20 janvier 2008
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La France et la tentation de trahison :
De quoi Sarkozy est-il le nom ?
Vidéo avec Alain Badiou, texte de Marc Bloch
De quoi Sarkozy est-il le nom ?
Vidéo avec Alain Badiou, texte de Marc Bloch
Vous aurez certainement remarqué que notre blog insiste beaucoup sur la tradition de Franklin Delano Roosevelt, sur les moyens de développer l'esprit de résistance, sur la désintégration financière internationale et sur la nature du pouvoir Sarkozien.
Sur ce dernier point, qui a un rapport avec les trois autres, je vous présente ici deux documents : Une vidéo de l'interview de M. Alain Badiou, philosophe, réalisée par M. Frédéric Taddéï lors de son émission "Ce soir ou jamais", ou le penseur développe librement sa pensée.
La raison de cette interview provient de la réaction hystérique du "système" contre son dernier ouvrage : "De quoi Sarkozy est-il le nom ?". Un déluge d'attaques, dont celle, bien sur, d'antisémitisme, s'est abattu sur sa personne. Qu'à cela ne fasse, réponds Alain Badiou, en citant Mao Zedong - «Etre attaqué par l’ennemi est une bonne chose, et non une mauvaise chose». Effectivement, cela permet de mieux le connaitre, de mieux voir ses faiblesses et de s'en servir.
Soit dit en passant, Alain Badiou écrit que Sarkozy est le nom du Néo-Pétainisme.
J'ai ajouté à la suite de cette interview un texte de Marc Bloch - historien, résistant et martyr - publié en juillet 1943 dans Les Cahiers Politiques, n°2, organe clandestin du C.G.E (Comité général d'études de la Résistance), et intitulé "Pourquoi je suis républicain ?".
Marc Bloch y élabore sur la tradition historique dans laquelle le pétainisme se place. Comme Alain Badiou, il considère 1815 comme une année importante, mais fait remonter la source du pétainisme aux contradictions issues de la naissance de l'état-nation français (sous Louis XI).
Il faut aussi citer le fantastique travail de Mme Annie Lacroix-Riz, Le Choix de la défaite, qui décortique le parti de la trahison des années trente et quarante, et grace auquel on peut s'apercevoir que, si les acteurs ont changé, c'est tout de même bien lui que nous avons porté au pouvoir derrière Sarkozy.
Entretien avec Alain Badiou
Voici le texte de Marc Bloch :
Pourquoi je suis républicain*
Me demander pourquoi je suis républicain, n'est-ce pas déjà l'être soi-même ? N'est-ce pas admettre, en effet, que la forme du pouvoir peut être l'objet d'un choix mûrement délibéré de la part du citoyen, que la communauté ne s'impose donc pas à l'homme, qu'elle ne le constitue pas par l'éducation et la race jusque dans ses dispositions les plus intimes et de façon nécessaire, qu'il peut sans sacrilège examiner le groupe dont il fait partie parce qu'enfin la société est faite pour lui et doit le servir à atteindre sa fin.
Pour tous ceux qu'unit cette croyance, il est en effet des principes communs en matière politique. La cité étant au service des personnes, le pouvoir doit reposer sur leur confiance et s'efforcer de la maintenir par un contact permanent avec l'opinion. Sans doute cette opinion peut-elle, doit-elle être guidée, mais elle ne doit être ni violentée ni dupée, et c'est en faisant appel à sa raison que le chef doit déterminer en elle la conviction. Aussi doit-il avant tout distinguer les aspirations profondes et permanentes de son peuple, exprimer en clair ce que celui-ci dénie parfois bien confusément et le révéler pour ainsi dire à lui-même. Un tel débat ne peut être mené à bien que dans la sécurité. L'État au service des personnes ne doit ni les contraindre ni se servir d'elles comme d'instruments aveugles pour des fins qu'elles ignorent. Leurs droits doivent être garantis par un ordre juridique stable. La tribu qu'une passion collective soude à son chef est ici remplacée par la cité que gouvernent les lois. Les magistrats soumis eux-mêmes à ces lois et tenant d'elles leur autorité s'opposent au chef, lui-même loi vivante et dont l'humeur et les passions donnent à la communauté toutes ses impulsions.
