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30 janvier 2008 3 30 /01 /janvier /2008 16:48
ELLIOTT ROOSEVELT
MON PERE M'A DIT...
(As He Saw It)


 
Chapitre
X : LA CONFERENCE DE YALTA (autres chapitres ici)

undefined    Bien que je n'aie accompagné mon père ni à Malte, ni à Yalta, au moment de la conférence, ni plus tard à Great Bitter Lake, en Egypte, j'ai été à même d'avoir plus d'une information de première main sur ce qui s'était passé dans ces divers endroits.
    Certaines de ces impressions m'ont été rapportées par ma soeur Anna, d'autres par Harry Hopkins. De plus, mon père trouva le temps de m'écrire quelques lettres où il me parlait de ses réactions. Grâce à ces échos différents — et individuels — qui concordaient tous dans les grandes lignes, et grâce aussi au compte rendu officiel du voyage, j'ai pu me faire une idée d'ensemble de ces événements.
    La conférence de Yalta, avec ses haltes à Malte et en Egypte, est, de toutes les réunions des Trois Grands, celle qui a duré le plus longtemps. Mon père était resté en voyage pendant cinq semaines. Ce fut aussi celle qui permit aux dirigeants des trois puissances d'avoir le plus d'entretiens. Il y eut huit sessions officielles et plusieurs conversations privées pendant les huit jours que mon père passa en Crimée, et la gamme complète des questions militaires et politiques y fut étudiée. Pourtant cette conférence ne fut pas la plus importante de toutes.
    La raison en est bien simple : les principales décisions avaient été prises ailleurs :.à Washington, au Caire, à Téhéran. A Yalta, le Maréchal soviétique, le Premier Ministre britannique et le Président des Etats-Unis, accompagnés de leurs assistants militaires et diplomatiques, avaient pour tâche d'étudier en détail des questions sur lesquelles ils étaient déjà d'accord dans les grandes lignes. Le nombre des conseillers qui assistèrent aux débats était plus important que les autres fois.
    Il ne s'agit pas de nier l'importance de ces détails, mais le tableau d'ensemble avait été établi à Téhéran. Si mon père avait vécu, il y aurait sans aucun doute eu ensuite d'autres rencontres des Trois Grands, après celle de Potsdam. La Conférence de Yalta était nécessaire parce que la ligne politique arrêtée à Téhéran n'avait pas été suivie sans heurts à Dumbarton Oaks. Les délégués des trois puissances venant juste au-dessous des Trois Grands n'étaient pas tout à fait d'accord entre eux. A Yalta, une fois de plus, l'unanimité était réalisée et le squelette du monde d'après-guerre se couvrait de chair. C'est là que réside l'importance de la rencontre de Yalta.
    Les Trois Grands s'étaient réunis en Crimée pour la commodité de Staline, dont l'Armée Rouge avait déclenché l'offensive d'hiver, une semaine environ avant le départ de mon père de Washington. On disait que cette offensive avait été avancée d'une semaine, et cela en dépit du mauvais temps, afin de diminuer la pression des Allemands sur les troupes alliées à l'ouest. ,
    Le choix de Yalta comme siège de la conférence, n'enchantait pas, tant s'en faut, le Premier Ministre britannique. C'est Harry Hopkins qui rapporta à mon père la réaction de Churchill.
—    Il dit que, si nous avions passé dix ans en recherches, nous n'aurions pu faire un plus mauvais choix... Il n'y a que deux choses qui prospèrent dans ce pays : le typhus et les poux.
    Le lendemain, le Premier Ministre envoya un message à mon père : il y avait six heures de voiture entre l'aérodrome de Saka et Yalta : la route qui reliait ces deux localités à travers la montagne était au meilleur cas peu rassurante, mais probablement à peu près impraticable. Il ajoutait que les Allemands avaient fait dans cette région, avant de l'évacuer, de tels ravages que la santé des délégués y serait en danger permanent.
    On prit note des communications du Premier Ministre et on classa ses messages. Par la suite, à Malte où mon père se rendit le 2 février, Harriman qui était venu au devant de lui, lui apprit que la route en question ne laissait rien à désirer pas plus que les conditions sanitaires.
