Chantres de la Passion et du Rire
Vous avez laissé vos âmes sur terre!
Avez-vous aussi des âmes au ciel,
Et votre vie doublée en des régions nouvelles?
Oui, et celles du céleste royaume conversent
Avec les sphères du soleil et de la lune,
Avec le bruit des fontaines merveilleuses,
Et les voix qui parlent dans le tonnerre;
Avec le murmure des arbres des cieux;
L'une avec l'autre aussi, en une quiétude moelleuse
Assises sur les pelouses élyséennes,
Pâture des seuls faons de Diane;
Abritées sous la tente des vastes campanules,
Là où les marguerites ont la senteur des roses,
Et la rose elle-même possède
Un parfum qui sur terre ne se rencontre pas;
Où le rossignol chante
Non pas d'extatiques délires insensés,
Mais la divine et mélodieuse vérité,
Une philosophie aux nombres harmonieux,
Des fables et des récits dorés
Du ciel et de ses mystères.
Ainsi vous vivez là-haut, et puis
Sur terre vous vivez à nouveau;
Et les âmes par vous laissées derrière vous
Nous enseignent, ici-bas, la voie qui mène à vous,
Là où vos autres âmes séjournent dans la joie,
Sans s'assoupir jamais ni jamais se lasser.
Ici-bas vos âmes terrestres ne cessent de parler
Aux mortels de leur brève journée;
De leurs chagrins et de leurs joies,
De leurs passions et leurs rancœurs,
De leur gloire et leur honte,
De ce qui fortifie et de ce qui mutile.
Ainsi vous nous enseignez chaque jour
La sagesse, bien qu'envolés très loin.
Chantres de la Passion et du Rire,
Vous avez laissé vos âmes à terre.
Vous avez aussi des âmes au ciel
Et votre vie doublée en des régions nouvelles!
John Keats (1819)