Mais suit-il de là que la cité réglée par les lois soit nécessairement de forme républicaine et ne peut-on concevoir une monarchie légitime, où sur le roc solide de la monarchie héréditaire puisse être construit un ordre politique stable ? Bien des peuples étrangers, nos voisins anglais, notamment, n'ont-ils pas réussi une oeuvre de ce genre et n'y aurait-il pas avantage à les imiter ? Telles sont les questions que se posent, paraît-il, encore un certain nombre de Français. Il convient d'y répondre et de montrer pourquoi, dans la France de 1943, un ordre politique digne de ce nom ne peut se fonder en dehors d'une forme républicaine.
Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en plaigne, qu'on le blâme ou qu'on le loue, le passé est acquis et il ne dépend pas de nous de le refaire. L'histoire de ce pays l'a marqué et de telle sorte qu'il est impossible de le refondre.
C'est un fait que la monarchie pour faire l'unité de la France a contraint à la soumission les innombrables pouvoirs locaux surgis à l'époque féodale. C'est un fait que contente de les avoir soumis, elle n'a pas cherché à les détruire. Deux conceptions opposées du pouvoir royal s'affrontaient dans les esprits : l'un faisait du roi le serviteur de l'intérêt général, placé au dessus de tous parce qu'au service de tous et chargé par suite de faire disparaître toute exception à la loi, tout privilège. L'autre voyait, au contraire, en lui le gardien de tous les droits acquis, la clé de voûte de l'édifice social et de ses innombrables organismes aux diverses fonctions, le pouvoir qui échappant à l'élection consolidait par sa seule présence le principe de hiérarchie dans l'État, bref le protecteur même du privilège.
Entre ces deux conceptions, la monarchie ne sut jamais choisir. Son inertie même la livra aux privilégiés qui surent la compromettre à force de l'entourer. Populaire aux temps lointains où le peuple voyait en elle une protection contre les féodaux, elle avait déjà vers la fin du XVIIIe siècle perdu une grande part de la confiance de la nation. Lorsque, au cours d'une crise décisive, la France prit conscience d'elle-même et voulut fonder sur la base de l'égalité devant la loi un ordre social nouveau, la monarchie tomba du côté où elle penchait ; elle prit parti pour les privilégiés contre son peuple et n'hésita pas dans cette intention à faire appel à l'étranger. Entre le pouvoir royal et la souveraineté de la nation, la question était désormais posée et le couperet qui trancha la tête de Louis XVI tranchait par là même ce tragique débat. C'est un fait que dès ce moment un retour de la monarchie ne se trouvait qu'en proclamant la culpabilité de la France, et que reconnaître la souveraineté nationale obligeait en revanche à reconnaître aussi la justice du châtiment qui avait frappé la trahison du roi.
C'est sans doute une lourde épreuve pour le peuple français que d'avoir été contraint à un tel choix. Encore un coup, il ne dépend plus de nous d'y échapper. Force nous est bien de reconnaître que la nation, dans son ensemble, a choisi et qu'elle s'est prononcée pour l'égalité devant la loi et pour la souveraineté nationale. Une minorité, par malheur, a refusé de s'incliner devant cette décision. Certains persistaient à revendiquer à tout prix les privilèges d'une classe supérieure. D'autres en plus grand nombre pensaient que l'ordre social fondé sur le privilège avait un caractère sacré et qu'on ne pouvait s'en affranchir sans impiété. Ainsi se formait en France un parti hostile à tout le cours de l'histoire de France, parti sans cesse vaincu et qui, aigri par ses défaites, prenait peu à peu l'habitude de penser et de sentir contre la nation, au point de ne plus attendre d'autres succès que les désastres de la France. Dès 1814 et 1815, il avait salué dans l'invasion étrangère l'occasion de rétablir la monarchie et l'ordre social qu'elle symbolisait pour lui, et il s'efforçait ensuite de soutenir cet ordre par une politique si directement contraire à l'opinion que trois jours suffisaient à renverser la monarchie restaurée, sans que nul dans tout le pays se levât pour la défendre.