    C'est dans l'île de Malte qu'eurent lieu les premières conférences militaires. Il est caractéristique du succès des armées alliées que la seule question du ressort de l'état-major interallié qu'on y discutât fut celle de savoir quelle partie des forces alliées serait affectée à la bataille d'Europe et quels renforts seraient envoyés sur le théâtre du Pacifique.
    L'Amiral King et les officiers de la Marine, qui, pour des raisons évidentes, portaient plus d'intérêt à la guerre contre le Japon, s'opposaient — assez mollement, il est vrai — à la thèse du général Marshall, selon laquelle il fallait consacrer le maximum de forces armées au front d'Europe afin d'écraser les Allemands le plus vite possible. Au moment de l'arrivée de mon père, les chefs interalliés étaient déjà en conférence depuis plusieurs jours. Les deux entrevues qu'ils eurent alors, l'une avec mon père, l'autre avec Churchill, leur permirent d'aplanir les divergences de vues qui les séparaient encore sur certains points secondaires.
    Mon père et Anna trouvèrent néanmoins le temps de visiter. Ils firent une promenade de cinquante kilomètres à travers Malte sous un soleil radieux, et allèrent voir la pierre où était gravée la citation que mon père avait décernée aux Maltais, lors de son dernier séjour dans cette île.
    Le départ vers la Crimée se fit la nuit. Le trajet à parcourir était de deux mille deux cents kilomètres. Durant toute la nuit, on entendit, à des intervalles de dix minutes ou d'un quart d'heure, le ronflement d'un C-54 qui prenait son envol à l'aérodrome de Luga, pour se tourner vers l'Est, dans la direction de la pointe sud de la Grèce, puis vers le Nord-Est, afin de survoler la mer Egée et la mer Noire, dans la direction de Saki, cependant qu'au-dessous d'eux, des navires de guerre américains et soviétiques croisaient, en prévision d'un amerrissage forcé. L'appareil n° 1, celui de mon père, qui transportait en outre Leahy, Mc Intire et Brown, ainsi que Pa Watson, Mike Reilly et Arthur Prettyman, était escorté depuis Athènes de six chasseurs, dont l'un dut rebrousser chemin à cause d'une panne de moteur. A midi, l'appareil présidentiel atterrit sur le sol soviétique. Les passagers furent accueillis par Molotov, le secrétaire d'Etat, Stettinius et Averell Harriman. Vingt minutes plus tard, l'avion du Premier Ministre britannique se posa à son tour. Un régiment de la Garde de l'Armée Rouge leur rendit les honneurs et l'orchestre militaire joua tour à tour The Star Spangled Bannes, God Save the King et l'lnternationale. Quelques minutes après, Anna et mon père montèrent dans une limousine russe, conduite par un chauffeur russe, qui les mena d'abord à travers une campagne, ondulante de collines et couverte de neige, pour s'engager ensuite dans les hauteurs. La route de Saki à Yalta était gardée par des soldats russes. Anna dit, en tirant mon père par la manche :
—    Regarde! Que de femmes parmi ces soldats.
    La longue file d'automobiles transportant les délégués américains, se dirigea vers le Palais de Livadia, jadis palais d'été des tsars, aménagé par la suite en maison de convalescence pour les tuberculeux et où les Allemands avaient installé, provisoirement, leur quartier général. Avant d'évacuer le Palais, les Allemands l'avaient pillé et n'y avaient laissé que deux petits tableaux. Ceux-ci servirent à orner un mur de la chambre destinée à mon père. Mais les Russes avaient apporté, de Moscou, un mobilier complet d'hôtel, aussi adéquat qu'il leur avait été possible de trouver, et fait venir tout un personnel. La fille de Harriman, Kathleen, était là pour accueillir les hôtes. Ils étaient tous très fatigués. L'emploi du temps de la soirée ne comportait que trois points : bain, dîner, lit. Le général Marshall se vit attribuer l'ancienne chambre du Tzar, l'amiral King, celle de la Tzarine.
