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20 septembre 2007 4 20 /09 /septembre /2007 09:41
actualit---democratie.jpg

Actualité de la démocratie athénienne
Jacqueline de Romilly
170 pages
Bourin Editeur




Ceux qui parcourent régulièrement ce blog savent maintenant que mon objectif principal est de faire "revivre" quelques trésors du passé et de retrouver des bases de réflexion pour aborder les problèmes d'aujourd'hui. La tradition de l'humanisme classique reste selon moi la plus pertinente car elle aborde des notions universelles et intemporelles concernant l'homme et la nature : vérités objectives et universelles, liberté de l'homme (libre arbitre et responsabilité), recherche de la vérité, amour (ou Agapè).
Voici un très bon livre qui pourra peut-être apporter quelques réponses à la crise politique et morale que traverse notre pays aujourd'hui. Jacqueline de Romilly, célèbre helléniste, tente dans ces entretiens de nous faire découvrir la flamme qui a pu inspirer la Grèce du Ve siècle avant JC. Attention, ce n'est pas un vulgaire "copié-collé" d'une période à une autre : la démarche ici est de mieux comprendre ce qu'ont voulu et exprimé les Athéniens à travers leurs principes, valeurs et idéaux. L'auteur tente de souligner la spécificité de la pensée grecque, son universalité et plus particulièrement son approche de la nature humaine.
Inspirant et enthousiasmant.


Quelques extraits :


Son approche de l'éducation:

(...) Les enfants apprenaient à lire et à compter, et - chose intéressante - ils lisaient Homère. Dans le Protagoras de Platon, Protagoras évoque cette lecture d'Homère en disant que les enfants y trouvent des modèles d'actions généreuses grâce aux conduites des héros. Nous touchons ici à ce qui est à mes yeux essentiel: l'idée que la transmission par les textes littéraires est une transmission de valeurs parce que l'on y trouve des modèles d'action.
(...) Je viens de dire que la démocratie exigeait une éducation qui transmette les valeurs; non pas des valeurs imposées comme s'il s'agissait de réglementation, mais les valeurs dans lesquelles nous avons choisi de vivre et que nous intégrons comme habitude intellectuelle. Or, ma grande idée est que l'enseignement moderne, depuis un grand nombre d'années, a fait fausse route en s'orientant vers les connaissances pratiques, en donnant des recettes toutes faites, en ne fournissant que des connaissances que l'on puisse vendre aussitôt sorti des classes. Mais ce faisant, il a perdu de vue ce qui me semble être son but essentiel: la formation de l'esprit, du point de vue intellectuel comme du point de vue des valeurs.
(...) Les jeunes élèves parcourent ces textes qui représentent souvent des actions généreuses ou héroïques, des souffrances, de la tendresse, de la beauté. Je ne dis pas que toute la classe sera émue, mais chacun peut l'être à un moment. Et, croyez-moi, même les plus butés pourront être frappés au beau milieu d'un texte par un exemple qui restera marquant et bien vivant. Même un cancre pourra être ému par un passage. Un grand nombre de ces textes émanent de la démocratie athénienne et sont donc très proches des valeurs liées à toute démocratie. Un professeur pourra expliquer quatre lignes d'un texte en une heure de cours mais réaliser quelque chose d'absolument magnifique pour la transmission de ces valeurs.
Je voudrais d'ailleurs ajouter que cette initiation à la pensée et aux valeurs, ne faisant pas appel à une tradition nationale, me paraît présenter un grand avantage pour les enfants qui ne sont pas d'origine française et en particulier ceux qui vivent dans les banlieues. Il ne s'agit pas avec le latin et le grec de passer d'une culture vivante à une autre, mais de remonter à une source accessible à tous et qui peut devenir commune à tous.
Ce cas particulier mis à part, je crois et je sais par expérience que le contact avec ces textes est extraordinairement enrichissant.

Sur l'universalité de la pensée grecque:

(...) Je veux dire que les Grecs en général et les Athéniens en particulier avaient tendance à tout exprimer sous une forme qui soit assez générale et universelle pour dépasser la simple actualité.
Selon moi, ce qui caractérise la pensée grecque dans tous les domaines, c'est de tendre toujours vers l'universel; c'est-à dire de prendre ce qu'il y a de plus important et qui peut s'appliquer pour d'autres cultures, en d'autres moments, pour d'autres hommes. J'ai consacré beaucoup d'études à Thucydide, l'historien de la guerre du Péloponnèse au Ve siècle. C'est quand même extraordinaire de le voir écrire qu'il souhaite que son histoire soit utile pour que l'on puisse voir clair non seulement dans les évènements passés mais aussi dans ceux qui, à l'avenir, du fait du caractère humain qui est le leur, pourraient être semblables ou analogues. C'est aller chercher, par-delà les petits détails concrets ou les noms propres, quelque chose qui touche à une autre époque et qui saisit ce qui est humain, ce qui peut être récurrent.
Le même esprit se retrouve dans tous les genres qui ont été pratiqués à cette époque. Et ils sont nombreux, ces genres! Précisément à cause de cette tendance à l'universel, ils ont survécu jusqu'à nous à travers les siècles. Or, partout on retrouve la même tendance. Ainsi pour la philosophie qui a pris un tour nouveau au Ve siècle; Socrate a renouvelé la réflexion en s'intéressant à l'homme, à ses devoirs, à ses problèmes, qui se posent en tout temps. Il nous ramène à cet essentiel. Et après lui, c'est presque toute la philosophie qui a suivi. La tragédie, normalement, ne s'intéresse qu'à des héros, à des légendes, à des meurtres comme ceux des Atrides ou de la famille d'Œdipe, ou à des héroïnes comme Phèdre ou Médée. Ces histoires apparemment très éloignées de nous sont traitées en tant qu'image des problèmes humains, des questions de justice, de la culpabilité. Prenez le cas d'Antigone, c'est le problème de savoir s'il faut obéir à une règle de l'État ou à la loi divine, et comment concilier les deux. C'est un problème qui se pose à chacun de nous en divers moments. Et je crois qu'il en est de même pour la pensée politique. Au lieu de nous laisser des traités particuliers sur des problèmes qui se discutaient à l'Assemblée sur telle indemnité ou telle mesure financière, ils ont laissé dans leurs œuvres des études générales sur ce qu'est une démocratie, ce qu'elle doit chercher, comment elle doit vivre. Et c'est pour cela que cette démocratie, tellement différente du point de vue pratique, du point de vue de sa dimension, des procédés et des façons de vivre, a encore un sens et peut encore avoir une utilité pour nous aujourd'hui.
(...) Cette réflexion de l'Athènes du Ve siècle nous touche encore directement parce qu'elle n'était pas enfermée dans l'actualité de ce même Ve siècle. Je crois donc que le contact avec cet idéal, ces valeurs, ces grands principes, peut encore avoir pour nous un effet moralement stimulant en nous aidant à retrouver l'élan démocratique; et il peut aussi avoir un effet intellectuellement précieux en nous permettant de mieux comprendre les problèmes fondamentaux qui commandent le destin de notre démocratie actuelle. C'est bien pourquoi ces textes si proches par l'inspiration et si nettement orientés vers les idées générales, même dans la tragédie, peuvent encore nous toucher aujourd'hui et prendre dans notre crise politique actuelle une utilité directe.
La nature des textes grecs est telle qu'ils exercent une double influence. Par la ferveur et les fréquents retours à ces grands principes, ils raniment en nous un élan moral et une sensibilité à ces valeurs. Et, en même temps, par la précision et le niveau de leurs analyses, ils invitent chacun à une réflexion plus poussée sur ces principes mêmes dont le dévoiement est aujourd'hui à la racine de tous nos problèmes.


Présentation de l'éditeur:

Il est difficile d'être jeune aujourd'hui. Difficile de croire en un monde et une société où le mot " crise " n'a jamais été autant prononcé. Que faire ? Une révolution ? Baisser les bras ? Non. Il nous faut renouer avec le principe même notre démocratie, retrouver l'élan de ses premiers pas afin de remettre en route une société en panne. Actualité de la Démocratie athénienne est un dialogue entre deux générations. Qui mieux que Jacqueline de Romilly, la célèbre helléniste, pouvait apporter à un jeune homme qui s'interroge des réponses utiles pour comprendre le monde d'aujourd'hui ? Il ne s'agit pas, dans ces entretiens, de résoudre la crise contemporaine par les formules du passé, mais de donner à une génération nouvelle un éclairage et des éléments qui peuvent lui permettre de se déterminer et de choisir son rôle dans la société à venir.
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commentaires

D
La réflexion de programmes de 2002 concernant la littérature de jeunesse s'est rapproché de cette analyse : permettre aux élèves de posséder une culture littéraire. La question de la manière d'aborder ces textes reste entière.Combien d'entre nous ont été dégoûtés des livres imposés et décortiqués au collège. Où était le plaisir communiqué ? Je trouve que la démarche demandée maintenant de mise en réseau des textes est particulièrement intéressante : à partir d'un ouvrage, retrouver d'autres façons de traiter le mythe, le sujet parmi divers extraits.Par contre la disparition de la diversité des matières pour des question de budget (le grec et le latin étant les premier sur la liste rouge) m'inquiète au plus haut point. Quand je vois la richesse apportée par la présentation d'une culture qui n'est pas galvaudée, rétrécie, je crains que ces dernières directives ne tentent de prendre pour cible l'histoire et la littérature. Et le pire que c'est soit disant pour "faciliter" la scolarité. Comment réfléchira le tout venant à l'avenir s'il ne dispose pas des moyens de le faire ?Quand aux éclairages du passé, ils me semblent essentiels. Ce que j'avais trouvé particulièrement intéressant dans la politique grecque, c'est l'apprentissage du langage et de la pensée afin que tout citoyen puisse défendre ses positions. Il ne faut cependant pas oublier que la démocratie grecque restait tout de même limitée à ces seuls citoyens (en excluant les empedus-étrangers, les esclaves et les femmes). Réflexion nécessaire sur la démocratie : si elle n'est pas accompagnée d'une éducation à la réflexion, le peuple devient une masse aisément manipulable. Tout tyran le sait : la culture, la liberté d'expression et l'accès à une éducation de qualité sont leur premières cibles. Accompagné d'une manipulation de l'information, d'un enrobage qui embobine le peuple afin de le tenir tranquille. Restons vigilants !
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K
Merci pour ce commentaire. Apprendre à réfléchir, s'enthousiasmer pour de belles idées universelles et intemporelles, découvrir la richesse d'une langue et redonner goût au débat et à la discussion, voilà les enjeux!Dom, je te rassure, Jacqueline de Romilly précise dans ces entretiens que la Grèce du Ve siècle n'est pas un modèle parfait à copier, mais elle s'intéresse plus à la découverte et à l'analyse des principes et des valeurs de cette période.Kévin