Le désastre de 1870, rendant le pouvoir une fois de plus vacant, permit de poser plus nettement que jamais la question. Le prétendant au trône, le comte de Chambord, lia l'idée monarchique de façon inoubliable à la tradition contre-révolutionnaire : société hiérarchisée fondée sur la volonté divine en dehors de tout appel à la nation. C'est sur cette affirmation qu'il joua et perdit la couronne ; par un débat long et paisible, en dehors de toute violence, la nation se prononça pour la République et de telle façon qu'il n'est pas de décision plus claire et mieux délibérée. Le temps dès lors a pu passer, bien des illusions ont pu naître. On a pu croire que maîtresses de l'armée et des grandes administrations d'État, les classes dirigeantes françaises avaient prétendu confisquer à leur profit le patriotisme et qu'il ne leur restait plus rien du passé de trahison. Il a suffi de bien peu pour dissiper cette erreur. Le patriotisme des aristocrates s'est révélé une attitude destinée à obtenir du peuple la soumission à l'État, tant qu'elles en tiendraient la direction. Du jour où en 1932 elles craignirent de la perdre, du jour où en 1936 leurs craintes se confirmèrent, elles se retrouvèrent d'instinct prêtes à en appeler à l'étranger contre leur peuple. Leur manque de désir de la victoire créa dans tout le pays une atmosphère propice à la défaite et, venue enfin la débâcle, c'est avec une sorte de soulagement qu'elles se préparèrent à exercer le pouvoir sous la tutelle et au profit de l'ennemi.
Il n'est pas possible de supprimer d'un trait de plume ce passé. Qu'on le veuille ou non, la monarchie a pris aux yeux de toute la France une signification précise. Elle est comme tout régime, le régime de ses partisans, le régime de ces Français qui ne poursuivent la victoire que contre la France, qui veulent se distinguer de leurs compatriotes et exercer sur eux une véritable domination. Sachant que cette domination ne serait pas acceptée, ils ne la conçoivent établie que contre leur peuple pour le contraindre et le soumettre, et nullement à son profit. Ce n'est pas un homme, si ouvert et si sympathique soit-il, qui peut changer un tel état de choses.
La République, au contraire, apparaît aux Français comme le régime de tous, elle est la grande idée qui dans toutes les causes nationales a exalté les sentiments du peuple. C'est elle qui en 1793 a chassé l'invasion menaçante, elle qui en 1870 a galvanisé contre l'ennemi le sentiment français, c'est elle qui, de 1914 à 1918, a su maintenir pendant quatre ans, à travers les plus dures épreuves, l'unanimité française ; ses gloires sont celles de notre peuple et ses défaites sont nos douleurs. Dans la mesure où l'on avait pu arracher aux Français leur confiance dans la République, ils avaient perdu tout enthousiasme et toute ardeur, et se sentaient déjà menacés par la défaite et dans la mesure où ils se sont redressés contre le joug ennemi, c'est spontanément que le cri de « Vive la République ! » est revenu sur leurs lèvres. La République est le régime du peuple. Le peuple qui se sera libéré lui-même et par l'effort commun de tous ne pourra garder sa liberté que par la vigilance continue de tous. Les faits l'ont aujourd'hui prouvé : l'indépendance nationale à l'égard de l'étranger et la liberté intérieure sont indissolublement liées, elles sont l'effet d'un seul et même mouvement. Ceux qui veulent à tout prix donner au peuple un maître accepteront bientôt de prendre ce maître à l'étranger. Pas de liberté du peuple sans souveraineté du peuple, c'est-à-dire sans République.
Marc Bloch
L'étrange défaite, éd. folio histoire
L'étrange défaite, éd. folio histoire
* Les Cahiers politiques, organe clandestin du C.G.E. (Comité général d'études de la Résistance), n° 2, juillet 1943, p. 9, « Réponse d'un historien ».