    La villa réservée à Churchill était située à une vingtaine de kilomètres de là, et celle qu'occupait Staline, à dix kilomètres. Le maréchal arriva de bonne heure, le lendemain matin, qui était un dimanche. A quatre heures de l'après-midi, il vint rendre visite à mon père, en compagnie de Molotov. A cinq heures, la conférence était réunie en première session officielle, autour de la grande table ronde, dans l'immense salle de bal du Palais de Livadia. Cette réunion dura deux heures et quarante minutes et elle donna le ton aux réunions suivantes. Il y en eut tout sept, à raison d'une par jour. Seule, la dernière réunion fut plus courte.
    Le travail accompli était considérable. Les questions suivantes furent discutées :
1.    Les détails de la guerre contre l'hitlérisme, au sujet desquels l'unité des Alliés avait été réalisée. (Tandis que les conférences se poursuivaient, l'Armée Rouge avançait à une cadence jamais encore atteinte. Les délégués de l'armée de terre et de mer anglais et américains se demandaient même si la résistance allemande ne se trouverait pas définitivement brisée et si la défaite du Reich hitlérien, la plus forte puissance fasciste du monde, ne se produirait pas avant la fin de la conférence.)
2.    L'occupation et le contrôle de l'Allemagne, après sa défaite. En arrivant en Crimée, mon père espérait convaincre ses partenaires que le contrôle de l'Allemagne devait être centralisé et non point divisisé en zones. D'après lui, le contrôle et l'administration devaient former un tout, centralisé entre les mains des Alliés, non seulement au sommet de l'échelle, mais aussi à tous les degrés. Cette thèse fut cependant accueillie avec tiédeur par les Anglais et les Russes. Et ils finirent par persuader mon père de la nécessité d'adopter le système des zones. C'est à Yalta que les lignes de démarcation furent établies, d'un commun accord, ainsi que les dates auxquelles les différentes armées devaient instituer le contrôle administratif dans chaque zone particulière.
    « Nous sommes fermement décidés, écrivaient les Trois Grands, à détruire le militarisme allemand et le nazisme, et à prendre des mesures pour que l'Allemagne ne puisse plus jamais menacer la paix du monde. Nous sommes résolus à supprimer ou à contrôler toute industrie allemande...
    Mon père préconisait ce que nous appelons, chez nous, « le plan Morgenthau », d'après lequel il fallait frapper au coeur le potentiel de l'industrie allemande. Sans industrie, aucun pays ne saurait, en effet, se lancer dans une guerre moderne. Ce projet intéressa Staline, et ce n'est de la faute ni de l'un ni de l'autre si ces dispositions énergiques n'ont pas été appliquées.
3.    Les réparations à exiger de l'Allemagne furent également fixées. Les échéances furent prévues. On étudia également le caractère de ces réparations, l'équipement industriel, etc. (Ces plans n'ont, d'ailleurs, été exécutés, ni par les Anglais ni par les Américains.)
4.    Une conférence des Nations-Unies, dont les principes avaient été établis à Dumbarton Oaks, suivant les grandes lignes, tracées à la Conférence de Téhéran, était décidée. Elle se réunirait à San Francisco, au plus tard dans les deux mois qui suivraient.     A Dumbarton Oaks, des difficultés avaient surgi au sujet de la procédure. Le veto d'un des Trois Grands devait-il entraver l'action du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, au cas où le besoin d'une action contre un pays accusé d'agression se ferait sentir?
    A Yalta, les Trois Grands attaquèrent le problème de face et sur le plan qu'il exigeait. Mon père et Staline approuvaient le principe du veto pour les Trois Grands. Ils partaient de ce point de vue, simple et clair, que la paix ne saurait être maintenue sans la participation des trois grandes puissances. Si l'une d'elles entre en conflit avec les deux autres, la paix s'en trouve menacée. Seuls, un accord complet et une unité de buts peuvent sauver la paix.
    C'est mon père qui apporta une solution au problème de la procédure. Les Trois Grands, ainsi que la Chine et la France, devraient, d'après cette solution, se trouver unanimement d'accord, avant que l'organisation mondiale puisse prendre des mesures militaires ou économiques contre l'agresseur. Cependant, tout groupe de sept membres, parmi les onze participants du Conseil de Sécurité, pourrait citer un pays agresseur devant le tribunal de l'opinion mondiale pour lui demander des comptes.
    Mon père soulignait énergiquement la nécessité de maintenir une unité complète entre les nations, et en particulier entre les Trois Grands. L'application du principe du veto était destinée à sauvegarder cette unité.
