,
Ou comme Orphée errant dans les demeures sombres,
En mots entrecoupés il parlait à des ombres :
«Courbez-vous, disait-il, cyprès d'Académus !
Courbez-vous, et pleurez, vous ne le verrez plus !
Que la vague, en frappant le marbre du Pirée,
Jette avec son écume une voix éplorée !
Les dieux l'ont rappelé ; ne le savez-vous pas ?...
Mais ses amis en deuil, où portent-ils leurs pas ?
Voilà Platon, Cébès, ses enfants et sa femme !
Voilà son cher Phédon, cet enfant de son âme !
Ils vont d'un pas furtif, aux lueurs de Phébé,
Pleurer sur un cercueil aux regards dérobé,
Et, penchés sur mon urne, ils paraissent attendre
Que la voix qu'ils aimaient sorte encor de ma cendre.
Oui, je vais vous parler, amis, comme autrefois,
Quand penchés sur mon lit vous aspiriez ma voix...
Mais que ce temps est loin ! et qu'une courte absence
Entre eux et moi, grands dieux, a jeté de distance !
Vous qui cherchez si loin la trace de mes pas,
Levez les yeux, voyez !... Ils ne m'entendent pas.
Pourquoi ce deuil ? Pourquoi ces pleurs dont tu t'inondes ?
Epargne au moins, Myrto, tes longues tresses blondes ;
Tourne vers moi tes yeux de larmes essuyés :
Myrto, Platon, Cébès, amis !... si vous saviez ...

Oracles, taisez-vous ! tombez, voix du Portique !
Fuyez, vaines lueurs de la sagesse antique !
Nuages colorés d'une fausse clarté,
Evanouissez-vous devant la vérité !
D'un hymen ineffable elle est prête d'éclore ;
Attendez... Un, deux, trois..., quatre siècles encore,
Et ses rayons divins qui partent des déserts
D'un éclat immortel rempliront l'univers !
Et vous, ombres de Dieu qui nous voilez sa face,
Fantômes imposteurs qu'on adore à sa place,
Dieux de chair et de sang, dieux vivants, dieux mortels,
Vices déifiés sur d'immondes autels,
Mercure aux ailes d'or, déesse de Cythère,
Qu'adorent impunis le vol et l'adultère ;
Vous tous, grands et petits, race de Jupiter,
Qui peuplez, qui souillez les eaux, la terre et l'air,
Encore un peu de temps, et votre auguste foule,
Roulant avec l'erreur de l'Olympe qui croule,
Fera place au Dieu saint, unique, universel,
Le seul Dieu que j'adore et qui n'a point d'autel !...

Quels secrets dévoilés ! quelle vaste harmonie !...
Mais qui donc étais-tu, mystérieux génie,
Toi qui, voilant toujours ton visage à mes yeux,
M'as conduit par la voix jusqu'aux portes des cieux ?
Toi qui, m'accompagnant comme un oiseau fidèle,
Caresse encor mon front du doux vent de ton aile,
Es-tu quelque Apollon de ce divin séjour,
Ou quelque beau Mercure envoyé par l'Amour ?
Tiens-tu l'arc, ou la lyre, ou l'heureux caducée ?
Ou n'es-tu, réponds-moi, qu'une simple pensée ?
Ah ! viens, qui que tu sois, esprit, mortel ou dieu !
Avant de recevoir mon éternel adieu,
Laisse-moi découvrir, laisse-moi reconnaître
Cet ami qui m'aima même avant que de naître !
Que je puisse, en touchant au terme du chemin,
Rendre grâce à mon guide et pleurer sur sa main !
Sors du voile éclatant qui te dérobe encore !
Approche !... Mais que vois-je ? O Verbe que j'adore,
Rayon coéternel, est-ce vous que je vois ?...
Voilez-vous, ou je meurs une seconde fois !

Heureux ceux qui naîtront dans la sainte contrée
Que baise avec respect la vague d'Erythrée !
Ils verront, les premiers, sur leur pur horizon,
Se lever au matin l'astre de la raison.
Amis, vers l'orient tournez votre paupière :
La vérité viendra d'où nous vient la lumière !
Mais qui l'apportera ?... C'est toi, Verbe conçu !
Toi, qu'à travers les temps mes yeux ont aperçu ;
Toi, dont par l'avenir la splendeur réfléchie
Vient m'éclairer d'avance au sommet de la vie.
Tu viens ! tu vis ! tu meurs d'un trépas mérité !
Car la mort est le prix de toute vérité.
Mais ta voix expirante en ce monde entendue,
Comme la mienne, au moins, ne sera pas perdue.
La voix qui vient du ciel n'y remontera pas ;
L'univers assoupi t'écoute et fait un pas ;
L'énigme du destin se révèle à la terre.
Quoi ! j'avais soupçonné ce sublime mystère !
Nombre mystérieux ! profonde trinité !
Triangle composé d'une triple unité !
Les formes, les couleurs, les sons, les nombres même,
Tout me cachait mon Dieu, tout était son emblème !
Mais les voiles enfin pour moi sont révolus ;
Ecoutez !...»
        Il parlait : nous ne l'entendions plus.

