3 décembre 2007
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Quand c'est pas Chavez, c'est Poutine. Franchement, j'en ai ras le bol de lire toujours les mêmes bêtises sur la Russie et sur Poutine. Avec les dernières élections, on a eu droit à un festival: Poutine "dictateur", "tyran", "Despote" selon Libération, etc. L'analyse politique frôle ici la propagande et l'ignorance.
Pour changer, voici un très bon article de Jacques Sapir, qui est économiste et directeur d'étude à l'EHESS. Publié dans La Croix. A lire absolument.
Erreur de perspective en Russie
L'épithète d'autocrate est fréquemment accolée à Vladimir Poutine. Sa décision d'octobre 2007 de prendre la tête de la liste du parti Russie unie, ce qui lui garantit de devenir, s'il le désire, le futur premier ministre à la fin de son mandat présidentiel en mars 2008, est invoquée comme «preuve». L'erreur de perspective est cependant évidente. Eût-il été un autocrate, Vladimir Poutine eut ouvertement violé la Constitution pour pouvoir se représenter au-delà des deux mandats autorisés. Poutine a fait le choix, pour l'instant, de respecter la lettre de la Constitution, quitte à en utiliser les possibilités pour rester au pouvoir compte tenu de son immense popularité actuelle. Ce choix est symbolique. Boris Eltsine avait quant à lui ouvertement violé la Constitution en 1993 quand il décida de dissoudre le Parlement de Russie.
Derrière le faux débat sur l'autocratie de Poutine se cache cependant une vraie question, celle de l'avortement du processus démocratique entamé sous Gorbatchev en 1988-1989. La Russie n'est pas aujourd'hui une démocratie au plein sens du terme. L'équilibre des pouvoirs n'y est pas respecté et le poids de l'exécutif dominant.
Les pressions sur la presse sont fortes, encore que la presse écrite soit largement restée pluraliste. Si la situation n'est pas ici différente de la France des années 1960 où la télévision était entièrement acquise au pouvoir, le plus grave réside dans l'arbitraire permanent des autorités locales dans nombre de régions et dans le comportement des administrations. Les actes de violence sont nombreux contre ceux qui critiquent ces abus. Ajoutons encore le fait qu'il n'y a toujours pas de véritables partis politiques en Russie, à l'exception du KPRF communiste.
La situation de la démocratie n'est donc pas bonne en Russie, mais le problème est bien antérieur à l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir car le processus démocratique a déraillé entre 1993 et 1996. Boris Eltsine en porte la responsabilité quand il décida de manière anticonstitutionnelle de dissoudre le Parlement, conduisant à une mini guerre civile à Moscou en octobre 1993. Le déclenchement de la première guerre de Tchétchénie à la fin de 1994 conduisit à une systématisation des actes de violence contre la population mais aussi contre les journalistes qui payèrent un lourd tribut à l'époque, dans l'indifférence générale des médias occidentaux et des pleureuses des droits de l'homme. La manipulation de l'élection présidentielle de 1996, pour assurer par une fraude massive la réélection de Boris Eltsine est venue couronner le tableau. Ici encore, il n'y eut nulle protestation de la part des partenaires occidentaux de la Russie, qui au contraire participèrent plus qu'indirectement à cette fraude.
Ce manque de protestation s'explique aisément. Tous ces actes furent commis par ceux que l'on appelait les «démocrates» en Russie. On peut reprocher à Vladimir Poutine d'avoir choisi de reconstruire l'État plus que de le démocratiser. Mais faire ce reproche en ignorant ce qui s'est passé entre 1992 et 1998 n'a pas de sens et confine à la malhonnêteté. La Russie actuelle n'est pas seulement l'héritière, comme on le dit souvent, de la longue tradition d'autocratie tsariste et de l'URSS.
Elle est aussi le produit des années 1990, quand le néolibéralisme des «démocrates» russes s'est traduit par une crise économique sans précédent et aux conséquences sociales atroces, dans la corruption et le vol organisé à grande échelle par les oligarques, et dans l'étouffement de la démocratie que l'on a indiqué. De ceci, la Russie a failli mourir, comme on l'a vu avec la crise de l'été 1998. Elle doit son rétablissement à Primakov puis à Poutine.
La reconstruction économique du pays a commencé bien avant que les prix des hydrocarbures ne montent, et une partie des abus des années 1990 ont été corrigés. Comme l'immense majorité des pays producteurs de matières premières, la Russie a repris le contrôle de ses ressources naturelles, et elle les utilise aujourd'hui pour investir et se développer. La population le constate chaque jour, tout comme elle constate que les hôpitaux, les écoles et les universités se reconstruisent et que son niveau de vie s'améliore rapidement.
Compte tenu de l'implication des Occidentaux dans l'échec de la démocratisation, ils sont mal placés aujourd'hui pour donner des leçons ou user de qualificatifs aussi abusifs qu'autocratie. La démocratisation de la Russie reste à accomplir, mais elle ne se fera que sur la base d'une stabilisation de la société et d'une relégitimation du système économique et social. La politique de Vladimir Poutine, consciemment ou non, y contribue à sa façon.