5.    Les Trois Grands répondirent aux questions que posait la libération des pays d'Europe occupés par l'Allemagne, et, ce faisant, réaffirmèrent les principes de la Charte de l'Atlantique : droit des peuples à se gouverner eux-mêmes, à décider librement de la forme de leur gouvernement, et liberté des élections.
    En ce qui concerne la Pologne, Staline insista pour que la frontière orientale de ce pays fût tracée suivant la ligne Curzon, avec quelques modifications, peu importantes, en faveur de la Pologne. En même temps, il se déclara partisan d'une Pologne forte et capable de se suffire à elle-même, grâce à l'annexion de certains territoires au Nord et à l'Ouest aux dépens de l'Allemagne. La question du futur gouvernement de la Pologne devait être résolue par un compromis permettant la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Il existait, à Moscou, un gouvernement polonais, soutenu par les Russes, et les Anglais, de leur côté, soutenaient l'ancien gouvernement polonais réfugié à Londres. Mon père joua, dans cette affaire, un rôle de médiateur et d'arbitre, si important pour le maintien de l'unité.
7.    Churchill, qui défendait jalousement les intérêts britanniques dans les pays méditerranéens et balkaniques, insista sur la question de la Yougoslavie. Il fut convenu qu'un parlement temporaire serait institué dans ce pays, comprenant certains membres du dernier parlement yougoslave. A cet égard, Staline imposa une réserve : ne pourraient siéger au parlement que des personnalités non compromises par leur collaboration avec l'ennemi.
8.    Mon père était convaincu que les Trois Grands devaient se rencontrer fréquemment. La Conférence de Yalta, qui avait lieu un an à peine après celle de Téhéran, en était la preuve. Il fut donc décidé que les ministres des Affaires étrangères des trois puissances se réuniraient régulièrement.
9.    Les Trois affirmèrent sagement, solennellement, et en toute sincérité, que « seules une coopération étroite et la compréhension réciproque des trois puissances ainsi que des autres nations éprises de la paix... peuvent assurer une paix durable... » Le premier mot de cette citation, ainsi que le chiffre de Trois méritent une attention particulière.
    Sur la foi du témoignage de Harry Hopkins, je puis affirmer que Churchill, Staline et Roosevelt se montrèrent à Yalta plus unis que lors de la Conférence de Téhéran. Et il était évident que c'était mon père qui dirigeait les discussions, plus, encore que dans les réunions précédentes. Ce n'est pas par pur hasard qu'il figure au centre sur les photographies prise à Yalta. Il dominait Winston Churchill plus complètement que les autres fois. Joseph Staline se montrait également disposé à suivre les conseils de mon père et à accepter ses propositions.
    C'est aussi à Yalta que, dans une mesure plus grande que lors des autres conférences, on prit conscience de l'énorme responsabilité qui reposait sur les épaules des trois chefs d'Etat. Certes, des divergences de vues subsistaient à tous les échelons, et même au sein de chaque délégation. Ainsi, mon père n'accordait pas une confiance illimitée à tous ses conseillers. Ces petits désaccords, cependant, s'effaçaient devant la tâche commune, une tâche grandiose : la construction d'une paix forte et durable.
    Quelques incidents fort significatifs marquèrent la Conférence de Yalta.
    Un soir, au cours d'un dîner donné par Staline., mon père fit l'éloge du champagne russe, et cela non seulement pour des raisons diplomatiques, mais aussi, en toute sincérité. Flatté, son hôte lui apprit que cette boisson provenait de son pays d'origine : la Géorgie. La satisfaction de Staline se manifesta par des sourires encore plus cordiaux lorsque mon père dit qu'il comptait se faire représentant du champagne géorgien en Amérique, après la guerre, quand il ne serait plus président, en ajoutant qu'il espérait bien faire fortune par ce moyen.
    De leur côté, les Russes firent observer, diplomatiquement, qu'il avait fait mauvais temps en Crimée jusqu'à l'arrivée de mon père. Ils faisaient allusion à la légende qui veut que les Roosevelt amènent le beau temps avec eux.