Cependant dans son sein son haleine oppressée
Trop faible pour prêter des sons à sa pensée,
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas ! venait mourir,
Puis semblait tout à coup palpiter et courir :
Comme, prêt à s'abattre aux rives paternelles,
D'un cygne qui se pose on voit battre les ailes ;
Entre les bras d'un songe il semblait endormi.
L'intrépide Cébès penché sur notre ami,
Rappelant dans ses yeux l'âme qui s'évapore,
Jusqu'au bord du trépas l'interrogeait encore :
«Dors-tu ? lui disait-il ; la mort, est-ce un sommeil ?»
Il recueillit sa force, et dit : «C'est un réveil !
- Ton oeil est-il voilé par des ombres funèbres ?
- Non ! je vois un jour pur poindre dans les ténèbres.
- N'entends-tu pas des cris, des gémissements ?
- Non ! J'entends des astres d'or qui murmurent un nom !
- Que sens-tu ? - Ce que sent la jeune chrysalide
Quand, livrant à la terre une dépouille aride,
Aux rayons de l'aurore ouvrant ses faibles yeux,
Le souffle du matin la roule dans les cieux.
- Ne nous trompais-tu pas ? réponds : l'âme était-elle... ?
- Croyez-en ce sourire, elle était immortelle !...
- De ce monde imparfait qu'attends-tu pour sortir ?
- J'attends, comme la nef, un souffle pour partir.
- D'où viendra-t-il ? - Du ciel. - Encore une parole...
- Non ; laisse en paix mon âme, afin qu'elle s'envole !»

Il dit, ferma les yeux pour la dernière fois,
Et resta quelque temps sans haleine et sans voix.
Un faux rayon de vie errant par intervalle
D'une pourpre mourante éclairait son front pâle :
Ainsi, dans un soir pur de l'arrière-saison,
Quand déjà le soleil a quitté l'horizon,
Un rayon oublié des ombres se dégage,
Et colore en passant les flancs d'or d'un nuage.
Enfin plus librement il sembla respirer,
Et laissant sur ses traits son doux sourire errer :
«Aux dieux libérateurs, dit-il, qu'on sacrifie !
Ils m'ont guéri ! - De quoi ? dit Cébès.
- De la vie !»... Puis un léger soupir de ses lèvres coula,
Aussi doux que le vol d'une abeille d'Hybla.
Etait-ce... Je ne sais ; mais, pleins d'un saint dictame,
Nous sentîmes en nous comme une seconde âme !...

Comme un lis sur les eaux et que la rame incline,
Sa tête mollement penchait sur sa poitrine ;
Ses longs cils, que la mort n'a fermés qu'à demi,
Retombant en repos sur son oeil endormi,
Semblaient comme autrefois, sous leur ombre abaissée,
Recueillir le silence ou voiler la pensée.
La parole surprise en son dernier essor
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas ! errait encor,
Et ses traits, où la vie a perdu son empire,
Etaient comme frappés d'un éternel sourire...
Sa main, qui conservait son geste habituel,
De son doigt étendu montrait encor le ciel.
Et quand le doux regard de la naissante aurore,
Dissipant par degrés les ombres qu'il colore,
Comme un phare allumé sur un sommet lointain,
Vint dorer son front mort des ombres du matin,
On eût dit que Vénus, d'un deuil divin suivie,
Venait pleurer encor sur son amant sans vie ;
Que la triste Phébé de son pâle rayon
Caressait, dans la nuit, le sein d'Endymion ;
Ou que du haut du ciel l'âme heureuse du sage
Revenait contempler le terrestre rivage,
Et, visitant de loin le corps qu'elle a quitté,
Réfléchissait sur lui l'éclat de sa beauté,
Comme un astre bercé dans un ciel sans nuage
Aime à voir dans les flots briller sa chaste image.

On n'entendait autour ni plainte, ni soupir !...
C'est ainsi qu'il mourut, si c'était là mourir !

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commentaires

J
Bonjour,J'ai moi aussi en principe un problème avec le romantisme, et suis fâché avec lui. Cependant, en ce qui concerne les romantiques, je me suis aperçu qu'ils ne l'avaient pas toujours été.Mis à part le fait que le formalisme universitaire a décidé, selon le principe très contestable du Zeitgeist, que telle période était classique, telle autre romantique, etc., il se trouve que des auteurs du 19ème siècle ont traversé ces courants, y sont resté ou en sont sorti, ont été acteurs des remous et des folies de leur temps. L'exemple le plus net en est la très longue carrière de Victor Hugo.J'avais un a priori sur Lamartine. Mais ce poème me semble tenir plus de la tradition classique, ne serait-ce que par son thème et le respect du sujet traité, et c'est pourquoi je l'ai présenté sur ce site.Je ne connais pas plus que cela l'oeuvre de Lamartine, mais d'un côté on m'a dit qu'il avait été romantique, puis avait fui le romantisme, et d'un autre qu'il a eu un rôle dans la révolution de 1848, comme Victor Hugo.Pourriez-vous développer un peu, pour les lecteurs de ce site, votre point de vue sur le romantisme, et en quoi Victor Hugo et Friedrich Von Schiller, qui sont "académiquement" des romantiques, ne le sont en réalité pas ?Merci,Jean-Gabriel Mahéo
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B
Pardon, mais j'ai un problême sérieux avec Alphonse de Lamartine, tout comme avec les romantiques en général (sauf Victor Hugo et Friedrich Schiller bien sûr)
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