    La Conférence de Yalta fournit également l'occasion d'un échange de présents et de décorations. Mon père remit des médaillons spécialement gravés à Churchill, à Staline, à Eden et à Molotov. Il offrit, en outre, à Staline, un exemplaire du livre intitulé La Cible : l'Allemagne. C'était peut-être une discrète allusion politique à l'importance du plan Pointblank qui réglait le détail du bombardement des points stratégiques de l'Allemagne. Il remit, en outre, au maréchal, huit décorations : deux médailles de la Legion of Merit au titre de Grand Commandeur, et six médailles de la Legion of Merit au titre de Commandeur, que Staline devait décerner à huit généraux de l'Armée Rouge.
    Lorsque la délégation américaine quitta le Palais de Livadia, le dimanche 11 février, le personnel du palais la pourvut généreusement de vodka, de plusieurs sortes de vin, de ce champagne géorgien qui avait conquis mon père, de caviar, de beurre, d'oranges et de mandarines. Cela rappela à ma soeur Anna un petit incident qui s'était produit au cours d'une promenade qu'elle avait faite en compagnie d'un agent du service secret soviétique parlant anglais. Ayant rencontré un groupe d'enfants russes, ma soeur eut l'idée de leur offrir quelques barres de chocolat.  Les enfants les acceptèrent, mais l'agent du service secret les lui rendit, d'un air grave et ferme, en disant :
—    Ces enfants sont nourris comme il faut. Nous ne voudrions pas que notre visiteuse américaine s'imagine qu'ils manquent de quoi que ce soit.
    Avant la fin de la conférence, Staline confirma la promesse qu'il avait déjà faite à Téhéran : dans les six mois qui suivraient la victoire en Europe, il déclarerait la guerre au Japon. Puis, après un moment de réflexion, il modifia le délai et le ramena à trois mois.
    Outre les décisions figurant dans la déclaration officielle, les Trois Grands convinrent que la sécurité de l'Union Soviétique dans le Pacifique exigeait la reconnaissance du droit de ce pays aux îles Kouriles, ainsi qu'à la partie sud de file de Sakhaline. Plus tard, on reprocha à mon père et à ses partenaires, d'avoir conclu des « accords secrets », mais les critiques oubliaient, évidemment, le fait qu'une telle convention ne pouvait être rendue publique à une époque où la Russie n'était pas encore en guerre contre le Japon. Il est d'ailleurs faux d'affirmer que les îles Kouriles étaient le « prix » demandé par les Russes pour leur entrée en guerre contre le Japon. Staline avait déjà proposé son intervention un an auparavant, à Téhéran, sans avoir pensé à une « contre-partie  ».
    Mon père arriva à Sébastopol à la tombée de la nuit. Dans le crépuscule, cette ville, l'une des plus éprouvées par la guerre, lui offrit un spectacle morne et lugubre. Ce n'était guère plus qu'un champ de ruines, avec çà et là un pan de mur qui se dressait pomme un panneau publicitaire. On dit à mon père qu'au moment où les Allemands évacuaient la ville, il ne restait que six bâtiments debout.
    Mon père passa la nuit à bord du navire auxiliaire U.S.A. Catoctin, et, le matin, il prit l'avion pour l'Egypte, où il atterrit à l'aérodrome Deservoir, après avoir fait mille six cents kilomètres. Là, le croiseur lourd Quincy, le même qui 'avait amené les voyageurs de Newport News jusque-là, les attendait. Autre chose les y attendait encore, des nouvelles sur la façon dont le monde avait accueilli les délibérations de Yalta : Herbert Hoover lui-même avait admis, à contre-coeur, que « cela donnerait de grands espoirs au monde ».
    Mon père parcourut quelques éditoriaux parmi ceux qui lui avaient été câblés, puis envoya à Staline un long télégramme pour le remercier de son hospitalité. Il se terminait ainsi : « Je suis persuadé que les peuples considéreront les résultats de cette réunion... comme une réelle garantie que nos trois grandes nations pourront collaborer dans la paix aussi efficacement qu'elles l'ont fait dans la guerre, »
    Mon père reçut trois visiteurs à bord du Quincy. Anna m'a dit, depuis, qu'il était déjà fatigué, épuisé par la tension des dernières semaines, et amaigri. Il vivait sur ses nerfs. Il tint cependant à recevoir ces personnalités importantes et à avoir un entretien avec elles.
    La série des visites commença par celle du roi Farouk d'Egypte. Ils parlèrent des achats de coton que les Etats-Unis avaient faits en Egypte pendant la guerre et de l'importance des échanges commerciaux, après la guerre. Mon père dit également au roi Farouk qu'il prévoyait une grande affluence de touristes américains dans la vallée du Nil.
    Au cours du même après-midi, mon père reçut un autre visiteur royal : le brun Haïlé Sélassié, le Lion Conquérant de Juda. L'empereur d'Ethiopie .parla avec animation à mon père des réformes qu'il introduisait dans son pays et déclara qu'il partageait avec joie l'espoir de mon père de voir se resserrer, après la guerre, les rapports entre les Etats-Unis et l'Ethiopie.
    Le lendemain matin, ce fut le tour d'Ibn Séoud, roi de l'Arabie séoudite. Le souverain arabe était venu à bord d'un destroyer américain. Tandis que le navire se rangeait près du Quincy, mon père et ceux qui l'accompagnaient purent voir les tentes qui avaient été montées sur le pont pour permettre au roi de dormir en plein air. Afin de satisfaire à la coutume musulmane qui exclut la présence d'une femme en pareille circonstance, ma soeur s'éclipsa discrètement ce jour-là et alla visiter le Caire.
    Le Roi et le Président parlèrent d'abord de la question juive en Palestine. Mon père avait espéré pouvoir persuader Ibn Séoud que l'équité aurait voulu que les dizaines de milliers de Juifs chassés de leurs foyers d'Europe et qui erraient, en butte aux persécutions, pussent s'installer en Palestine. Plus tard Bernard Baruch m'a dit que, parmi tous les hommes à qui mon père avait eu affaire dans la vie, il n'en avait jamais rencontré un dont il pût moins obtenir que de ce monarque arabe à la volonté de fer. A la fin de la conversation, mon père lui promit de ne jamais sanctionner aucun geste américain hostile au peuple arabe.
    Il fut également question, au cours de cette entrevue, du Liban et des colonies françaises à forte population arabe. Mon père dit à Ibn Seoud qu'il possédait la promesse écrite du gouvernement français que l'indépendance serait accordée à la Syrie et au Liban. Il lui assura qu'il pouvait écrire à n'importe quel moment au gouvernement français pour lui demander d'honorer sa parole et qu'il soutiendrait les Libanais et les Syriens par tous les moyens à l'exclusion de la force.
    Ibn Seoud regardait avec envie le fauteuil roulant de mon père. Il ne fut pas peu étonné lorsque mon père le lui offrit aussitôt.
    Le Quincy se dirigea ensuite vers la Méditerranée, en passant par le canal de Suez. Alger fut la première étape du long voyage du retour. Le navire y fit une brève halte, tandis qu'on attendait la réponse à cette question : « De Gaulle continuera-t-il à bouder ou daignera-t-il rendre visite au Président à la suite de l'invitation de celui-ci. » La réponse vint par l'intermédiaire de l'ambassadeur Caffery :
    « Pour toute une série de raisons, de Gaulle ne peut quitter Paris en ce moment. C'est regrettable, mais Alger est loin, etc., etc... »
    Mon père haussa les épaules et le Quincy prit le large en direction de Newport News.
    Le retour de cette conférence couronnée de succès fut triste. Un des plus vieux amis de mon père, qui fut aussi un de ses plus intimes collaborateurs, Pa Watson, tombé malade après le départ d'Alexandrie, mourut au milieu de l'Atlantique. Mon père arriva à la Maison Blanche dans un état de lassitude extrême. Anna m'a dit plus tard qu'après une telle traversée cela n'avait rien d'étonnant.
    Et pourtant, lorsqu'il retrouva ma mère, il lui dit avec le même enthousiasme qu'autrefois :
—    As-tu vu le communiqué de Crimée ? Désormais la route est tracée. Elle va de Yalta à Moscou, à San Francisco et à Mexico, à Londres, à Washington et à Paris. Et il ne faut pas oublier qu'elle passe par Berlin !
    « Nous venons d'avoir une guerre mondiale, conclut-il, mais d'ores et déjà nous construisons la paix mondiale ».

…à suivre : Chapitre XI : CONCLUSION

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